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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole
le 09 Février 2012
Si la première chambre civile de la Cour de cassation s'est souvent, et de façon fort compréhensive, prononcée sur l'obligation de sécurité du transporteur ferroviaire de voyageurs, elle n'avait pas eu, jusqu'à présent, l'occasion de préciser l'application de cette obligation dans le cadre d'un contrat par abonnement. C'est désormais chose faite. Un passager titulaire d'un abonnement se trompe de train. S'apercevant de son erreur, il saute alors que le train démarre et se blesse. Il recherche alors la responsabilité de la SNCF. Il est vrai que les juges adoptent une conception de la responsabilité contractuelle du transporteur très protectrice du passager, estimant qu'il ne peut limiter sa responsabilité en cas de faute du voyageur et qu'il ne peut s'en exonérer que si cette faute présente les caractères de la force majeure (Cass. civ. 1, 13 mars 2008, n° 05-12.551, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3908D7U, Rev. dr. transp., 2008, comm. 96, nos obs. ; Cass. mixte, 28 novembre 2008, n° 06-12.307, P+B+R+I N° Lexbase : A4743EBB, Rev. dr. transp., 2009, comm. 1, nos obs. ; Cass. civ. 1, 21 octobre 1997, n° 95-19.136, publié N° Lexbase : A0687ACG, Bull. civ. I, n° 288). Les juges refusent alors de retenir la force majeure lorsqu'un passager a ouvert les portières d'un train en marche, estimant que ceci pourrait être évité par la mise en place d'un mécanisme approprié.
C'est dire que, fondée sur l'inexécution de l'obligation de sécurité et la responsabilité contractuelle, l'action de la victime avait de bonnes chances de prospérer, en dépit de sa faute. Telle était la solution retenue par la cour d'appel qui accordait une indemnité à la victime, estimant qu'il importait peu à la solution du litige qu'elle se soit trompée de rame car, titulaire d'un abonnement régulier, elle avait bien souscrit un contrat de transport avec la SNCF (CA Chambéry, 1ère ch., 30 mars 2010, n° 09/00671 N° Lexbase : A8914EZ8).
C'est toutefois oublier que l'obligation de sécurité, obligation née du contrat de transport, ne s'applique que si celui-ci est en cours d'exécution (Cass. civ. 1, 7 mars 1989, n° 87-11.493 N° Lexbase : A8872AAT, Bull. civ. I, n° 118). Tel n'est pas naturellement le cas lorsque le voyageur ne prend pas le train correspondant à son titre. Pour cette raison, la première chambre civile censure l'arrêt d'appel, pour violation des articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1384 (N° Lexbase : L1490ABS) du Code civil, l'accident n'étant pas survenu dans l'exécution du contrat convenu entre les parties.
Faute d'exécution du contrat et le train ayant joué un rôle causal dans le dommage survenu à la victime, c'est effectivement la responsabilité délictuelle du fait des choses qui était applicable. En revanche, ce nouveau fondement n'est pas de nature à modifier la situation de la victime. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a déjà écarté la force majeure alors qu'un passager avait sauté du train en marche (Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 05-10.250, FS-P+B N° Lexbase : A4485DQ8, Bull. civ. II, n° 216). Ici, la première chambre civile se range à cette solution en ne censurant l'arrêt d'appel qu'en ce qu'il a retenu une responsabilité contractuelle au lieu de délictuelle.
Par un arrêt du 27 septembre 2011, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle les conditions de la subrogation de l'assureur dans les droits du vendeur des marchandises transportées. Les faits sont classiques. Un vendeur ex works vend des marchandises à un acheteur. Au cours du transport, celles-ci disparaissent. Le vendeur est alors indemnisé par son assureur qui, invoquant la subrogation, se retourne contre le transporteur. La cour d'appel déclare alors son action irrecevable (CA Reims, 3 mai 2010, n° 08/01986 N° Lexbase : A1248HYU). Le pourvoi est rejeté par la Chambre commerciale. Celle-ci estime que le contrat d'assurance ne garantissait les risques du transport que s'ils étaient à la charge du vendeur, de sorte, que, la vente étant réalisée aux conditions ex works, le paiement par l'assureur n'avait pas été réalisé en exécution du contrat d'assurance et ne permettait pas d'agir sur le fondement de la subrogation légale.
