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N1662BTQ
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par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'IDP de Toulouse (EA 1920)
le 03 Mai 2012
En l'espèce, le dirigeant d'une société hôtelière est mis en examen des chefs d'abus de biens sociaux, recel, travail dissimulé et présentation de bilan inexact. Celui-ci dépose à la chambre de l'instruction une requête en annulation de différents actes : tout d'abord, il conteste la recevabilité d'enregistrements réalisés à son insu par l'un de ses anciens salariés, celui-ci ayant agi de sa propre initiative ; ensuite, il conteste la régularité de la garde à vue de son fils, invoquant principalement l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), ainsi que le droit complexe qui, en la matière, a fini par naître de l'interprétation de ce texte ; enfin, sur les mêmes fondements, il remet en cause la régularité de sa propre garde à vue.
La question, désormais classique, de la recevabilité des enregistrements clandestins réalisés par un individu sans le renfort des autorités publiques ne donnera pas lieu à commentaire (1). En ce qui concerne les deux derniers points exclusivement, relatifs à la question des gardes à vue, la Chambre criminelle de la Cour de cassation se prononce donc en deux temps.
Notons déjà, qu'en procédant de la sorte, la Cour de cassation se démarque de la chambre de l'instruction, qui a préféré justifier son refus d'annulation des deux gardes à vue en mettant en avant le principe de sécurité juridique, tel que celui-ci serait conçu par la Cour européenne des droits de l'Homme. Selon la chambre de l'instruction, ledit principe imposerait effectivement d'éprouver les mesures litigieuses à l'aune du droit en vigueur à l'époque de leur mise en oeuvre, c'est-à-dire en vertu du droit inconventionnel et inconstitutionnel antérieur à la réforme du 14 avril 2011. C'était oublier, comme l'a pourtant, fort justement, rappelé l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans quatre arrêts rendus le lendemain de la réforme, que "les Etats adhérents à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation" (2). C'est sans doute, la raison pour laquelle, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, poursuivant pourtant les mêmes objectifs que la chambre de l'instruction, a préféré recentrer le débat sur la qualité à agir en nullité.
Dans un premier temps, en effet, la Chambre criminelle de la Cour de cassation confirme très laconiquement un revirement récent et contestable, dont la portée demeure encore incertaine, mais, en vertu duquel nul ne peut invoquer la nullité de la garde à vue d'autrui, y eût-il pourtant un intérêt véritable (3). Le demandeur serait alors, selon la Cour de cassation, "sans qualité pour se prévaloir d'un droit qui appartient en propre à une autre personne". La chose est donc désormais entendue, mais n'en reste pas moins contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme et à la lettre même du Code de procédure pénale (4). Le paradoxe est d'ailleurs patent : les droits consacrés en faveur du gardé à vue afin d'améliorer sa protection, finissent par jouer en défaveur des autres mis en cause ayant un rapport avec ce gardé à vue, et font empirer, par là même, la propre protection de ces derniers.
Dans un second temps, étant ainsi parvenue à restreindre la portée d'une annulation inéluctable, la Chambre criminelle de la Cour de cassation finit par concéder ce qu'elle ne peut pas, ne pas concéder : à condition qu'il s'agisse de la prétention du gardé à vue lui-même, une garde à vue au seuil de laquelle le droit de se taire n'a pas été notifié et l'assistance d'un avocat n'a pas été effective, doit être annulée. Les raisons sont à tirer dans ce qui précède : n'en déplaise à la chambre de l'instruction, le droit en vigueur à l'époque des gardes à vue mises en cause était, aussi et surtout, le droit du Conseil de l'Europe, puisque ce dernier s'impose à la loi, quelle qu'elle soit. Or, ce droit précisait déjà, que "le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au coeur de la notion de procès équitable", et que "la personne placée en garde à vue a le droit d'être assistée d'un avocat dès le début de cette mesure ainsi que pendant les interrogatoires, et ce a fortiori lorsqu'elle n'a pas été informée par les autorités de son droit de se taire" (5). C'est pourquoi, au final, c'est sur l'unique -mais suffisant- fondement de l'article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme que la censure opère.
