La lettre juridique n°472 du 9 février 2012 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Exemption du plan de reclassement interne : précisions et sanctions

Réf. : Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-23.516, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4422IBE)

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N0102BTX

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

le 24 Octobre 2012

Au mois d'octobre 2010, la Chambre sociale de la Cour de cassation jugeait que, lorsqu'un employeur met en place un plan de départs volontaires qui exclut tout licenciement pour parvenir à la suppression des emplois projetée, il est dispensé de pourvoir le plan de sauvegarde de l'emploi de mesures de reclassement. Cette solution avait, unanimement ou presque, suscité l'inquiétude et l'incertitude tant les conditions de cette exemption semblaient fuyantes. C'est pour répondre à ces craintes que la Chambre sociale, par un arrêt rendu le 25 janvier 2012, apporte de substantielles précisions à la question, tant s'agissant des conditions de l'exemption (I), que des sanctions infligées lorsque ces conditions n'étaient pas réunies (II).
Résumé

Si l'employeur qui entend supprimer des emplois pour des raisons économiques en concluant avec les salariés des accords de rupture amiable, n'est pas tenu d'établir un plan de reclassement interne lorsque le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre des objectifs qui lui sont assignés en terme de suppression d'emplois, il en va autrement lorsque le projet de réduction d'effectifs de l'employeur implique la suppression de l'emploi de salariés qui ne veulent ou ne peuvent quitter l'entreprise dans le cadre du plan de départs volontaires; que le maintien de ces salariés dans l'entreprise supposant nécessairement en ce cas un reclassement dans un autre emploi, un plan de reclassement interne doit alors être intégré au plan de sauvegarde de l'emploi.

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié concerné par une procédure de suppression d'emplois pour raisons économiques, lorsqu'elle est justifiée par l'absence ou l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi que l'employeur est tenu d'établir, produit les effets d'un licenciement nul.

Commentaire

I - Les conditions de l'exemption de plan de reclassement

  • L'obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi en cas de départs volontaires

Rares sont les affaires donnant lieu à tant de commentaires, à une telle médiatisation, dès le stade de la première instance (1). Ce fut pourtant là le destin de l'arrêt "Renault" rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 26 octobre 2010 (2).

Depuis longtemps déjà savait-on que la rupture d'un commun accord, le "départ négocié" voire le "départ volontaire" résultant d'un motif économique se voyait appliquer le régime du licenciement pour motif économique (3). Cette exigence figure, aujourd'hui, au second alinéa de l'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7) qui prévoit que "les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et suivants, résultant de l'une des causes énoncées au premier alinéa".

Cette règle générale emportait, bien sûr, des conséquences concrètes sur le plan du régime juridique de ces départs volontaires ou négociés, la Chambre sociale excluant l'application de certaines règles (4) pour en retenir d'autres (5). Parmi ces dernières figurait l'obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi. Ainsi, de manière constante, la Chambre sociale de la Cour de cassation imposa que la survenance de dix départs volontaires dans une même période de trente jours, départs justifiés par un motif économique, oblige l'employeur à mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi (6).

  • Départs volontaires et plan de reclassement

Cette règle avait cependant fait l'objet d'un aménagement substantiel dans le cadre de l'affaire "Renault". Dans l'hypothèse où seuls des départs volontaires étaient mis en oeuvre pour rendre effectives plusieurs milliers de suppressions d'emploi, la Chambre sociale retenait qu'"un plan de reclassement, qui ne s'adresse qu'aux salariés dont le licenciement ne peut être évité, n'est pas nécessaire dès lors que le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppressions d'emplois" (7).

On considère traditionnellement que le plan de sauvegarde de l'emploi est composé de différents volets (8). Le plan de sauvegarde a pour objet d'éviter les licenciements ou d'en limiter le nombre. Il comporte ainsi des mesures de reclassement, interne ou externe, qui permettent aux salariés dont l'emploi est supprimé de conserver un emploi dans l'entreprise ou d'en trouver un dans une autre entreprise. Ce "plan de reclassement" est expressément visé au second alinéa de l'article L. 1233-61 du Code du travail (N° Lexbase : L1236H9N). Le plan de sauvegarde contient, en outre, des mesures destinées à compenser ou à alléger les conséquences du licenciement quand celui-ci ne peut être évité, permettant ainsi par exemple que soient proposés aux salariés licenciés des actions de formation, des parcours de validation des acquis de l'expérience, des aides à la mobilité professionnelle ou, encore, des aides à la création ou à la reprise d'activités (9).