La solution, bien acquise, est parfaitement fondée (cf. déjà Cass. com., 19 juin 2009, n° 08-15.165, F-P+B N° Lexbase : A5841EI8, Bull. civ. IV, n° 89). La subrogation de l'assureur dans les droits de l'assuré, établie par l'article L. 121-12 du Code des assurances (N° Lexbase : L0088AAI), suppose en effet que l'assureur ait payé l'indemnité d'assurance, c'est-à-dire qu'il ait versé les sommes en exécution du contrat (Cass. civ. 1, 18 février 2003, n° 00-10.380, FS-D N° Lexbase : A1797A7P, RGAT, 2003, p. 476, note F. Vincent). Dès lors que l'assureur a payé alors qu'il n'y était pas tenu en vertu du contrat, il ne peut se prévaloir de la subrogation spéciale. Par ailleurs, les conditions de la subrogation légale de droit commun n'étant pas réunies, l'assureur n'étant pas tenu avec d'autres ou pour d'autres, seule une subrogation conventionnelle aurait été envisageable.
La livraison de la marchandise par le transporteur se heurte fréquemment à des obstacles imprévus : lieux fermés, absence, réceptionnaire incompétent. Souvent, le temps presse et le chauffeur livreur ne peut se permettre une trop longue attente, ni d'importantes recherches. La tentation est alors grande de remettre la marchandise aux personnes présentes sur les lieux, contre une vague signature. Tel est le cas du transporteur qui, livrant dans une boutique en travaux, remet la marchandise à un ouvrier se trouvant sur les lieux. La marchandise ayant disparu, le transporteur est assigné en responsabilité.
La Chambre commerciale rappelle clairement dans son arrêt du 25 octobre 2011 que "le voiturier est responsable des pertes et dommages subis par la marchandise jusqu'à sa livraison et que celle-ci s'entend de la remise physique de la marchandise au destinataire ou à son représentant qui l'accepte", et rejette le moyen qui invoquait que la livraison est réalisée par la remise de la marchandise à une personne prétendant agir pour le destinataire (pour l'arrêt d'appel : CA Paris, Pôle 5, 4ème ch., 7 avril 2010, n° 09/08299 N° Lexbase : A1247EZ9). Le transporteur doit donc se montrer vigilant, et ce d'autant plus que la jurisprudence considère la remise des marchandises à des personnes n'ayant aucun lien avec les destinataires sans la moindre vérification ou précaution des marchandises comme une faute lourde, et même comme une faute inexcusable (Cass. com., 17 mai 2011, n° 10-21.527, F-D N° Lexbase : A2589HSP).
Par rapport à la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, la Convention de Montréal du 28 mai 1999 apporte de considérables améliorations à l'indemnisation des victimes d'accidents aériens, en supprimant les plafonds de réparation ou en garantissant une indemnité à la victime, sauf en cas de faute de sa part, pour les dommages n'excédant pas environ 100 000 euros. Parmi ces améliorations, figure la reconnaissance du privilège de cinquième juridiction. La Convention de Varsovie et la Convention de Montréal ont ainsi en commun de connaître quatre juridictions compétentes pour connaître de l'action en responsabilité contre le transporteur aérien de voyageurs : le tribunal du domicile du transporteur, celui du siège principal de son exploitation, celui du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu (Cass. com., 8 novembre 2011, n° 10-28.069, F-P+B N° Lexbase : A8819HZN) ou, enfin celui du lieu de destination.
Cette compétence juridictionnelle peut poser des difficultés à des demandeurs ayant acheté leur billet sur internet et résidant dans un Etat différent du lieu de destination. Pour cette raison, la Convention de Montréal ajoute une cinquième juridiction, celle du lieu de résidence du passager. Outre que cela limite les contraintes juridictionnelles, cette compétence peut permettre au passager ou à ses ayants droit de s'adresser à une juridiction plus attentive aux droits des victimes (pensons, par exemple, aux indemnités accordées par des juridictions américaines). Pour que ce droit soit effectif, encore faut-il que la juridiction ainsi saisie ne puisse pas se déclarer incompétente pour des motifs de droit interne.
Tel était le cas dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt rendu le 7 décembre 2011 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. A la suite d'un accident aérien ayant causé la mort de tous les passagers d'un vol entre Panama et Fort-de-France, certains ayants droit avaient saisi une cour des Etats-Unis. Celle-ci, à la demande des défendeurs, s'était cependant déclarée incompétente et avait renvoyé les demandeurs à se pourvoir devant le juge de Fort-de-France, lieu de destination. Le tribunal de Fort-de-France s'étant déclaré compétent, ayant refusé de se dessaisir, et la cour d'appel ayant confirmé le jugement, un pourvoi a été formé.
La Cour de cassation censure alors la décision, estimant que l'option de compétence ouverte par la Convention de Montréal appartient au seul demandeur, lequel dispose seul dispose du choix de décider devant quelle juridiction le litige sera effectivement tranché, sans que puisse lui être opposée une règle de procédure interne aboutissant à contrarier son choix impératif.
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