En l'espèce, à l'issue d'une longue procédure ayant déjà conduit une partie d'entre eux devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation, trois mis en examen des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, contrebande de marchandises prohibées, association de malfaiteurs et blanchiment, présentent des requêtes et mémoires en annulation de différents actes. N'ayant que partiellement obtenu satisfaction devant la chambre de l'instruction, ils saisissent de nouveau la Cour de cassation, celle-ci rejetant leurs pourvois.
Pour ne retenir que l'essentiel, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise, d'abord, que pour écarter les demandes des requérants "tendant, non seulement à l'annulation des déclarations qu'ils avaient faites en garde à vue alors que ne leur avait pas été notifié le droit de se taire, mais aussi à l'annulation de l'intégralité de la garde à vue dont ils avaient fait l'objet, dès lors qu'ils n'avaient pu bénéficier de l'assistance effective d'un avocat dès le début de la mesure", l'arrêt de la chambre de l'instruction énonce à raison, que "nonobstant l'irrégularité, sanctionnée, des déclarations faites en méconnaissance des droits susvisés, qui ont pour finalité de protéger la personne retenue de tout risque d'auto-incrimination, tant l'interpellation que le placement en garde à vue et la notification des autres droits afférents à la garde à vue, ont été effectués en conformité avec les exigences légales et conventionnelles".
Autrement dit, il faut concevoir le plus strictement possible les actes annulables, en confrontant chacun d'entre eux aux buts des droits offerts au gardé à vue, et en n'écartant que ceux qui sont susceptibles de les heurter. Sauf à sauver la suite de la procédure qui, de la sorte, survit effectivement à une annulation par subséquence -ce qui est, sans nul doute, l'objectif poursuivi par la Cour de cassation-, on ne comprend pas bien l'intérêt de préserver les cadres d'une garde à vue épurée de toute déclaration du gardé à vue. Au surplus, cela semble conduire à distinguer, au sein de la procédure de garde à vue, le fond de la forme, seule cette dernière survivant en l'espèce, pour la raison précédemment exposée, mais de façon alors purement artificielle.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation confirme, ensuite, une fois de plus, que l'on ne peut demander l'annulation de la garde à vue d'autrui, "dès lors que la méconnaissance des formalités substantielles auxquelles est subordonnée la garde à vue ne peut être invoquée à l'appui d'une demande d'annulation d'acte ou pièce de la procédure que par la partie qu'elle concerne" (6). La formule est intéressante parce que, même si elle se réfère encore à la garde à vue, elle revêt une allure plus générale, qui laisse peut-être augurer de son application future à d'autres actes de la procédure. Si la Haute juridiction veut sauver sa jurisprudence inconventionnelle, aller au bout de sa propre logique paraît, en effet, le moins qu'elle puisse faire.
Enfin, dépassant la question de la garde à vue, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise que, si en vertu de l'article 116 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3714IGN), il est possible à l'avocat de s'exprimer, lors de l'interrogatoire de première comparution, à la suite de l'entretien, mais préalablement à la notification de la mise en examen de son client par le juge d'instruction, c'est à la condition qu'il ait fait connaître à ce dernier sa volonté de le faire, ce qui ne semblait pas être le cas en l'occurrence. La Cour de cassation s'empresse d'ajouter que l'avocat a, en l'espèce, pu consulter le dossier de la procédure et s'entretenir avec son client.
Une fois de plus, la solution n'est pas nouvelle (7). Pour autant, on ne voit pas bien ce qu'il y aurait de néfaste à encourager le juge d'instruction à solliciter automatiquement les observations de l'avocat relatives à la mise en examen de son client. Après tout, n'est-ce pas précisément là, la conclusion logique de son droit d'accès au dossier de la procédure ?
