Réf. : Règlement européen n° 1259/2010 du 20 décembre 2010 mettant en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (N° Lexbase : L0201IP7), entrant en application le 21 juin 2012
Lecture: 13 min
N2510BT7
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP
le 20 Juin 2012
Droit commun du droit international privé du divorce. Le Règlement s'applique à toutes les situations impliquant un conflit de lois, c'est-à-dire ceux qui naissent de la présence d'un ou plusieurs éléments d'extranéité : lorsque les époux n'ont pas la même nationalité, ou lorsqu'ils résident dans un Etat dont ils ne sont pas nationaux, ou encore lorsque leur mariage a été célébré à l'étranger. Il constituera, à compter du 21 juin 2012, l'essentiel du droit international privé français du divorce et remplacera désormais les sources internes de droit international privé en la matière et notamment l'article 309 du Code civil (N° Lexbase : L8850G9N). Le Règlement s'applique aux procédures de divorce déjà engagées à la date de son application, ainsi qu'aux conventions désignant la loi applicable conclues à partir du 21 juin 2012, mais également à celles qui ont pu être conclues avant cette date. Dès lors que la requête en divorce sera déposée après le 21 juin 2012, l'avocat devra systématiquement interroger son client sur l'existence éventuelle d'une convention de choix de la loi applicable au divorce (2).
Le principal apport du Règlement "Rome III" est de permettre une avancée de la contractualisation en matière de divorce international (I). Par ailleurs, la mise en oeuvre de ce texte aboutit à une relative unification de la matière (II) et tend à conférer un certain universalisme au droit européen du divorce (III).
I - Une avancée incontestable de la contractualisation
Choix de la loi applicable. De manière inédite, le Règlement "Rome III" permet aux époux de choisir, d'un commun accord, la loi applicable à leur divorce. En vertu de l'article 5 du Traité les époux peuvent en effet convenir de désigner la loi de l'Etat de leur résidence habituelle commune (3) au moment de la conclusion de la convention, la loi de l'Etat de la dernière résidence habituelle des époux pour autant que l'un d'entre eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention, la loi de l'Etat de la nationalité de l'un des époux ou la loi du for. Le système mis en place par le Règlement "Rome III" est qualifié par les auteurs de révolutionnaire en ce qu'il s'éloigne des rattachements impératifs plutôt majoritaires en droit international privé.
Moment du choix. Ce choix peut avoir lieu et être modifié à tout moment, jusqu'à la saisine du juge du divorce. En l'absence de précision dans le Règlement, on peut penser que le moment de la saisine de la juridiction correspond en droit français au dépôt de la requête qui saisit le juge aux affaires familiales. Le Règlement permet même de procéder au choix de la loi applicable pendant la procédure de divorce si la loi du for le permet. Toutefois, en France, cette possibilité devrait rester lettre morte puisque les Etats membres participants avaient jusqu'au 21 septembre 2011 pour informer la Commission de cette possibilité, ce que la France n'a pas fait (4). Dès lors que les époux ont effectué un choix, celui-ci est définitif. Il semble qu'il s'impose au juge saisi du divorce et aux époux eux-mêmes. On peut en effet considérer que le juge aux affaires familiales est tenu de soulever d'office l'application de la règle de conflit européenne (5).
Absence de choix. A défaut de choix par les époux, le Règlement prévoit dans son article 8 la loi qui s'appliquera au divorce et à la séparation de corps sur la base de critères objectifs (6) : "il s agit d'une règle de conflit de lois en cascade où les critères de rattachement, qui ont été déterminés selon l'exigence de liens étroits sont hiérarchisés" (7).
Choix éclairé. Le choix de la loi applicable au divorce par les époux suppose que ces derniers aient une connaissance suffisante du contenu des lois entre lesquelles ils peuvent choisir. Dans son préambule, le Règlement "Rome III" précise que, "afin de garantir cet accès à des informations appropriées et de qualité, la Commission européenne met ces dernières régulièrement à jour sur le site du Réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale" (8). Les professionnels à qui les époux s'adresseront pour élaborer leur convention devront en outre leur apporter une information éclairée sur les différentes possibilités qui s'offrent à eux, ce qui suppose une connaissance par les professionnels eux-mêmes du contenu des lois applicables.
