Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 9 février 2012, n° 330852, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3376ICZ)
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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes
le 21 Mars 2012
I - La seule circonstance qu'une prestation de service soit rendue au profit de plusieurs preneurs ne saurait permettre de la regarder comme comportant plusieurs prestations distinctes
Une opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée, pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA.
A - La prise en compte de la réalité économique constitue un critère fondamental pour l'application du système commun de TVA
La réalité économique est un critère fondamental du système commun de TVA, ainsi que le juge la Cour de justice de l'Union européenne, dans des décisions en date du 20 février 1997 (CJUE, 20 février 1997, aff. C-260/95 N° Lexbase : A9911AUM) et du 28 juin 2007 (CJUE, 28 juin 2007, aff. C-73/06 N° Lexbase : A9310DWQ). La Directive de 2006, en son article 2-1, prévoit qu'en principe chaque opération doit être considérée comme distincte et indépendante. De plus, la Cour de justice est venue préciser qu'une opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA. Dans un arrêt du 27 octobre 2005 (CJUE, 27 octobre 2005, aff. C-41/04 N° Lexbase : A0986DL4), la CJUE juge en effet qu'une opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA.
Pour l'application de ces principes, la seule circonstance qu'une prestation soit rendue au profit de plusieurs preneurs ne permet pas de la regarder comme comportant plusieurs prestations distinctes pour l'application des règles de territorialité de la TVA. Dans une telle hypothèse, il convient de vérifier si l'opération réalisée au plan économique constitue une succession d'opérations dissociables ou une opération unique complexe. Ainsi, lorsqu'une prestation de services est effectuée au profit d'un preneur qui est une entité économique composée de plusieurs personnes et que cette prestation constitue une opération économique indivisible, le critère fondamental de prise en compte de la réalité économique s'oppose à ce que cette prestation soit artificiellement décomposée pour l'application des règles de la territorialité de la TVA en plusieurs prestations de services rendues aux différentes personnes composant l'entité économique preneuse. Ce principe a une portée large puisque plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être fournies séparément, doivent être considérées comme une opération unique lorsqu'elles ne sont pas indépendantes (CJUE, 21 février 2008, aff. C-425/06 N° Lexbase : A0006D7D ou CJUE, 11 juin 2009, aff. C-572/07 N° Lexbase : A1894EIY). Dans tous les cas, c'est à partir d'une analyse objective des éléments ou actes fournis et de leurs liens que l'on détermine si l'opération est ou non indissociable.
B - Lorsque la prestation est rendue au profit de plusieurs preneurs, il y a lieu de rechercher si ladite prestation est divisible
L'article 259 B du CGI définit, pour les prestations qu'il énumère, les règles de territorialité pour la TVA. La localisation en France ou en-dehors de France d'une prestation mentionnée par cet article dépend ainsi uniquement en-dehors des hypothèses prévues par l'article 259 C du même code (N° Lexbase : L3115IGH), des lieux d'établissement du preneur et du prestataire ainsi que de la qualité d'assujetti du preneur, et non du lieu de l'exécution matérielle de la prestation. Depuis le 1er janvier 2010, le nouvel article 259 du CGI (N° Lexbase : L2727IG4) retient un principe renouvelé selon lequel le lieu des services fournis à des preneurs assujettis au sens de l'article 259-0 du CGI (N° Lexbase : L2892IG9) est situé au lieu d'établissement du preneur, quel que soit le lieu d'établissement du prestataire, ces relations sont dites "B to B" c'est-à-dire "Business to Business". L'administration a commenté ces règles dans une instruction en date du 4 janvier 2010 (BOI 3 A-1-10 N° Lexbase : X6757AGD).
La prise en compte de la réalité économique suppose une analyse du caractère divisible ou non de la prestation. En effet, lorsqu'une prestation de services est effectuée au profit d'un preneur qui est une entité économique composée de plusieurs personnes, il y a lieu de rechercher si la prestation présente un caractère divisible qui permettrait de la décomposer en plusieurs prestations distinctes dont chacune devrait être localisée en fonction du lieu d'établissement du prestataire et du lieu d'établissement de son preneur, ou si elle doit être regardée comme une prestation indivisible rendue au profit d'une entité économique unique. Lorsque la prestation constitue une opération indivisible, le preneur de la prestation doit alors être regardé comme une entité économique distincte des personnes qui le composent, alors même que cette entité n'aurait pas la personnalité morale.
