Le Quotidien du 12 février 2021 : Droit pénal spécial

[Point de vue...] Du crime de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de 15 ans : retour sur une proposition sous le feu des projecteurs

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[Point de vue...] Du crime de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de 15 ans : retour sur une proposition sous le feu des projecteurs. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/65016422-point-de-vue-du-crime-de-penetration-sexuelle-commis-par-un-majeur-sur-un-mineur-de-15-ans-retour-su
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par Marthe Bouchet, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université Paris 2 Panthéon-Assas

le 24 Février 2021

La publication du livre La Familia Grande a considérablement accéléré la libération de la parole en matière d’inceste. L’ouvrage n’a laissé ni les médias, ni le législateur, indifférents. Le Président de la République lui-même, le 23 janvier 2021, soit 16 jours après la sortie du livre de Camille Kouchner, a demandé au Garde des Sceaux et au secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles de mener une consultation afin « d’approfondir les pistes qui permettront de renforcer la loi pour mieux protéger les mineurs victimes de violences sexuelles ». Deux pistes de réflexion ont été rendues publiques : l’une, assez discutée, vise à modifier des règles de prescription de l’action publique, l’autre, qui semble plus aboutie, réside dans l’instauration d’un « seuil d’âge » en matière d’infractions sexuelles.

Plus précisément, cette seconde proposition, telle qu’elle a été formulée, est celle de « criminaliser tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de 15 ans ». Serait ainsi créé un nouveau crime, dont la peine n’est pas précisée. Ce crime réprimerait autrement un comportement qui est jusqu’à présent saisi par deux infractions pénales :

L’une est le viol. Incriminé par l’article 222-23 du Code pénal (N° Lexbase : L6217LLT), le viol punit « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Cette infraction peut être commise à l’encontre d’une victime mineure de 15 ans, la répression étant aggravée dans cette hypothèse [1]. Cependant, toute la difficulté vient de ce que le viol n’est retenu que lorsque l’auteur a usé de violence, contrainte, menace, ou surprise. Or, cette condition peut se révéler problématique lorsqu’un mineur est concerné. En l’absence de violence ou de menace aisément caractérisée, la jurisprudence doit se tourner vers la surprise [2], ou plus souvent vers la contrainte, pour retenir l’infraction. Les difficultés sont telles que le législateur a précisé à plusieurs reprises les indices permettant d’établir la contrainte à l’égard des victimes mineures [3]. Le principal avantage du nouveau texte serait ainsi de faire tout bonnement disparaître cette exigence, coupant court aux débats sur la contrainte, qui posent en creux la question du consentement de la victime, hors de propos pour de très jeunes mineurs.

L’autre infraction, en l’absence de menace, contrainte, violence ou surprise, est l’atteinte sexuelle sur mineur, prévue par l’article 227-25 du Code pénal (N° Lexbase : L6215LLR). Elle réprime tout contact sexuel entre un majeur et un mineur de 15 ans [4]. Il s’agit cependant d’un délit, qui sous-entend que le mineur était consentant. Si la proposition est adoptée, ce texte n’aurait donc plus jamais vocation à s’appliquer en cas de pénétration sexuelle commise par un majeur sur un mineur de 15 ans. Il resterait en revanche applicable en l’absence d’une pénétration sexuelle subie par la victime.

Que penser de cette innovation ? Elle crée certaines incertitudes, pour ne pas dire doutes, quant à la définition de son élément matériel et de son élément moral.

Concernant l’élément matériel, les sources d’interrogation sont nombreuses. La proposition est celle de ne criminaliser que les faits de pénétration sexuelle, ce qui correspond à la pénétration par un sexe ou dans un sexe. Pourquoi viser cette seule hypothèse ? Si la proposition est retenue telle quelle, cela signifie que le débat sur la contrainte et la surprise retrouvera toute sa place hors pénétration sexuelle, même si un mineur de 15 ans est concerné. Comment le comprendre ? La capacité à consentir à un acte sexuel dépend-elle de l’existence d’une pénétration ?

La proposition prévoit par ailleurs que la pénétration doit avoir lieu « sur » un mineur. La formulation est réductrice, et ne recoupe pas celle du viol, qui vise désormais l’acte de pénétration sur la personne de la victime ou sur la personne de l’auteur [5]. L’interprétation stricte du texte nous oblige à en déduire que c’est uniquement lorsque l’agresseur pénètre la victime et, non l’inverse que l’incrimination s’appliquera [6].