Dans la lignée des arrêts précédents, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est, en l'espèce, confrontée au refus d'une chambre de l'instruction d'annuler une garde à vue durant laquelle la personne mise en cause n'a pas bénéficié de l'assistance effective d'un avocat. Selon les juges du fond, en effet, le droit en vigueur au moment où ils étaient tenus de se prononcer, soit le 30 mars 2011, -c'est-à-dire avant la réforme de la garde à vue (loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue N° Lexbase : L9584IPN), avant la fin de la période d'immunité constitutionnelle déterminée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010 (Cons. const., 30 juillet 2010, décision n° 2010-14/22 QPC N° Lexbase : A4551E7P), et avant les arrêts rendus en la matière par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (8)-, n'imposait pas d'annuler une garde à vue pourtant tout autant inconventionnelle qu'inconstitutionnelle.
Sans grand étonnement, et par application de la règle de bon sens rappelée par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans ses quatre décisions du 15 avril 2011, en vertu de laquelle "les États adhérents à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation", la Chambre criminelle de la Cour de cassation souligne, que "c'est à tort que la cour d'appel n'a pas cru devoir annuler les procès-verbaux d'audition établis au cours de la garde à vue du prévenu".
Toutefois, l'originalité de l'arrêt réside, en réalité, dans la poursuite de cette motivation qui va justifier, malgré les apparences, le rejet du pourvoi formé par le requérant. Pour la Haute juridiction, en effet, "l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure, dès lors, que pour retenir la culpabilité [du prévenu], les juges ne se sont fondés ni exclusivement ni même essentiellement sur les déclarations recueillies au cours de sa garde à vue".
Autrement dit, seules l'inexistence ou l'indifférence d'autres éléments que ceux obtenus durant la garde à vue pour fonder une condamnation sont de nature à justifier l'annulation de cette dernière, à condition, bien sûr, qu'elle ait été irrégulière. Dans l'autre sens, peut-être plus révélateur, cela signifie, que même si elle a été irrégulière, la garde à vue ne sera pas annulée à la condition que d'autres éléments que les déclarations du mis en cause obtenues durant la mesure aient permis de fonder sa condamnation.
Deux remarques : où l'arrêt du 13 mars 2012 délie la garde à vue des déclarations du gardé à vue (9), cet arrêt du 21 mars 2012 les rend presque consubstantiels, ce qui montre l'incohérence, ou si l'on préfère, l'opportunisme de la construction jurisprudentielle du droit de la garde à vue ; dans la formule utilisée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, l'adverbe "essentiellement", qui assouplit l'absoluité de l'adverbe "exclusivement", a, en l'occurrence, pour effet de limiter la portée du sauvetage d'une garde à vue, puisque, même en présence d'autres éléments que les déclarations du gardé à vue, la mesure pourra être annulée, si, au final, seules ces déclarations ont pesé. Sans doute faut-il étendre cet assouplissement au dernier alinéa de l'article préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9741IPH), qui précise qu'"en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui" (10).
La question de l'enregistrement audiovisuel de certaines auditions à l'exclusion des autres aura fait couler beaucoup d'encre (11). Il est vrai qu'à partir du moment où cet enregistrement est perçu comme un droit important pour un justiciable gravement mis en cause (12), on ne voit pas pourquoi certains justiciables se trouvant dans cette situation en bénéficieraient et d'autres pas. A quoi il faut ajouter que l'enregistrement s'avère tout autant de nature à profiter aux enquêteurs, quel que soit le cadre d'enquête concerné, puisqu'il est susceptible de constituer le témoignage incontestable d'une procédure irréprochable. C'est le message finalement simple qu'il faut retenir de cette décision du 6 avril 2012, qui est construite en deux temps.
