Réf. : CEDH, 19 janvier 2012, Req. n° 39472/07 et n° 39474/07 (N° Lexbase : A1647IBM)
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N0052BT4
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz
le 09 Février 2012
Le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la rétention pour une durée de quinze jours par une décision du 29 août 2007 et les requérants furent conduits au même aéroport pour une seconde tentative d'expulsion qui connût un nouvel échec le 11 septembre 2007. Le juge des libertés et de la détention constatant que l'échec de l'embarquement n'était pas du fait des requérants, ordonna, alors, leur remise en liberté par décision du 12 septembre 2007, l'obligation de quitter le territoire étant maintenue. Le 14 septembre 2007, la cour d'appel de Rouen infirma la décision du juge des libertés et de la détention et prolongea la mesure de rétention administrative pour une durée de quinze jours, considérant que certaines pièces au dossier permettaient d'affirmer que l'échec de l'embarquement était bien du fait des requérants (1).
Le statut de réfugié demandé par les requérants avant leur arrestation leur fut octroyé le 16 juillet 2009 par la Cour nationale du droit d'asile, au motif que l'enquête menée par la préfecture des Ardennes auprès des autorités kazakhstanaises, au mépris de la confidentialité des demandes d'asile, avait mis les requérants en danger en cas de retour au Kazakhstan (2). Deux requêtes furent, alors, déposées devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Les requérants alléguant, en particulier, que leur rétention administrative pendant quinze jours au centre de rétention administrative dans l'attente de leur expulsion vers le Kazakhstan, pays où ils craignaient d'être persécutés, violait les articles 3 (N° Lexbase : L4764AQI), 5 (N° Lexbase : L4786AQC) et 8 de la Convention.
Concernant, tout d'abord, la mise en cause pour traitements inhumains et dégradants prévue à l'article 3, la Cour conclut que les autorités n'ont pas pris la mesure des conséquences inévitablement dommageables pour les enfants d'un enfermement en centre de rétention, dont les conditions ont dépassé le seuil de gravité exigé par cet article. La durée de rétention des enfants, sur une période de quinze jours, si elle n'apparaît pas excessive en soi, peut être ressentie comme infiniment longue par eux, compte tenu de l'inadéquation des infrastructures à leur accueil et à leur âge. Ainsi, les conditions dans lesquelles les enfants ont été détenus, pendant quinze jours, dans un milieu d'adultes, confrontés à une forte présence policière, sans activités destinées à les occuper, ajoutées à la détresse des parents, étaient manifestement inadaptées à leur âge. Les deux enfants, une fillette de trois ans et un bébé, se trouvaient dans une situation de particulière vulnérabilité, accentuée par la situation d'enfermement. Ces conditions de vie ne pouvaient qu'engendrer pour eux une situation de stress et d'angoisse, et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes sur leur psychisme. En revanche, concernant les parents, le fait ne pas avoir été séparés de leurs enfants pendant la rétention a nécessairement apaisé le sentiment d'impuissance, d'angoisse et de frustration que la rétention administrative dans un centre collectif a dû créer chez eux.
Concernant la mise en cause au titre du droit à la liberté et à la sûreté prévu par l'article 5 de la Convention, la Cour considère que, bien que les enfants aient été placés dans une aile destinée aux familles avec leurs parents, leur situation particulière n'a pas été prise en compte par les autorités qui n'ont pas non plus recherché si une solution alternative à la rétention administrative était envisageable. La Cour conclut donc à la violation de l'article 5 § 1 f) de la CESDH concernant les enfants, mais elle va encore plus loin concernant les enfants, considérant que ceux-ci tombent dans un vide juridique ne leur permettant pas d'exercer un tel recours. En effet, ils n'ont fait l'objet ni d'un arrêté d'expulsion, ni d'un arrêté de placement en rétention administrative qu'ils auraient pu contester. La Cour conclut donc à la violation de l'article 5 § 4 de la CESDH (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention) concernant les enfants.