Lorsque le plan de réduction des effectifs n'est composé que de départs volontaires, c'est donc tout un pan du plan de sauvegarde dont l'employeur est dispensé, celui relatif au reclassement des salariés qui quittent l'entreprise et pour qui, suivant le raisonnement de la Chambre sociale, le licenciement est évité (10). Par une décision rendue le 25 janvier 2012 et destinée à une publicité aussi large que l'arrêt "Renault" (P+B+R+I) (11), la Chambre sociale apporte quelques précisions à cette exemption de plan de reclassement.

  • L'affaire

A la suite de l'externalisation d'un service, une société et les organisations syndicales représentatives présentes dans l'entreprise avaient conclu un accord de méthode qui prévoyait la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi comportant un plan de départs volontaires proposé aux salariés concernés par l'externalisation et qui ne souhaitaient pas demeurer au service de l'entreprise dans ces conditions. Une fois le plan de départ volontaire approuvé par le comité d'entreprise, sans que le plan de sauvegarde ne comporte de plan de reclassement, un salarié dont le poste était externalisé fit valoir sa candidature au départ volontaire. A la suite du refus de ce projet par une commission paritaire de suivi, la société proposa au salarié un reclassement interne à des fonctions différentes que celles exercées jusque là. Le salarié engagea une procédure pour demander la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi puis, estimant s'être vu refuser une formation et avoir été laissé sans activité dans l'entreprise, prit acte de la rupture de son contrat de travail, demandant plus particulièrement à ce que cette prise d'acte produise les effets d'un licenciement nul.

La cour d'appel saisie de l'affaire jugea que la prise d'acte du salarié devait produire les effets d'une démission, ce pour plusieurs raisons. D'abord, le salarié ne pouvait reprocher à l'employeur de s'être vu refuser le bénéfice d'un départ volontaire puisqu'il ne présentait pas les conditions requises pour bénéficier du plan. Ensuite, faute que le refus de formation et l'absence d'activité ne soient démontrés, ces griefs ne pouvaient fonder une prise d'acte aux torts de l'employeur.

Au visa des articles L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) et L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR) du Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision par un arrêt rendu le 25 janvier 2012. Par un double et très long chapeau de tête, la Chambre sociale dispose, d'abord, que "si l'employeur qui entend supprimer des emplois pour des raisons économiques en concluant avec les salariés des accords de rupture amiable, n'est pas tenu d'établir un plan de reclassement interne lorsque le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre des objectifs qui lui sont assignés en terme de suppression d'emplois, il en va autrement lorsque le projet de réduction d'effectifs de l'employeur implique la suppression de l'emploi de salariés qui ne veulent ou ne peuvent quitter l'entreprise dans le cadre du plan de départs volontaires; que le maintien de ces salariés dans l'entreprise supposant nécessairement en ce cas un reclassement dans un autre emploi, un plan de reclassement interne doit alors être intégré au plan de sauvegarde de l'emploi".

Elle ajoute, ce sur quoi nous reviendrons ultérieurement et qui constitue un apport non négligeable de la décision, que "la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié concerné par une procédure de suppression d'emplois pour raisons économiques, lorsqu'elle est justifiée par l'absence ou l insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi que l'employeur est tenu d'établir, produit les effets d'un licenciement nul".

En somme, et pour s'en tenir pour l'instant à l'exigence d'un plan de reclassement composant le plan de sauvegarde de l'emploi, la Chambre sociale constate que le salarié ne pouvait bénéficier du plan de départ négocié alors même que son emploi était supprimé, ce dont attestait la proposition de reclassement faite par l'employeur. En effet, "l'opération d'externalisation décidée par l'employeur entraînait nécessairement la suppression des emplois concernés" et "le salarié avait vu son projet de départ refusé, ce dont il résultait que la prise d'acte du salarié, qui se trouvait privé d'emploi, était justifiée par l'absence dans le plan social d'un plan de reclassement interne et produisait les effets d'un licenciement nul".

