Réf. : Cass. civ. 1, 31 mars 2021, n° 19-25.903, F-D (N° Lexbase : A47944NU)
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N7217BYX
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par Jérôme Casey, Avocat au barreau de Paris, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux
le 05 Janvier 2022
Mots-clés : participation aux acquêts • créance de participation • exclusion des biens professionnels • avantage matrimonial • révocation • divorce • notaire
Une clause excluant du calcul de la créance de participation les biens et dettes professionnels des époux en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès, qui conduit à avantager celui d'entre eux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint, constitue un avantage matrimonial révoqué de plein droit en cas de divorce, nonobstant la qualification qu'en auraient retenue les parties dans leur contrat de mariage.
Vu l’article 265 du Code civil :
Selon ce texte, les profits que l'un ou l'autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation constituent des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial et révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce.
Il en résulte qu'une clause excluant du calcul de la créance de participation les biens et dettes professionnels des époux en cas de dissolution du régime matrimonial pour une autre cause que le décès, qui conduit à avantager celui d'entre eux ayant vu ses actifs nets professionnels croître de manière plus importante en diminuant la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint, constitue un avantage matrimonial révoqué de plein droit en cas de divorce, nonobstant la qualification qu'en auraient retenue les parties dans leur contrat de mariage.
Pour rejeter la demande de Mme DM visant à voir qualifier la clause d'exclusion des biens professionnels d'avantage matrimonial révoqué par le divorce et dire, en conséquence, qu'il convient d'exclure les biens professionnels respectifs des ex-époux de la liquidation de leur régime matrimonial de participation aux acquêts, l'arrêt retient, d'abord, que tenir la clause litigieuse pour un avantage matrimonial relevant de l'article 265, alinéa 2, du Code civil reviendrait à priver d'effet la commune intention des parties, qui était d'exclure les biens professionnels de l'assiette de calcul de la créance de participation, aux fins notamment de protéger ces biens nécessaires à l'exercice de l'activité professionnelle, volonté qui ressort par ailleurs du fait que les époux ont expressément qualifié d'avantage matrimonial la clause de partage inégal prévue à l'article 11 du contrat et ne l'ont pas fait s'agissant de la clause d'exclusion des biens professionnels, considérant par là même que cette dernière ne relevait pas de cette nature. Elle retient, ensuite, que la clause litigieuse visait non à conférer à l'un des époux un avantage conventionnel, mais à préserver les biens affectés à l'exercice professionnel de chacun d'eux en cas de dissolution par divorce.
En statuant ainsi, alors que la clause d'exclusion des biens professionnels stipulés par les époux constituait un avantage matrimonial révoqué de plein droit par leur divorce en l'absence de volonté contraire exprimée au moment du divorce, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Observations. Sale temps pour les notaires qui ont inséré depuis des années des clauses d’exclusion de biens professionnels dans leurs contrats de participation aux acquêts. On sait depuis plus d’un an que la Cour de cassation s’est résolue à déclarer l’article 265 du Code civil (N° Lexbase : L2598LBT) applicable à cette clause, de sorte que celle-ci risque fort de ne jamais s’appliquer en cas de divorce, les biens professionnels n’étant donc, de facto, jamais exclus du calcul de la créance de participation (v., Cass. civ. 1, 18 décembre 2019, n° 18-26.337, FS-P+B+I N° Lexbase : A1355Z93 ; RTD civ. 2020. 175, obs. B. Vareille ; JCP G 2020, 225, note J.-R. Binet ; Lexbase, Droit privé, février 2020, n° 813 N° Lexbase : N2276BYX, note J. Casey). Le notariat s’est ému de cette décision, mais on doit à la vérité de rappeler que le régime de la participation aux acquêts ne peut offrir que ce qu’il est : une communauté en valeur. Par conséquent, tout ce qui porte atteinte à cette égalité en valeur finira forcément « haché menu » par l’article 265 en cas de divorce. La solution est certaine tant que ce texte sera rédigé dans sa forme actuelle. Seule une modification de la loi (et donc de cet article) pourrait changer la donne. Cependant, il faut bien admettre que toute rupture d’égalité dans un régime qui postule le primat de celle-ci rend assez illogique l’idée de non-révocation automatique des clauses liquidatives inégalitaires. L’histoire nous apprend que c’est vers un autre type de régime matrimonial qu’il faut se tourner si l’on veut une communauté délimitée aux petits ciseaux, car c’est alors la séparation de biens avec société d’acquêts qui est le régime idéal. Après tout, il fut pratiqué comme régime de droit commun de Bordeaux à Narbonne pendant près de 800 ans, preuve de son intérêt ! Mais pour les communautés en nature (légales, universelles, de meubles et acquêts), ou celles en valeur (participation aux acquêts), il est bien difficile de défendre l’exclusion en cas de divorce.
