La lettre juridique n°490 du 21 juin 2012 : Droit des étrangers

[Jurisprudence] Chronique de droit des étrangers - Juin 2012

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N2458BT9

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 21 Juin 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de droit des étrangers de Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Figure à son sommaire, tout d'abord, une ordonnance du Conseil d'Etat rendue en référé, le 30 mai 2012, qui rappelle à l'ordre, une nouvelle fois, le directeur de l'OFPRA quant à l'exercice de sa mission de protection dans ces décisions prises en matière d'altération des empreintes digitales. En prescrivant un refus systématique d'examiner les demandes d'asile en cas d'impossibilité de présentation de ces empreintes, celui-ci ne s'est pas borné à refuser d'enregistrer les demandes dont il était saisi par les intéressés, mais leur a refusé le bénéfice de l'asile. En conséquence, un recours contre cette décision relève non pas de la compétence du juge administratif de droit commun, mais de celle de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) (CE 9° et 10° s-s-r., 30 mai 2012, n° 355594, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le Conseil d'Etat s'est, ensuite, prononcé sur la légalité du décret n° 2011-820 du 8 juillet 2011 (N° Lexbase : L7169IQL), pris pour l'application de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité et portant sur les procédures d'éloignement des étrangers (N° Lexbase : L4969IQ4), et qui réforme les conditions d'accès des associations humanitaires aux lieux de rétention. Saisi en procédure d'annulation par le GISTI qui jugeait les modalités de ce "droit d'accès", telles qu'elles y sont organisées, trop restrictives et discutables dans leurs justifications, il annule partiellement l'article R. 553-14-5 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L7245IQE) en ce qu'il prévoit que les associations habilitées à visiter les lieux de rétention ne peuvent être les mêmes que celles qui se sont vu confier, par convention, la mission d'information et de soutien des étrangers retenus (CE 2° et 7° s-s-r., 23 mai 2012, n° 352534, mentionné aux tables du recueil Lebon). La troisième décision commentée est une décision de cassation du juge judiciaire, la Cour de cassation reprochant à un premier président de cour d'appel de s'être prononcé sur la légalité d'une décision d'éloignement en méconnaissance du principe de séparation des autorités judiciaire et administrative. Ce dernier avait déduit l'irrégularité du placement en rétention de l'absence de prévision, dans la décision d'éloignement, d'un délai approprié pour assurer un départ volontaire (Cass. civ. 1, 23 mai 2012, n° 11-30.372, F-P+B+I).
  • L'OFPRA rappelé à sa mission de protection par le Conseil d'Etat dans le cadre des décisions prises en matière d'altération des empreintes digitales (CE 9° et 10° s-s-r., 30 mai 2012, n° 355594, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5450IMS)

Nemo auditur propriam turpitudinem allegans : bien connu des juristes et maintes fois utilisé dans bien des domaines, cet adage latin trouve, cette fois, à s'appliquer en matière de droit d'asile. Si, en effet, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, ce sont les demandeurs d'asile qui font aujourd'hui l'expérience quelque peu malheureuse de l'apprentissage de cet adage. A l'origine de cet apprentissage, on trouve le Règlement (CE) n° 2725/2000 du 11 décembre 2000, concernant la création du système "Eurodac" pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la Convention de Dublin (N° Lexbase : L9034IEC). Le système "Eurodac" permet aux pays de l'Union européenne de participer à l'identification des demandeurs d'asile et de personnes ayant été appréhendées dans le contexte d'un franchissement irrégulier d'une frontière extérieure de l'Union. En comparant les empreintes, les pays de l'Union européenne peuvent vérifier si un demandeur d'asile ou un ressortissant étranger se trouvant illégalement sur son territoire a déjà formulé une demande dans un autre pays de l'Union, ou si un demandeur d'asile est entré irrégulièrement sur le territoire de l'Union.