Enfin, concernant la mise en cause au titre du droit au respect de la vie familiale prévu à l'article 8 de la Convention, la Cour rappelle le large consensus, notamment en droit international, selon lequel l'intérêt des enfants doit primer dans toutes les décisions les concernant (3) et elle estime, dans cette logique, que cet intérêt supérieur ne commande pas seulement la préservation de l'unité familiale mais aussi la limitation de la détention des familles accompagnées d'enfants. Dans les circonstances des requérants, une détention de quinze jours en centre fermé était disproportionnée par rapport au but poursuivi. La Cour conclut donc à la violation de l'article 8 de la CESDH.
En jugeant de la sorte, la Cour ne condamne pas directement la détention de familles d'étrangers accompagnés d'enfants, mais elle encadre strictement les conditions d'une telle détention en développant les exigences conventionnelles incitant les Etats à y renoncer. Ce n'est pas la rétention de mineurs qui suscite, en soi, le constat de violation mais le fait que le centre concerné était ici "inadapté" pour les accueillir. Au-delà de cet élément, l'arrêt de la Cour est essentiel en ce qu'il témoigne du développement constant de la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant que ce soit au titre des traitements inhumains et dégradants (CESDH, art. 3) ou au titre du droit au respect de la vie familiale (CESDH, art. 8). En cela, l'arrêt étend l'applicabilité du droit au respect de la vie familiale lorsque c'est l'ensemble de la famille qui fait l'objet de la privation de la liberté en se fondant essentiellement sur "l'intérêt supérieur de l'enfant" (II), tout en mettant en avant ce même impératif de protection spécifique des enfants dans la qualification aujourd'hui incertaine des traitements inhumains et dégradants (I).
I - La mise en avant de l'impératif de protection spécifique des enfants dans la qualification incertaine de traitements inhumains et dégradants
En elle-même, la rétention de jeunes enfants, accompagnant leurs parents objet d'une procédure d'éloignement du territoire, ne constitue pas un traitement inhumain et dégradant. La réponse est négative aussi bien de la part des juridictions internes que de la part de la Cour européenne, même si elles ne l'ont pas exprimée de manière identique. La Cour de cassation a, par exemple, expressément rejeté la qualification de traitement inhumain et dégradant (A), tandis que la Cour européenne s'est contentée de réserver cette qualification à des circonstances de rétention particulières. C'est ce qui ressort encore de l'arrêt commenté, même si la Cour a renforcé ces critères au seuil de gravité des traitements inhumains et dégradants (B).
A - La rétention d'enfants accompagnant leurs parents n'est pas, par principe, interdite par les juridictions internes
Les juridictions internes se sont prononcées à plusieurs reprises sur la pratique du placement en rétention administrative d'enfants accompagnant leurs parents, en vue de leur éloignement. Concernant le juge judiciaire, après des juges de la liberté et de la détention, deux magistrats de cours d'appel, à Toulouse et à Rennes, devant lesquels il était plaidé l'irrégularité d'une procédure au motif que, par principe la retenue de très jeunes enfants auprès de leurs parents en centre de rétention est "inhumaine" tant pour cet enfant que pour ses parents, ont pu retenir le traitement inhumain au sens de l'article 3 de la CESDH (4). Mais la Cour de cassation n'a pas partagé cet avis. Dans deux arrêts du 10 décembre 2009 (5), elle a jugé dans des termes identiques qu'"en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, en l'espèce, un traitement inhumain ou dégradant, le premier président a violé [l'article 3 de la Convention]".
Ces arrêts de la Cour de cassation rappellent que l'obligation faite aux juges de veiller au respect par les autorités nationales des dispositions de la Convention européenne des droits de l'Homme ne peut les conduire à refuser d'appliquer une loi pour des motifs abstraits d'ordre général et qu'ils ne peuvent écarter l'application d'une disposition légale qu'après avoir recherché la façon concrète dont elle est mise en oeuvre. Aussi, ce n'est que s'il est établi que l'application de la loi en question aux situations de fait dont ils sont saisis serait de nature à constituer une violation de la Convention européenne qu'ils doivent en écarter l'application. En clair, la Cour de cassation ne dit pas si oui ou non le maintien d'enfants dans un centre de rétention est "inhumain" au sens de la Convention. Elle ne ferme la porte à aucune hypothèse.
