La lettre juridique n°855 du 25 février 2021 : Voies d'exécution

[Jurisprudence] Voies d'exécution : Million dollar tiers saisi

Réf. : Cass. civ. 2, 4 février 2021, n° 19-12.424, FS-P+I (N° Lexbase : A81584EU)

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N6575BY8

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par Sylvian Dorol, Huissier de justice associé (Vénézia & Associés) - Intervenant à l’ENM, EFB, HEDAC et INCJ - Chargé d’enseignement (Paris X et XIII)

le 24 Février 2021


Mots-clés : huissier • tiers saisi • saisie-conservatoire • biens meubles •responsabilité

Le tiers saisi, qui ne répond pas à l’interpellation de l’huissier de justice lors d’une mesure conservatoire, s’expose à une condamnation aux causes de la saisie, même si le créancier saisissant a pu obtenir les informations souhaitées ultérieurement et auprès d’un autre tiers.
Le tiers saisi, même s’il a répondu de manière exacte à la saisie, engage sa responsabilité s’il fournit par la suite au créancier saisissant des informations inexactes ou mensongères. Il s’expose ainsi à une condamnation à des dommages-intérêts.


 

La parole est d’or, et le silence est d’argent. Non, ce n’est pas une erreur. Pour le tiers saisi, et contrairement au proverbe, la parole est d’or et le silence est d’argent. La règle n’est pas aussi poétiquement formulée par le législateur dans le Code des procédures civiles d’exécution, mais y est exprimée clairement et sans nul doute. En effet, la place des tiers est déterminée de manière générale par l’article L. 213-1 du Code des procédures civiles de l’exécution (N° Lexbase : L5655LWD) qui dispose « Les tiers ne peuvent faire obstacle aux procédures engagées en vue de l'exécution ou de la conservation des créances. Ils y apportent leur concours lorsqu'ils en sont légalement requis. Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à ces obligations peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peine d'astreinte, sans préjudice de dommages-intérêts. Dans les mêmes conditions, le tiers entre les mains duquel est pratiquée une saisie peut aussi être condamné au paiement des causes de la saisie, sauf recours contre le débiteur ». Les obligations du tiers saisi sont rappelées au fil du code, et notamment à l’article R. 523-5 du même code (N° Lexbase : L2566IT9) qui dispose que « Le tiers saisi qui, sans motif légitime, ne fournit pas les renseignements prévus, s'expose à devoir payer les sommes pour lesquelles la saisie a été pratiquée si le débiteur est condamné et sauf son recours contre ce dernier. Il peut être condamné à des dommages-intérêts en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte ou mensongère ». Les choses sont donc claires : le tiers saisi doit répondre, sous peine de sanction. Mais la clarté de l’affirmation ne peut occulter les zones d’ombres tapies au cœur des affaires portées devant les juridictions. En témoigne l’arrêt rendu le 4 février 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dont la portée est toute autant pratique que théorique.

Les faits étant extrêmement complexes, il convient de les rappeler brièvement pour bien comprendre cette décision.

Sur le fondement de deux ordonnances du 12 février 2016, la société P. a fait pratiquer une saisie conservatoire sur des biens meubles en garantie de la somme de 600 000 euros. Ces biens étaient en dépôt entre les mains des sociétés du groupe A. opérant en France. Plusieurs saisies ont donc été opérées entre les mains de différentes sociétés de ce groupe.

Le jour des saisies, la société A. France services a déclaré ne pas être débitrice du débiteur et la société A. EU s’est abstenue de répondre. Par la suite, la société A. France services a déclaré à l’huissier de justice que les biens appartenant au débiteur avaient été bloqués entre les mains de la société A. France Logistique, auprès de qui pourtant aucun acte n’avait été régularisé. C’est pourquoi, cette dernière interrogée a déclaré que les biens n’avaient pas été bloqués car aucune saisie conservatoire n’avait été effectuée auprès d’elle.

Pour synthétiser les faits, il est possible de raisonner en trois temps : au sein du même groupe, une société s’est abstenue de répondre à l’huissier de justice, une deuxième a répondu de manière eronnée en engageant une troisième, laquelle n’a été tiers saisi qu’ultérieurement. Dans ces conditions, il semble évident que le créancier saisissant ait introduit une action en justice en vue de voir reconnaître la responsabilité des tiers saisis. La cour d’appel ayant condamné les tiers saisis, et au regard des sommes en jeu, il n’est guère surprenant qu’ils aient formé un pourvoi en cassation.