Toutes les personnes qui demandent l'asile, qui franchissent irrégulièrement les frontières extérieures de l'Union ou qui se trouvent en situation irrégulière sur le territoire européen, voient leurs empreintes saisies. "Eurodac" est, en effet, un système automatisé de reconnaissance d'empreintes décadactylaires (les dix doigts plus la paume) dont l'objectif est d'identifier le pays par où ils sont entrés afin de pouvoir les y refouler, en vertu de la Convention de Dublin, remplacée depuis par le Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers (N° Lexbase : L9626A9E). En vertu de cette procédure dite de "Dublin II", les demandes d'asile doivent être déposées dans le premier pays qui a pris les empreintes du demandeur. Ces pays sont généralement à la périphérie de l'Union européenne : la Grèce, mais de plus en plus la Slovénie et la Bulgarie, connaissent un très grand nombre de demandes d'asile dont très peu sont acceptées. En se mutilant les doigts (1), les demandeurs d'asile tentent d'échapper à ces mesures de renvoi dans le premier pays d'entrée, antichambre vers le pays d'origine. Le phénomène prend de l'ampleur en France depuis 2009.

Pour le ministère, c'est une action délibérée des demandeurs d'asile qui chercheraient ainsi à échapper à une procédure "Dublin II" ou à formuler plusieurs demandes d'asile. Le juge des référés du Conseil d'Etat, par une série d'ordonnances du 2 novembre 2009, est allé en ce sens en considérant que l'impossibilité de relever les empreintes à plusieurs reprises constituait une fraude qui justifiait que le préfet ne délivre pas une autorisation provisoire de séjour, ni ne fournisse des conditions d'accueil (2). Pour rendre cette décision, le Conseil d'Etat s'est expressément fondé sur l'article L. 741-4 4° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5127IQX), selon lequel l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile peut être refusée lorsque la demande d'asile "repose sur une fraude délibérée".

Une circulaire du 2 avril 2010 (3) a demandé aux préfets de mettre en oeuvre la procédure prioritaire s'il n'était pas possible de procéder à au moins deux relevés d'empreintes espacés d'un mois. Le Conseil d'Etat a sèchement rejeté les recours tant en référé suspension qu'au fond (4). C'est ensuite la loi du 16 juin 2011 (5) qui a précisé que, pouvait être considérée comme frauduleuse la demande formulée par une personne qui dissimule son identité, sa nationalité ou sa provenance afin d'induire en erreur les autorités (6). Dans une note interne du 3 novembre 2011, le directeur de l'OFPRA a mis en oeuvre en la matière un certain durcissement en prescrivant un refus systématique d'examiner les demandes et en faisant donc en sorte que les chefs de division géographique de l'Office opposent des refus à tous les demandeurs d'asile ayant "pris le parti d'altérer délibérément l'extrémité de leurs doigts". La note du directeur de l'OFPRA tombait à point nommé après d'importantes décisions juridiques depuis le début de l'année mais, contrairement à ses décisions précédentes, le Conseil d'Etat a suspendu la note, la Haute juridiction administrative mettant, ainsi, fin à une bataille juridique de plusieurs semaines entre l'OFPRA et les associations réunies au sein de la Coordination française pour le droit d'asile (CFDA) (7).

