La lettre juridique n°477 du 15 mars 2012 : Permis de conduire

[Jurisprudence] La CEDH sanctionne l'impossibilité pour les automobilistes français de contester en justice une contravention routière

Réf. : CEDH, 8 mars 2012, Req. 12039/08 (N° Lexbase : A0666IEE), Req. 14166/09 (N° Lexbase : A0667IEG), Req. 39243/10 (N° Lexbase : A0668IEH)

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 14 Mars 2012

Dans trois décisions rendues le 8 mars 2012, la Cour de Strasbourg a jugé que l'impossibilité de contester le rejet d'une demande d'exonération de contravention routière a porté atteinte au droit d'accès à un tribunal. Les deux premières affaires (CEDH, 8 mars 2012, Req. 12039/08 et 14166/09) concernaient deux automobilistes français qui avaient reçu un avis de contravention de quatrième classe pour excès de vitesse à la suite d'un flash. Ils avaient adressé à l'officier du ministère public (OMP) un formulaire de requête en exonération, demandant à prendre connaissance du cliché. Leur requête avait été rejetée, l'OMP ayant, par ailleurs, encaissé la consignation équivalant au montant de l'amende forfaitaire, considérée comme payée. La troisième affaire (CEDH, 8 mars 2012, Req. 39243/10) était relative à une contravention de stationnement, également contestée par le contrevenant, qui avait reçu un avis d'amende forfaitaire majorée. L'OMP avait jugé la contestation irrecevable, mais avait omis d'en avertir le requérant. Ce n'est qu'une fois reçue la mise en demeure de payer par voie d'huissier, alors que le délai pour saisir le juge de proximité était expiré, que les requérants ont appris le rejet de leur requête. Dans ces trois affaires, la CEDH juge que l'impossibilité de contester le rejet de la demande d'exonération de contravention routière a bien porté atteinte au droit d'accès des intéressés à un tribunal, et, partant à l'article 6 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR). Plus précisément, les juges strasbourgeois estiment que l'OMP, en déclarant irrecevable la requête en exonération, a excédé son pouvoir d'appréciation, lequel se cantonne initialement à l'examen de la recevabilité formelle de la contestation, le seul ministère public, sous le contrôle du tribunal de police, pouvant, toutefois, apprécier la recevabilité d'une réclamation formée par un contrevenant (Cass. civ. 2, 18 octobre 2001, n° 00-16.597 N° Lexbase : A4706AW9). Par ailleurs, dans les deux premières affaires, la décision d'irrecevabilité a entraîné l'encaissement de la consignation l'extinction de l'action publique sans que la contestation ait pu être examinée par un tribunal au sens de l'article 6 § 1. Dans la troisième affaire, omettant d'aviser le requérant du rejet de sa réclamation, l'irrégularité est encore plus flagrante puisque l'OMP a lui-même statué sur le bien-fondé de la réclamation. Dans les trois dossiers, il a donc été porté atteinte au droit d'accès à un tribunal "dans sa substance même", voire à l'atteinte au droit des intéressés à la présomption d'innocence.

I - La recevabilité des requêtes

Dans les affaires 12039/08 et 14166/09, le Gouvernement allègue l'irrecevabilité de la requête, faute pour le requérant d'avoir épuisé les voies de recours internes. Selon les autorités françaises, ce dernier avait la possibilité, en application de l'article 530-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8069G7Y), de soulever devant la juridiction de proximité un incident contentieux relatif à l'exécution du titre exécutoire (Cass. crim., 29 mai 2002, n° 01-87.396, FS-P+F N° Lexbase : A8858AYQ ; Cass. avis du 5 mars 2007, n° 0070004P N° Lexbase : A3996ICY). Il se réfère, en outre, à la décision n° 2010-38 QPC du septembre 2010 (Cons. const., décision n° 2010-38 QPC, du 29 septembre 2010 N° Lexbase : A4883GA4), par laquelle le Conseil constitutionnel déclare l'article 529-10 du même code, alors en vigueur (N° Lexbase : L0860DYI), et qui fixe les conditions de recevabilité communes à la requête en exonération contre une amende forfaitaire et à la réclamation contre une amende forfaitaire majorée, conforme à la Constitution. De son côté, le requérant objectait que l'article 530-2 précité n'est applicable qu'en présence d'une amende forfaitaire majorée rendue exécutoire. Or, en l'espèce, l'amende forfaitaire n'avait pas été majorée puisqu'elle avait été payée par conversion du paiement de la consignation.