La proposition ajoute que l’auteur doit être majeur. Il en résulte que les relations sexuelles entre mineurs ne sont pas visées et restent gouvernées par le principe de liberté sexuelle. On peut s’en réjouir, mais on laisse de côté les hypothèses dans lesquelles l’auteur, presque majeur, abuse de jeunes ou très jeunes enfants [7]. Dans ce type de cas, la proposition, telle qu’elle est formulée, n’est d’aucun secours ; il faudra encore caractériser la violence, la menace, la contrainte ou la surprise.

Enfin, la victime doit être un mineur de 15 ans. Deux difficultés apparaissent immédiatement. D’une part, le choix de l’âge de 15 ans, déjà applicable en matière d’infraction sexuelle, alors que certaines voix se sont élevées en faveur de l’âge de 13 ans [8], un âge qui correspond d’ailleurs à celui de la nouvelle présomption de discernement prévue par le futur Code de la justice pénale des mineurs [9]. D’autre part, la rigidité du seuil d’âge pourrait obliger à appliquer l’infraction dans des hypothèses relevant de la liberté sexuelle. Le Gouvernement en est conscient et envisage sur ce point d’« introduire un écart d’âge de 5 ans pour ne pas criminaliser une relation adolescente consentie qui se poursuit après la majorité du partenaire plus âgé ». On comprend la raison d’être de la précision, qui vise à ne pas criminaliser une « relation adolescente consentie qui se poursuit après la majorité du partenaire plus âgé ».

Concernant l’élément moral enfin, le débat risque de porter, comme c’est aujourd’hui le cas en matière d’atteintes sexuelles, sur la connaissance, par l’auteur, de l’âge de la victime. Les agresseurs pourraient invoquer avoir cru que la victime avait plus de 15 ans. Il reste à savoir si les solutions applicables en matière d’atteintes sexuelles, qui exigent de l’agresseur qu’il apporte la preuve de son erreur, pourront être transposées ici [10].

En définitive, si l’objectif poursuivi est louable, il est à espérer que l’incrimination sera précisée avant de prendre place au sein de notre Code pénal.

 

[1] C. pén., art. 222-24, 2° (N° Lexbase : L6222LLZ) : la répression est portée de 15 à 20 ans de réclusion criminelle.

[2] La jurisprudence considérait que la surprise ne pouvait se déduire du seul jeune âge des victimes (Cass. crim., 1er mars 1995, n° 94-85.393 N° Lexbase : A8978AB7), avant d’infléchir sa position à l’égard des très jeunes victimes (Cass. crim., 7 décembre 2005, n° 05-81.316, FS-P+F+I N° Lexbase : A1215DMX).

[3] C. pén., art. 222-22-1, al. 2 et 3 (N° Lexbase : L6218LLU) : « Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l'article 222-22 peuvent résulter de la différence d'âge existant entre la victime et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d'âge significative entre la victime mineure et l'auteur majeur.

Lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ».

[4] C. pén., art. 227-25 (N° Lexbase : L6215LLR) : « Hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d'exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende ».

[5] Elle revient à ce titre sur une évolution apportée par la loi n° 2018-703, du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi « Schiappa » (N° Lexbase : L6141LLZ).

[6] L’hypothèse est notamment celle de la fellation forcée ou de la pénétration imposée par une femme à un homme. V. Cass. crim., 21 octobre 1998, n° 98-83.843 (N° Lexbase : A5291ACX).

[7] V. not. Cass. crim., 7 décembre 2005, n° 05-81.316, op. cit.

[8] Le Sénat avait d’ailleurs retenu l’âge de 13 ans dans une proposition de loi portant la même incrimination (Proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, texte n° 158, déposé au Sénat le 26 novembre 2020 [en ligne]).

[9] CJPM, art. L. 11 : « Lorsqu'ils sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l'article 388 du code civil, sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils sont reconnus coupables.
Les mineurs de moins de treize ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d'au moins treize ans sont présumés être capables de discernement ».

[10] V. not. Cass. crim., 7 février 1957, Bull. crim. n° 126.

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