Deux problématiques se dégageaient : d’abord, il était question de savoir si le fait que le créancier saisissant ait trouvé satisfaction dans une autre mesure conservatoire constitue un « motif légitime » exonérant le tiers saisi initial de son obligation de réponse. Puis, il était question de déterminer si seule la réponse immédiate de l’huissier de justice est susceptible d’engager la responsabilité du tiers saisi, ou si les précisions ultérieures le sont également. En d’autres termes, il était question de l’effet de l’écoulement du temps sur les obligations des tiers saisis.

Les réponses de la Cour de cassation sont sans équivoque et éclairent à la fois sur le rapport du temps et de la qualité de tiers saisi (I), ainsi que sur les rapports du temps et de la réponse à la mesure conservatoire (II).

I. La qualité de tiers saisi dans le temps

Être ou ne pas être tiers saisi ? La question ne se pose pas à la lecture de l’arrêt commenté qui renseigne à propos de la durée dans le temps de la notion de tiers saisi : quand le tiers saisi le devient-il (A) ? Quand cesse-t-il de l’être (B) ?

A. La naissance de la qualité du « tiers saisi »

On ne choisit pas d’être tiers saisi, on le devient. Non par la force des choses, mais par la simple interpellation d’un huissier de justice lors d’une mesure de saisie. C’est donc la signification de cet acte qui fait naître les obligations du tiers saisi, lesquelles sont de répondre à l’huissier de justice et de fournir les renseignements demandés. Il est important de souligner le fait que, même si l’acte de saisie est irrégulier ou s’il excipe d’un motif légitime pour ne pas répondre, il n’est demeure pas moins que la simple signification de l’acte attribue la qualité de tiers saisi. En effet, il n’appartient pas à ce dernier de juger de la validité d’un acte d’huissier (c’est au seul juge de l’exécution que revient cette prérogative), et le motif légitime exonère le tiers de son obligation de réponse immédiate, mais non de sa qualité tant que le juge ne l’a pas décidé. Pour cette raison, la formule employée par la Cour de cassation (« l'huissier de justice invite le tiers à déclarer les biens qu'il détient pour le compte du débiteur »), bien que reprenant l’écriture de l’article R. 221-21 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2266IT4), n’est pas conforme à la réalité juridique : le tiers saisi n’est pas « invité » à communiquer, mais davantage sommé de le faire dans la mesure où c’est sa collaboration qui est attendue et que sa résistance, qu’elle soit silencieuse ou mensongère, sera sanctionnée.

Dans le cas d’espèce, il est possible de conclure à la lecture de la décision de la Cour de cassation commentée, que la qualité de tiers saisi n’est attribuée qu’à l’unique personne (physique ou morale) interpellée par l’huissier de justice. La qualité de tiers saisi est donc personnelle, et se confond donc avec l’autonomie juridique de l’interlocuteur de l’huissier de justice : quand bien même le tiers saisi est une société faisant partie d’un groupe, la qualité de tiers saisi ne s’étend pas aux autres sociétés du groupe sans qu’un procès-verbal de saisie ne leur soit délivré à titre personnel.

Dans les faits, un des tiers saisis avait répondu, en substance, qu’il prenait acte de ce procès-verbal et confirmait que les biens objets de la saisie étaient donc bloqués entre les mains d’une autre société du groupe. À la lecture de sa réponse, le tiers saisi avait donc souhaité spontanément étendre les effets de la saisie à une autre de ses sociétés, pourtant autonome juridiquement et non visée dans l’ordonnance autorisant la saisie conservatoire. Puisque cette société étrangère au litige n’était pas tiers saisi, sa responsabilité ne pouvait donc être recherchée. Cela explique qu’elle soit absente des parties dans l’arrêt commenté.

D’autre part, il faut souligner que la naissance de la qualité de tiers saisi est indépendante du résultat de la voie d’exécution engagée, comme il sera exposé dans les développements qui suivent.

B. L’extinction de la qualité du « tiers saisi »

L‘extinction de la qualité de tiers saisi n’est évoquée qu’en filigrane dans l’arrêt commenté. D’abord, et comme il ressort de la décision commentée, il est possible d’affirmer que le défaut de réponse à l’huissier de justice ne suffit pas à faire disparaître la qualité de tiers saisi. En effet, la qualité de tiers saisi est totalement indépendante du caractère fructueux de la mesure. C’est pourquoi l’expression « tiers saisi » peut paraître équivoque pour le tiers interpellé qui est convaincu, à tort, que puisque la saisie est infructueuse, il n’est pas tenu des obligations du tiers saisi. Ensuite, il est possible de comprendre que la qualité de tiers saisi ne disparaît pas avec le départ de l’huissier de justice. Elle se poursuit dans le temps et ne cesse que de trois manières.