Le juge des référés suspend ici la note du directeur de l'OFPRA (8). Le juge considère que, "contrairement à ce que soutient l'OFPRA, l'intérêt public qui s'attache à la lutte contre la fraude n'est pas susceptible de justifier une atteinte aussi grave aux intérêts des demandeurs d'asile concernés" (9). La note faisait obstacle, par les instructions impératives données aux agents de l'OFPRA, à l'examen individuel des demandes d'asile qui devait avoir lieu dans le cadre d'une procédure prioritaire (10) et écartait toute possibilité d'audition préalable des demandeurs d'asile (11). Le juge des référés rejette, en revanche, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'OFPRA de réexaminer les demandes, précisant seulement que la suspension ordonnée "implique nécessairement que les services de l'OFPRA cessent d'appliquer la procédure définie par [cette note] et examinent les demandes correspondant aux cas qu'elle entendait régir dans les conditions et selon la procédure définies" par les dispositions précitées du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Les associations et les avocats ont également décidé de saisir le juge des référés-liberté du tribunal administratif de Melun (12) pour qu'il constate l'atteinte au droit d'asile portée par celui qui est chargé de le mettre en oeuvre. Par une série d'ordonnances du 6 décembre 2011, répliquée des dizaines de fois dans les semaines qui ont suivi, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a condamné l'OFPRA pour atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile pour ne pas avoir examiné la demande de demandeurs d'asile (13). L'OFPRA a décidé de faire appel auprès du Conseil d'Etat de ces ordonnances, contestant la compétence du tribunal pour statuer et considérant qu'il ne portait pas atteinte au droit d'asile, dès lors que les demandeurs avaient manqué à leur obligation de coopération pour établir leur identité et leur nationalité. Les demandeurs d'asile, à l'appui desquels la Cimade et Amnesty international sont intervenus volontairement, considéraient que le directeur général de l'OFPRA avait, par les décisions litigieuses, refusé d'examiner sur le fond les demandes d'asile et privé les intéressés de garanties essentielles, comme un entretien pour exposer leur crainte de persécution et d'une décision motivée sur leur cas personnel.

Le juge des référés précise alors, dans ces ordonnances, que la contestation de ces rejets relevait de la CNDA et non du juge administratif de droit commun (14). Pour le Conseil d'Etat, "le directeur général de l'OFPRA ne s'est pas borné à refuser d'enregistrer les demandes dont il était saisi par les intéressés mais leur a refusé, sur le fondement de l'article L. 731-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5126IQW), le bénéfice de l'asile". Le juge des référés annule donc les onze ordonnances et fera de même pour les nombreuses autres déjà prononcées s'il est saisi en appel. C'est le cas pour l'arrêt d'espèce en date du 30 mai 2012 auquel le Conseil d'Etat applique le même raisonnement, en estimant que cette décision ne constituait pas une décision refusant le bénéfice de l'asile au motif qu'elle n'avait pas été prise à l'issue d'un examen de la demande d'asile, et en en déduisant qu'un recours contre cette décision relevait, non de la CNDA, mais de la compétence du juge administratif de droit commun, le juge des référés du tribunal administratif ayant, dès lors, commis une erreur de droit.

La décision d'espèce, ainsi que l'ensemble des décisions prises dans le même sens par le Conseil d'Etat rappellent, à l'heure où les autorités entendent accélérer l'examen des demandes d'asile et en réduire les coûts, qu'aucun de ces deux objectifs ne peut être poursuivi en sacrifiant des principes aussi fondamentaux que l'audition d'un demandeur d'asile sur les motifs de sa demande mais, comme le soulignent fort à propos Gérard Sadik et Serge Slama, "en renvoyant la balle à la CNDA, et en privant, ainsi, ces demandeurs d'asile de toute procédure d'urgence, le juge des référés du Conseil d'Etat a donc pris le parti [...] qu'il valait mieux engorger la permanence de la cinquième section de la CEDH de demandes de mesures provisoires pendant les fêtes de fin d'année plutôt que le greffe des référés du tribunal administratif de Melun ou les bureaux de la Division Amériques Maghreb de l'OFPRA -au grand dam de la Cour européenne qui ne cesse d'appeler les Etats à endiguer le flot de mesures provisoires-" (15). A cet égard, la France vient d'être condamnée par le juge européen en raison de l'absence de recours suspensif en procédure prioritaire devant la CNDA, et donc d'examen au fond de la demande d'asile par une juridiction indépendante (16). Dans la décision d'espèce, si elle est la juridiction compétente, la CNDA ne peut pas être saisie en référé. L'OFPRA ne peut donc être sanctionnée si elle commet une atteinte manifestement illégale au droit d'asile en prononçant des décisions de rejet stéréotypées sans examen au fond. Les demandeurs d'asile sont donc dépourvus de tout recours effectif puisque le recours à la CNDA n'est pas de plein droit suspensif et que l'OFPRA n'a pas examiné la demande d'asile.

