La lettre juridique n°855 du 25 février 2021 : Baux d'habitation

[Brèves] Location de meublé touristique sur une courte durée : validation du dispositif de changement d'usage

Réf. : Cass. civ. 3, 18 février 2020, n° 17-26.156, FP-PR (N° Lexbase : A33354HY), n° 19-13.191 (N° Lexbase : A33364HZ) et n° 19-11.462 (N° Lexbase : A33374H3), FP-P

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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

le 24 Février 2021

► Les articles L. 631-7, alinéa 6 (N° Lexbase : L0141LNK), et L. 631-7-1 (N° Lexbase : L2375IBL) du Code de la construction et de l’habitation sont conformes à la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4) ;

La location d’un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage qui est soumis à autorisation administrative préalable ;

Le règlement municipal de la Ville de Paris qui prévoit une obligation de compensation est conforme au principe de proportionnalité ; 

► Un formulaire H2 rempli postérieurement au 1er janvier 1970 ne permet pas nécessairement d’établir l’usage d’habitation du bien à cette date.

Faits. Dans les trois arrêts, le propriétaire d’un bien immobilier situé à Paris a été assigné par la Ville de Paris en paiement d’une amende pour l’avoir loué « de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile », sans avoir sollicité l’autorisation de changement d’usage prévue par l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation.

Procédure. Dans le premier arrêt (n° 17-26.156), condamnée par le juge des référés, puis par la cour d’appel, au paiement d’une amende, elle a, à l’occasion de son pourvoi en cassation, soulevé la non-conformité des articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du Code de la construction et de l’habitation aux articles 9 et 10 de la Directive 2006/123/CE (dite « Directive services ») du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

Par un arrêt du 15 novembre 2018 (Cass. civ. 3, 15 novembre 2018, n° 17-26.156, FP-P+B+I N° Lexbase : A1712YLY), la Cour de cassation a posé des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et sursis à statuer dans l’attente de la décision de cette juridiction.

Dans le deuxième arrêt (n° 19-13.191), la demande de la Ville de Paris a été rejetée en première instance et en appel au motif qu’aucun changement d’usage n’était en l’espèce caractérisé, la notion de « courte durée » visée à l’article L. 631-7, dernier alinéa, ne recouvrant pas toute location durée inférieure à un an ou à neuf mois, comme le soutenait la Ville de Paris.

Par un arrêt du 28 mai 2020, la Cour de cassation a sursis à statuer sur le pourvoi formé par la Ville de Paris, jusqu’au prononcé de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans les affaires C-724/18 (CJUE, 22 septembre 2020, aff. C-724/18, Cali Apartments SCI N° Lexbase : A43833UU).

Dans le troisième arrêt (n° 19-11.462), la demande a été accueillie en première instance et en appel. Le pourvoi posait notamment la question de la preuve de l’usage d’habitation de ce local au sens de ce texte et plus précisément de la portée qu’il convenait de donner à la déclaration « H2 » remplie par les propriétaires de propriétés bâties à l’occasion de la révision foncière de 1970.

Par un arrêt du 6 février 2020, la Cour de cassation a sursis à statuer sur le pourvoi formé par la Ville de Paris, jusqu’au prononcé de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans les affaires C-724/18 et C-727/18.

Dans les trois arrêts, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que, par un arrêt du 22 septembre 2020 (C-724/18 et C-727/18), la CJUE s’est prononcée sur les questions posées.

Questions posées à la Cour de cassation. Les questions posées à la Cour de cassation sont les suivantes :

  • dans le premier arrêt (n° 17-26.156) : les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du Code de la construction et de l’habitation sont-ils conformes aux articles 9 et 10 de la Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ?
  • dans le deuxième arrêt (n° 19-13.191) : le fait pour un bailleur de donner en location, à deux reprises au cours de la même année, un appartement meublé à usage d’habitation, pour des durées respectives de quatre et six mois, à deux sociétés pour y loger la même personne en qualité de salarié, caractérise-t-il un changement d’usage au sens de l’article L. 631-7, alinéa 6, du Code de la construction et de l’habitation ?
  • dans le troisième arrêt (n° 19-11.462) : le formulaire de l’administration fiscale intitulé « H2 » rempli par le propriétaire d’un local postérieurement au 1er janvier 1970 est-il de nature à établir la preuve de l’usage d’habitation du bien à cette date ?

Réponses de la Cour de cassation. Dans les deux premiers arrêts (n° 17-26.156 et 19-13.191), la Cour de cassation a tout d’abord jugé que les articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du Code de la construction et de l’habitation sont conformes à la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.

Dans le premier arrêt (n° 17-26.156), sur la conformité à l’article 9 de la Directive, l’interprétation de la Directive par la CJUE s’imposant à elle, la Cour de cassation, reprenant les motifs de la juridiction européenne, a jugé que l’article L. 631-7, alinéa 6, qui soumet à autorisation préalable le fait, dans certaines communes, de « louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile », est justifié par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et est proportionné à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante (telle que, par exemple, la limitation des nuitées disponibles à la location ou bien encore la mise en place d’une imposition spécifique destinée à rendre moins attrayante économiquement ce type de contrats), notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.

