La lettre juridique n°490 du 21 juin 2012 : Éditorial

Nuit d'ivresse : constitutionnalité des mi-temps au mitard

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N2513BTA

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Nuit d'ivresse : constitutionnalité des mi-temps au mitard. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/6518001-nuit-divresse-constitutionnalite-des-mitemps-au-mitard
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Il s'en est fallu de peu pour que la séance du Palais-Royal de ce 8 juin 2012 ne tourne, à nouveau, à la foire d'empoigne. Mais, après avoir mémorablement retoqué la garde à vue en août dernier, le Conseil constitutionnel s'est abstenu de déclarer hors la loi les cellules de dégrisement. Sans doute que les forces publiques, déjà si frileuses à appliquer les dispositions de l'article L. 3341-1 du Code de la santé publique, face à l'état de suspicion permanente dont elles sont victimes, auraient vu, là encore, leur autorité s'affaisser. "Ils ont malheureusement compris que là où les citoyens ont des droits, ils n'ont que des devoirs et sont en permanence suspectés", avait pu commenter Bruno Beschizza, secrétaire général de Synergie-officiers, pour expliquer le peu d'entrain des policiers en la matière.

A lire Rimbaud, "l'ivresse, c'est le dérèglement de tous les sens" ; un dérèglement dont s'accommode mal l'ordre public. Et, c'est donc "le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique" qui sauvent le texte des fourches caudines de la QPC. Les Sages de la rue de Montpensier ont jugé que les dispositions de l'article L. 3341-1 ne méconnaissent pas l'exigence selon laquelle toute privation de liberté doit être nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs de préservation de l'ordre public et de protection de la santé poursuivis par le législateur. D'une part, le Conseil constitutionnel a relevé que la conduite et le placement dans un local de police ou de gendarmerie ou dans une chambre de sûreté sont des mesures relevant de la police administrative dont l'objet est de prévenir les atteintes à l'ordre public et de protéger la personne dont il s'agit. Ces dispositions permettent aux agents de la police et de la gendarmerie nationales d'opérer un tel placement après avoir constaté par eux-mêmes l'état d'ivresse, qui est un fait matériel se manifestant dans le comportement de la personne. Par ailleurs, la privation de liberté ne peut se poursuivre après que la personne a recouvré la raison et ne peut donc durer que quelques heures au maximum. D'autre part, eu égard à la brièveté de cette privation de liberté, l'absence d'intervention de l'autorité judiciaire ne méconnaît pas les exigences de l'article 66 de la Constitution.

"L'ivresse n'est jamais qu'une substitution du bonheur. C'est l'acquisition du rêve d'une chose quand on n'a pas l'argent que réclame l'acquisition matérielle de la chose rêvée". Gide le dit bien plus joliment, mais les infortunés sont priés d'envier les plus chanceux, en silence et avec dignité. Pour autant, si l'ivresse publique et manifeste est l'apanage des miséreux, elle est surtout celle des malheureux qui puissants ou misérables tentent, par là même, d'abolir les scrupules de leurs sentiments (pour paraphraser Alain). Une starlette, fille de l'ancien "idole des jeunes" et d'un actrice de cinéma, retrouvée nue sur la chaussée ; une célèbre navigatrice voguant sur la route du Rhum, mais sur la terre ferme ; l'héritière d'une dynastie télévisuelle ivre dans les rues de Paris et en fâcheuse compagnie... Allez hop ! Au poste ! Dans le panier à salade !

Une bonne loi est une vieille loi, dit-on ? Celle-ci date de 1873. Elle concerne près de 78 000 cas par an, mais l'ennui -tout de même- c'est qu'après une baisse 16 % entre 2007 et 2009, le nombre d'interpellations a crû de 4,7 % en 2010... Sur fond de crise, les mots de Gide raisonnent terriblement...

Mais attention, entre l'ivrogne sage et le fou sobre, le coeur peut balancer. Souvenons-nous du comte Armand Léon de Baudry d'Asson qui, en 1880, avait atterri au "petit salon" du palais Bourbon, sur l'ordre du président de la Chambre, Gambetta, pour avoir traité le Gouvernement Ferry de "Gouvernement de voleurs". Mais, catholique intégriste, ce passage par la cellule de dégrisement ne l'aura malheureusement pas guéri d'un antisémitisme actif : "plutôt dormir avec un cannibale sobre qu'avec un chrétien ivre" avait pu écrire Herman Melville, dans Moby Dick.

Reste que le Conseil constitutionnel, empreint de ses vieux démons, ne pouvait s'empêcher de ramener la question de la sobriété et du salut de l'ordre public à celle de la garde à vue. Il s'est, dès lors, empressé de préciser, dans sa décision du 8 juin dernier, que, lorsque la personne est placée en garde à vue après avoir fait l'objet d'une mesure de privation de liberté en application du premier alinéa de l'article L. 3341-1, et pour assurer le respect de la protection constitutionnelle de la liberté individuelle par l'autorité judiciaire, la durée du placement en chambre de sûreté, qui doit être consignée dans tous les cas par les agents de la police ou de la gendarmerie nationales, doit être prise en compte dans la durée de garde à vue. Il faut maintenant savoir si le droit à un avocat dès la première heure de détention prévaut pendant ou après les élucubrations de l'ivrogne embastillé, chantant Brel à tue tête :

"Ami remplis mon verre
Encore un et je vas
Encore un et je vais
Non je ne pleure pas
Je chante et je suis gai
Mais j'ai mal d'être moi
Ami remplis mon verre
Ami remplis mon verre
"

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