Forme du choix. Le choix de la loi applicable par les époux doit être, selon le Règlement, formulé par écrit. Le texte n'impose aucune autre forme particulière et la convention peut prendre la forme d'un simple acte sous seing privé. Le Règlement n'impose pas l'intervention d'un professionnel du droit pour la rédaction de la convention. On peut cependant penser et espérer que les époux concernés s'adresseront à un notaire ou à un avocat, selon le moment où ils procéderont au choix de la loi applicable à leur divorce et que la convention prendra le plus souvent la forme d'un acte notarié ou d'un acte d'avocat. Le choix peut être effectué dans le contrat de mariage, ce qui pourrait poser la question de sa modification ultérieure. Certains auteurs considèrent cependant que même dans une telle hypothèse, la modification du choix des époux concernant la loi applicable à leur divorce n'impose pas le respect de la procédure applicable au changement de régime matrimonial (9).
Droits rendus disponibles. Le Règlement "Rome III" constitue sans nul doute une promotion de l'autonomie de la volonté et plus particulièrement des accords de volontés entre époux. En permettant aux époux de déterminer la loi applicable à leur divorce, on leur permet de choisir le droit applicable à leur divorce. Ils peuvent ainsi choisir les dispositions qui correspondent le mieux à leurs souhaits : s'il s'agit pour eux de pouvoir divorcer le plus facilement possible, ils choisiront une loi libérale ; si au contraire ils sont un peu traditionalistes et souhaitent que leur mariage soit le plus difficile à rompre possible, ils choisiront un droit qui limite les possibilités de divorcer. On peut cependant penser que la faveur faite à l'accord des époux dans le choix de la loi applicable se retrouvera dans les modalités même du divorce et qu'on aboutira à une proportion plus importante de divorce par consentement mutuel. L'entrée en application du Règlement "Rome III" est la consécration de l'idée selon laquelle le divorce est "l'affaire des époux", de plus en plus présente en droit interne, et désormais en droit européen et international. Le Règlement constitue ainsi le reflet de l'évolution des droits européens et provoque moins une rupture avec le passé qu'une révélation des tendances internes.
Différence de traitement. Les couples qui sont caractérisés par un élément d'extranéité se voient alors offrir un choix que n'ont pas les autres couples. En droit interne, en effet un couple ne peut pas décider de placer ni son mariage ni son divorce sous un régime plus ou moins libéral. Le Règlement "Rome III" rend, en quelque sorte, disponibles des droits qui ne l'étaient pas mais seulement au profit de certains couples. On peut se demander si cette inégalité de traitement ne pourrait pas confiner à la discrimination. La réponse est en réalité négative si l'on admet que les couples sont placés dans des situations différentes. Un couple franco-français, par exemple, connaît à l'avance la loi qui lui sera applicable et les dispositions substantielles qui régiront son éventuel divorce. En revanche, pour les couples bi-nationaux ou étrangers, il était possible, compte tenu de la complexité des règles de conflit de loi et des droits substantiels nationaux en matière de divorce (10), de ne pas savoir à l'avance quelle loi serait applicable à leur divorce. Il n'y a donc pas de discrimination à leur apporter la sécurité juridique qui leur manque. En leur permettant de choisir eux-mêmes, et en amont, la loi de leur divorce, on leur permet aussi de savoir à l'avance quelle loi leur sera applicable ; ils peuvent certes modifier leur choix jusqu'au dernier moment mais seulement s'ils sont d'accord. Il n'y a pas de risque que l'un des d'eux en saisissant un juge particulier puisse imposer à l'autre la loi qu'il estime la plus favorable (11). Ce Règlement a pour objectif de limiter le law shopping entre Etats membres de l'Union européenne (12). De ce point de vue, on ne peut que saluer un instrument qui apporte de la sécurité et de la prévisibilité à un nombre de plus en plus important de couples.
Exclusions. Toutefois, cet apport est limité aux hypothèses dans lesquelles les époux sont d'accord pour choisir une loi particulière, sinon on en revient à un choix imposé, d'abord par le Règlement et ensuite par l'époux le plus rapide à saisir la juridiction compétente (13). Une autre limite à la contractualisation réside dans les exceptions contenues dans le texte qui impose au juge saisi d'écarter la loi choisie par les époux lorsqu'elle n'est pas conforme à certains principes. Car, en effet, alors que pour atteindre l'objectif de prévisibilité et de sécurité, les auteurs du Règlement auraient pu se contenter de règles de conflit neutre, ils sont allés plus loin en intégrant de manière plus ou moins directe, des règles substantielles dans le dispositif, ce qui aboutit à limiter la contractualisation et à esquisser le contours d'un droit européen du divorce.