En revanche, les juges chargés de statuer ne doivent pas se contenter d'une affirmation de principe. Ils doivent, en conséquence de ces deux arrêts, vérifier très concrètement, dans le centre de rétention où se trouve la famille concernée, dans quel environnement évolue le très jeune enfant et ses parents, de quels moyens disposent ces derniers pour s'en occuper, s'il existe un risque pour sa santé physique ou psychologique, et, plus largement, quelles sont les conséquences pour l'ensemble de la famille de la rétention en milieu clos. Ce n'est qu'après avoir pris connaissance de la situation réelle que le juge peut dire s'il existe un traitement "inhumain" au sens du droit européen.
En ce qui concerne la jurisprudence administrative, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 12 juin 2006 (6), a rejeté les requêtes des associations de défense des étrangers qui demandaient l'annulation du décret n° 2005-617 du 30 mai 2005 (N° Lexbase : L7926G83), relatif à la rétention administrative et aux zones d'attente pris en application des articles L. 111-9 (N° Lexbase : L0464HLR), L. 551-2 (N° Lexbase : L5065IQN), L. 553-6 (N° Lexbase : L5866G4Z) et L. 821-5 (N° Lexbase : L5957G4E) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (7) "en tant qu'il organise le placement en rétention administrative de familles, y compris de mineurs". Concernant la rétention des familles, il considéra que l'article 14 du décret en cause n'avait pas pour objet, ni pour effet, de permettre aux autorités préfectorales de prendre des mesures privatives de liberté à l'encontre des familles des personnes placées en rétention, mais qu'il visait seulement à organiser l'accueil de ces familles. Le Conseil d'Etat en conclut que le pouvoir réglementaire était compétent pour édicter de telles dispositions qui n'étaient contraires ni au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni à la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989 (N° Lexbase : L6807BHL).
B - Des critères aujourd'hui renforcés quant au seuil de gravité des traitements inhumains et dégradants
Ce n'est pas la première fois que le juge européen statue sur la présence dans un centre de rétention d'une famille. La Cour européenne des droits de l'Homme, dans un arrêt du 19 janvier 2010 concernant la Belgique (8), a, ainsi, eu à statuer sur la présence, dans un centre de rétention, d'une famille russe (ayant transité par la Pologne) comprenant quatre enfants respectivement âgés de 7 mois, 3 ans, 5 ans et 7 ans (le séjour ayant duré du 22 décembre 2006 au 24 janvier 2007) pour affirmer que, "compte tenu du bas âge des enfants requérants, de la durée de leur détention et de leur état de santé, diagnostiqué par des certificats médicaux pendant leur enfermement, la Cour estime que les conditions de vie des enfants requérants [...] avaient atteint le seuil de gravité exigé par l'article 3 de la Convention et emporté violation de cet article".
Pourtant, le juge européen ne prône pas une interdiction de principe et rejoint en cela, notamment, la jurisprudence de la Cour de cassation. Si les conditions matérielles d'accueil sont satisfaisantes et appropriées, il n'y a pas violation de la disposition conventionnelle. La Cour, dans l'arrêt d'espèce, accepte le principe sous réserve de stricts aménagements conjoncturels qui ne semblent pas exister ici dans les faits. C'est dans l'appréciation plus sévère de ces éléments conjoncturels que se situe la novation majeure de l'arrêt. La Cour confirme la prise en compte plus nette de l'impératif de protection spécifique dont les enfants doivent bénéficier. C'est en s'appuyant, notamment, sur les mêmes motifs que les cours d'appel précitées, les rapports de la Cimade, du Défenseur des enfants, de la Commission nationale de déontologie et de sécurité (toutes deux aujourd'hui dissoutes dans le Défenseur des droits), et du Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, que la Cour justifie la mise en avant des intérêts supérieurs des enfants en la matière.