  • Première précision : l'absence de licenciement

Comme le relèvent eux-mêmes les magistrats de la Cour de cassation (12), le premier intérêt de cette décision est donc d'apporter des limites à la jurisprudence "Renault", limites qui, cependant, pouvaient déjà être pressenties dans cette précédente affaire. Ainsi que cela avait été relevé, l'absence de licenciement stricto sensu joue donc un rôle essentiel dans l'application de l'exemption de plan de reclassement (13). A partir du moment où un emploi est supprimé sans que le salarié qui l'occupait puisse bénéficier du plan de départs volontaires, l'éventualité d'un licenciement reparaît et justifie qu'un plan de reclassement soit inclus au plan de sauvegarde de l'emploi.

A première vue au moins, l'arrêt n'apporte pas de précision quant à la question de savoir si l'exemption de plan de reclassement doit intervenir en cas d'engagement ferme de l'employeur à ne pas licencier ou, seulement, lorsque le plan de départ volontaire n'envisage pas de licenciements (14). Une lecture attentive permet de remarquer que la Chambre sociale conserve une terminologie plutôt vague puisque l'exigence d'un plan de reclassement n'est exclue que "lorsque le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre des objectifs qui lui sont assignés en terme de suppression d'emplois" (15). A s'en tenir à cette motivation, il suffirait donc qu'initialement, aucun licenciement ne soit envisagé, peu important que, finalement, des licenciements interviennent. La solution apportée aux faits de l'espèce est pourtant totalement contradictoire avec cette argumentation. En effet, à l'origine, aucun licenciement n'était envisagé, comme précisément la Cour de cassation l'exige. Pourtant, l'un des salariés ne pouvant bénéficier du plan, la Cour de cassation prend acte, ex post, que tous les départs ne seront pas des départs négociés et, ainsi, adopte concrètement une approche beaucoup plus restrictive de l'exigence d'absence de licenciement. Même si l'on aurait donc préféré que la motivation de principe soit précisée pour que l'absence de licenciement ne soit pas seulement exigée au stade de l'élaboration du plan de réduction des effectifs, le résultat est satisfaisant (16). Si le salarié ne peut pas ou, mieux, ne veut pas bénéficier du plan de départ volontaire, le plan de sauvegarde de l'emploi devra intégrer un plan de reclassement quand bien même l'employeur n'avait pas envisagé que des licenciements puissent survenir.

  • Seconde précision : exemption limitée au reclassement interne

La décision apporte une autre précision à l'arrêt "Renault", précision d'ailleurs beaucoup moins ambiguë. On s'était en effet demandé, à plusieurs occasions, quel était le domaine de l'exemption du plan de reclassement (17). Celle-ci permettait-elle seulement à l'employeur de ne pas envisager de mesures de reclassement interne ou, plus largement, lui permettait-elle d'écarter toute mesure de reclassement, y compris de reclassement externe ?

L'arrêt "Renault" demeurait très vague, visant seulement l'exemption du "plan de reclassement". Il fallait, pour espérer préciser cette question, aller à nouveau consulter le communiqué de la Cour de cassation qui, pour sa part, visait les mesures de reclassement interne. Le doute n'est plus aujourd'hui permis puisque la Chambre sociale précise très clairement que c'est "un plan de reclassement interne doit alors être intégré au plan de sauvegarde de l'emploi" lorsqu'un salarié ne peut ou ne veut pas bénéficier du plan de départs volontaires.

Là encore, les conséquences d'une conception trop large du plan de reclassement auraient présenté certains dangers, vidant de facto le plan de sauvegarde de l'emploi de tout son contenu opérationnel (18). Même s'il est vrai que la technique du reclassement interne s'accommode assez mal avec l'idée selon laquelle le licenciement ne peut être évité (19), on peut tout de même se féliciter que le plan de sauvegarde de l'emploi conserve une grande partie de son intérêt, même en cas de plan de départs volontaires.

Il reste, cependant, d'autres questions qui devront à l'avenir être précisées. Ainsi, par exemple, on peut se demander si le plan de reclassement interne introduit au plan de sauvegarde de l'emploi lorsque des salariés ne peuvent ou ne veulent pas bénéficier du plan de départs volontaires pourra également bénéficier aux salariés qui s'étaient initialement engagé dans un processus de départ négocié. Si tel n'était pas le cas, et comme cela a déjà été relevé, une flagrante inégalité de traitement se ferait jour (20).