Premier temps : la cause d'une discrimination des garanties ne pouvant résider que dans la nécessaire adaptation de la procédure à des formes particulièrement graves ou complexes de criminalité, seul l'établissement d'un lien évident entre l'absence d'enregistrement de certaines procédures et l'adaptation à la lutte contre ces formes de criminalité pourrait justifier une limitation de l'enregistrement aux procédures criminelles de droit commun. Or, ce lien n'existe pas vraiment, parce que, d'une part, à la lecture des textes, la principale cause de l'absence d'enregistrement réside dans une impossibilité matérielle de le réaliser (13), et d'autre part, sa réalisation, lorsqu'elle a bien lieu, s'avère suffisamment encadrée, de telle sorte essentiellement, que le secret de l'enquête et de l'instruction se trouve parfaitement préservé. L'un dans l'autre, il ne s'agit donc en aucune façon de s'adapter à une criminalité particulière, aucune discrimination ne pouvant donc, sur ce point précis, tirer sa cause d'un tel argument.
Second temps : une telle discrimination existait pourtant, puisque l'enregistrement des gardes à vue et des interrogatoires par le juge d'instruction ayant été instauré par la loi en matière criminelle sans que la Constitution ne l'impose, il convenait de faire profiter de cette nouvelle garantie toutes les personnes soupçonnées d'avoir participé à un crime, quel qu'il soit, ce qui n'était pas le cas en l'état de la législation, qui excluait du champ d'application des textes concernés les infractions s'inscrivant au sein de la criminalité dite organisée (14).
En conséquence, le Conseil constitutionnel abroge l'alinéa 7 de l'article 64-1 (N° Lexbase : L8170ISE), ainsi que l'alinéa 7 de l'article 116-1 (N° Lexbase : L8171ISG) du Code de procédure pénale, alinéas qui prévoyaient l'exclusion de l'enregistrement des interrogatoires pour certaines qualifications criminelles.
Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du Centre de recherche en droit privé de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116)
II - La recevabilité de l'action civile
Le témoin assisté, on le sait, est un statut intermédiaire entre le témoin simple et le mis en examen. Pour cette raison, sa place reste difficile à déterminer, l'interrogation fondamentale résidant, sans doute, dans l'opportunité ou la nécessité de le concevoir comme une partie au procès pénal.
L'arrêt du 14 février 2012, dans lequel un témoin assisté remettait en cause la qualité à agir de la partie civile, tranche une fois de plus pour la négative (15), et en tire, cette fois, comme conséquence, au visa des articles 87 (N° Lexbase : L7159A4W) et 113-3 (N° Lexbase : L0930DY4) du Code de procédure pénale, que ledit témoin n'est pas en mesure de contester la recevabilité d'une constitution de partie civile.
A l'heure de la montée en puissance du droit à l'assistance effective d'un avocat, par influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (16), on peut se demander quel peut être encore l'intérêt d'un statut qui, précisément, paraît se limiter à consacrer cette assistance. De plus, il est assurément un paradoxe à refuser au témoin assisté la qualité de partie au procès pénal, tout en le considérant comme telle de certains points de vue, par exemple au regard du contentieux des nullités de l'information (17). Le Conseil constitutionnel, qui a déjà reconnu à la victime le statut de partie au procès pénal à la suite d'un examen des dispositions la concernant dans le Code de procédure pénale (18), pourrait bien, un jour, être amené à un constat similaire en ce qui concerne le témoin assisté.
Les faits sont notoires, mais complexes : en 1994, trois sous-marins sont vendus au Pakistan par la direction des constructions navales internationales (DCNI), ex-direction des chantiers navals, société française à capitaux majoritairement publics. En 2002, onze employés français travaillant pour cette dernière trouvent la mort dans l'explosion, à Karachi, du véhicule au bord duquel ils se trouvaient. Quelques jours plus tard, une information est ouverte contre personne non dénommée des chefs d'assassinats, complicité et tentative.