La Cour fait reposer l'inadéquation des locaux de rétention des enfants sur trois éléments conjoncturels : d'abord, sur le fait que les infrastructures ne soient pas adaptées à la présence d'enfants (§ 95), d'autant plus que le droit français n'explicite pas ce qui est précisément nécessaire à l'accueil des familles (9). Ensuite, elle retient le critère lié à l'âge des enfants. Le Gouvernement français estimait que "l'âge des enfants requérants était tel qu'il ne leur permettait pas vraiment de se rendre compte de leur environnement" (§ 84). Pour la Cour, la fillette de trois ans et le bébé se trouvaient inversement "dans une situation de particulière vulnérabilité, accentuée par la situation d'enfermement" (§ 101). Les conditions de vie ne pouvaient qu'engendrer pour les enfants "une situation de stress et d'angoisse et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes sur le psychisme" (§ 101). L'absence d'éléments de preuve sur les troubles psychologiques des enfants ne suffit pas à exempter le Gouvernement français en la matière. Enfin, la Cour met en avant la durée de la détention des mineurs qui, même si elle n'apparaît pas excessive en soi, "peut-être ressentie comme infiniment longue par eux, compte tenu de l'inadéquation des infrastructures à leur accueil et à leur âge" (§ 100).
Elle estime, ensuite, que, "compte tenu du bas âge des enfants, de la durée de leur détention et des conditions de leur enfermement dans un centre de rétention, les autorités n'ont pas pris la mesure des conséquences inévitablement dommageables pour les enfants. Elle considère que les autorités n'ont pas assuré aux enfants un traitement compatible avec les dispositions de la Convention et que celui-ci a dépassé le seuil de gravité exigé par l'article 3 de la Convention. Partant il y a eu violation de cet article à l'égard des enfants" (§ 103).
Au final, si l'impératif de protection spécifique des enfants justifie une tolérance de plus en plus faible pour le juge européen dans la prise en compte des traitements inhumains et dégradants, il va, également, permettre à ce même juge d'étendre l'applicabilité du droit au respect de la vie familiale lorsque c'est l'ensemble de la famille qui fait l'objet de la privation de la liberté, toujours en se fondant essentiellement sur "l'intérêt supérieur de l'enfant".
II - L'extension de l'applicabilité du droit au respect de la vie familiale à l'ensemble de la famille faisant l'objet de la rétention
Le fait que les juges nationaux et le juge européen n'interdisent pas, par principe, la rétention de jeunes migrants accompagnés de leurs parents peut, à certains égards, être une solution qui, humainement, n'est pas satisfaisante. Le caractère incertain de la condamnation pour traitements inhumains et dégradants, malgré des seuils de gravité de plus en plus bas, ne permet pas entièrement de garantir une protection adéquate. La mise en avant de l'intérêt supérieur de l'enfant (A) va permettre, en l'espèce, au juge d'aller encore plus loin dans cette protection par la reconnaissance, pour la première fois de façon certaine, de l'applicabilité du droit au respect de la vie familiale à l'ensemble de la famille faisant l'objet de la rétention (B).
A - La mise en avant de l'intérêt supérieur de l'enfant
Il existe un principe fondamental selon lequel l'enfant n'a pas à être dans un lieu privatif de liberté s'il n'a pas commis d'infraction, ce principe pouvant être adossé à la fois à l'article 5 de la Convention et à l'article 37 de la Convention internationale des droits de l'enfant. En droit des étrangers, la prohibition de la rétention des mineurs est indirectement consacrée. Le mineur étranger est, en effet, protégé contre toute mesure d'éloignement : expulsion (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 521-4 N° Lexbase : L5789G48), arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et obligation de quitter le territoire français (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 511-4 N° Lexbase : L7191IQE), mais aussi interdiction du territoire puisqu'il s'agit d'une peine que les tribunaux pour enfants ne peuvent prononcer (10). De cette protection, il faut déduire qu'un mineur ne peut être placé dans un centre de rétention en raison de sa propre situation irrégulière ou en raison d'infractions commises par lui sur le territoire français. Toutefois, le "principe" de la prohibition de la détention d'un mineur non délinquant n'est pas applicable dans deux hypothèses : un mineur faisant l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire national, qu'il soit ou non isolé, peut être "maintenu dans une zone d'attente [...] pendant le temps strictement nécessaire à son départ" (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 221-1 N° Lexbase : L5034IQI) (11) et, si le mineur ne peut pas lui-même être éloigné, il peut être placé en centre de rétention avec ses parents condamnés à un départ forcé.
