La lettre juridique n°490 du 21 juin 2012 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Lettre officielle entre avocats : attention danger omniprésent

Réf. : Cass. civ. 3, 9 mai 2012, n° 11-15.161, FS-P+B (N° Lexbase : A1452ILD)

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par Jean-Luc Medina, ancien Bâtonnier, avocat associé

le 21 Juin 2012

Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 mai 2012 revient sur la question épineuse de la confidentialité des courriers entre avocats et du problème posé par leur caractère officiel. La confidentialité des courriers entre avocats est une véritable spécificité de la profession et constitue une indéniable valeur ajoutée. La confidentialité des échanges permet la confiance, qui est essentielle en matière de négociation. Les confidences permettent en effet de tenter des transactions amiables sans risque. L'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) pose pour principe que les correspondances entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle" sont couvertes par le secret professionnel. Ce dernier est protecteur du client, de l'avocat et de l'intérêt général. Il constitue la première garantie des libertés individuelles. Sa violation entraîne des sanctions pénales prévues aux articles 226-13 (N° Lexbase : L5524AIG) et 226-14 (N° Lexbase : L8743HWQ) du Code pénal (sur le secret professionnel, cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E6257ETW).

L'article 2.2 du Règlement intérieur national (RIN N° Lexbase : L4063IP8) a repris les dispositions de la loi. Il faut en déduire que les correspondances entre le client et son avocat sont soumises sans exception au secret professionnel. En revanche, les correspondances entre avocats portant la mention "officielle" échappent au secret professionnel.

La mention "officielle" portée sur les échanges entre avocats devrait rester exceptionnelle. Cette faculté est encadrée par l'article 3.2 du Règlement intérieur national, qui la limite à deux seules hypothèses :
- une correspondance équivalente à un acte de procédure ;
- une correspondance ne faisant référence à aucun écrit, propos ou élément antérieur confidentiel.

Les Bâtonniers sont confrontés quotidiennement à l'imprécision et la largesse de la deuxième hypothèse qui facilite excessivement le recours à la lettre officielle. Cette "boîte de Pandore" est source d'abus et de conflits.

De surcroît, le Bâtonnier n'a plus le pouvoir de "déconfidentialisation" depuis la loi du 7 avril 1997 (qui a institué l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971.

Au mépris même parfois du principe de loyauté, un accord confidentiel intervenu entre avocats ne peut être "déconfidentialiser" et restera confidentiel et sans efficacité.

En l'espèce, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 9 mai 2012, autorise un tiers qui avait formulé une offre d'achat d'un bien immobilier appartenant à deux ex-époux en indivision, de se prévaloir d'une lettre officielle d'acceptation de cette offre adressée par l'avocat de l'ex-époux à son confrère intervenant pour l'ex-épouse.

Le tiers peut donc se prévaloir :
- d'une correspondance officielle entre deux avocats, alors qu'aucun des deux n'est chargé de la défense de ses intérêts ;
- d'une acceptation qui ne lui était pas destinée directement.

La jurisprudence s'est construite sur un abondant contentieux sur le sujet.

Ainsi, l'avocat ne peut-il pas produire un courrier confidentiel de son client, quand bien même celui-ci l'y autoriserait (Cass. civ. 1, 6 avril 2004, n° 00-19.245, FS-D N° Lexbase : A8219DBZ).

Un client peut communiquer une lettre adressée à son propre avocat (Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n° 04.20.735, FS-P+B N° Lexbase : A9671DNI).

La production en justice par un tiers d'une correspondance échangée entre un avocat et son client ne requiert pas l'autorisation de cet avocat (Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 06-16.740, N° Lexbase : A3925D7I).

Le secret ne peut être opposé à celui au profit duquel il est institué (Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 05-11.314, F-P+B N° Lexbase : A3906D7S).

Un tiers peut produire une lettre que lui a adressée un avocat relatant la teneur des entretiens avec un client, dès lors que ce tiers a participé à l'entretien (Cass. civ. 1, 14 janvier 2010, n° 08-21.854, FS-P+B+I N° Lexbase : A3027EQ8).

La première chambre civile de la Cour de cassation s'est toujours livrée à l'analyse du contenu et de la nature de l'information pour décider de son caractère secret ou non.

Dès lors qu'un courrier d'avocat porte la mention "officielle", il semble donc que rien ne puisse freiner sa divulgation aux parties intéressées mais également aux tiers.

La prudence est donc de mise pour les avocats. Il n'en demeure pas moins que l'article 3-2 du Règlement intérieur national qui limite la mention "officielle" aux correspondances qui ne font référence à aucun écrit, propos ou élément antérieurs confidentiels restera toujours source d'imprécision et de conflits.

Ne faudrait-il pas limiter cette faculté à deux uniques hypothèses : la réponse au courrier officiel et en matière de négociation pour permettre de la finaliser ?

L'espèce traitée par la Cour de cassation dans l'arrêt du 9 mai 2012 concerne bien l'aboutissement d'une négociation. La lettre portant la mention "officielle" paraît donc dans ce contexte précis tout à fait légitime. Sa divulgation la plus large paraît tout aussi légitime.

En revanche, la divulgation la plus large possible d'un courrier d'avocat portant la mention "officielle" hors le cas d'une négociation et hors celui d'une correspondance équivalente à un acte de procédure prévue à l'article 3.2, alinéa 1, du RIN, continuera à poser un problème aigu de déontologie aux instances de la profession d'avocat.

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