La lettre juridique n°478 du 22 mars 2012 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Pas de fongibilité des vices de la démission

Réf. : Cass. soc., 7 mars 2012, n° 09-73.050, F-P+B (N° Lexbase : A3730IEU)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 22 Mars 2012

La démission du salarié est un acte lourd de conséquences puisqu'elle implique la rupture du contrat de travail sans indemnités, ce à quoi s'ajoute d'ailleurs l'impossibilité, sauf motif légitime, d'obtenir le bénéfice du régime d'indemnisation du chômage. Par voie de conséquence, il a toujours été porté une attention particulière à ce que la volonté du salarié de démissionner soit véritable, qu'elle ne soit pas influencée par des éléments extérieurs. Comme le rappelle implicitement la Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 7 mars 2012, deux corps de règles peuvent être mobilisés pour assurer la protection de la volonté du salarié de démissionner, l'un relevant des vices du consentement et issu du Code civil, l'autre relevant de l'exigence d'une volonté claire et non équivoque de démissionner et issu de la jurisprudence. La volonté de démissionner bénéficie donc d'une double protection (I). Pour autant, il ne saurait y avoir d'interaction ou d'interchangeabilité entre les deux corps de protection : le juge, comme le salarié d'ailleurs, est lié par le corps invoqué, il existe une stricte étanchéité entre les deux corps de règles protecteurs (II).
Résumé

Le juge ne peut faire produire à des démissions les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse alors que les salariés arguaient du caractère équivoque de leur démission, non à raison de l'existence d'un différend antérieur ou concomitant de leur démission, susceptible de l'analyser en une prise d'acte, mais au motif de la contrainte ayant vicié leur consentement qu'elle a jugée non établie.

Commentaire

I - Volonté de démissionner : une protection doublement assurée

  • Le rôle de la volonté dans la démission

La démission peut se définir comme l'acte juridique unilatéral par lequel le salarié décide de rompre unilatéralement le contrat de travail. Contrairement au licenciement, faculté de résiliation unilatérale ouverte à l'employeur, le salarié n'a pas à justifier ni à motiver cet acte unilatéral : il s'agit donc en principe d'un acte discrétionnaire qui n'est limité que par l'abus de droit de démissionner (1), lequel n'est que très rarement sanctionné.

L'absence d'exigence de justification doit se comprendre de deux manières différentes. Dans un premier sens, le salarié n'a pas l'obligation d'avancer un quelconque motif légitime pour rompre le contrat. Dans un second sens, la démission ne doit pas avoir été motivée par l'intervention d'une volonté extérieure et, en particulier, ne doit pas avoir été suggérée ou imposée par l'employeur. Pour s'assurer que la démission ne résulte strictement que de la volonté du salarié, deux corps de règles peuvent être mobilisés : les règles tirées du droit commun des obligations protégeant la validité du consentement à un acte juridique ; les règles spécifiques au droit du travail garantissant le caractère clair et non équivoque de la volonté du salarié de démissionner.

  • Démission et vices du consentement

Si les actes juridiques unilatéraux ne sont pas encadrés par le Code civil qui réserve ses dispositions aux contrats, il est communément admis, tant par la doctrine que par la jurisprudence, que les règles applicables au contrat sont pleinement transposables aux actes unilatéraux (2). En particulier, la protection accordée aux contractants pour leur assurer la validité de leur consentement est applicable aux actes unilatéraux.

Ainsi, conformément aux règles prévues par l'article 1109 du Code civil (N° Lexbase : L1197ABX) (3), la démission ne doit pas être donnée par erreur, sous l'influence d'un dol ou sous la contrainte imposée par la violence (4). Le droit du travail a néanmoins construit son propre système de lutte contre les démissions données par des salariés sans volonté véritable : la démission doit émaner d'une volonté claire et non équivoque.

  • Volonté claire et non équivoque de démissionner

Outre une volonté exempte de vices, la démission ne peut résulter que d'une volonté claire et non équivoque.

