Réf. : CA Poitiers, 2ème ch., 15 mai 2012, n° 11/03117 (N° Lexbase : A7555ILE)
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N2567BTA
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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes
le 21 Juin 2012
La cassation totale de l'arrêt de la cour d'appel d'Angers du 9 février 2010 a permis la reprise du débat devant le juge de renvoi sur le montant des redressements d'ISF. Cette fois, la cour d'appel juge que les règles applicables en matière d'évaluation des parts sociales détenues par un redevable soumis à l'ISF n'ont pas été respectées et dégrève l'associé de la somme de 92 538 euros.
Ce faisant, la cour, d'une part, confirme, s'agissant d'une société, la décision rendue le 14 décembre 2010 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 14 décembre 2010, n° 10-10.139, F-D N° Lexbase : A2709GNN) et, d'autre part, prolonge l'arrêt rendu le 8 février 2005 par la même Chambre (Cass. com., 8 février 2005, n° 03-12.421, F-D N° Lexbase : A6896DGI). En effet, les éléments du patrimoine social qui apparaissent comme non nécessaires à l'activité de la société ne peuvent être eux-mêmes directement intégrés dans l'assiette de l'impôt.
Mais surtout, cet arrêt rappelle les règles applicables en matière d'évaluation des parts sociales détenues par le redevable soumis à l'ISF : seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité de la société est considérée comme un bien professionnel.
I - Les liquidités et parts sociales figurant au bilan d'une société sont présumées constituer des actifs nécessaires à l'activité professionnelle
La présomption du caractère professionnel s'applique aux liquidités et titres de placements d'une entreprise, individuelle ou sociétaire, sans limitation de montant, en raison de leur affectation aux besoins de l'exploitation.
A - Pour que des parts, des actions ou des liquidités d'une société soient exonérées d'ISF, il faut que celles-ci aient la nature de biens professionnels
L'exonération des droits sociaux qui sont qualifiés de biens professionnels peut n'être que partielle. Aux termes de l'article 885 O ter du CGI, seule la fraction de la valeur des parts ou actions d'une société correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de cette société est considérée comme un bien professionnel exonéré au titre de l'ISF.
Pour l'application de ce texte, les liquidités et titres de placement inscrits au bilan d'une société sont présumés constituer des actifs nécessaires à l'activité professionnelle, dès lors que leur acquisition découle de l'activité sociale ou résulte d'apports effectués sur des comptes courants d'associés. Ainsi, les titres de placement qui ne sont pas nécessaires à l'activité de la société ne sont pas des biens professionnels (Cass. com., 8 février 2005, n° 03-12.421, précité). Une société peut aussi placer sa trésorerie en vue de la faire fructifier sans lui faire perdre son caractère professionnel (Cass. com., 10 juillet 1989, n° 88-11.977 N° Lexbase : A0028ABN ; Cass. com., 18 mai 1993, n° 91-15.464, inédit au bulletin N° Lexbase : A4158CWW ; Cass. com., 13 janvier 1998, n° 96-10.157, inédit au bulletin N° Lexbase : A3462CSZ). Ce placement est une situation d'attente qui peut se prolonger en vue d'investissements par la société dans le cadre de son activité commerciale (Cass. com., 18 mai 2005, n° 03-14.469, FS-PB N° Lexbase : A3675DIX).
En l'espèce, l'associé détenait des actions dans le capital de la société. Il avait fait valoir, devant la Cour de cassation, que l'administration et la cour d'appel d'Angers avaient méconnu la règle posée par les dispositions de l'article 885 O ter, selon laquelle seule la fraction de la valeur des parts ou actions, correspondant aux éléments du patrimoine social qui apparaissent comme non nécessaires à l'activité de la société, est considérée comme un bien non professionnel, tandis que les éléments du patrimoine social qui apparaissent comme non nécessaire à l'activité de la société ne peuvent être, eux-mêmes, directement intégrés dans l'assiette de l'impôt.