  • Les associations habilitées à visiter les lieux de rétention ne pouvaient être les mêmes que celles qui s'étaient vu confier, par convention, la mission d'information et de soutien des étrangers retenus (CE 2° et 7° s-s-r., 23 mai 2012, n° 352534, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0944IMW)

Les réseaux Migreurop, Alternatives européennes et Reporters Sans Frontières ont mis en place, du 26 mars au 26 avril 2012, une campagne inter-associative, intitulé "Open Acess : Ouvrez les portes ! On a le droit de savoir !" pour demander à visiter des lieux d'enfermement des migrants dans toute l'Europe. Afin de faire un état des lieux sur l'accès de la société civile et des médias aux centres de détention d'étrangers, de nombreux journalistes, associations et collectifs de citoyens ont déposé des demandes de visite auprès des autorités compétentes de leur région. En France, le constat des premières réponses des autorités administratives a été assez accablant puisque l'accès aux centres de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, de Palaiseau, de Vincennes, de Rennes, de Toulouse-Cornebarrieu et de Strasbourg et à la zone d'attente de Roissy a été systématiquement refusé aux journalistes, même lorsque ces derniers accompagnaient un parlementaire (députés et sénateurs jouissent d'un droit d'accès inconditionnel). Pour d'autres CRA (comme Cergy), les demandes sont restées sans réponse.

C'est dans ce contexte qu'intervient la décision prise en l'espèce par le Conseil d'Etat. A l'origine de cette décision, le décret du 8 juillet 2011 (17), pris pour l'application de la loi du 16 juin 2011 (18), décret qui entend organiser les conditions d'accès des "associations humanitaires" aux lieux de rétention en application de la Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (N° Lexbase : L3289ICS), dite Directive "retour", qui prévoit la "possibilité de visite par des organisations et instances nationales, internationales et non gouvernementales" (19). Huit associations (20), membres de l'Observatoire de l'enfermement des étrangers, ont décidé de se joindre au recours du GISTI en annulation de ce décret, notamment parce que les modalités de ce "droit d'accès", telles qu'elles y sont organisées, sont restrictives et discutables dans leurs justifications.

La Directive et la loi ont entendu confier à des associations ayant des compétences dans le domaine humanitaire ou de la défense des droits des étrangers une mission d'observation extérieure et indépendante portant sur les conditions de vie des étrangers placés dans les lieux de rétention et sur les conditions d'exercice de leurs droits. Pour l'exercice de cette mission, les textes précités ont donné un droit d'accès à ces lieux aux associations. L'habilitation donnée à cette fin permet à l'association d'exercer sa mission sur tout le territoire national. En revanche, le pouvoir réglementaire interdit à l'association d'exercer cette mission d'observation dans tous les centres de rétention, dès lors qu'elle a conclu une convention lui conférant, localement, pour un centre de rétention, la mission distincte d'accueil, d'information et de soutien des étrangers placés en rétention (21).

C'est cet élément qui est retoqué par le Conseil d'Etat qui énonce que "le pouvoir réglementaire, par la généralité de cette interdiction et alors qu'une association exerçant une mission de soutien aux étrangers dans un centre peut exercer la mission distincte d'observation dans tous les autres centres, sans être placée, comme le soutien en défense le ministre [de l'Intérieur], en situation de contrôler sa propre intervention, a entaché la seconde phase du deuxième alinéa de l'article R. 553-14-5 [du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile] (N° Lexbase : L1785IRK) d'une erreur manifeste d'appréciation". Les autres éléments mis en avant par le GISTI n'ont pas eu les faveurs du Conseil d'Etat. On peut citer l'argument qui tenait au fait que tout refus d'habilitation devant être motivé au regard du nombre d'associations habilitées, cette disposition aurait pu avoir pour objet de limiter le nombre des associations pouvant solliciter une habilitation, argument qui n'a finalement pas été retenu (22). De même, le fait que les représentants de plusieurs associations habilitées ne puissent accéder le même jour au même lieu de rétention (23) pouvait être perçu comme limitant abusivement le droit d'accès de ces dernières à ces lieux. Pour le Conseil d'Etat, ces dispositions sont simplement justifiées par les impératifs de bon fonctionnement des lieux de rétention.