On s'était également interrogé sur la sanction d'un licenciement survenant alors même que le plan de départ volontaire n'envisageait pas un tel mode de rupture des contrats de travail (21). L'occasion lui en étant donnée, la Cour de cassation répond indirectement à cette question tout en ouvrant, pour la première fois, la faculté pour le salarié d'obtenir que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en cas d'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi produise les effets d'un licenciement nul.

II - Les sanctions de l'exemption de plan de reclassement

  • La prise d'acte de la rupture justifiée par un plan de sauvegarde insuffisant produit les effets d'un licenciement nul

Le salarié qui estime que l'employeur a manqué gravement à ses obligations en mettant en place un plan de sauvegarde de l'emploi insuffisant peut-il prendre acte de la rupture de son contrat de travail et, s'il le fait, cette prise d'acte produira-t-elle les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'un licenciement nul ? En répondant à cette question, la Chambre sociale ménage un deuxième apport essentiel à l'arrêt commenté. Comme le relève une fois encore le communiqué de la Cour de cassation, "cet arrêt statue également pour la première fois en matière de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié, en cas d'absence de plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi" (22).

Sans revenir dans le détail du régime juridique de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, rappelons que ce mode de rupture permet au salarié de prendre l'initiative de la rupture de son contrat de travail tout en imputant cette rupture à un manquement grave de son employeur à ses obligations. Selon que les manquements de l'employeur sont avérés et sont ou non d'une gravité suffisante, la prise d'acte produira les effets d'une démission ou ceux d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse (23).

Cette position, adoptée dès 2003, a cependant fait l'objet de précisions. Il semble, en effet, que, dans un certain nombre de cas, les manquements de l'employeur caractérisent un manquement d'une gravité telle que le licenciement, s'il avait été prononcé, n'aurait pas seulement été dépourvu de cause réelle et sérieuse mais, plus radicalement, aurait été illicite et aurait pu être annulé. Dans cette situation, la Cour de cassation juge que la prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement nul. Cela n'a jusqu'ici été jugé, stricto sensu, que pour les représentants du personnel qui prennent acte de la rupture de leur contrat de travail. Faute que la rupture ait été autorisée par l'administration du travail, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul lorsque les manquements reprochés à l'employeur sont d'une gravité suffisante (24). Quoique seulement infligée à ce jour à la suite de demandes de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur, la sanction devrait être la même s'agissant de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail introduite par un salarié victime de harcèlement (25) ou victime d'une discrimination (26).

  • Une solution justifiée, mais aux effets difficile à mesurer

C'est à cette solution que parvient l'arrêt sous examen s'agissant du salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de l'absence ou de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi. Là encore, la position prise par la Chambre sociale doit être approuvée, cela pour au moins deux raisons.

Le premier argument est purement textuel. L'obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi dont les mesures soient suffisantes est imposée par le Code du travail à peine de nullité de la procédure et, subséquemment, de nullité des licenciements éventuellement prononcés (27). A l'image du licenciement d'un représentant du personnel sans autorisation, le licenciement à la suite d'un plan de sauvegarde insuffisant est nul. C'est donc fort logiquement que la règle peut être étendue à de telles prises d'acte.

Le second argument tient à l'une des faiblesses de la jurisprudence relative à la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par un représentant du personnel. Comme l'avait pertinemment relevé Christophe Radé (28), la règle posée par la Chambre sociale pouvait être contestée en ce que l'employeur, dans ce cas de figure, n'avait pas réellement manqué à une obligation dont la violation pouvait emporter la nullité du licenciement. La règle violée était de pure procédure -le fait de ne pas avoir saisi l'administration du travail- et l'employeur ne pouvait la respecter alors même qu'il ne prenait pas l'initiative de la rupture.

Si cet argument doit être entendu s'agissant des représentants du personnel, il ne peut, en revanche, s'opposer à la solution commentée s'agissant de l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi. En effet, même si l'obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi est bien de nature procédurale, sa mise en oeuvre était chronologiquement préalable à la prise d'acte de la rupture. L'employeur a manqué à ses obligations en ne mettant pas en place le plan de sauvegarde alors qu'il ne manquait pas à ses obligations en ne demandant pas d'autorisation de licenciement pour un salarié protégé.

La portée de cette décision est potentiellement très importante. Toute prise d'acte qui interviendrait à la suite d'un comportement illicite de l'employeur pourrait produire les effets d'un licenciement nul. Au-delà des hypothèses déjà envisagées du harcèlement ou des discriminations, on pourrait encore envisager la prise d'acte de la rupture d'une salariée enceinte, d'un salarié dont le contrat est suspendu en raison d'un accident du travail, du salarié gréviste, etc.

