La lettre juridique n°841 du 29 octobre 2020 : Responsabilité

[Brèves] Epilogue de la « saga du Lasso » : condamnation de la société Monsanto sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code civil

Réf. : Cass. civ. 1, 21 octobre 2020, n° 19-18.689, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A31903YS)

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[Brèves] Epilogue de la « saga du Lasso » : condamnation de la société Monsanto sur le fondement des articles 1245 et suivants du Code civil. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/61114831-brevesepiloguedelasagadulassocondamnationdelasocietemonsantosurlefondementdesarticle
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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

le 28 Octobre 2020

► La première chambre civile de la Cour de cassation approuve la cour d’appel de renvoi d’avoir condamné, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, la société Monsanto à indemniser un agriculteur ayant inhalé des vapeurs d’herbicide ; ce faisant, elle approuve les juges du fond d’avoir caractérisé les conditions d’application de ce régime spécial, notamment la défectuosité de l’herbicide, et d’avoir refusé de consacrer un moyen d’exonération.

Faits. Ce ne sont pas moins de douze années qui se sont écoulées entre la première décision des juges du fond et l’épilogue judiciaire que vient de connaître l’affaire qui oppose la société Monsanto à un agriculteur. En l’espèce, en 2004, ce dernier avait acheté un herbicide et en avait, accidentellement, inhalé les vapeurs. Cet herbicide, commercialisé sous le nom de « Lasso », fabriqué par Monsanto Europe SA et retiré du marché en 2007, avait été livré par la société Monsanto Agriculture France (ci-après la société Monsanto) à une coopérative agricole en 2002, laquelle l’avait, à son tour, livré à l’agriculteur. Ce dernier assigna la société Monsanto Agriculture France en réparation de son préjudice corporel.

Procédure. Le litige ayant donné lieu à un arrêt de cassation rendu en Chambre mixte, un bref rappel de la solution adoptée à cette occasion par la Cour de cassation s’impose (Cass. mixte, 7 juillet 2017, n° 15-25.651 N° Lexbase : A8305WL8). L’action de l’agriculteur était exclusivement fondée sur le droit commun : à titre principal sur les anciens articles 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) et 1383 (N° Lexbase : L1489ABR) du Code civil et à titre subsidiaire sur les anciens articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1165 (N° Lexbase : L1267ABK) du Code civil. A l’occasion du pourvoi formé par la société Monsanto, la Cour de cassation avait considéré que le juge devait appliquer d’office le régime spécial de responsabilité du fait des produits défectueux issu de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 transposant la Directive du 25 juillet 1985 et aujourd’hui codifié aux articles 1245 et suivants du Code civil (C. civ., anc. art. 1386-1 N° Lexbase : L1494ABX).

La cour d’appel de renvoi (CA Lyon, 11 avril 2019, n° 17/06027 N° Lexbase : A2818Y9A) fit application du régime spécial des articles 1245 et suivants du Code civil et condamna la société Monsanto à réparer le préjudice subi par l’agriculteur. La société Monsanto forma un pourvoi contre cet arrêt à l’occasion duquel, elle contesta tant les conditions d’application de ce régime spécial (1) que sa mise en œuvre (2). Aucun de ses moyens n’a été accueilli par la Cour de cassation qui rejeta ainsi le pourvoi.

(1) S’agissant d’abord des conditions d’application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Le pourvoi contestait, en premier lieu, la date de mise en circulation du produit retenue par la cour d’appel, à savoir la date de livraison à la coopérative. La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir retenu cette date au motif que « la mise en circulation s’entend, dans le cas de produits fabriqués en série, de la date de commercialisation du lot dont il fait partie », réitérant ainsi la solution qu’elle avait déjà adoptée dans un arrêt du 20 septembre 2017 (Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, n° 16-19.643, FS-P+B+I N° Lexbase : A3786WSZ). C’est ainsi au regard du produit même qui est impliqué dans le dommage que la date de mise en circulation s’apprécie (rappr. Avocat général sous arrêt préc., cité par G. Viney, note sous Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, D. 2017, p. 2284).