Trois remarques complémentaires doivent être faites.
1°) La présente décision n’est même pas publiée au Bulletin civil. Il est donc clair que, pour la Cour de cassation, la question est entendue. Pourtant, l’arrêt est très instructif, puisqu’il est dit, dans le chapeau de la décision, que ce qui vaut à la clause d’être révoquée c’est le fait pour un époux de diminuer « la valeur de ses acquêts dans une proportion supérieure à celle de son conjoint ». On comprend donc que si chaque époux bénéficiait, dans la même proportion, de la diminution de son patrimoine final (donc si la clause était bilatérale), aucune révocation ne serait encourue. C’est bon à savoir pour ce qui est de la rédaction du contrat de mariage… Cela prouve surtout que c’est bien l’atteinte à l’égalité en valeur qui est ici sanctionnée (comme le serait une atteinte à l’égalité en nature dans les communautés classiques).
2°) Ce principe d’égalité étant affirmé avec force, la Cour de cassation a jouté une incidente redoutable : l’atteinte à cette égalité « constitue un avantage matrimonial révoqué de plein droit en cas de divorce, nonobstant la qualification qu'en auraient retenue les parties dans leur contrat de mariage ». Il faut souligner ce passage, car cela confirme que le contrat de mariage ne changera pas la donne. Si les parties s’avisent de vouloir « finasser » par une clause de leur contrat, le juge devra restituer aux faits leur exacte qualification, donc dire que c’est un avantage matrimonial, et constater sa révocation automatique du fait du divorce. On sent toute la volonté de la Cour de cassation d’exercer son contrôle sur ces clauses, ici via les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 12 CPC (N° Lexbase : L1127H4I).
3°) La volonté contraire des parties, qui souhaiteraient maintenir expressément l’avantage matrimonial malgré le prononcé du divorce, est réaffirmée par l’arrêt qui reprend au mot près la formulation du précédent de 2019 : « sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce ». Voilà qui dément l’interprétation proposée en doctrine selon laquelle l’accord au maintien de l’avantage matrimonial peut être exprimé dans le contrat de mariage, et qui espérait que le terme « exprimé » ait été une erreur de plume (v., les obs. de J.-R. Binet, prec.). La réalité est bien différente : pour la Cour de cassation, c’est le prononcé du divorce qui compte, et c’est à cet instant, et à aucun autre, que la volonté de maintenir la clause (et donc la rupture d’égalité) doit être exprimée. Prévoir une clause allant en ce sens dans le contrat de mariage serait donc vain, puisqu’il faudra réitérer l’accord au maintien de la clause de non-révocation de l’avantage matrimonial au moment de divorce. Ce serait même dangereux, car cela pourrait laisser croire que le divorce est déjà envisagé et pris en compte, alors qu’il n’en sera rien. De grâce, après une première clause trompeuse, n’en créons pas une deuxième…
Au total, l’arrêt est donc d’une fermeté qui doit être soulignée. Non seulement le juge n’est pas tenu par la qualification des parties dans le contrat de mariage, mais encore toute renonciation à la révocation automatique doit être exprimée au moment du divorce, pas avant. Amis notaires, vous voici prévenus ! Vos actes doivent impérativement être rédigés en tenant compte de ces règles nouvelles. Et songez bien à votre devoir de conseil, comme l’a montré un sinistre récent affectant votre profession, donnant au Conseil constitutionnel l’occasion de rendre une décision très intéressante à ce sujet (v., Cons. const. 23 janvier 2021, n° 2020-880 QPC N° Lexbase : A85144DP ; AJ fam. 2021, p. 184, obs. J. Casey).
Bref, attention aux avantages matrimoniaux, et attention aux montages « d’ingénierie patrimoniale ». Ceux qui les conseillent ne sont pas ceux qui endurent les actions en responsabilité. Revenons au droit civil…
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