La lettre juridique n°478 du 22 mars 2012 : Sociétés

[Jurisprudence] Une société est dissoute par l'arrivée de son terme et en l'absence de prorogation

Réf. : Cass. com., 31 janvier 2012, n° 10-24.715, F -P+B (N° Lexbase : A8789IB7)

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Institut François Gény, Université de Lorraine)

le 22 Mars 2012

Les mésaventures d'un banquier pour recouvrer les sommes prêtées pour la mise en oeuvre de produits de défiscalisation ont été l'opportunité pour la Cour de cassation de rappeler la règle applicable en matière de dissolution des sociétés. Quelles sont les conséquences de l'arrivée du terme pour une société, est-elle ou non dissoute automatiquement en l'absence de prorogation de sa durée et qui peut la représenter en justice ? Telles sont les questions que l'on peut formuler à l'occasion de l'arrêt rendu le 31 janvier 2012 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Afin de permettre la mise en oeuvre de produits de défiscalisation proposés à des investisseurs, une banque a consenti un prêt à une société en nom collectif dont les investisseurs étaient associés. Le terme de la société était fixé au 31 décembre 2007. La créance de la banque, résultant du contrat de prêt, a été cédée par acte du 31 janvier 2002 dans le cadre d'une opération de cession d'un portefeuille de créances. En raison du défaut de règlement du prêt par la société en nom collectif, la banque cessionnaire l'a assignée ainsi que les associés, cautions, en remboursement du prêt. A défaut d'avoir obtenu communication de l'acte original de cession de créances, ces derniers ont contesté la qualité à agir de la banque cessionnaire. De son côté, cette dernière invoquait le respect du secret professionnel pour justifier ne pas avoir à communiquer l'original de l'acte authentique de cession des créances litigieuses. Les premiers juges ont condamné les associés et la société à payer les différentes sommes dues à la banque, mais ce jugement a été frappé d'appel par ces derniers. Par la suite, la cour d'appel a critiqué la banque d'avoir persévéré dans sa volonté de ne pas communiquer à ses contradicteurs l'acte de cession, qui n'a transmis qu'un document comportant des anomalies évidentes. Par conséquent la Cour de cassation approuve la cour d'appel d'avoir déduit que le document qui n'a pas été communiqué aux associés et à la société aurait permis de concilier le droit des parties à obtenir les pièces qu'elles ne détiennent pas et qui sont nécessaires à leur défense et le principe du secret professionnel. Pour cette raison, elle considère que le moyen invoqué par la banque n'est pas fondé. Quant au second point, c'est-à-dire à la recevabilité de l'appel interjeté par la société en nom collectif, la banque prétendait qu'il était irrecevable. Ici encore, la cour d'appel n'a pas eu la même analyse de la situation de droit. Selon celle-ci, une société n'est effectivement dissoute par l'arrivée de son terme que si les associés ont été convoqués et ont décidé expressément sa dissolution. Sur le visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1844-7 (N° Lexbase : L3736HBY) du Code civil, la Cour de cassation censure la décision de la cour d'appel, en précisant qu'en raison de l'arrivée du terme la société est dissoute (I) et par conséquent, elle aurait dû être représentée par un liquidateur (II). Dès lors, étant dissoute, la société ne pouvait interjeter appel par l'intermédiaire de son gérant.

I - La dissolution de la société en raison de l'arrivée de son terme

Une société n'est jamais constituée sans terme. En effet l'article 1838 du Code civil (N° Lexbase : L2009ABZ) dispose qu'elle ne peut excéder 99 ans, par conséquent elle est constituée pour une période dont le terme doit être précisé dans les statuts. Admettre le contraire se heurterait au principe de la prohibition des engagements perpétuels (R. Libchaber, Réflexions sur les engagements perpétuels et la durée des sociétés, Rev. sociétés, 1995, p. 437). Ainsi, la fin de la société est commune dès l'apparition à la vie juridique de la société. Toutefois, il est possible de la prolonger. En effet, l'alinéa premier de l'article 1844-6 du Code civil (N° Lexbase : L2026ABN) précise que la prorogation de la société est décidée à l'unanimité des associés, ou, si les statuts le prévoient, à la majorité prévue pour la modification des statuts. Dans la présente affaire, le terme de la société était fixé au 31 décembre 2007. Par conséquent, les associés auraient dû convoquer une telle assemblée générale afin qu'elle se tienne avant le 31 décembre 2006, conformément au deuxième alinéa de l'article 1844-6 précité. Cependant, la cour d'appel a eu une conception plus souple. En effet, elle a considéré que la société n'est effectivement dissoute que si les associés ont été convoqués au moins un an avant l'arrivée du terme. Dans le cas contraire, la société conserve sa personnalité juridique, ses organes et sa capacité d'ester en justice. Or, la Cour de cassation censure cette analyse, et maintient l'application littérale de la règle de droit : les associés doivent avoir été consultés au moins un an avant la date d'expiration de la société. Si cette formalité n'a pas été respectée, comme c'est le cas dans cette affaire, la société est automatiquement dissoute par l'arrivée du terme.