La première cause d’extinction de la qualité de tiers saisi est, bien évidemment, l’aboutissement de la procédure. Cela se traduira soit par un acte de mainlevée pure et simple si la procédure se solde par un échec (ou si le « motif légitime » revendiqué par le tiers est reconnu comme tel par le juge), soit par un acte de mainlevée quittance si la mesure est un succès.

La deuxième cause d’extinction de la qualité de tiers saisi est sa condamnation en cas de silence ou de réponse mensongère. Condamné, il cessera d’être tiers saisi pour devenir débiteur du créancier saisissant.

La troisième et dernière cause d’extinction de la mesure est la prescription du titre qui la fonde.

Ainsi, il convient de distinguer l’obligation de réponse « sur-le-champ » du tiers saisi de sa qualité. Si l’obligation de réponse instantanée cesse au départ de l’huissier de justice, la qualité de tiers saisi perdure : il doit donc répondre. Autrement formulé, même si le tiers saisi a gardé le silence, les obligations inhérentes à son statut perdurent : il demeure donc obligé de fournir les renseignements demandés. L’obtention des renseignements demandés ultérieurement à la mesure conservatoire et par une procédure parallèle ne suffit pas à éteindre la qualité de tiers saisi et ses obligations comme il ressort de l’arrêt commenté. En l’espèce, le tiers saisi initialement souhaitait s’exonérer de sa responsabilité en prouvant que sa faute ne causait pas de préjudice au créancier qui était arrivé à ses fins par un autre moyen (autre saisie conservatoire auprès d’un autre tiers). En d’autres termes, il souhaitait voir placée sa responsabilité sous l’angle purement civil (qui nécessite de prouver un préjudice - ce qui autorise la condamnation à des dommages-intérêts), et non sous l’égide du Code des procédures civiles d’exécution (au sens où le préjudice n’a pas à être prouvé mais est présumé par la simple mise en œuvre de la saisie conservatoire-cela est sanctionné par la condamnation aux causes de la saisie).

En conclusion, la responsabilité du tiers saisi qui ne répond pas à une mesure de saisie ne disparaît pas du fait de l’absence de préjudice subi par le créancier saisissant.

II. La réponse du tiers saisi dans le temps

Une fois la qualité de tiers saisi déterminée, il reste à évoquer son obligation de réponse. L’arrêt commenté renseigne à la fois quant à la forme de la réponse qui peut être impactée par l’écoulement du temps (A), et quant à son contenu (B).

A. La forme de la réponse impactée par le temps

L’article R. 523-4 du Code des procédures civiles d’exécution (N° Lexbase : L2565IT8) dispose que « Le tiers saisi est tenu de fournir sur-le-champ à l'huissier de justice les renseignements prévus à l'article L. 211-3 (N° Lexbase : L5839IRP) et de lui communiquer les pièces justificatives. Il en est fait mention dans l'acte de saisie. Si l'acte de saisie est signifié par voie électronique, le tiers saisi est tenu de communiquer à l'huissier de justice, par la même voie, les renseignements et pièces justificatives mentionnés au premier alinéa. Cette communication doit être effectuée au plus tard le premier jour ouvré suivant la signification, sous réserve des dispositions prévues à l'article 748-7 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0423IGR) ».

A première lecture, ce texte ne vise que le moment de la réponse du tiers saisi, et non sa forme. Pourtant, en cas de « saisie papier » (saisie conservatoire matérialisée par des documents signifiés physiquement par l’huissier de justice), comme c’était le cas en l’espèce, la réponse apparaît devoir être orale puisque l’article précité indique que l’officier public et ministériel fait mention de la déclaration dans son procès-verbal. Cette réponse orale immédiate est bien souvent recherchée par l’huissier de justice dans les faits. Pourtant, et comme il ressort des faits commentés, la forme de la réponse du tiers saisi peut être impactée par le temps. Ainsi, en cas d’impossibilité de réponse immédiate (liée à une indisponibilité immédiate du tiers saisi), la forme de la réponse peut varier. La réponse immédiate fera mention de l’incapacité temporaire et engagement du tiers saisi à répondre dans les plus brefs délais (en pratique, cette réponse peut être : « Nous prenons acte de votre saisie. Nous ne pouvons vous répondre immédiatement mais vous répondrons par écrit sous 24h »). Il est courant, comme c’est le cas en l’espèce, que la forme de la réponse varie au fil du temps : initialement orale, elle peut par la suite revêtir une forme écrite. La forme de la réponse n’ayant pas causé de difficulté en l’espèce, cela démontre bien que toute l’attention doit être portée sur le contenu de la réponse.