La Cour rappelle, tout d'abord, que seules les voies de recours effectives et propres à redresser la violation alléguée doivent être épuisées. Plus précisément, les dispositions de l'article 35 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L4770AQQ) ne prescrivent l'épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats ; ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie, mais aussi en pratique. L'Etat défendeur, s'il plaide le non-épuisement, doit donc démontrer que ces conditions se trouvent réunies (CEDH, 6 janvier 2011, Req. 34932/04 N° Lexbase : A7281GNY). Elle a, par ailleurs, déjà jugé que la possibilité prévue par l'article 530-2 du Code de procédure pénale de soulever devant le juge un incident contentieux relatif à l'exécution du titre exécutoire ne constitue pas un recours effectif (CEDH, 21 mai 2002, Req. 32872/96 N° Lexbase : A6933AYG). Celui-ci ne permet pas de remédier au grief du requérant, qui consistait à mettre en cause le rejet de sa demande d'exonération de l'amende forfaitaire, la validité de la motivation de la décision de l'OMP rejetant sa réclamation contre l'amende forfaitaire majorée, ainsi que l'entrave subséquente à son droit d'accès à un tribunal pour contester la réalité de l'infraction reprochée.

En effet, en application de l'article R. 49-18 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6010IMK), la requête en exonération ayant été déclarée irrecevable par l'officier du ministère public, la consignation acquittée par le requérant a été considérée comme valant paiement de l'amende forfaitaire, le mode d'enregistrement et de contrôle des informations relatives aux infractions au Code de la route pouvant conduire à considérer que la réalité de l'infraction est établie (voir CAA Nancy, 4ème ch., 10 janvier 2011, n° 09NC01680, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4967GQZ, et CE 4° et 5° s-s-r., 24 juillet 2009, n° 312215, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1321EK7). De ce fait, la procédure n'a pas donné lieu à l'amende forfaitaire majorée prévue par l'article 529-2 du même code (N° Lexbase : L0857DYE), seule susceptible, aux termes de cet article, d'aboutir à un titre exécutoire. Il n'y a donc pas eu de titre exécutoire susceptible de fonder l'application de l'article 530-2 précité. Il s'en déduit logiquement que le requérant n'avait pas accès à la procédure prévue par cette disposition.

II - Le fond des requêtes

Le requérant soutient que la consignation qu'il a versée ne pouvait être assimilée au paiement de l'amende forfaitaire au sens de l'article 49-18 du Code de procédure pénale ; elle était, en effet, concomitante d'une requête en exonération accompagnée d'une lettre dans laquelle il indiquait très clairement contester l'infraction qui lui était imputée au motif que la preuve de la matérialité de l'infraction n'était pas rapportée. Le Gouvernement français, quant à lui, soulignait que la requête en exonération du requérant pouvait légitimement passer pour non motivée, et que le but du système procédural simplifié de la procédure d'amende forfaitaire -éviter l'encombrement du rôle des juridictions par des affaires d'infractions routières- avait été jugé légitime par la CEDH (CEDH, 30 juin 2009, Req. 49852/06 N° Lexbase : A4978IE4).

Les juges strasbourgeois indiquent que le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations implicites, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d'un recours. Le requérant avait bien entamé les démarches nécessaires, puisqu'il avait adressé à l'OMP, dans les formes et délai prescrits, le formulaire intitulé "formulaire de requête en exonération" joint à l'avis de contravention sur lequel il avait coché la case correspondant à la troisième situation ("autre motif ou absence des justificatifs ou des documents demandés"). Le formulaire était dûment accompagné de l'avis de contravention, d'un document établissant que le requérant avait réglé la consignation et d'une lettre intitulée "mémoire", dans laquelle il soulignait que la production du cliché ne pouvait être subordonnée à un paiement et exposait, notamment, ce qui suit : "[...] En l'absence de tout élément de fait susceptible d'établir l'infraction qui lui est reprochée, le mis en cause ne peut se déterminer sur la reconnaissance ou la contestation de l'infraction. Il y a là une atteinte caractérisée aux droits de la défense, incompatible avec la présomption d'innocence, dont la Cour européenne des droits de l'Homme est le garant. Je conteste fermement l'infraction qui m'est imputée".