Le pourvoi contestait, en second lieu, son assimilation au producteur. La cour d’appel avait en effet fait application de l’article 1245-5 alinéa 2, 1° du Code civil (N° Lexbase : L0625KZ8), considérant que la mention sur l’étiquette des mentions suivantes, en gros caractères, « herbicide Monsanto » suivi de « siège social Monsanto agriculture France SAS » permettait de considérer que la société s’était présentée comme producteur. La Cour de cassation l’en approuve.

La société Monsanto contestait, en troisième lieu, l’imputabilité du dommage au produit en cause (l’herbicide). Selon lui, il n’existait pas de « réseau d’indices graves et concordants » permettant de considérer que le produit en cause était l’explication la plus plausible de la survenance du dommage. La cour rejette le moyen. Deux remarques s’imposent. La première : elle confirme l’existence d’une condition préalable, à savoir la nécessité de s’assurer que d’autres causes ne sont à l’origine du dommage. Aussi faut-il considérer que la seule preuve de l’imputabilité du dommage au produit ne saurait suffire. Encore faut-il que soit rapportée la preuve du défaut et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage (rappr. déjà en ce sens Cass. civ. 1, 27 juin 2018, n° 17-17.469). La seconde remarque n’est qu’une application aux faits de l’espèce de la remarque précédente : en l’espèce, des « indices graves, précis et concordants » permettaient d’établir le lien entre l’inhalation du produit et le dommage. L’imputabilité était donc caractérisée.

Le demandeur au pourvoi contestait, en quatrième lieu, la qualification de produits défectueux. La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir retenu la défectuosité du produit dès lors qu’elle avait relevé que l’ « étiquetage ne respecta(it) pas la règlementation applicable » et l’ « absence de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux sur ou dans les cuves et réservoirs ». Aussi fallait-il en déduire que « le produit ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre et était dès lors défectueux ». Ce faisant, l’arrêt confirme la possibilité de déduire le caractère défectueux d’une information insuffisante (rapp. déjà en ce sens Cass. civ. 1, 7 novembre 2006, n° 05-11.604, F-P+B N° Lexbase : A2977DS3).

Enfin, et s’agissant des conditions d’application du régime des produits défectueux, le pourvoi contestait la caractérisation du lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage, considérant que les lacunes de l’étiquetage n’étaient en rien dans le dommage subi par l’agriculteur car celui-ci n’avait nullement respecté les préconisations d’utilisation du produit. La Cour de cassation rejette l’argument avancé au motif que si la seule implication du produit dans la réalisation du dommage ne peut suffire à caractériser le lien de causalité, la cour d’appel s’était fondée sur d’autres éléments pour caractériser cette exigence (troubles présentés par l’agriculteur et constatés par le certificat médical ou encore la défectuosité du produit).

L’ensemble des conditions d’application du régime spécial était donc satisfait.

(2) S’agissant ensuite de la mise en œuvre du régime du fait des produits défectueux, le pourvoi invoquait deux arguments visant à exonérer la société Monsanto de sa responsabilité de plein droit. En vertu du premier, la société Monsanto excipait le risque de développement (C. civ., art. 1245-10, 4° N° Lexbase : L0630KZD). L’argument est écarté par la Cour de cassation car c’est au jour de la mise en circulation du produit qu’il fallait se placer (CJUE, 29 mai 1997,  C-300/95, Commission /Royaume Uni N° Lexbase : A2009AIA). Or, à cette date, soit en 2002 en l’espèce (v. supra), la société avait « toute latitude pour connaître le défaut lié à l’étiquetage du produit et l’absence de mise en garde sur la dangerosité particulière des travaux ». Ce faisant, cette cause exonératoire est écartée. Ainsi en est-il également de la cause d’exonération tenant à la faute de la victime (C. civ., art. 1245-12 N° Lexbase : L0632KZG) qui ne s’était pas conformée aux préconisations portées sur l’étiquetage (absence de protection du visage). Cette seconde cause d’exonération est écartée au motif qu’ « une telle protection aurait été inefficace en cas d’inhalation, en l’absence d’appareil de protection respiratoire ». La faute de la victime était donc sans lien avec le dommage.

Ainsi, la société Monsanto ne pouvait échapper à la responsabilité de plein droit qui pèse sur elle au titre de la responsabilité des produits défectueux.

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