Par ailleurs, il semblerait possible d'insérer une clause de prorogation automatique pour une certaine durée dans les statuts, clause qui serait valable en l'absence d'opposition d'un ou plusieurs associés (Cass. com. 23 octobre 2007, n° 05-19.092, FS-P+B N° Lexbase : A8447DYI, Bull. civ. IV, n° 224 ; D., 2007, p. 2813, obs. A. Lienhard ; Dr. sociétés, 2007, comm. 210, note H. Lécuyer ; Bull. Joly Sociétés, 2007, p. 110 note B Saintourens ; Banque et Droit, mars-avril 2008, p. 49, obs. I. Riassetto ; Rev. sociétés, 2008, p. 383, note B. Dondero). Or, dans la présente affaire, aucune décision de prorogation de la société n'ayant été prise par les associés en temps utile, et apparemment aucune clause de prorogation automatique n'ayant été insérée dans les statuts de la société en nom collectif, la dissolution est intervenue de plein droit par l'arrivée du terme, le 31 décembre 2007, en application de l'article 1844-7 du Code civil (constituant une partie du visa de l'arrêt du 31 janvier 2012). La décision de prorogation est un acte grave, ce qui explique pourquoi l'article 1844-6 du Code civil pose la règle d'adoption de la résolution de prorogation à l'unanimité des associés, ou à défaut, mais à condition que les statuts le prévoient expressément, aux conditions requises pour la modification des statuts. Pour cette raison, cette décision n'est pas un acte d'administration et justifie qu'un associé doit être muni d'un pouvoir spécial pour représenter un autre associé à l'assemblée générale réunie pour décider ou non de la prorogation de la société (Cass. com. 24 novembre 2009, n° 08-19.991, F-D N° Lexbase : A1603EP3, RD rur., 2009, comm. 64, nos obs.).

Enfin, si l'arrêt du 23 octobre 2007 précité avait pu provoquer quelques craintes quant aux effets de l'arrivée du terme, le doute est aujourd'hui dissipé avec l'arrêt du 31 janvier 2012. L'arrêt de 2007 avait été rendu à propos d'une société en participation, qui en raison de l'absence de son immatriculation, n'a pas la personnalité juridique. Désormais, la situation est claire : la survenance du terme entraîne la dissolution de la société, et par voie de conséquence, sa liquidation en application de l'article 1844-8 du Code civil (N° Lexbase : L2028ABQ), ce qui provoque la cessation de l'activité sociale et le seul maintien de l'affectio societatis ne saurait la faire dégénérer en société de fait (P. Le Cannu, La troublante énigme de la société devenue de fait, Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 565). Après la survenance du terme, la société dissoute est une société en cours de liquidation.

II - La représentation de la société dissoute par son liquidateur

Conformément à l'article 1844-8 du Code civil, la dissolution entraîne la liquidation de la société, qui met fin au mandat des organes de la société. En l'occurrence, la société dissoute est une société en nom collectif, sa dissolution met fin au mandat des gérants, car pour ce type de sociétés, tous les associés ont la qualité de gérant, sauf clause contraire des statuts (C. com., art. L. 221-3 N° Lexbase : L5799AIM). Ainsi, les associés sont tenus de nommer un liquidateur et à défaut de désignation par ces derniers, le liquidateur peut être désigné par décision de justice. Dans la présente affaire, aucune démarche n'avait été faite par les associés pour proroger la société, et vraisemblablement n'ayant pas conscience des conséquences juridiques de l'arrivée du terme de la société, aucun liquidateur n'avait été désigné. Ainsi, la banque avait pour contradicteur dans l'action en paiement des sommes impayées résultant des contrats de prêts non remboursés, une société dissoute, sans personne désignée pour la représenter. Dans ces conditions, l'intervention de tous les associés ne permet pas de compenser cette insuffisance. A défaut de liquidateur, la société dissoute et obligatoirement en cours de liquidation (s'agissant d'une société personnelle qui n'a pas fait l'objet d'une fusion avec une autre société) n'a pas de représentant légal. Or, dans ces conditions, seul le liquidateur a la capacité juridique requise pour intervenir en justice, tant en demande qu'en défense. Par conséquent, la société dissoute au cours de l'instance en paiement diligentée par la banque, n'a plus la capacité requise pour interjeter appel du jugement l'ayant condamné en première instance. Ainsi, son appel est irrecevable.

Sur le plan pratique, la société n'ayant pas pu interjeter appel dans les délais requis, il n'est plus possible d'exercer une quelconque voie de recours contre la décision ayant condamné la société et les associés au paiement des sommes dues. Par conséquent, la quote-part de dettes de la société devra être réglée dans le cadre de la liquidation amiable de la société. Si toutefois, celle-ci ne dispose pas des sommes suffisantes pour le faire, le liquidateur désigné devra alors demander l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire. En effet, par l'effet de la dissolution, l'activité sociale doit cesser. N'ayant plus d'activité économique, aucun plan n'est possible, et, par conséquent, le redressement de la société est manifestement impossible, conformément à l'article L. 640-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4038HB8). Par la suite, les associés, en application de leur obligation au paiement des dettes sociales (C. com., art L. 221-1 N° Lexbase : L5797AIK) peuvent être poursuivis par la banque, car la dissolution ne fait pas disparaître cette obligation. En effet, selon l'article 1859 du Code civil (N° Lexbase : L2056ABR), l'action du créancier se prescrit par cinq ans contre l'associé non liquidateur, délai qui court à compter de la dissolution de la société. Reste alors la question de savoir comment traiter leur insolvabilité éventuelle, car la seule qualité d'associé de société en nom collectif ne permet pas l'ouverture d'une procédure collective régie par les dispositions du Livre VI du Code de commerce (CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 6 juillet 2010, n° 10/03837 N° Lexbase : A6262E4P, D., 2010, p. 2222, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés, 2010, p. 534, note Ph. Roussel Galle ; Rev. proc. coll. 2010, comm. 210, note B. Saintourens ; Dr sociétés 2011, comm. 14, note J.-P. Legros ; Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 905, note F.-X. Lucas). En conclusion, associés, attention à l'arrivée du terme d'une société constituée à durée déterminée.... Car les 99 ans ressemblent étrangement à une durée indéterminée.

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