En 2010, ayant pris connaissance par la presse des rapports "Nautilus", établis en 2002 à la demande de la DCNI dans le cadre d'une autre information la concernant, certains ayants droit des victimes de l'attentat de Karachi apprennent, d'abord, que la vente des sous-marins n'aurait pu avoir lieu qu'en contrepartie de l'engagement de la DCNI de verser aux autorités pakistanaises des commissions représentant 10,25 % du marché ainsi conclu. Ils apprennent, ensuite, que ces versements devaient être effectués par l'intermédiaire de deux réseaux, dont l'un, non seulement, aurait été imposé à la DCNI par le ministère de la défense français, alors que l'affaire était sur le point d'être conclue, mais aussi, aurait assuré, par versement de rétrocommissions, le financement de la campagne présidentielle de l'un des candidats en 1995, puis celui de l'association pour la réforme créée après son échec à cette élection. Enfin, ils apprennent que l'attentat de Karachi aurait été commis par des islamistes instrumentalisés par des membres de l'armée pakistanaise et des services secrets de cet Etat, afin d'obtenir le versement des commissions restant dues au second réseau, environ 60 millions de francs (soit 9 146 941,3 euros), dont le Président de la République française, élu en 1995, aurait ordonné la cessation, pour tarir le financement de son adversaire. En conséquence, ils se constituent partie civile devant le doyen des juges d'instruction des chefs, notamment, d'entrave à la justice, faux témoignage, corruption active et passive au visa des articles 432-11 (N° Lexbase : L3283IQN) et 433-1 (N° Lexbase : L3282IQM) du Code pénal, abus de biens sociaux et recel aggravé.
Le procureur de la République requiert le juge d'instruction d'informer des chefs d'entrave à la justice et faux témoignage, mais de déclarer irrecevables les constitutions de partie civile des chefs d'abus de biens sociaux, corruption et recel. Le juge d'instruction déclare, cependant, les parties civiles recevables à se constituer pour l'ensemble des délits précités, relevant qu'elles mettent en avant "un lien direct entre l'attentat et les commissions qui auraient été destinées soit à corrompre les autorités pakistanaises, soit à verser en France des rétrocommissions", et que, de la sorte, "les contrats de commission constituaient une condition sine qua non de la conclusion [de la vente en] 1994, dont les conditions d'exécution étaient l'origine et la cause directe de l'attentat". Par une autre ordonnance, il déclare d'autres salariés de la DCNI blessés lors de l'attentat, ainsi que des membres de leur famille, recevables à se constituer partie civile dans la même information et des mêmes chefs.
La chambre de l'instruction infirme, cependant, ces ordonnances, déclarant irrecevables les constitutions de partie civile des chefs de corruption, abus de biens sociaux et recel aggravé. Selon elle, en substance, en ce qui concerne, d'abord, la qualification de corruption d'agent public étranger, corruption dont il serait exclusivement question à la lecture du dossier, seul le ministère public pouvait requérir le déclenchement de l'action publique, en vertu de l'article 435-6 du Code pénal (N° Lexbase : L5425H73). Ensuite, en ce qui concerne la qualification d'abus de biens sociaux, seule la société victime des détournements, c'est-à-dire la DCNI elle-même, ou l'un quelconque de ses représentants, était recevable à se constituer partie civile. En ce qui concerne, enfin, la qualification de recel, puisqu'il est alors question d'un délit de conséquence, il aurait été nécessaire de démontrer l'existence de l'infraction d'origine, ainsi que sa qualification, ce que, pour les raisons qui précèdent, les requérants n'étaient donc pas en mesure de faire, leurs constitutions de partie civile ayant être déclarées irrecevables de ces chefs.
Au visa des articles 1er (N° Lexbase : L9909IQ3), 2 (N° Lexbase : L9908IQZ) et 85 (N° Lexbase : L3897IRR) du Code de procédure pénale, et selon les principes que, "pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale", et que, "lorsqu'une information judiciaire a été ouverte à la suite d'une atteinte volontaire à la vie d'une personne, les parties civiles constituées de ce chef sont recevables à mettre en mouvement l'action publique pour l'ensemble des faits dont il est possible d'admettre qu'ils se rattachent à ce crime par un lien d'indivisibilité", la Chambre criminelle de la Cour de cassation censure l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction. Selon la Haute juridiction, en effet, "en statuant ainsi, par le seul examen abstrait des plaintes, sans rechercher, par une information préalable, si les faits visés dans ces dernières n'entraient pas dans les prévisions des articles 433-1 (N° Lexbase : L3282IQM) et 432-11 (N° Lexbase : L3283IQN) du Code pénal, et alors qu'il se déduit des plaintes des parties civiles que les faits dénoncés sous les qualifications d'abus de biens sociaux, corruption d'agent public français, recel aggravé sont susceptibles de se rattacher par un lien d'indivisibilité aux faits d'assassinats, la chambre de l'instruction a méconnu les textes précités", de même que les principes sus énoncés.
