Réf. : Cass. civ. 1, 10 février 2021, n° 19-22.793, F-P (N° Lexbase : A79614GX)
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par Anne-Lise Lonné-Clément
le 24 Février 2021
► C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, qui a examiné les dépôts de plainte effectués par les deux parties et les certificats médicaux versés aux débats, sans être tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle décidait d'écarter ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a estimé que le prononcé d'une ordonnance de protection était justifié à l’égard du seul conjoint.
Faits et procédure. En l’espèce, par requête du 20 avril 2017, une femme avait saisi le juge aux affaires familiales afin d'obtenir une ordonnance de protection à l'égard de son conjoint.
Décision cour d’appel. La cour d’appel avait retenu que l’épouse était fondée à solliciter une mesure de protection et, en conséquence, lui avait attribué la jouissance du logement et du mobilier du ménage se trouvant au domicile conjugal, ordonné que l’époux quitte sans délai le domicile conjugal, ordonné en tant que de besoin son expulsion, avec l'assistance de la force publique, et interdit aux époux de se troubler mutuellement à leur domicile respectif en les autorisant, à défaut, à faire cesser ce trouble par toute voie de droit appropriée, si besoin avec le concours de la force publique.
Pour se prononcer ainsi, la cour d’appel avait retenu qu'il ressortait des éléments de preuve produits que l’épouse avait été victime de violences conjugales à plusieurs reprises, alors que les faits dénoncés à son encontre par l’époux correspondaient à des dégradations matérielles, sans violence physique, ou à des violences réactionnelles à une agression subie par l'épouse. La cour constatait qu'à cela s'ajoutaient un contexte de violences psychologiques et un syndrome dépressif réactionnel, dont souffrait l'intéressée depuis plusieurs années, comme en attestait son médecin, et qui n'était pas dû, contrairement à ce que soutenait l’époux, à ses difficultés professionnelles. La cour relevait que l’époux ne démontrait pas que son épouse s’était rendue coupable, à son égard, de violences psychologiques ou économiques.
Pourvoi. Pour contester la décision, l’époux faisait valoir que c’était, au contraire, lui-même qui était exposé à un danger ; il soutenait que constitue un acte de violence tout acte dommageable pour la personne ou les biens de la victime qui est de nature à lui causer un trouble physique ou moral ; qu'en affirmant que la matérialité des violences psychologiques commises à son préjudice n'était pas avérée par la production d'éléments objectifs et qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte du fait que l’épouse avait quitté le domicile conjugal munie d'un couteau, en 2016, pour se rendre au lieu où s'était réfugié l’époux, afin de lacérer la capote et crever les pneus de son véhicule dès lors que ces faits, aussi désagréables soient-ils, n'étaient pas constitutifs des violences physiques dénoncées par l'intéressé, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si ces faits n'étaient pas de nature à caractériser des violences morales, en ce qu'ils étaient constitutifs d'un acte prémédité d'intimidation avec arme, la cour d'appel avait privé sa décision de base légale au regard des articles 515-9 (N° Lexbase : L2997LUK) et 515-11 (N° Lexbase : L8563LXG) du Code civil.
Rejet du pourvoi. Mais les arguments sont écartés par la Haute juridiction, qui rappelle qu’aux termes de l'article 515-9 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019, lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection.
Selon la Haute juridiction, en l'état des constatations et appréciations susmentionnées, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, qui a examiné les dépôts de plainte effectués par les deux parties et les certificats médicaux versés aux débats, sans être tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle décidait d'écarter ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a estimé que le prononcé d'une ordonnance de protection était justifié.
Observations. Par cette décision, la Cour de cassation rappelle, d’une part, que le juge aux affaires familiales dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour décider si les conditions de délivrance d’une ordonnance de protection sont réunies (cf. Cass. civ. 1, 5 octobre 2016, n° 15-24.180, F-P+B N° Lexbase : A4507R73).
Cette décision rappelle, d’autre part, que la caractérisation d’une mise en danger est déterminante pour justifier la délivrance d’une ordonnance de protection (cf. également Cass. civ. 1, 13 février 2020, n° 19-22.192, F-D N° Lexbase : A75143EZ ; et notre brève N° Lexbase : N2354BYT).
En l’espèce, s’agissant des violences dénoncées par l’époux, la cour d’appel a ainsi estimé (souverainement) que la condition d’existence d’une mise en danger n’était pas caractérisée (contrairement aux violences dénoncées par l’épouse, les faits dénoncés par l’époux correspondant à des dégradations matérielles, sans violence physique, ou à des violences réactionnelles à une agression subie par l'épouse).
Pour aller plus loin : - cf. A. Gouttenoire, L’ordonnance de protection : une véritable mesure d’urgence, Lexbase, Droit privé, n° 828, 2020 (N° Lexbase : N3763BYZ) ; - cf. ETUDE : Les mesures de protection pour les victimes de violences conjugales, Les conditions et la procédure de délivrance d'une ordonnance de protection (N° Lexbase : E1144EUW) in L’Ouvrage « Mariage - Couple - PACS » (dir. A. Gouttenoire). |
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