Réf. : Cass. civ. 2, 29 mars 2012, n° 11-30.013, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9965IG8)
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par Hervé Haxaire, Ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE)
le 03 Mai 2012
La procédure prévue aux articles précités, nous la connaissons bien. Tellement bien qu'il serait vain d'en rappeler le détail.
Rappelons-en simplement les principes directeurs.
Le Bâtonnier est seul compétent en premier ressort (sauf l'hypothèse où un membre de son cabinet ou lui-même est concerné) pour statuer sur une contestation concernant la fixation des honoraires d'un avocat.
Le Bâtonnier peut être saisi d'une réclamation émanant soit d'une partie, soit d'un avocat.
La procédure est sans représentation obligatoire, mais rien n'interdit à une partie de se faire représenter par un avocat.
Elle est contradictoire, selon des modalités que le législateur a, de façon surprenante, jugé utile de détailler précisément, et elle est enfermée dans des délais très stricts.
La décision du Bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d'appel qui peut être saisi par l'avocat ou la partie dans le délai d'un mois, par lettre recommandée avec accusé de réception, donc selon les formes les plus simples qui soient.
Revenons à notre cas d'espèce. Le premier président de la cour d'appel avait confirmé la décision du Bâtonnier fixant les honoraires du premier avocat à un certain montant.
Quoi de plus banal ?
Ce qui ne l'était pas, c'est que le débat portait moins sur le montant de l'honoraire contesté que sur la capacité et la légitimité du Bâtonnier à être juge de l'honoraire d'un avocat, ceci au regard des dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), des dispositions tant législatives que réglementaires de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), modifiée par la loi n° 90-1259 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L7803AIT), en application desquelles ont été pris les articles 174 à 179 du décret n° 91-1197 du 17 novembre 1991 régissant la procédure de contestation des honoraires organisée devant le Bâtonnier de l'Ordre, pour non-respect du droit à un procès équitable et de l'impartialité de la juridiction.
La Cour de cassation a écarté toute suspicion que la procédure de fixation de l'honoraire de l'avocat n'offrirait pas un procès équitable au justiciable au motif que ne serait pas assurée l'égalité des armes entre l'avocat et son client, et que le Bâtonnier ne serait pas, par essence, une juridiction impartiale, étant avocat lui-même.
Soit, mais cela ne répond pas au grief tiré du fait que le Bâtonnier, en sa qualité d'avocat, ne serait pas un juge impartial.
Soit, mais cela ne répond pas davantage à la question posée pour la procédure de première instance. Faut-il aller en appel pour exercer ses droits dans les mêmes conditions ? Ou faut-il considérer que dès lors que le Bâtonnier sait que sa décision, nécessairement motivée, est susceptible d'appel, il s'obligera à l'impartialité ?
Le principe du contradictoire, et celui plus étonnant de l'équité (le juge, fût-il Bâtonnier, statue en droit et non en équité), garantissent-ils la neutralité du Bâtonnier ? Etre écouté est une chose, être entendu en est une autre.
Plus déterminantes semblent être les références faites par la Cour de cassation aux règles déontologiques, et implicitement aux principes essentiels de la profession tels qu'ils résultent de l'article 1er du règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8) édicté par le Conseil national des barreaux. Le Bâtonnier n'en est-il pas le garant ? Ainsi que le rappel que les critères de fixation de l'honoraire, en l'absence de convention préalable, sont énumérés par la loi, puisque le Bâtonnier statue en droit.
La Cour de cassation en déduit que la procédure instituée par les articles 174 à 179 du décret du 27 novembre 1991 pour trancher, sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, les contestations du montant et du recouvrement des honoraires des avocats, et donnant compétence, pour en connaître, au Bâtonnier, avocat élu par ses pairs, tenu dans l'exercice de l'ensemble des attributions attachées à son mandat électif au respect des dispositions réglementaires relatives aux règles de déontologie de la profession d'avocat, et dont la décision peut faire l'objet d'un contrôle ultérieur par un magistrat de l'ordre judiciaire présentant les garanties d'indépendance et d'impartialité, ne méconnaît ni les exigences du droit à un procès équitable, ni celle du droit de faire examiner sa cause par un juge impartial. Le premier président a déduit à bon droit que les dispositions législatives et réglementaires régissant la procédure de contestation d'honoraires ne sont pas contraires à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Qu'en termes élégants il est ainsi affirmé par la Cour de cassation qu'a contrario, et en parfaite contradiction avec sa motivation, le Bâtonnier statuant en premier ressort ne présenterait pas, quant à lui, ces garanties d'indépendance et d'impartialité puisque sa décision "peut faire l'objet d'un contrôle ultérieur par un magistrat de l'ordre judiciaire présentant les garanties d'indépendance et d'impartialité".
Le Conseil constitutionnel avait été saisi les 1er et 12 juillet 2011 par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité posées, pour l'une d'entre elles, par le même justiciable et relatives à la conformité aux droits et libertés que la constitution garantit du 2° et du 6° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
L'article 53 de la loi du 31 décembre 1971 dispose que "Dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application du présent titre.
Ils précisent notamment :
[...] 2° les règles de déontologie, ainsi que la procédure et les sanctions disciplinaires ; [...]
6° la procédure de règlement des contestations concernant le paiement des frais et honoraires des avocats ; [...]".
Par décision n° 2011-171/178 QPC du 29 septembre 2011 (N° Lexbase : A1170HYY), le Conseil constitutionnel a décidé que "les 2° et 6° de l'article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques sont conformes à la Constitution".
Se fondant sur cette décision du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation dans son arrêt du 29 mars 2012 a tout naturellement rejeté la demande d'annulation de la décision attaquée, fondée sur une abrogation des articles 53-2° et 53-6° de la loi du 31 décembre 1971 que le Conseil constitutionnel a refusé de prononcer.
Etait-il réellement incongru de s'interroger sur le caractère corporatiste, et qui donc ne serait pas à l'abri d'un soupçon de partialité, d'une procédure spécifique, pour reprendre les termes de l'arrêt de la Cour de cassation, qui attribue compétence à un avocat pour statuer sur les honoraires de ses confrères ?
Assurément non, sauf à oublier que la profession d'avocat, comme le rappelle l'article 53 de la loi du 31 décembre 1971, est une profession dont l'indépendance doit être respectée, comme doit être respectée l'autonomie des ordres et le caractère libéral de la profession.
Posons-nous une simple question.
Si le contentieux de l'honoraire de l'avocat était dévolu au juge de droit commun, l'indépendance de l'avocat y survivrait-elle ?
De toute évidence, la réponse est négative.
Il n'est pas envisageable que le même juge tranche le fond d'un litige opposant deux parties, et fixe également la rémunération du ou des avocats de ces parties. Bien que la question soit d'une autre nature, il suffit pour s'en convaincre d'observer la jurisprudence judiciaire dans l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6906H7W).
Et puis, ne l'oublions pas, même si la Cour de cassation l'a exprimé en d'autres termes, le Bâtonnier d'un Ordre n'est pas, dans l'exercice de ses fonctions, "un avocat comme les autres". Il est le gardien de la déontologie et donc des principes essentiels de la profession.
Aucune suspicion à son endroit n'est légitime en ce domaine.
Moralité, au lieu de faire du droit, le justiciable aurait mieux fait de payer son premier avocat.
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