Réf. : CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 22 septembre 2011 n° 10/04401(N° Lexbase : A5836HYS)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
le 02 Février 2012
I - Les hypothèses quant à l'interprétation de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce
En l'absence de jurisprudence explicite sur la question, les dispositions de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce apparaissaient, jusqu'ici, suffisamment obscures (I), pour que la doctrine en propose trois interprétations (II), l'écart entre ces analyses rendant toutefois difficile le choix quant aux solutions à appliquer à la transmission d'un bail commercial encas de scission.
A - L'ambiguïté de la rédaction de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce
La question de la transmission du bail commercial en cas de scission, ne saurait être appréhendée sans rappeler l'articulation des textes qui encadrent le régime des fusions, scissions et apports partiels d'actifs, cette dernière opération y étant optionnellement assimilable.
Le Code civil, d'abord, en son article 1844-4 (N° Lexbase : L2024ABL), dispose, dans une rédaction assez vague, "qu'une société [...] peut être absorbée par une autre société ou participer à la constitution d'une société nouvelle, par voie de fusion. Elle peut aussi transmettre son patrimoine par voie de scission à des sociétés existantes ou à des sociétés nouvelles". Le Code de commerce, dans son article L. 236-3, I (N° Lexbase : L6353AI7), complète, quant à lui, le principe ainsi posé en renforçant l'idée d'un régime de base commun aux deux opérations, celui de la transmission universelle de patrimoine lié à la dissolution des anciennes sociétés existantes, et ce, sans liquidation : "la fusion ou la scission entraîne la dissolution sans liquidation des sociétés qui disparaissent et la transmission universelle de leur patrimoine aux sociétés bénéficiaires, dans l'état où il se trouve à la date de réalisation définitive de l'opération" (adde, en ce sens, Cass. com., 1er juin 1993, n° 91-14.740, publié N° Lexbase : A5695ABK, Bull. civ. IV, 1993, n° 214 ; D., 1993, inf. rap. p. 153 ; JCP éd N., 1994, II, p. 30, note H. Le Nabasque ; D., 1995, somm. p. 153, obs. L. Rozès).
Intimement liées, les fusions et scissions sont ainsi soumises, sauf exceptions mineures, au même encadrement juridique, ce qui pourrait inciter à considérer que le législateur, assimilant implicitement les deux opérations, aurait fait l'économie de la mention de ce mécanisme dans la rédaction de l'article L. 145-16, alinéa 2. A l'appui de cette analyse, on relèvera que le régime des scissions par apport à des sociétés existantes, tel qu'encadré par les dispositions de l'article L. 236-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L3112IQC), est étroitement comparable à l'opération de fusion-absorption des articles L. 236-9 (N° Lexbase : L3114IQE) et L. 236-10 (N° Lexbase : L2498IB7) du Code de commerce.
C'est, toutefois, prêter au législateur des intentions qu'il semble difficile d'étayer lorsqu'on constate que parallèlement, ce dernier opère une séparation constante des deux notions dans le Code de commerce. Ainsi, l'article L. 236-1, par exemple, établit-il, sous une forme quelque peu différente de l'article 1844-4 du Code de civil, une distinction entre les deux types de fusion (absorption ou combinaison) et les deux types de scissions (à des sociétés existantes ou des sociétés nouvelles). A l'évidence les opérations sont, certes, traitées sur le même plan quant à leur régime juridique, mais leur nature, aussi bien que leurs conséquences pratiques ne sont, en revanche, pas comparables et les textes ne font, en définitive, que matérialiser cette opposition.
Enfin, un autre argument milite en défaveur d'un renvoi implicite à la scission dans l'article L. 145-6 : ce dernier, exceptio est strictissimae interpretationis, doit faire l'objet d'une interprétation restrictive, en tant qu'il introduit une exception au principe de cession des baux commerciaux. Confrontée à la complexité du décodage de la disposition précitée, on comprend que la doctrine soit restée indécise au point d'en proposer trois interprétations.