En la matière, la simple exigence de la démonstration d'une possibilité de préjudice en lien direct avec une infraction n'est pas nouvelle, loin de là (19). Dans une telle situation, la Cour de cassation exige, simplement, de la part de celle qui se prétend victime, des indications permettant d'éprouver une telle possibilité, c'est-à-dire qui rendent son appréciation réalisable (20). Pour autant, l'affirmation de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, selon laquelle le juge d'instruction -ou la chambre de l'instruction- ne doit pas se contenter d'un examen abstrait des pièces, n'est pas des plus convaincantes : est-ce à dire, en effet, qu'en constatant l'inadéquation inéluctable d'une victime avec une qualification pénale, ce qui est le cas pour une victime privée lorsque l'infraction est d'intérêt général, ou pour toute autre personne que la société et ses représentants lorsqu'il s'agit d'un abus de biens sociaux, le juge d'instruction n'est pas en droit de considérer la constitution de partie civile irrecevable ? Ou, chose plus acceptable, est-ce pour inciter ledit juge à ne pas considérer les qualifications en question sans les vérifier afin, par la suite, d'éprouver, fût-ce de façon abstraite, la recevabilité d'une constitution de partie civile ? Au demeurant, il ne ressort pas si évidemment des faits que la chambre de l'instruction n'a pas vérifié les qualifications litigieuses, bien au contraire -surtout en ce qui concerne la corruption.
En réalité, il est plus facile de se laisser convaincre par la seconde partie du raisonnement de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, qui aurait, au surplus, parfaitement suffi à justifier sa solution. Le lien d'indivisibilité entretenu par l'ensemble des infractions apparaît avec suffisamment de clarté, et correspond à la définition qui en est donnée par la jurisprudence : un "rapport mutuel de dépendance" entre des faits, un "lien tellement intime que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres, l'ensemble formant un tout indivisible", bref un lien plus fort encore que la simple connexité (21). Ajoutons à cela, que la gravité des atteintes volontaires à la vie justifie, déjà, de nombreuses dérogations au caractère exceptionnel de l'action civile. Dans cette optique, en faire le centre du rapport d'indivisibilité a moins pour vertu d'afficher clairement la volonté de la Haute juridiction : permettre aux victimes du préjudice le plus grave que l'on puisse subir, d'obtenir des réponses, et peut-être plus encore.
Madeleine Sanchez, docteur en droit, membre de l'Institut de droit privé de l'Université Toulouse I - Capitole (EA 1920)
(1) Voir par exemple M. Sanchez, Contribution à l'étude de la preuve pénale, thèse, Toulouse 1 - Capitole, 2010, n° 135 et s., spéc. n° 167 et s..
(2) Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049, P+B+R+I (N° Lexbase : A5043HN4), n° 10-30.242, P+B+R+I (N° Lexbase : A5044HN7), n° 10-30.313, P+B+R+I (N° Lexbase : A5050HND) et n° 10-30.316, P+B+R+I (N° Lexbase : A5045HN8).
(3) Cass. crim., 14 février 2012, n° 11-84.694, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3688ICL) ; nos obs., Chronique de procédure pénale - Mars 2012, Lexbase Hebdo n° 476 du 8 mars 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0622BT9).