B - La présomption du caractère professionnel des liquidités et titres de placement ne peut être renversée que par la preuve que la trésorerie, placée ou non, est sans rapport avec l'activité sociale
Si les liquidités et titres de placement inscrits au bilan d'une société sont présumés constituer des actifs nécessaires à l'activité professionnelle, l'administration fiscale peut démontrer que ces liquidités et titres ne sont pas nécessaires à l'accomplissement de l'objet social de la société. Cette présomption de biens professionnels est une présomption simple. Dans un arrêt du 26 mars 2008 (Cass. com., 26 mars 2008, n° 07-10.496, F-D N° Lexbase : A6084D7H), le juge a précisé que la présomption du caractère professionnel des titres de placement et liquidités peut être écartée par la preuve contraire, établie par référence aux dispositions de l'article 885 O ter du CGI.
L'administration a aussi indiqué dans une instruction administrative en date du 12 janvier 2005, précitée, qu'elle pouvait, dans des cas exceptionnels, prouver que les liquidités et titres de placement ne sont pas nécessaires à l'accomplissement de l'objet social. Dans ce cas, l'exonération se trouve limitée à la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social, autres que les liquidités et titres de placement.
En l'espèce, la cour d'appel d'Angers avait, le 9 février 2010, estimé que l'administration fiscale n'avais pas, pour déterminer le montant des redressements, à rechercher la valeur des actions détenues par l'appelant dans le capital de la société, correspondant au patrimoine de celle-ci réputé non professionnelle, dès lors que le redressement ne portait pas sur des titres de participations détenues par lui, mais sur des valeurs mobilières de placement et des disponibilités inscrites au bilan de la société qui avaient été disqualifiées de biens professionnels en biens privés.
La preuve contraire incombant à l'administration, cette dernière doit démontrer que la trésorerie, placée ou non, est sans rapport avec l'activité sociale (Cass. com., 10 juillet 1989, précité ; Cass. com., 2 juillet 1996, n° 94-18.015, inédit au bulletin N° Lexbase : A3922CLT). A contrario, le contribuable n'a pas à démontrer la conformité de la situation à la présomption légale (Cass. com., 15 juin 1993, n° 91-12.745 N° Lexbase : A5604AB8 ; Cass. com., 2 juillet 1996, précité).
Pour établir la remise en cause du caractère professionnel des liquidités et placements financiers, l'administration utilise la méthode du faisceau d'indices. Ainsi, elle apporte la preuve qui lui incombe que des titres acquis par une société ne constituent pas des éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle ou commerciale, en se fondant sur le montant des placements litigieux, hors de proportion avec l'activité de la société, ou en se fondant sur l'objet social, la faiblesse de l'actif immobilisé correspondant à cet objet et l'absence d'utilisation de ces placements pour financer la trésorerie de l'entreprise. De même, la Cour de cassation (Cass. com., 20 mai 2008, n° 07-14.426, F-P+B N° Lexbase : A7104D8M) a jugé qu'une cour d'appel avait retenu, à bon droit, hors de toute dénaturation, que les titres représentatifs d'une société qui ne présentait aucune activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale devaient être réintégrés dans le patrimoine personnel du contribuable, après avoir relevé que les investigations de l'administration fiscale démontraient que cette société n'avait pas d'autre activité que la gestion de l'évasion fiscale. En outre, lorsqu'il ressort des l'examen des titres des bilans de la société que la valeur comptable de son portefeuille est hors de proportion avec son activité sociale, et que les titres ne sont pas utilisés pour financer les besoins en trésorerie de la société, et que son activité de conseil en industrie ne nécessite aucun investissement, la preuve est apportée que les titres de placement ne sont pas nécessaires à l'activité de la société.
II - Le montant exonéré d'ISF est limité à la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social, autres que les liquidités et titres de placement qui ne sont pas nécessaires à l'accomplissement de l'objet social
Les éléments du patrimoine qui apparaissent comme non nécessaires à l'activité de la société ne peuvent être en eux-mêmes directement intégrés dans l'assiette de l'impôt.