A noter, également, qu'au-delà de l'annulation partielle de l'article R. 553-14-5 (article 18 du décret), a aussi été mis en cause le deuxième alinéa de l'article R. 513-3 (N° Lexbase : L7240IQ9) (article 7 du décret) selon lequel peut être imposé à l'étranger obligé de quitter le territoire français la remise de l'original de son passeport et de tout autre document d'identité ou de voyage pendant le délai de départ volontaire qui lui est imparti. Pour le Conseil d'Etat, il n'y pas atteinte à la liberté d'aller et venir, dès lors que l'administration est tenue de se conformer aux règles posées par les réserves d'interprétation énoncées par le Conseil constitutionnel. Il ressort de ses réserves que la retenue d'un passeport ou d'un document de voyage "ne saurait faire obstacle à l'exercice par l'étranger du droit de quitter le territoire national", et que "à toute demande de restitution du document retenu, celui-ci devra être remis sans délai au lieu où il quittera le territoire" .

Au-delà de la controverse juridique, les questions qui se posent sont celles du principe d'un droit de regard de la société civile sur les lieux d'enfermement des étrangers et des conditions de mise en oeuvre d'un tel principe. Et, plus largement, la question des dynamiques des organisations et des citoyens mobilisés, ainsi que des droits et des possibilités d'action des étrangers enfermés.

Ouvrir la possibilité nouvelle à des associations "habilitées", autres que celles qui interviennent déjà en rétention dans un cadre contractuel, d'entrer officiellement dans les centres de rétention peut se révéler être une arme à double tranchant. A cet égard, on peut reprendre les interrogations de l'Observatoire de l'éloignement des étrangers qui souligne que "certains d'entre nous y voient un progrès vers la transparence. D'autres redoutent qu'un système d'habilitation ne conduise à entraver l'exercice des interventions et visites jusqu'alors menées par des militants, organisés ou non au sein d'observatoires citoyens. La question se pose, également, de l'utilité de cette entrée de la société civile dans les lieux de rétention et des témoignages associatifs alors que, depuis 2008, existe un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) et depuis de nombreuses années une, puis des associations présentes dans le cadre d'un marché public. D'autres, enfin, s'interrogent sur l'opportunité de considérer un droit d'accès, une présence permanente et des actions totalement extérieures de la société civile, et sur la meilleure manière de jouer la complémentarité des actions des associations, des avocats et des groupes citoyens" (25).

  • Un premier président de cour d'appel ayant déduit l'irrégularité du placement en rétention de l'absence de prévision, dans la décision d'éloignement, d'un délai approprié pour assurer un départ volontaire, méconnaît le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires (Cass. civ. 1, 23 mai 2012, n° 11-30.372, F-P+B+I N° Lexbase : A9033IL7)

L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, a reçu du législateur la mission d'intervenir en cas de maintien en rétention des étrangers qui sont l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire. La Cour de cassation a pu définir le rôle et les pouvoirs de ce juge judiciaire. Il lui appartient, ainsi, avant de choisir l'une des mesures prévues par la loi, et sans empiéter sur la compétence des juridictions administratives, de vérifier qu'il est régulièrement saisi et de s'assurer, également, de la régularité des actes antérieurs à la mise en rétention et du strict respect des droits reconnus à l'étranger par la loi. Ce souci de conférer une pleine efficacité à la protection de la liberté individuelle amène, cependant, parfois le juge judiciaire à dépasser le cadre de ses compétences.