C'est là que la jurisprudence met aujourd'hui en avant et développe de manière constante et à titre principal la notion "d'intérêt supérieur de l'enfant". La Cour souligne qu'il existe actuellement un large consensus -y compris en droit international- autour de l'idée que, dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (§ 140). La Cour rappelle que la Convention internationale des droits des enfants prévoit, à l'article 37, que "tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge [...]". La Cour rappelle aussi sa jurisprudence à propos de l'enfermement des mineurs étrangers, notamment celle sur la détention d'enfants dans des lieux de privation de liberté dans l'attente de leur expulsion. Dans un arrêt rendu le 5 avril 2011 (12), la Cour a conclu, dans le cas d'un mineur isolé maintenu, que les conditions de rétention étaient si déplorables qu'elles portaient atteinte à l'essence même de la dignité humaine, qu'elles s'analysaient en elles-mêmes et sans prendre en considération la durée de détention, en un traitement dégradant contraire à l'article 3 de la Convention. Enfin, la Cour relève, toujours dans l'idée du consensus général, que le Haut Commissariat pour les réfugiés, la Commission nationale de déontologie de la sécurité et le défenseur des enfants se sont prononcés en faveur de mesures alternatives à la détention.
Dans cette logique et au-delà du caractère tout de même incertain de la condamnation sur le fondement des traitements inhumains et dégradants (CESDH, art. 3), la Cour applique pour la première fois le grief tiré du droit au respect de la vie familiale (CESDH, art. 8) lorsque c'est l'ensemble de la famille qui fait l'objet de la mesure de rétention.
B - L'applicabilité dorénavant certaine du droit au respect de la vie familiale
Lorsque c'est l'ensemble de la famille qui fait l'objet de la mesure de rétention, la Cour écartait jusqu'à maintenant le grief tiré de l'article 8 de la CESDH et le droit au respect de la vie familiale en estimant qu'il ne pouvait y avoir un problème de réunification familiale dans la mesure où les requérants et leurs enfants étaient détenus ensemble (13). Mais, en s'appuyant sur les derniers développements jurisprudentiels concernant l'intérêt supérieur de l'enfant dans la rétention des jeunes migrants, la Cour renverse cette jurisprudence. Elle le fait en soulignant qu'elle est "consciente de ce qu'un grief similaire a précédemment été déclaré irrecevable concernant la détention de quatre enfants avec leur mère pour une durée d'un mois, et alors qu'aucune alternative à la détention n'avait été envisagée" (§ 147), mais elle estime aujourd'hui que "l'intérêt supérieur de l'enfant ne peut se limiter à maintenir l'unité familiale mais que les autorités doivent mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires afin de limiter autant que faire se peut la détention de familles accompagnées d'enfants et préserver effectivement le droit à une vie familiale" (§ 147).
La Cour part donc du principe que le seul fait que la cellule familiale soit maintenue ne garantit pas nécessairement le respect du droit à une vie familiale et, notamment, lorsque la famille est détenue. Elle considère, ainsi, "que le fait d'enfermer les requérants dans un centre de rétention, pendant quinze jours, les soumettant à la vie carcérale inhérente à ce type d'établissement, peut s'analyser comme une ingérence dans l'exercice effectif de leur vie familiale" (§ 134). Cette ingérence n'encourt pas nécessairement violation de l'article 8 de la CESDH si elle bénéfice d'une base légale et poursuit des but légitimes ce qui est, d'ailleurs, le cas en l'espèce (14). Pour autant, la Cour juge la mesure disproportionnée et met en avant toute une série de reproches par rapport aux autorités françaises. En l'espèce, les requérants "ne présentaient pas de risque particulier de fuite nécessitant leur détention" (§ 145). Leur enfermement "n'apparaissait pas justifié par un besoin social impérieux, et ce, d'autant plus que l'assignation dans un hôtel durant la première phase de leur rétention administrative ne semble pas avoir posé de problème" (§ 145). La Cour mettant surtout en avant qu'il "ne ressort pas des éléments communiqués par le Gouvernement qu'une alternative à la détention ait été envisagée, assignation à résidence ou, à l'instar de la préfecture du Maine-et-Loire, maintien en résidence hôtelière" (§ 146). Enfin, pour la Cour, "il ne ressort pas des faits en présence que les autorités aient mis en oeuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d'expulsion et limiter le temps d'enfermement. En effet, les requérants furent maintenus pendant quinze jours sans qu'aucun vol ne soit organisé" (§ 146).