II - Une avancée de l'unification du droit du divorce au-delà de l'harmonisation
Règles substantielles. Par des clauses d'exclusion ou d'ordre public, le Règlement "Rome III" aboutit en réalité à imposer un certain nombre de règles substantielles, ce que d'aucuns ont pu regretter. Il semble cependant que la consécration de ces règles constitue plutôt une avancée positive même si on ne pensait pas qu'elle vienne de ce côté ci de l'Europe... En effet, l'Union européenne n'est en principe pas compétente pour régler, au fond, les questions de droit de la famille.
Droit au divorce. Incontestablement, le Règlement consacre tout d'abord un droit au divorce puisque, selon l'article 10, si la loi choisie ne permet pas de divorcer, on l'écartera pour appliquer la loi du for. La question ne se posera pas à propos des lois européennes puisque, depuis 2011 (14), tous les pays de l'Union européenne admettent le divorce. Mais il peut arriver que la loi désignée soit la loi d'un pays qui ne fait pas partie de l'Union européenne ; dans une telle hypothèse, si cette loi ne permet pas le divorce, elle devra être écartée. L'autonomie de la volonté des époux ne va pas jusqu'à permettre la renonciation au divorce. Plus qu'un droit c'est une liberté de divorcer à laquelle on ne peut pas renoncer. L'Union européenne consacre ainsi un droit au divorce alors que la Cour européenne a refusé de le faire, dans un arrêt, certes ancien, "Johnston c/ Irlande", du 18 décembre 1986 (15). Or, le droit au divorce contribue à renforcer le droit au mariage puisque le divorce est une condition pour se remarier.
Mariage homosexuel. Pour ce qui est justement du mariage, les auteurs du Règlement ont souhaité respecter l'absence de consensus régnant en Europe à propos des unions de personnes de même sexe. Ainsi, l'article 13 du Règlement prévoit-il que les juridictions d'un Etat membre participant dont la loi ne considère pas le mariage en question comme valable, ne sont pas obligées de prononcer le divorce. Autrement dit, le juge français n'est pas tenu de prononcer le divorce d'un couple homosexuel marié aux Pays-Bas par exemple, dès lors que le droit français ne reconnaît pas le mariage homosexuel. Dans le même sens, le Règlement "Rome III" ne serait pas applicable en France à un mariage polygamique ou religieux, que la loi française ne considère pas comme valable, alors même que la jurisprudence française accepte de qualifier ces unions de mariage pour les besoins du droit international privé français (16).
Droits fondamentaux. Sur le plan substantiel, le Règlement n'a pas hésité à consacrer également l'exigence de conformité de la loi applicable au divorce avec les droits fondamentaux et l'égalité des sexes. Il exclut que soit appliquée dans les Etats européens participants, une loi admettant la répudiation unilatérale ou tout autre dispositif discriminatoire ; le texte se réfère d'ailleurs expressément à la différence de traitement liée à l'appartenance à un sexe. Le Règlement impose au fond, le respect de l'égalité homme/femme, l'interdiction des discriminations et plus généralement le respect des droits fondamentaux parmi lesquels on peut sans doute intégrer les exigences du procès équitable, ce dont on ne peut que se réjouir, d'autant que du dispositif mis en place dans le Règlement "Rome III" résulte un certain universalisme du droit européen. En effet, le Règlement "Rome III" permet d'imposer une vision européenne du divorce à l'extérieur des frontières de l'Union.
III - L'universalisme relatif du droit européen du divorce
Contrôle du juge européen. On peut souligner le paradoxe selon lequel le Règlement a été adopté par un nombre restreint d'Etats, qui seront donc les seuls à l'appliquer, alors que dans le même temps la mise en oeuvre du Règlement "Rome III" peut aboutir à l'application par les juges de ces mêmes Etats de droits qui peuvent dépasser largement les frontières de l'Union européenne. Or, cette application par un juge européen de droits internationaux hors Europe peut impliquer, en vertu de la consécration des principes substantiels, un contrôle de ces droits par ce même juge au regard des droits fondamentaux. Il en résulte une sorte d'application des principes consacrés par le droit européen bien au-delà des frontières de l'union et à des ressortissants de pays étrangers. Mais cette universalisme que d'aucuns regrettent et d'autres saluent, reste limité dans sa portée tant du point de vue des Etats qui vont l'appliquer que des matières dans lesquelles il est appelé à être mis en oeuvre.