A - L'administration a l'obligation de rechercher la fraction de la valeur des actions détenues par l'associé correspondant au patrimoine de la société considéré comme non professionnel
Les dispositions de l'article 885 O ter du CGI précisent que "seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société est considérée comme un bien professionnel". Le service, dans son instruction en date du 12 janvier 2005 (BOI 7 S-1-05 [LXB=]) précise qu'il peut, dans des cas exceptionnels, démontrer que les liquidités et titres de placement ne sont pas nécessaires à l'accomplissement de l'objet social ; l'exonération, d'impôt étant alors limitée à la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social, autres que les liquidités et titres de placement. En conséquence, et alors même que le redressement porte sur des valeurs mobilières de placement et des disponibilités inscrites au bilan de la société disqualifiés de biens professionnels et biens privés, le service doit rechercher la valeur des actions détenues par le redevable de l'ISF dans le capital de la société et correspondant au patrimoine de celle-ci réputé non professionnelle.
En l'espèce, la cour d'appel d'Angers, avant cassation, avait jugé que l'administration fiscale n'avait pas, pour déterminer le montant des redressements, à rechercher la valeur des actions détenues par l'associé dans la capital de la société correspondant au patrimoine de celle-ci réputé non professionnelle, dès lors que le redressement ne portait pas sur des titres de participation détenues par lui dans la capital de la société, mais sur des valeurs mobilières de placement et des dispositions inscrites au bilan de la société qui avaient été disqualifiées de biens professionnels pour recevoir la qualité de biens privés. C'est cette analyse que censurent la Cour de cassation et la cour d'appel de renvoi.
La Cour de cassation a censuré cet arrêt, dès lors que l'administration a omis la recherche nécessaire pour en tirer les conséquences exactes sur l'assiette de l'impôt. La Haute juridiction juge, en effet, que le juge devait rechercher si l'administration fiscale n'avait pas pris en compte, pour la réintégrer dans l'assiette de l'impôt, non la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments de patrimoine social considéré comme excessif et non nécessaire à l'activité, mais la fraction de l'excès de trésorerie correspondant à la part de capital social de l'associé.
La cour d'appel, dans l'arrêt commenté, confirme la doctrine administrative en précisant que l'exonération doit être limitée à la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine autres que les liquidités ou les titres de placement.
B - Pour déterminer le montant du redressement à l'ISF, le service ne devait pas prendre en compte les seuls actifs financiers possédés par la société et considérés comme non essentiels à l'activité de la société
Alors même que la preuve contraire est apportée, le juge censure l'administration fiscale lorsque celle-ci a omis de rechercher la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social considérés comme excessifs et non nécessaires à l'activité.
En l'espèce, seuls avaient été pris en compte les actifs financiers possédés par la société et considérés comme non essentiels à l'activité de la société. Ainsi, en prenant en compte ces seuls actifs, les règles applicables en matière d'évaluation des parts sociales détenues par un redevable soumis à l'ISF n'avaient pas été respectées ; la fraction de l'excès de trésorerie correspondant à la part de capital social de l'associé pouvant, notamment, comprendre la situation d'attente d'un investissement ou une réserve d'intervention d'une holding en faveur de ses filiales.
La solution retenue par l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers suppose une application stricte des dispositions de l'article 885 O ter du CGI. En effet, c'est non seulement la seule fraction de la valeur des parts d'une société correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de cette société, considérée comme un bien professionnel, qui est exonérée au titre de l'ISF, mais plus exactement la quote-part de cette fraction, propriété de la personne assujettie à l'ISF. Il convient donc, pour le service, d'identifier cette quote-part afin de déterminer l'assiette du redressement à l'ISF. Par suite, il revient à l'administration, sur ces bases, d'évaluer la valeur des parts sociales détenues par le redevable soumis à l'imposition à l'ISF.
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