Si ces solutions devaient être confirmées, la prise d'acte de la rupture ne conduirait plus à un résultat binaire comme le définissait la jurisprudence en 2003 entre démission et licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse mais à une issue à trois options entre démission, licenciement sans cause réelle et sérieuse et licenciement nul. Sous réserve que la rupture soit véritablement imputable à un comportement illicite de l'employeur, cette nouvelle échelle aurait le mérite de s'adapter aux différentes sanctions qui peuvent être infligées en matière de licenciement.

  • Sanction implicite de l'absence de plan de reclassement

Si cette précision est donc d'une grande importance, elle a, enfin, le mérite de préciser quelle sanction sera encourue par les employeurs qui négligeront d'introduire un plan de reclassement dans leur plan de sauvegarde de l'emploi alors que certains salariés ne pourront ou ne voudront bénéficier du plan de départs volontaires.

En effet, implicitement, le salarié qui sera finalement licencié pourra invoquer la nullité du plan de sauvegarde de l'emploi pour insuffisance et, par ricochet, la nullité de son licenciement. L'argument a fortiori est ici difficilement contestable. Si la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul, c'est à plus forte raison que le licenciement prononcé sans que le plan de sauvegarde comporte de mesures de reclassement subira, lui aussi, la nullité.


(1) TGI Nanterre, 12 décembre 2008, n° 08/12847 (N° Lexbase : A9640EBN) ; CA Versailles, 14ème ch., 1er avril 2009, n° 09/01005 (N° Lexbase : A4821GNU). A propos de ces décisions, au-delà de l'affaire "Renault", et plus généralement, V. Plan de départs volontaires... nouvelle alternative au PSE ? - Questions à Maître E. Laherre, Avocate à la Cour, Coblence & Associés, Lexbase Hebdo n° 365 du 1er octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9389BLC) ; PSE : vilain petit canard ou cygne d'Ionie du licenciement économique ? - Questions à Maître C. Davico-Hoarau, Avocate à la Cour, Coblence & Associés, Lexbase Hebdo n° 370 du 5 novembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3602BMD) ; Rupture conventionnelle, rupture d'un commun accord et licenciements économiques - Questions à Maître S. Stein, Avocat associée du cabinet Eversheds, Lexbase Hebdo n° 340 du 5 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7696BIU) ; M.-L. Dufresnes Castets et Y. Tarasewicz, Un plan de sauvegarde de l'emploi se conçoit-il sans effort de reclassement ?, RDT, mai 2009, p. 282 ; ibid., p. 380, obs. A. Fabre ; G. Couturier et J. Pélissier, Le reclassement interne est-il compatible avec les départs volontaires ?, SSL, n° 1411, p. 208.
(2) Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-15.187, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6142GCH) et les obs. de Ch. Willmann, Les départs volontaires ne déclenchent plus l'obligation de mise en place d'un PSE, Lexbase Hebdo n° 415 du 3 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N5575BQK) ; D., 2010, p. 2653, obs. L. Perrin ; RDT, 2010, p. 704, note F. Géa ; Dr. soc., 2010, p. 1483, note F. Favennec-Héry ; SSL, 2010, n° 1465, pp. 9 et s., rapp. P. Bailly, note E. Dockès ; JCP éd. S, 2010, 1483, obs. G. Loiseau.
(3) Plus précisément depuis la loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 (N° Lexbase : L7461AI8).
(4) Exclusion, par exemple, des règles relatives à la motivation du licenciement (Cass. soc. 2 décembre 2003, n° 01-46.540, publié N° Lexbase : A3402DAA) ou de celles relatives à l'ordre des licenciements (Cass. soc., 10 mai 1999, n° 96-19.828, publié N° Lexbase : A4551AGN ; JCP 2000, II, 10230, obs. F. Duquesne).
