Réf. : Cass. civ. 3, 4 mars 2021, n° 19-22.971, FS-P (N° Lexbase : A02284KN)
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par Vincent Téchené
le 10 Mars 2021
► ll incombe au bénéficiaire d’un droit de préférence et de préemption qui sollicite l’annulation de la vente et sa substitution dans les droits du tiers acquéreur de rapporter la double preuve de la connaissance, par celui-ci, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, de sorte qu’il ne peut être reproché aux crédits-bailleurs, tiers acquéreurs, professionnels du financement immobilier, de s’être abstenus de procéder à des vérifications autres que celles opérées au fichier immobilier.
Faits et procédure. Deux sociétés (une SCI et une société commerciale) détenues par la même famille ont cédé à deux crédits-bailleurs immobiliers les parcelles d’assiette d’un hypermarché exploité sous une enseigne, moyennant régularisation d’un contrat de crédit-bail immobilier pour une durée de quinze années au profit de la SCI cédante. La société commerciale, exploitante de l’hypermarché, a notifié sa décision de changer d'enseigne. La société coopérative de l'enseigne initiale (la coopérative) a alors assigné les crédits-bailleurs et les deux sociétés cédantes en nullité de la vente et en substitution dans les droits des acquéreurs, pour violation de son droit de préemption sur l’immobilier des points de vente inscrit dans les articles 9 de ses statuts et 19 de son règlement intérieur, auxquels avaient adhéré la société commerciale cédante et certains membres de la famille propriétaire des parts.
Débouté de sa demande (CA Riom, 3 juillet 2019, n° 17/02308 N° Lexbase : A7252ZH3), Système U a formé un pourvoi en cassation.
Décision. La Cour de cassation rejette le pourvoi.
D’une part, ayant énoncé à bon droit qu’il incombe au bénéficiaire d’un droit de préférence et de préemption qui sollicite l’annulation de la vente et sa substitution dans les droits du tiers acquéreur de rapporter la double preuve de la connaissance, par celui-ci, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, la cour d’appel a exactement retenu qu’il ne pouvait être reproché aux crédits-bailleurs, professionnels du financement immobilier, de s’être abstenus de procéder à des vérifications autres que celles opérées au fichier immobilier.
D’autre part, ayant relevé que le projet des associés et de leurs sociétés de transférer l’hypermarché en recourant à un crédit-bail immobilier sur les parcelles concernées était connu de la coopérative, qui avait reconnu y avoir, dans un premier temps, prêté son concours, et que seul le groupe de la nouvelle enseigne avait été mis en garde, par la bénéficiaire du pacte, des conséquences d’une violation de son droit de préemption concernant les offres préalables de vente des droits sociaux et des fonds de commerce, la cour d’appel en a souverainement déduit, sans inverser la charge de la preuve, qu’il n’était pas prouvé que les crédits-bailleurs étaient informées de la volonté de la coopérative d’exercer son droit de préemption sur les terrains vendus.
Observations. Le principe de la possibilité de substitution du bénéficiaire du acte au tiers acquéreur a été posé par un arrêt de Chambre mixte de 2006 : si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir (en ce sens Cass. mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376, publié N° Lexbase : A7227DPD ; v. également, Cass. civ. 3, 31 janvier 2007, n° 05-21.071, FS-P+B N° Lexbase : A7853DTZ). Il incombe ainsi au bénéficiaire d'un droit de préférence et de préemption de rapporter cette double preuve.
Cette règle a depuis été intégrée dans le Code civil à l’occasion de la réforme du droit des contrats (C. civ., art. 1123 N° Lexbase : L2338K7Q ; ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK) qui a, en outre, complété le régime du pacte de préférence en mettant en place une mesure de protection du tiers en lui offrant ce que l'on appelle communément une action interrogatoire à l'encontre du bénéficiaire. Il est à noter que ces mesures, contenues aux alinéas 3 et 4 de l'article 1123, sont d'ailleurs applicables dès le 1er octobre 2016 (cf. ordonnance n° 2016-131, art. 9). Toujours est-il que la difficulté, pour le bénéficiaire du pacte, de rapporter la double preuve demeure et ce, même à l’égard d’un tiers acquéreur « professionnel » comme en témoigne d’ailleurs l’arrêt du 3 mars 2021.
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