Il ressort des faits de l'espèce qu'un homme de nationalité tunisienne, en situation irrégulière en France, a fait l'objet d'un arrêté de réadmission en Italie et d'une décision de maintien en rétention administrative pris par le préfet du Finistère. Un juge des libertés et de la détention a prolongé la rétention. Le premier président de la cour d'appel de Rennes a infirmé cette décision et dit qu'il n'y avait pas lieu à prolonger cette rétention, eu égard au fait que les Etats membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l'éloignement (26). La décision de retour doit, de même, prévoir un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire de ce ressortissant (27). Pour le premier président, l'étranger ne pouvait être placé en rétention sans avoir pu bénéficier de ce délai de départ volontaire. La Cour de cassation casse cette ordonnance reprochant au premier président d'avoir déduit l'irrégularité du placement en rétention de l'intéressé de l'absence de prévision, dans la décision d'éloignement de celui-ci, d'un délai approprié pour assurer son départ volontaire. Selon la Haute cour, en statuant de la sorte, le premier président s'est prononcé sur la légalité de la décision d'éloignement, en méconnaissance du principe de la séparation des autorités judiciaire et administrative.

Il y a application ici d'une jurisprudence assez classique de la part du juge judiciaire. Ces règles sont évidemment dictées par le respect du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, ainsi que par la conception française de la séparation des pouvoirs. La Cour de cassation a donné au juge judiciaire le pouvoir de s'assurer de la régularité de ces actes, mais cette compétence ne s'exerce que dans certaines limites. Lors de l'examen de la régularité de sa saisine, le juge judiciaire, sous peine de commettre un excès de pouvoir, n'a pas à apprécier la légalité de l'arrêté préfectoral, figurant au dossier de la juridiction d'appel (28). S'agissant de l'appréciation de la légalité de la décision de maintien en rétention, la Cour de cassation, censurant un premier président qui avait ordonné la mise en liberté d'un ressortissant étranger en retenant qu'il était établi par les pièces figurant au dossier que la mise en rétention administrative de cet étranger était intervenue le 14 janvier 1999, alors que l'arrêté prescrivant sa reconduite à la frontière ne lui avait été notifié que le 15 janvier 1999, a décidé, au visa du principe de la séparation des pouvoirs, que le juge ne peut, sans excéder ses pouvoirs, se prononcer sur la légalité de la décision administrative de maintien en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire (29).

De même, alors qu'un ressortissant étranger faisait grief à un premier président d'avoir omis de relever l'illégalité du texte réglementaire autorisant le maintien en rétention administrative au-delà de l'expiration du délai légal, ce qui aurait constitué, selon le moyen du pourvoi, une voie de fait, un arrêt du 10 février 1993 avait déjà jugé que le juge judiciaire peut seulement statuer sur une ou plusieurs des mesures de surveillance et de contrôle nécessaires au départ de l'étranger et ne peut, sans excéder ses pouvoirs, apprécier la légalité d'un acte administratif qui ne saurait constituer une voie de fait, qu'il soit de nature réglementaire ou individuelle (30). Enfin, on peut citer aussi la décision de la Cour de cassation cassant, sur le même fondement, une ordonnance d'un premier président qui avait infirmé une prolongation de rétention administrative. Le premier président avait retenu que l'interpellation et le placement en rétention administrative de l'étranger avaient été opérés sur ordre de la préfecture, sans intervention du parquet dont dépendent les services de police, et que le préfet ne disposait d'aucune compétence juridique pour donner des instructions de police judiciaire à ces services quant à une interpellation. Pour la Cour de cassation, l'interpellation aux fins de placement en rétention administrative d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement ressort à la police administrative (31).