Sur la conformité à l’article 10 de la Directive, alors que, sur ce point, la CJUE a laissé à la Cour de cassation le soin de se prononcer après lui avoir toutefois donné quelques « indications de nature à lui permettre de statuer », celle-ci a jugé :

  • d’une part, que l’article L. 631-7, alinéa 6, précité répond aux exigences d’objectivité et de non-ambiguïté prévues par l’article 10 précité, dès lors que, hormis les cas d’une location consentie à un étudiant pour une durée d’au moins neuf mois, de la conclusion, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 novembre 2018 (N° Lexbase : L8700LM8), d’un bail mobilité d’une durée de un à dix mois et de la location du local à usage d’habitation constituant la résidence principale du loueur pour une durée maximale de quatre mois, « le fait de louer, à plus d’une reprise au cours d’une même année, un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale, au sens de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 (N° Lexbase : L8461AGH), constitue un changement d’usage d’un local destiné à l’habitation et, par conséquent, est soumis à autorisation. »
    À cet égard, la question centrale portait sur la notion de « courtes durées  », figurant dans l’article L. 631-7, alinéa 6, et considérée comme trop imprécise par la société demanderesse au pourvoi : se référant à la réglementation nationale et en particulier à l’article L. 632-1 du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L0189LNC) auquel l’article L. 631-7 renvoie, la Cour de cassation a estimé qu’une location de courte durée devait s’entendre de toute location « inférieure à un an ». Elle en a déduit que ce texte est suffisamment précis, en ce qu’il concerne la location à plus d’une reprise au cours d’une même année d’un local meublé pour une durée inférieure à un an, telle qu’une location à la nuitée, à la semaine ou au mois, à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale au sens de l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989.
  • d’autre part, que l’article L. 631-7-1 du Code de la construction et de l’habitation (qui confie au maire de la commune de situation de l’immeuble la faculté de délivrer l’autorisation préalable de changement d’usage et attribue au conseil municipal le soin de fixer les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées des compensations éventuelles, au regard des objectifs de mixité sociale en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements) prévoit des critères qui sont justifiés par une raison d’intérêt général, qui satisfont aux exigences de clarté, de non-ambiguïté, d’objectivité, de publicité, de transparence et d’accessibilité de la Directive et qui, tels que mis en œuvre par la Ville de Paris dont le règlement municipal prévoit une obligation de compensation, sont conformes au principe de proportionnalité. Autrement dit, le règlement municipal de la Ville de Paris qui prévoit une obligation de compensation est conforme au principe de proportionnalité.

Dans le deuxième arrêt (n° 19-13.191), s’agissant du champ d’application de l’article L. 631-7, dernier alinéa, du Code de la construction et de l’habitation, la Cour a retenu, en raisonnant comme dans le premier arrêt, que les deux locations litigieuses, consenties à deux sociétés, sur une période de moins d’un an, pour des durées respectives de quatre et six mois, donc inférieures à un an, constituaient un changement d’usage, au sens du texte précité, soumis à autorisation préalable.

Dans le troisième arrêt (n° 19-11.462), la Cour rappelle que, pour l’application de la réglementation sur le changement d’usage des locaux d’habitation, un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970 (CCH, art. 631-7, al. 3).

La Ville de Paris produisait, pour établir l’usage d’habitation du local en cause, la déclaration établie selon le modèle « H2 » fourni par l’administration fiscale, qu’il avait été demandé aux redevables de la contribution foncière des propriétés bâties de souscrire en vue de la révision foncière du 1er janvier 1970.

En l’espèce, ce formulaire avait été rempli par le propriétaire du local en 1978.

La cour d’appel a considéré que ce document établissait l’usage d’habitation du local au 1er janvier 1970 au regard des réponses des propriétaires selon lesquelles le bien était loué en meublé.

Mais ces formulaires comportent les renseignements demandés « à la date de leur souscription », à l’exception du montant du loyer qui est celui en vigueur au 1er janvier 1970 (article 40 du décret d’application du 28 novembre 1969).

La Cour de cassation en a déduit que les renseignements portés dans ce formulaire ne pouvaient être considérés comme décrivant l’usage du bien au 1er janvier 1970 sans qu’il soit précisé en quoi les réponses apportées établissaient l’usage d’habitation du local à cette date.

L’arrêt de la cour d’appel a donc été cassé.

Pour aller plus loin : 

  • un commentaire détaillée est à paraître dans la revue Lexbase Droit privé n° 856 du 4 mars 2021.
  • concernant CJUE, 22 septembre 2020, aff. C-724/18, Cali Apartments SCI (N° Lexbase : A43833UU) : v. X. Demeuzoy, Locations meublées touristiques et dispositif(s) d’autorisation de changement d'usage : analyse de la décision de la CJUE et conduite de la Cour de cassation, Lettre juridique, n° 843, 12 novembre 2020 (N° Lexbase : N5242BYS). 

 

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