B - Les trois interprétations doctrinales de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce
La première, somme toute plus intuitive que les autres, a consisté à combler le vide du texte en considérant que, le législateur, en évoquant la fusion, avait fait implicitement rentrer la scission dans le champ d'application de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce, assimilant, de la sorte, les deux opérations sous l'égide du régime unique de transmission universelle de patrimoine (J. Viatte, Revue des loyers, 1967, p. 86 ; plus récemment, J. Monnet, Juris-classeur, Entreprise individuelle, fasc. 4510, n° 14 ). On imagine mal, en effet, que le texte puisse exclure la scission pour une raison logique assez simple : en faisant rentrer expressément l'apport partiel d'actif dans son champ d'application alors même que ce dernier n'est qu'optionnellement soumis au régime des fusions, il aurait nécessairement englobé les scissions qui y sont, de droit, assimilées (pour l'application de ce régime à une SARL, comme en l'espèce, J. Monnet, JCP éd. E, 2003, 1206)
Cette analyse n'est toutefois pas exempte de critiques car, et ce point a été souligné, le principe d'interprétation restrictive des exceptions ne permet pas de tirer de telles conséquences du texte. Au surplus, lorsque les sociétés issues de la scission ne sont constituées que des seuls apports constitués par la division de l'ancienne société dissoute, on peut difficilement soutenir que l'opération est une fusion. On y voit plus souvent que la création de sociétés nouvelles. Elle y est assimilée, il est vrai, en droit fiscal, mais les dispositions de ce dernier étant placées, théoriquement, sous un régime d'autonomie, tout raisonnement analogique risque de devenir spécieux. En pratique, ce n'est pas parce que les opérations de fusions et scissions donnent toutes deux lieu à transmission universelle de patrimoine, et que leur traitement fiscal est identique, qu'elles peuvent être considérées comme étant de même nature. Dans un cas, en effet, des sociétés n'en forment plus qu'une seule ; dans l'autre, une société dissoute donne naissance à plusieurs personnes morales. Des auteurs estiment, ainsi, qu'un bail transmis dans le cadre d'une scission ne saurait être soumis au régime de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce (J Archevêque, J-M Legrand, P de Belot, Le statut des baux commerciaux, Sirey, 1954, cf. in Lamy Droit commercial, 2011 n° 1197).
L'interprétation restrictive ainsi proposée, n'est, toutefois, en dépit de sa rigueur, guère satisfaisante en tant qu'elle ignore l'hypothèse d'une scission donnant lieu à une transmission universelle de patrimoine à des sociétés "préexistantes" (sur l'incertitude de la notion, voir infra). Dans ce cas, le régime applicable est bien celui des fusions et, à ce titre la Cour de cassation a confirmé que, sous cette égide, le bail commercial dont l'absorbée est titulaire est transmis à l'absorbante sans qu'il soit besoin de respecter les formalités protectrices de la cession de bail (Cass. com., 1er juin 1993, n° 91-14.740, préc. ; Defrénois 1993, 1210, obs., P Le Cannu).
Il s'ensuit que la plupart des auteurs estiment que lorsque les sociétés bénéficiant de l'apport consécutif à une scission étaient préexistantes, on pourrait admettre que le bail soit transmis dans les conditions prévues à l'article L. 145-16 alinéa 2. (cf. C. Quément, Jurisclasseur Cession du bail commercial, fasc. 1450, n° 131, adde, dans le même sens, auparavant F Givord, ibid., n° 149). Pour autant, en l'absence de jurisprudence, la doctrine demeurait indécise quant à l'insécurité juridique susceptible de naître de cette ultime interprétation, au point de prodiguer des conseils particulièrement mesurés aux praticiens : "il paraît prudent de se référer aux formalités contractuelles et légales de la cession de bail, en cas de scission. Surtout s'il s'agit d'une scission où la société transmet son patrimoine à des sociétés nouvelles qui ne comprennent pas d'autre actif que celui transmis" (C. Quément, op.cit., ibid.).
II - La scission dans le champ d'application de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce
Il est remarquable de constater que la cour d'appel de Versailles, aussi bien que le tribunal de grande instance de Nanterre, aient pu adopter, la plus extensive des interprétations de la doctrine (A), ouvrant, de la sorte, la voie à une éventuelle évolution de la jurisprudence (B) qui, toutefois, demeure encore hypothétique en raison de l'obstacle que constitue la condition de la préexistence des sociétés bénéficiaires.
A - L'interprétation extensive de la cour d'appel
La cour d'appel, dans sa motivation, va confirmer la solution dégagée par le tribunal de grande instance de Nanterre à l'appui d'un raisonnement exemplaire. Elle prend le soin, au préalable, de rappeler le silence de la loi quant à l'application du principe de la transmission du bail en cas de scission. Ceci étant posé, elle va, en soulignant sa double démarche d'analyse, opérer une interprétation "par analogie et a fortiori".
S'appuyant, en premier lieu, sur l'analogie elle souligne que "la scission comme la fusion emporte de plein droit la transmission universelle de patrimoine", reprenant, en cela, l'argument de la similitude de régime suggéré par la doctrine. Utilisant, ensuite, le raisonnement a fortiori, elle rappelle que l'article examiné s'applique à l'apport partiel d'actif "lorsque les parties l'on volontairement soumis à la scission", ce qui, sans aucun doute, permet d'englober les scissions stricto sensu dans le champ d'application du texte. Elle peut, ainsi, en conclure que : "les sociétés bénéficiaires d'une scission, sont, nonobstant toute stipulation contraire, substituées à la société scindée au profit de laquelle le bail était consenti dans tous les droits et obligations de ce bail".
Les magistrats ajouteront, par ailleurs, pour souligner l'analogie ainsi démontrée, que les dispositions de l'article R. 236-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L5741ICM) n'opèrent aucune distinction entre le sort réservé au bailleur en cas de fusion ou de scission instaurant, de la sorte, "le transfert de plein droit du bail". On relèvera que cette remarque emporte moins la conviction, sans doute, que le raisonnement précédent. En effet, le texte invoqué étant de nature réglementaire, il ne saurait contredire les dispositions légales d'ordre public de l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce, et la logique adoptée nous semble quelque peu décalée face aux mécanismes les plus rigoureux d'interprétation.