Au-delà de la distinction des pouvoirs respectifs du juge judiciaire et administratif, s'est aussi posée la question, dans la décision d'espèce, du champ d'application respectif de la Directive "retour" précitée et de la Convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 (32). Le Conseil d'Etat (33) avait déjà répondu à cette question dans la même affaire en montrant que la Directive "retour" était inapplicable à la procédure de réadmission instituée par les accords de Schengen. L'article 3 de la cette Directive définit les normes et procédures applicables dans les Etats membres de l'Union européenne au retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier. Le retour y est défini comme le fait, pour un ressortissant d'un pays tiers, de rentrer, volontairement ou en y étant forcé, dans son pays d'origine, dans un pays tiers ou dans un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux. Les pays de transit doivent être des pays tiers à l'Union européenne avec lesquels des accords ou arrangements de réadmission ont été conclus par l'Union ou par l'un des Etats membres. Cette Directive ne s'applique donc qu'au retour d'un ressortissant d'un pays tiers vers un pays n'appartenant pas à l'union européenne, et non à la procédure de réadmission d'un ressortissant d'un pays appartenant à l'Union vers un autre Etat de l'Union. L'accord de réadmission de l'étranger de nationalité tunisienne vers l'Italie étant clairement exclu du champ d'application de la Directive, il ne pouvait être considéré comme entaché d'illégalité du fait de l'omission du délai de départ volontaire. C'est, également, en ce sens que juge la Cour de cassation dans la décision d'espèce.