B. Le contenu de la réponse impactée par le temps

L’arrêt commenté n’éclaire pas sur les raisons exactes qui ont poussé un des tiers saisis à garder le silence lorsqu’il a été interrogé par l’officier public et ministériel instrumentaire. Bien que disposant d’un siège social à l’étranger, cette société avait été vraisemblablement interpellée en son établissement situé en Ile-de-France. L’excuse de la distance et des délais inhérents à la signification internationale ne pouvaient donc raisonnablement pas être invoquée pour justifier le silence, alors même que cela pourrait constituer un « motif légitime » au sens du Code des procédures civiles d’exécution.

A la lecture des moyens de cassation, il est possible de comprendre que le tiers saisi essayait de se dédouaner de sa responsabilité au motif que le créancier poursuivant avait obtenu une réponse à sa saisie, même si cette réponse n’était pas la sienne, mais celle d’une autre société du même groupe. En d’autres termes, et comme l’a justement formulé Monsieur Payan [1], « est-on en présence d’un « motif légitime » exemptant le tiers des sanctions encourues en raison de son refus de répondre sur-le-champ à l’huissier de justice qui a pratiqué une première saisie, lorsque l’information réclamée est finalement communiquée lors d’une saisie subséquente ? ». La Cour de cassation répond négativement à cette interrogation, ce qui est conforme à la logique de l’exécution. En effet, il convient d’envisager chaque saisie conservatoire comme une procédure indépendante, même si elles sont concomitantes les unes des autres. Les tiers saisis sont tenus d’obligations individuelles et non collectives, quand bien même ces sociétés font partie d’un même groupe. Puisque l’obligation de réponse est individuelle et non collective, il n’est en rien critiquable que le tiers saisi qui répond en évoquant, non ses obligations, mais celles d’une autre société du même groupe, n’engage pas cette dernière par sa déclaration.

L’arrêt commenté pousse également à une autre réflexion. Le tiers saisi, qui a exactement répondu sur le champ à l’acte de saisie, mais qui modifie par la suite sa réponse par des éléments inexacts ou mensongers, engage-t-il sa responsabilité ? Sur ce point, la Cour de cassation répond affirmativement. Ce cas de figure (modification de réponse postérieurement à l’acte de saisie) est expressément envisagé dans le Code des procédures civiles d’exécution, mais uniquement sous l’angle de la saisie de comptes bancaires [2]. En matière de saisie conservatoire de biens meubles corporels, le législateur n’avait pas envisagé cette hypothèse, mais la décision commentée nous convainc que cela est possible.

Plus encore, l’arrêt rendu par la Cour de cassation enseigne qu’en pareil cas la responsabilité civile délictuelle du tiers saisi est retenue. C’est donc confirmer que son obligation de réponse expresse et exacte naît au jour de la saisie et perdure jusqu’à l’extinction de la qualité du tiers saisi. En d’autres termes, s’il fournit une réponse inexacte, mensongère, ou garde le silence lors de la saisie, il peut se raviser et rectifier son comportement par la suite. Comme il a été exposé, au cours d’une mesure de saisie pratiquée entre ses mains, le tiers saisi est acculé dans les cordes du ring de l’exécution. Bien que non belligérant, ni même arbitre, la moindre faute ne lui sera pas pardonnée et sa responsabilité sera recherchée, surtout s’il est notoirement solvable comme en l’espèce. Au final, cette scène fait écho à l’accident que subit la championne dans le film Million Dollar Baby : c’est finalement un tiers qui blesse tragiquement une des boxeuses et sur qui pèse l’issue fatale du combat.

[1] G. Payan, Saisie conservatoire : retour sur les obligations des tiers, D.actualité, 22 février 2021.

[2] CPCEx, art. L. 162-1 (N° Lexbase : L5835IRK) et R. 162-1 (N° Lexbase : L2666ITW).

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