Cela signifie, d'abord, que la volonté de démissionner ne peut résulter d'un comportement ou d'une volonté tacite du salarié. Elle doit être clairement exprimée, ne susciter aucun doute, si bien qu'il est extrêmement rare que le comportement d'un salarié -ses absences par exemple (5)- suffise à caractériser la volonté de démissionner (6). Ensuite, la volonté de démissionner ne doit pas avoir été exprimée sous le coup d'une émotion trop importante (7), de la colère (8) ou d'un état dépressif important (9). En définitive, la volonté de démissionner doit être réfléchie. Enfin, et peut être surtout compte tenu du volume important du contentieux relatif à cette question, la volonté du salarié ne doit pas avoir été influencée par l'employeur, soit que celui-ci ait proposé au salarié de démissionner (10), soit qu'il ait exercé des pressions sur le salarié pour démissionner soit (11), encore, que la faute de l'employeur dans la relation de travail ait contraint le salarié à démissionner (12).

C'est sur l'articulation de ces deux corps de règles, l'un issu du Code civil, l'autre de la jurisprudence de la Chambre sociale, que la Cour de cassation était appelée à se prononcer.

  • L'espèce

Sept salariés avaient été engagés en qualité de chauffeurs dans une entreprise d'abattage, de transformation et de distribution de porcs. L'employeur prit la décision de cesser l'activité distribution, ce qui rendait inutile l'emploi de chauffeurs, lesquels avaient démissionné. Quelques temps plus tard, les salariés saisirent le juge prud'homal afin d'obtenir le paiement de différentes sommes au titre, notamment, d'heures supplémentaires non payées mais, aussi, pour contester la validité de leur démission qu'ils jugeaient résulter d'un consentement vicié, d'une contrainte imposée par l'employeur. De cette volonté viciée résultait, selon eux, des démissions équivoques qui devaient dès lors être requalifiées en prise d'acte de la rupture de leurs contrats de travail et produire les effets de licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse.

La cour d'appel de Rennes estima que la volonté des salariés de démissionner avait été mûrement réfléchie et ne pouvait dès lors être imputée à une contrainte de l'employeur, la réalité du vice du consentement n'étant pas établie. Les juges d'appel poursuivaient en relevant que, toutefois, les salariés avaient remis en cause leurs démissions en raison de manquements de l'employeur antérieurs ou concomitants à la rupture. La réalité et la gravité de ces manquements étant avérées, la rupture devait être requalifiée en prise d'acte et produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 7 mars 2012, casse cette décision au visa des articles L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR), L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G) et, de manière bien plus étonnante, L. 1237-2 (N° Lexbase : L1390H9D) du Code du travail (13). Elle juge qu'il résultait de la décision d'appel que "les salariés arguaient du caractère équivoque de leur démission, non à raison de l'existence d'un différend antérieur ou concomitant de leur démission, susceptible de l'analyser en une prise d'acte, mais au motif de la contrainte ayant vicié leur consentement, contrainte qu'elle a jugée non établie", si bien que la cour d'appel ne pouvait sans violer les textes visés juger que les démissions s'analysaient en prises d'acte de la rupture des contrats de travail.

II - Volonté de démissionner : une double protection strictement délimitée

Sur le plan technique, cette solution est parfaitement justifiée, cela pour au moins deux raisons. La solution semble ainsi poser une nouvelle règle d'incompatibilité entre règles de validité du consentement et caractère clair et non équivoque de la démission : un refus de toute fongibilité des vices de la démission.

  • Le respect des exigences procédurales

D'abord, sur le plan purement procédural, on rappellera qu'il n'appartient pas au juge de soulever par lui même des moyens que les parties n'auraient pas porté au débat. Ainsi, si les salariés arguaient que leur démission avait été viciée par contrainte, c'est-à-dire par violence, ils ne défendaient pas que leur démission soit survenue à la suite d'une volonté équivoque. Sauf à soulever un moyen d'office, hypothèse réservée en principe aux moyens de pur droit et relevant d'une règle de principe d'importance, le juge n'a pas à se substituer aux parties dans l'administration de leurs demandes. Il était donc parfaitement légitime que la Cour de cassation reproche aux juges du fond d'avoir ajouté des arguments aux demandes des parties.