(1) Soit le demandeur d'asile altère l'épiderme, par abrasion ou par brûlure le plus souvent ; soit il utilise un produit lui permettant de combler les sillons, tel que du vernis ou une colle quelconque ; soit, et plus exceptionnellement, le demandeur d'asile se fait greffer la pulpe d'un autre de ses doigts.
(2) CE référé, 2 novembre 2009, quatre ordonnances, n° 332887 (N° Lexbase : A8054EMA), n° 332888 (N° Lexbase : A8055EMB), n° 332889 (N° Lexbase : A8056EMC) et n° 332890 (N° Lexbase : A8057EMD), JCP éd. A, 2009, n° 1216.
(3) Circulaire du 2 avril 2010 (NOR IMIA1000106C) du ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire sur la jurisprudence du juge des référés du Conseil d'Etat en matière de refus d'admission au séjour au titre de l'asile (N° Lexbase : L3575IMD).
(4) CE 9° et 10° s-s-r., 19 juillet 2011, n° 339877, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3180HWP).
(5) Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : L4969IQ4), JO, 17 juin 2011, p. 10290.
(6) L'OFPRA examine alors la demande dans un délai de quinze jours. S'il rejette la demande, le recours à la CNDA n'est pas suspensif et les préfets peuvent prendre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) à l'encontre de ces personnes sans attendre la décision de la CNDA. En outre, l'accès aux conditions matérielles d'accueil, à savoir l'admission dans un Centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA), ou le versement de l'Allocation temporaire d'attente (ATA) leur est légalement interdit ou rendu pratiquement difficile.
(7) CE référé, 11 janvier 2012, n° 354907, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1559IBD).
(8) Qui "a pour objet, et a eu systématiquement pour effet, depuis qu'elle est appliquée, de conduire à des décisions de rejet des demandes d'asile, dans tous les cas, en pratique très nombreux, qu'elle vise" et dont il découle "que même s'ils saisissent la Cour nationale du droit d'asile, les intéressés perdent alors tout droit à se maintenir sur le territoire, compte tenu des dispositions de l'article L. 742-6 [du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile] (N° Lexbase : L7219IQG), et à bénéficier des conditions matérielles d'accueil normalement prévues pour les demandeurs d'asile".
(9) La condition d'urgence est donc remplie, tout comme celle du doute sérieux, puisque "les moyens tirés de ce que la note contestée, d'une part, fait obstacle à l'examen individuel des demandes d'asile qu'impliquent, même lorsque la procédure prioritaire est mise en oeuvre, les dispositions des articles L. 723-1 (N° Lexbase : L5965G4Pet L. 723-5 (N° Lexbase : L5969G4T) [du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile] et, d'autre part, méconnaît les dispositions de l'article L. 723-3 du même code en écartant toute possibilité d'audition préalable des demandeurs concernés", sont de nature à créer un tel doute sur la légalité de la note.
(10) En violation des articles L. 723-1 et L. 723-2 (N° Lexbase : L5966G4Q) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
(11) En violation de l'article L. 723-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La secrétaire générale de l'OFPRA, avait soutenu, à cette occasion, que l'examen de la demande d'asile commençait "dès que le dossier était confié à un officier de protection". Le rejet fondé sur "l'altération d'empreintes" ne s'apparentait donc pas, de son point du vue, à un rejet sans examen de la demande d'asile.
(12) Compétent pour les décisions individuelles de l'OFPRA hors de celles relevant de la CNDA en vertu de l'article L. 731-2 précité.
(13) Le juge considère que l'OFPRA, en refusant d'examiner les demandes et de les convoquer pour une audition, sans que cela soit motivé par un des quatre motifs de dispense prévu par la loi, a porté une atteinte grave au droit d'asile. En conséquence, il a suspendu les décisions de l'OFPRA, l'a enjoint à statuer dans un délai de quinze jours et l'a condamné à 1 000 euros de frais irrépétibles.
(14) CE, référé, 28 décembre 2011, n° 355012 à n° 355022, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1313IAU).
(15) S. Slama et G. Sadik, Empreintes inexploitables de demandeurs d'asile : le juge des référés du Conseil d'Etat renvoie la balle à la CNDA, CPDH, 29 décembre 2011.
(16) CEDH, 2 février 2012, Req. 9152/09 (N° Lexbase : A9424IBN), DA, 2012, n° 4, comm. n° 37 de V. Tchen.
(17) Décret n° 2011-819 (N° Lexbase : L7168IQK) du 8 juillet 2011, pris pour l'application de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (N° Lexbase : L4969IQ4), JO, 9 juillet 2011, p. 11923.
(18) Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, JO, 17 juin 2011, p. 10290.
(19) Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008, art. 16-4.
(20) L'Association des avocats pour la défense du droit des étrangers, la Ligue des droits de l'Homme, la Cimade, l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, le Comité médical pour les exilés, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, le Syndicat des avocats de France et, enfin, le Syndicat de la magistrature.
(21) C. entr. séj. étrang. et asile, art. R. 553-14.
(22) C. entr. séj. étrang. et asile, art. R. 553-14-5, troisième alinéa.
(23) C. entr. séj. étrang. et asile, art. R. 553-14-7, troisième alinéa.
(24) Cons. const., décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997 (N° Lexbase : A8441ACM), JO, 25 avril 1997, p. 6271, Recueil CC, p. 45.
(25) Jeudi 15 mars 2012, Prochaine réunion sur l'accès aux lieux d'enfermement d'étrangers.
(26) Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008, art. 15.
(27) Directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008, art. 7.
(28) Cass. civ. 2, 11 janvier 2001, n° 99-50.082 (N° Lexbase : A4050ARG), Bull. civ. II, n° 4, p.3.
(29) Cass. civ. 2, 3 février 2000, n° 99-50.009 (N° Lexbase : A6225CL7).
(30) Cass. civ. 2, 10 février 1993, n° 92-50.009 (N° Lexbase : A6063AB8), Bull civ. II, n° 54, D., 1993, Inf. rap. p. 61, JCP, 1993, IV, n° 939.
(31) Cass. civ. 1, 28 mars 2012, n° 11-30.454, F-P+B+I (N° Lexbase : A9979IGP).
(32) En vertu de ce texte, intégré dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'article L. 531-1 (N° Lexbase : L7216IQC), "l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné irrégulièrement en France peut être remis aux autorités de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement".
(33) CE référé, 27 juin 2011, deux arrêts, n° 350207 (N° Lexbase : A5722HUH) et n° 350208 (N° Lexbase : A5723HUI).

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