L'article 530-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7596IMB) énonce que, chargé de vérifier les conditions de recevabilité des requêtes en exonération, l'OMP a trois possibilités : soit renoncer à l'exercice des poursuites, soit saisir la juridiction compétente, soit, lorsque la requête n'est pas motivée ou n'est pas accompagnée de l'avis, aviser l'intéressé de son irrecevabilité. En l'espèce, il a considéré que la requête était irrecevable au motif qu'il s'agissait d'une "requête ou réclamation non motivée". Or, comme indiqué précédemment, le requérant avait clairement indiqué contester l'infraction, et précisé ses motifs dans la lettre accompagnant sa requête en exonération. En outre, le pouvoir d'appréciation de l'OMP se limite normalement à l'examen de la recevabilité formelle de la contestation. Sa décision de rejeter la requête en exonération "en raison du non respect des règles impératives prescrites par l'article 529-10 du Code de procédure pénale", la lettre précisant que "le motif du rejet est : requête ou réclamation non motivée", pouvait donc précisément caractériser le fait qu'il avait excédé ses pouvoirs. Cette même lettre ajoutait : "conformément aux dispositions de l'article R. 49-18 du Code de Procédure Pénale, la somme versée est considérée comme un paiement de l'amende forfaitaire ou de l'amende forfaitaire majorée, sous réserve que ce montant corresponde à celui de l'amende due. Le cas échéant, vous devez payer le complément au centre d'encaissement des amendes [...]".

La décision d'irrecevabilité de l'OMP ayant entraîné de manière automatique l'encaissement de la consignation équivalant au paiement de l'amende forfaitaire, un "tribunal", au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH, n'avait donc pu examiner le fondement de l'"accusation" dirigée contre le requérant et pu juger du bien-fondé de ses arguments. Or, c'est justement dans l'hypothèse où cette requête est déclarée irrecevable par l'OMP que le tribunal peut régulièrement être saisi (Cass. crim., 25 octobre 2000, n° 00-82.939 N° Lexbase : A9974CIA). La CEDH relève, enfin, que dans sa décision n° 2010-38 QPC du 29 septembre 2010 précitée, le Conseil Constitutionnel avait jugé que, dans le cas où l'officier du ministère public déclare irrecevable une requête en exonération contre une amende forfaitaire après que le requérant a payé la consignation et où la déclaration d'irrecevabilité a pour effet de convertir le paiement de la consignation en paiement de l'amende, l'impossibilité de saisir la juridiction de proximité d'un recours contre cette décision est incompatible avec le "droit à un recours juridictionnel effectif".

Dans la troisième affaire (CEDH, 8 mars 2012, Req. 39243/10), c'est, là aussi, le caractère d'automaticité de la sanction qui était contestée. La CEDH juge que les requérants ont bien effectué les démarches qui leur étaient imposées, puisque, dans les formes et délais requis, une requête en exonération de l'amende forfaitaire, dûment motivée et accompagnée de l'avis correspondant à la contravention litigieuse, avait été envoyée à l'OMP. Ils ont tout de même reçu une mise en demeure de payer assortie d'un avertissement aux termes duquel "à défaut de paiement immédiat, toutes les mesures d'exécution seront engagées sans autres avis". Or, aux termes des articles 530 (N° Lexbase : L7597IMC) et R. 49-8 (N° Lexbase : L0885ACR) du Code de procédure pénale, une réclamation recevable entraîne l'annulation du titre exécutoire et l'OMP est tenu d'en informer sans délai le Trésor (Cass. crim., 29 octobre 1997, n° 97-81.904 N° Lexbase : A4944CKC). Le fait que la procédure en recouvrement s'est poursuivie indique que l'OMP a traité la réclamation des requérants comme étant irrecevable, mais le ministère public a, en outre, omis d'aviser les requérants du rejet de celle-ci. L'OMP a donc lui-même statué sur le bien-fondé de la réclamation, privant ainsi les requérants de l'examen par la juridiction de proximité de l'"accusation" dont il est question. Le droit d'accès à un tribunal des requérants s'étant, là aussi, trouvé atteint dans sa substance même, il y a donc eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

Ces trois décisions sont donc susceptibles de rappeler aux autorités françaises que, si une répression sévère s'impose pour faire baisser le nombre des victimes de la route, les automobilistes ont, également, des droits à faire valoir, et au premier chef, celui de pouvoir accéder à un tribunal s'ils désirent pouvoir contester les infractions routières qui leur sont reprochées.

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