Relevant, par ailleurs, que la société bailleresse n'avait pas usé du droit reconnu au bailleur de s'opposer à la scission ni n'allègue que cette scission soit intervenue en fraude du droit de ses droits de créanciers, l'arrêt confirme le jugement, au motif que, "par le seul effet de la scission, nonobstant les clauses du bail, la société [bénéficiaire de la scission] est donc substitué dans tous les droits et obligations nés du bail consenti a la société [scindée], en cours au jour de la scission ".
B - une interprétation extensive limitée par la notion de préexistence
Si l'interprétation adoptée séduit, tant au plan des principes par la clarté du raisonnement qui la fonde ainsi, qu'au plan pratique par l'accroissement de la sécurité juridique qui pourrait en résulter, on ne saurait, toutefois, y adhérer sans réserve. Les appelants, en effet, s'appuyaient, dans leurs conclusions, sur l'interprétation de l'article L. 236-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L6374AIW), pour exclure l'opération réalisée, soutenant que la scission d'une société à responsabilité limitée, selon les conclusions rapportées, serait "soumise à la condition que les sociétés bénéficiaires de la scission pré-existent".
Le fondement invoqué, toutefois, n'évoque pas expressément cette hypothèse puisqu'il dispose que : "la société qui apporte une partie de son actif à une autre société et la société qui bénéficie de cet apport peuvent décider d'un commun accord de soumettre l'opération aux dispositions applicables en cas de scission par apports à des sociétés à responsabilité limitée existantes". Ainsi, le texte n'étant pas destiné à encadrer les opérations de scission, le juge du fait avait pu écarter la prétention au motif explicite que "cet article ne concerne que l'apport partiel d'actif soumis volontairement au régime de la scission".
La réponse donnée, cependant, nous semble contourner la question soulevée. En effet, à partir d'un argument déjà dégagé par la doctrine -à savoir la difficulté à concevoir que, lorsque les sociétés nouvelles ont eu pour seul apport, les actifs issus de la société scindée, l'opération puisse être qualifiée de fusion-, les appelants contestaient la solution des premiers juges, en raison de l'absence de "préexistence" des sociétés bénéficiaires de la scission. Or, cette position pourrait, éventuellement, trouver appui dans l'interprétation jurisprudentielle de l'article L. 236-24 du Code de commerce. En effet, la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 14 septembre 2001 (CA Paris, 16ème ch., sect. B, 14 septembre 2001, n° 2000/02273 N° Lexbase : A1114DBU, obs. A. Viandier et J.-J. Caussin, JCP. éd. E, 2002, p. 900), avait pu décider qu'un apport partiel d'actif entre des sociétés à responsabilité limitée ne pouvait être soumis au régime des scissions qu'à la condition que la société bénéficiaire de l'accord préexiste à l'opération.
En d'autres termes, si l'omission de la mention de la scission dans l'article L. 145-16 était la conséquence d'une erreur de plume et qu'il faudrait, en conséquence, considérer que les régimes de la scission et de l'apport partiel d'actif sont similaires, alors, la condition de la préexistence des sociétés bénéficiaires de la transmission universelle de patrimoine s'imposerait aux scissions pour que le bail soit transmis de plein droit. Cette notion de préexistence, cependant, est particulièrement complexe. Que faut-il entendre par ce terme ? La société préexistante doit-elle être en activité ou peut-elle être simplement créée, les apports n'étant constitués que par les actifs issus de la fusion ? La doctrine, on l'a vu, pencherait plutôt, pour la première hypothèse, mais sans guère de conviction.
Indirectement, la Cour de cassation devait, en 2003, traiter de solution (Cass. civ 3, 30 avril 2003, n° 01-16.697, FS-P+B N° Lexbase : A7555BSM, Bull. Joly, 2003, § 190, p. 913, n. M.-L. Coquelet ; D., 2003, p. 1367, obs. A. Lienhard). Une cour d'appel avait, en effet, décidé que les dispositions de l'article L. 263-24 étaient inapplicables à une transmission universelle de patrimoine à une société "créée spécialement en vue de l'apport partiel d'actif", la condition de la préexistence de la société bénéficiaire n'étant pas remplie. Le juge du droit cassera l'arrêt au motif que la société, "régulièrement immatriculée avant la convention d'apport partiel d'actif, préexistait à cet apport". Ainsi, en pratique, les sociétés bénéficiaires pourraient, à la simple condition d'avoir été immatriculées préalablement à la convention d'apport partiel d'actif, recevoir lesdits apports sous le régime de la scission.
On pourrait, de la sorte, imaginer que ce régime, dégagé à propos des apports partiels d'actif, pourrait également s'appliquer aux scissions stricto sensu, en application de l'article L. 145-16, et se trouveraient soumises à un régime hybride, entre celui de la fusion et de l'apport partiel d'actif.
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