Pour la détermination du lieu d'une prestation de services, lorsque le preneur dispose de plusieurs établissements, le siège de l'activité économique apparaît comme le point de rattachement prioritaire.
II - Le lieu des prestations de services fournies par un prestataire établi en France à un preneur assujetti établi à l'étranger est situé dans le pays du preneur
La règle de territorialité des prestations de services repose sur une détermination renouvelée de la détermination du siège de l'activité économique du preneur.
A - Le lieu d'établissement du preneur ou des preneurs de la prestation de services est le critère prépondérant pour l'application des règles de territorialité
La détermination du siège de l'activité économique de l'entité preneuse en vertu des dispositions de l'article 259 B du CGI est le critère de territorialité essentiel pour l'application de la TVA. L'arrêt commenté rappelle ce point et précise qu'il convient de rechercher le lieu où sont adoptées les décisions essentielles concernant sa direction générale aux fins de déterminer le siège de l'activité économique de l'entité preneuse au sens des dispositions de l'article 259 B du CGI. Pour l'application de ce même article, dans sa rédaction applicable jusqu'au 31 décembre 2009, une instruction administrative du 31 janvier 1979 (BOI 3 L-1-79) et la documentation de base 3 L-52 n° 13 du 10 mai 1996 précisaient que, par "siège de l'activité", il fallait entendre le lieu d'exploitation où l'intéressé exerçait l'ensemble de son activité, et que, dans l'hypothèse où l'activité était exercée dans des lieux différents, il convenait de se référer à la notion d'établissement, dans la mesure où celui-ci présentait un caractère de stabilité.
C'est à la technique du faisceau d'indices que recourt le Conseil d'Etat pour la détermination du lieu du siège de l'activité économique d'un assujetti à la TVA. Ces indices permettant de déterminer le lieu où sont adoptées les décisions essentielles concernant sa direction générale peuvent être le siège statutaire de la société, le lieu de son administration centrale, le lieu de réunion de ses dirigeants sociaux et celui où est arrêtée la politique générale de cette société. En l'espèce, dans son arrêt du 9 février 2012, le Conseil d'Etat juge qu'en se fondant de façon déterminante sur le lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation de concession de brevet effectuée par la société établie en France, tel que révélé notamment par l'étendue du territoire pour lequel la concession était accordée, la monnaie de paiement de la redevance et le droit régissant la convention de concession, pour en déduire que cette prestation se situait en France pour l'application de la TVA au lieu de rechercher le lieu d'établissement du preneur ou des preneurs de cette prestation, après avoir apprécié le caractère divisible ou indivisible de celle-ci au regard des pièces du dossier qui lui était soumis, la cour a méconnu les dispositions de l'article 259 B du CGI. Le lieu où sont adoptées les décisions essentielles peut être la direction générale de la société, lieu où sont exercées les fonctions d'administration centrale de celle-ci.
B - Le lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation n'est désormais que l'un des critères de rattachement territorial à retenir
Le lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation de concession de brevet effectuée par une société établie en France n'est plus le critère pertinent pour rechercher le lieu d'établissement du ou des preneurs. La circonstance que le lieu à partir duquel les activités de la société sont effectivement exercées ne soit pas situé dans un Etat membre n'exclut d'ailleurs pas pour autant la possibilité que la société y ait établi le siège de son activité économique (CJUE, 28 juin 2007, aff. C-73/06 N° Lexbase : A9310DWQ).
L'arrêt du Conseil d'Etat en date du 9 février 2012 fait du lieu d'exploitation et d'utilisation de la prestation un critère parmi d'autres d'un faisceau d'indices sur lequel il convient de s'appuyer pour mettre en oeuvre les règles de territorialité : si le lieu d'exploitation peut constituer, en fonction des circonstances, un indice concourant à la détermination du siège de l'activité économique du ou des preneurs, il ne peut être, à lui seul, un critère de rattachement territorial pour l'assujettissement à la TVA de ce ou de ces preneurs. Ce faisant, le Conseil d'Etat se place dans le prolongement, notamment, de la position de la CJUE, tel qu'édictée dans un arrêt du 19 février 2009 (CJUE, 19 février 2009, aff. C-1/08 N° Lexbase : A2882ED4).
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