  • Des protections assurées par des sanctions différentes

Ensuite, et au-delà, il faut constater que les deux corps de règles issus pour l'un du Code civil, pour l'autre du droit du travail, diffèrent sur un point fondamental.

D'un côté, les exigences de validité du consentement tirées du droit civil sont limitativement énumérées et tiennent à l'erreur, au dol ou à la violence. Surtout, la sanction adoptée par le Code civil en cas de vice du consentement est radicale : dans ce cas, la démission est nulle si bien que, en toute logique, le salarié devrait pouvoir demander la réintégration dans son emploi.

De l'autre côté, en revanche, les exigences de caractère clair et non équivoque de la volonté de démissionner, tirées du droit du travail, ont été dégagées par la Chambre sociale de la Cour de cassation sans l'appui d'aucun texte. La sanction de cette volonté équivoque est d'une moindre intensité. La démission ne sera pas annulée, elle sera seulement requalifiée en prise d'acte et pourra potentiellement produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le salarié ne pourra pas en principe être réintégré dans l'entreprise (14).

On le voit, les deux corps de règles n'ont donc pas la même vocation : l'un est étroit, très balisé et ne donne que rarement lieu à sanction en contrepartie de quoi cette sanction est rigoureuse ; l'autre est plus ouvert, créé par le juge et la sanction, plus aisée à obtenir, doit rester moins sévère.

  • L'absence de fongibilité des vices de la volonté de la démission

On peut donc comprendre que la Chambre sociale refuse d'accueillir une sorte de fongibilité des vices de la démission (15). Rappelons à cet effet que le juge civil est autorisé à intervenir sur la qualification du vice du consentement invoqué. Si les parties invoquent un dol mais que les éléments du dol ne sont pas réunis, le juge peut parfaitement retenir une erreur ou une violence alors même que ces vices n'avaient pas été invoqués : c'est ce que l'on appelle la fongibilité des vices du consentement (16). Cette fongibilité, dont le juge prud'homal bénéficie lui aussi lorsqu'il analyse l'existence d'un vice du consentement dans la démission, ne va pas au-delà des vices du consentement du droit civil, il n'y a pas de fongibilité entre vices du consentement et caractère clair et non équivoque de la volonté de démissionner : le salarié doit choisir d'invoquer l'un ou l'autre des corps de règles ; le juge est tenu par le corps de règles invoqué.

Si cette règle est donc parfaitement justifiée sur le plan technique, elle laisse tout de même le commentateur en partie circonspect. En effet, s'il paraît raisonnable de ne pas confondre les deux corps de règles et de ne pas permettre de passer de l'un à l'autre, c'est tout de même à la condition que la distinction soit clairement faite entre vice du consentement d'une part et volonté claire et non équivoque d'autre part. Si cette distinction ne fait pas de difficulté pour certains vices -on pense par exemple au dol- elle sera en revanche beaucoup plus délicate à mettre en oeuvre s'agissant d'autres vices et, en particulier, de la contrainte, de la violence, qui peut aussi bien entrer dans l'un ou dans l'autre des deux systèmes. Un effort de délimitation sera probablement nécessaire, cela davantage encore si le contentieux de la nullité de la démission venait à s'accroître, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à ce jour.