Il ressort au final de l'arrêt une tendance au développement constant dans la jurisprudence européenne de "l'intérêt supérieur de l'enfant". La position européenne ne condamne pas nécessairement la position des juges nationaux et, notamment, la Cour de cassation. Si les positions sont opposées, elles ne sont pas, pour autant, inconciliables. Mais, à travers la décision d'espèce, la jurisprudence européenne met, néanmoins, en place une protection plus énergique, la tolérance envers la détention de familles d'étrangers accompagnées d'enfants devenant de plus en plus faible. Il n'y a toujours pas de condamnation de principe et en soi d'une telle pratique, puisque l'exclusion de principe de la rétention pour les enfants entraînerait l'exclusion de principe de la rétention pour les parents. Mais, au final, l'interdiction de principe est-elle si illégitime ? Le fait de privilégier l'assignation à résidence sur la prolongation de la rétention s'il existe des enfants en bas âge semble aujourd'hui, en tout cas, de plus en plus légitime (15).
(1) En l'occurrence, un courriel envoyé par l'un des officiers de la police de l'air et des frontières mentionnant la nécessité d'une escorte pour le prochain éloignement au vu de la réception de Mme X. Le prochain vol avec escorte pour éloigner les requérants ne pouvant intervenir avant le 18 septembre 2007, le préfet n'avait pas fait preuve d'un manque de diligence pour organiser le départ et limiter le temps de la détention.
(2) L'OFPRA avait rejeté la demande au motif du caractère général des faits allégués et qui, assorti à l'invraisemblance du chantage exercé par les autorités kazakhstanaises ne permettaient pas d'établir leur réalité.
(3) La Cour relève, à ce titre, que la France compte parmi les trois seuls pays européens qui recourent systématiquement à la rétention de mineurs accompagnés ; cf. Rapport de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen (LIBE) de décembre 2007.
(4) CA Rennes, 29 septembre 2008, n° 271/2008 ; CA Toulouse, 21 février 2008, n° 08/00088 (N° Lexbase : A9815IB7).
(5) Cass. civ. 1, 10 décembre 2009, n° 08-21.101, FP-P+B+I (N° Lexbase : A4183EPM), Bull. civ. I, n° 250 ; Cass. civ. 1, 10 décembre 2009, n° 08-14.141, FP-P+B+I (N° Lexbase : A4182EPL), Bull. civ. I, n° 249.
(6) CE 2° et 7° s-s-r., 12 juin 2006, n° 282275, mentionné au tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9349DPX).
(7) JO du 31 mai 2005, p. 9658.
(8) CEDH, 19 janvier 2010, Req. 41442/07 (N° Lexbase : A2046ER9). A ce sujet, lire les obs. d'Adeline Gouttenoire, Papa, maman et moi en centre de rétention..., Lexbase Hebdo n° 384 du 19 février 2010 - édition privée (N° Lexbase : N2454BN9).
(9) Décret n° 2005-617 du 30 mai 2005 précité, art. 14, et C. entr. séj. étrang. et asile, art. R. 553-3 (N° Lexbase : L1743HWH).
(10) Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, relative à l'enfance délinquante, art. 20-4 (N° Lexbase : L4633AGP), JO, 4 février 1945, p. 530.
(11) Cette zone d'attente est matériellement distincte et séparée des "zones de rétention" où peuvent être placées les personnes visées par une mesure d'éloignement.
(12) CEDH, 5 avril 2011, Req. 8687/08 (N° Lexbase : A5687HML).
(13) CEDH, 19 janvier 2010, Req. 41442/07, préc.., § 98.
(14) La base légale est l'article L. 554-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5867G43). Concernant le but poursuivi par la mesure litigieuse, la Cour constate "qu'elle a été prise dans le cadre de la lutte contre l'immigration clandestine et du contrôle de l'entrée et du séjour des étrangers sur le territoire. Cette action peut se rattacher à des objectifs tant de protection de la sécurité nationale, de la défense de l'ordre, de bien-être économique du pays que de prévention des infractions pénales" (§ 137).
(15) Sur la même décision, lire les obs. d'Adeline Gouttenoire, La France condamnée à Strasbourg pour la rétention de mineurs étrangers accompagnant leurs parents, Lexbase Hebdo n° 472 du 8 février 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0138BTB).
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