(5) Application, par exemple, des règles relatives à la priorité de réembauchage, v. Cass. soc., 13 sept. 2005, n° 04-40.135, publié (N° Lexbase : A4536DK9) et les obs. de Ch. Radé, Accords négociés et licenciements économiques, ou le mariage de la carpe et du lapin, Lexbase Hebdo n° 183 du 28 septembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N8886AIX) ; Dr. soc., 2005, p. 1059, obs. G. Couturier ou des règles relatives aux consultations des représentants du personnel, Cass. soc., 10 avril 1991, n° 89-18.485, publié (N° Lexbase : A1623AAD) ; D., 1992, somm. 290, obs. M. A. Rotschild-Souriac, Dr. ouvr., 1991. 208, note P. Moussy.
(6) V. not. Cass. soc., 10 avril 1991, préc. ; Cass. soc., 22 février 1995, n° 92-11.566, publié (N° Lexbase : A0953ABW) ; JCP éd. G, 1995, II, 22433, concl. Y. Chauvy.
(7) Cass. soc., 26 octobre 2010, préc..
(8) J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 26ème édition, n° 483 et s..
(9) C. trav., art. L. 1233-62 (N° Lexbase : L1239H9R).
(10) Sur ce raisonnement, v. le communiqué de presse de la Cour de cassation relatif à l'arrêt "Renault".
(11) Décision faisant, elle aussi, l'objet d'un communiqué de presse.
(12) Ibid.
(13) V. notamment F. Géa, préc. ; E. Dockès, préc..
(14) S'interrogeant sur cette question, v. F. Géa, préc..
(15) Nous soulignons.
(16) On remarquera que la Chambre sociale refuse d'aller jusqu'à exiger de l'employeur qu'il prenne l'engagement formel de ne pas procéder à des licenciements, comme le proposait E. Dockès. Le résultat est cependant le même puisque la Chambre sociale sanctionne finalement le manquement à cet engagement que, pourtant, elle ne lui impose pas de prendre.
(17) V. F. Géa, préc. ; G. Couturier, préc. ; E. Dockès, préc. ; L. Perrin, préc..
(18) Faisant du plan de sauvegarde une "outre vide" (v. F. Géa, préc.) dans une opération pouvant elle-même s'apparenter à une "chimère" (v. E. Dockès, préc.).
(19) V. en ce sens G. Couturier, préc..
(20) V. Ch. Willmann, préc. Adde, sur cette question, F. Aknin, L'égalité de traitement appliquée aux départs volontaires, SSL, 2010, n° 1465, p. 14.
(21) V. en part. E. Dockès, préc..
(22) Cette affaire et l'affaire "Renault" démontrent, si cela était encore nécessaire, l'importance que revêtent aujourd'hui les communiqués de la Cour de cassation qu'il n'est plus possible de négliger. Sur cette technique, v. P. Deumier, Les communiqués de la Cour de cassation : d'une source d'information à une source d'interprétation, RTD Civ., 2006, p. 510 ; F. Guiomard, Sur les communiqués de presse de la Chambre sociale de la Cour de cassation, RDT, 2006, p. 222.
(23) Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679 (N° Lexbase : A8977C8Y) ; n° 01-42.335 (N° Lexbase : A8976C8X) ; n° 01-43.578 (N° Lexbase : A8978C8Z) ; n° 01-41.150 (N° Lexbase : A8975C8W) ; n° 01-40.235 (N° Lexbase : A8974C8U), et les obs. de Ch. Radé, Autolicenciement : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9951AAS) ; Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 2008, n° 208.
(24) Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 04-46.009, FS-P+B (N° Lexbase : A3701DQ7) et les obs. de Ch. Radé, Prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié protégé, Lexbase Hebdo n° 224 du 19 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N1109ALN) ; D., 2007, p. 54, note J. Mouly ; Dr. soc., 2006, p. 815, note J.-E. Ray. Récemment, v. Cass. soc., 30 novembre 2011, n° 10-23.060, FS-D (N° Lexbase : A4642H3C).
(25) Cass. soc., 30 novembre 2011, n° 11-10.527, F-D (N° Lexbase : A4620H3I).
(26) Cass. soc., 19 janvier 2011, n° 09-42.541, F-D (N° Lexbase : A2804GQW).
(27) C. trav., art. L. 1235-10 (N° Lexbase : L5743IAX).
(28) V. Ch. Radé, Prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié protégé, préc..

Décision

Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-23.516, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4422IBE)

Cassation, CA Grenoble, ch. soc., 23 juin 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) et L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR)

Mots-clés : licenciement économique collectif, plan de départ volontaire, plan de sauvegarde de l'emploi, plan de reclassement interne, prise d'acte de la rupture du contrat de travail

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