(1) C. trav., art. L. 1237-2 (N° Lexbase : L1390H9D).
(2) Sur cette question, v. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil - Les obligations. 1. L'acte juridique, Sirey, 14ème édition, 2010, n° 489 et s..
(3) Sur la faculté implicite d'invoquer les vices du consentements issus du Code civil, v. Cass. soc., 9 mai 2007, 4 arrêts, n° 05-40.315, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0908DWK) ; n° 05-40.518, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0909DWL) ; n° 05-41.324, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0910DWM) et n° 05-42.301, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0925DW8) et les obs. de Ch. Radé, Clarifications (?) sur la distinction entre prise d'acte et démission, Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0691BB9).
(4) C'est en matière de violence que les décisions sont les plus nombreuses. V. par ex. Cass. soc., 27 juin 1984, n° 82-41.642 ; Cass. soc., 13 novembre 1986, n° 84-41.013, publié (N° Lexbase : A6222AAP) ; CA Paris, 18ème ch., sect. E, 16 novembre 2001, n° 00/39167 (N° Lexbase : A7239AYR) et les obs. de S. Koleck Desautel, Un salarié peut demander la requalification de sa démission en un licenciement lorsqu'il prouve que son employeur l'a contraint à démissionner, Lexbase Hebdo n° 25 du 30 mai 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N2965AA3).
(5) Dernièrement, v. Cass. soc., 15 février 2012, n° 10-18.427, F-D (N° Lexbase : A8722ICZ).
(6) Contra lorsque le salarié refuse le transfert de son contrat de travail à un repreneur, Cass. soc., 10-10-2006, n° 04-46.134, FS-P+B (N° Lexbase : A7707DRU) et les obs. de Ch. Radé, Le refus du salarié de voir son contrat transféré, Lexbase Hebdo n° 233 du 26 octobre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4275ALW) ; D., 2007, p. 472, note J. Mouly.
(7) Cass. soc., 24 février 1988, n° 86-41.573, inédit (N° Lexbase : A8242AGD).
(8) Cass. soc., 7 avril 1999, n° 97-40.689, inédit (N° Lexbase : A0933CPA).
(9) Cass. soc., 1er février 2000, n° 98-40.244, inédit (N° Lexbase : A9328CKP).
(10) Cass. soc., 31 mai 2011, n° 08-45.292, F-D (N° Lexbase : A3378HTB).
(11) Cass. soc., 19 octobre 2005, n° 04-42.902, F-D (N° Lexbase : A0379DLM).
(12) Le nombre d'illustrations de cette position est pléthorique. V. en dernier lieu Cass. soc., 16 novembre 2011, n° 09-71.651, F-D (N° Lexbase : A9435HZH) s'agissant d'une démission provoquée par le manquement de l'employeur à son obligation de payer les salaires.
(13) Ce dernier texte étant relatif à la sanction du salarié usant de son droit de démissionner de manière abusive, ce fondement paraît pour le moins inadapté. Il ne peut, à notre sens, que s'agir là d'une erreur matérielle sans trop grande conséquence.
(14) En principe car il faut rappeler que le juge peut proposer la réintégration du salarié en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. On sait, cependant, qu'une telle réintégration est rarissime faute de contrainte sur le juge (pour la proposition) et sur l'employeur (qui peut refuser la proposition). Sur cette question, v. Cass. soc., 14 avril 2010, n° 08-45.247, FS-P+B sur le second moyen du pourvoi principal (N° Lexbase : A0522EWA) et nos obs., Réaffirmation du caractère facultatif de la réintégration en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, Lexbase Hebdo n° 393 du 6 mai 2010 - éditions sociale (N° Lexbase : N0547BPX).
(15) La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion de juger que le salarié ne pouvait demander à la fois la nullité de la démission et la requalification de la démission en prise d'acte, cette solution préfigurant déjà l'étanchéité entre les deux corps de règles, v. Cass. soc., 17 mars 2010, n° 09-40.465, F-P+B (N° Lexbase : A8273ETL).
(16) Sur cette question, v. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil - Les obligations , Dalloz, 10ème édition, n° 252 et s..

Décision

Cass. soc., 7 mars 2012, n° 09-73.050, F-P+B (N° Lexbase : A3730IEU)

Cassation partielle, CA Rennes, 5e ch. prud., 3 novembre 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR), L. 1237-2 (N° Lexbase : L1390H9D) et L. 1235-1 (N° Lexbase : L1338H9G)

Mots-clés : démission, validité, volonté, vices du consentement, volonté claire et non équivoque

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