Morcellement. Alors que l'objectif du Règlement était d'harmoniser le droit du divorce international, l'étude des modalités de sa mise en oeuvre donne plutôt l'impression que le droit européen du divorce, et plus largement de la séparation, va ressembler à un tableau impressionniste, fait de petites touches de droits différents. En effet, tout d'abord, les effets du divorce, qu'il s'agisse d'effets patrimoniaux ou d'effets sur les enfants, ne seront pas réglées par la même loi que ses causes qui seules relèvent du Règlement "Rome III". Il faut préciser en outre que l'annulation du mariage n'entre pas dans le champ d'application du Règlement non plus que la question des pensions alimentaires. Le Règlement (CE) n° 2201/2003, dit "Bruxelles II bis", relatif à la compétence, à la reconnaissance et à l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (N° Lexbase : L0159DYK) conserve, par exemple, tout son domaine d'application (17). Le domaine d'application substantiel du Règlement "Rome III" s'avère finalement assez restreint, ce qui a conduit certains à le qualifier de "toute petite révolution". On aboutit ainsi incontestablement à un morcellement regrettable du droit du divorce international alors que la tendance en droit interne est plutôt vers la globalisation. Il faut en effet constater qu'au final, le Règlement "Rome III" contient plus d'exclusions que d'inclusions.
Droit européen à géométrie variable. Par ailleurs, dans le cade de l'Union européenne, certains Etats appliqueront le Règlement "Rome III" tandis que d'autres non ; il en résulte un droit européen à géométrie variable. On peut certes espérer que le champ spatial d'application de "Rome III" s'étendra petit à petit, au fur et à mesure que les différents Etats accepteront les grands principes qu'il véhicule. On peut espérer surtout que les époux, conseillés par les professionnels du droit, procèderont à des choix cohérents tendant à faire correspondre les différents textes applicables aux différents aspects de leur situation. L'objectif poursuivi, et formellement exprimé dans le Règlement est en effet l'unité du droit européen du divorce tant sur le plan territorial que sur le plan substantiel.
* Cet article reprend les conclusions du colloque "Le divorce international en Europe après l'entrée en vigueur du Règlement Rome III" organisé à la Faculté de droit et de sciences politiques de Bordeaux, le 8 juin 2012.
(1) Belgique, Bulgarie, Allemagne, Espagne, France, Italie, Lettonie, Luxembourg, Hongrie, Malte, Autriche, Portugal, Roumanie, Slovénie.
(2) A. Devers et M. Farge, Le nouveau droit international privé du divorce : A propos du Règlement Rome III sur la loi applicable au divorce, Dr. fam., 2012, Etude n° 13.
(3) En droit international privé, la résidence commune s'entend de la résidence des époux dans le même Etat même s'ils habitent dans des lieux différents.
(4) A. Devers et M. Farge, art. préc..
(5) Ibidem.
(6) Loi de la résidence habituelle des époux, loi de la dernière résidence habituelle des époux, loi de la nationalité des deux époux, loi dont la juridiction est saisie.
(7) Ibidem.
(8) Cf. Réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale.
(9) A. Devers et M. Farge, art. préc..
(10) M. Revillard, Divorce des couples internationaux : choix de la loi applicable, Defrénois, 2001, art. 39208.
(11) P. Hammje, Le nouveau Règlement n° 1259/2010 du Conseil du 20 décembre 2010 mettant en oeuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi et de la séparation de corps, Rev. crit., DIP, 2011, p. 291.
(12) M. Farge et A. Devers, art. préc..
(13) Il faut rappeler que le Règlement "Rome III" ne s'applique qu'à la loi applicable et ne concerne pas les conflits de juridictions.
(14) Et l'instauration du divorce à Malte.
(15) CEDH, 18 décembre 1986, Req. 9697/82 (N° Lexbase : A2495EDR), F. Sudre (dir.), Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, 2012, p. 550, comm. n° 50.
(16) A. Devers et M. Farge, art. préc..
(17) Par ailleurs, les conventions bilatérales continuent en principe à s'appliquer : A. Devers, L'articulation des Règlements Bruxelles II bis et Rome III et des conventions franco-marocaines (de 1957 et 1981), Dr. fam., 2012, étude n° 1.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:432510