(4) Voir l'arrêt "Mathéron contre France" : CEDH, 29 mars 2005, Req. 57752/00 N° Lexbase : A6255DH7) ; Cass. crim., 15 janvier 2003, n° 02-87.341 (N° Lexbase : A8209A4S) : "toute personne mise en examen dont les conversations téléphoniques ont été enregistrées et retranscrites a qualité, au sens de l'article 171 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3540AZ7), pour contester la régularité de ces mesures" ; Cass. crim., 7 décembre 2005, n° 05-85.876, F-P+F+I (N° Lexbase : A1792DMC) ; Cass. crim., 6 septembre 2006, n° 06-84.869 (N° Lexbase : A3669DRC).
(5) Les gardes à vue ont eu lieu les 16 et 17 février 2011 : du point de vue de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, a notamment été rendu l'arrêt "Brusco contre France", intervenu le 14 octobre 2010 (CEDH, 14 octobre 2010, Req. 1466/07 N° Lexbase : A7451GBL, §§ 44-45). Au surplus, il faut souligner que lorsque la chambre de l'instruction se prononce, à savoir le 20 octobre 2011, les arrêts précités de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ont également été rendus.
(6) Voir le commentaire qui précède à propos de l'arrêt, Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-88.118, F-P+B.
(7) Cass. crim., 2 juin 2010, n° 10-80.452, F-P+F (N° Lexbase : A2545E4Z), Bull. crim., n° 97.
(8) Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts précités.
(9) Voir le commentaire qui précède à propos de l'arrêt, Cass. crim., 13 mars 2012, n° 11-88.737, F-P+B.
(10) "Seul" fondement deviendrait "principal" fondement ?
(11) Voir par exemple : M. Sanchez et G. Beaussonie, Le point sur l'étendue de l'obligation d'enregistrement audiovisuel des interrogatoires en garde à vue, CJAMP, 2009-1, p. 243.
(12) Voir, à cet égard, nos observations, Cass. crim., 4 novembre 2010, deux arrêts, n° 10-85.279, F-P+B (N° Lexbase : A4819GMG) et n° 10-85.280, F-P+B (N° Lexbase : A4820GMH), Chronique de procédure pénale - Janvier 2011, Lexbase Hebdo n° 424 - édition privée (N° Lexbase : N1565BRE).
(13) Idem.
(14) C. pr. pén., art. 706-73 (N° Lexbase : L3359IS9).
(15) Cass. crim., 25 janvier 1993, n° 92-80.455 (N° Lexbase : A4013ACM), Bull. crim., n° 38.
(16) Voir le commentaire qui précède à propos de l'arrêt, Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-88.118, F-P+B.
(17) C. pr. pén., art. 113-3, précité.
(18) Cons. const., décision n° 2010-15/23 QPC du 23 juillet 2010 (N° Lexbase : A9234E77).
(19) Voir. Cass. crim., 23 juillet 1974, n° 73-93.383 (N° Lexbase : A7273CI9), Bull. crim., n° 263 ; Cass. crim., 16 juin 1998, n° 97-82.171 (N° Lexbase : A5198ACI), Bull. crim., n° 191 : "selon l'article 85 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3897IRR), pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation de celui-ci avec une infraction à la loi pénale" ; Cass. crim., 5 mars 1990, n° 89-80.536 (N° Lexbase : A1651CGA), Bull. crim., n° 103 ; Cass. crim., 19 février 2002, n° 00-86.244 (N° Lexbase : A2304AYY), Bull. crim., n° 34 ; Cass. crim., 11 décembre 2002, n° 01-85.176 (N° Lexbase : A5354A43), Bull. crim., n° 224 ; Cass. crim., 5 février 2003, n° 02-82.255 (N° Lexbase : A2947A7B) Bull. crim., n° 25 ; Cass. crim., 2 avril 2003, n° 02-82.674 (N° Lexbase : A7620BSZ), Bull. crim., n° 83.
(20) Cass. crim., 9 février 1961, JCP, 1961, II, 12004, rapp. R. Combaldieu.
(21) Cass. crim., 29 juillet 1875, Bull. crim., n° 239.
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