La lettre juridique n°471 du 2 février 2012 : QPC

[Jurisprudence] QPC : évolutions procédurales récentes - octobre à décembre 2011

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N9910BST

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par Pierre-Olivier Caille, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)

le 02 Février 2012

La question prioritaire de constitutionnalité ("QPC") est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation que praticiens et théoriciens ne peuvent négliger. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Pierre-Olivier Caille, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la présente revue. I - Champ d'application

A - La notion de disposition législative

1 - Qu'est-ce qu'une "disposition législative" ?

Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), la question prioritaire de constitutionnalité ne peut porter que sur une "disposition législative" (1). Il est désormais acquis que cette notion s'entend en un sens matériel, une disposition législative au sens de l'article 61-1 étant une disposition ayant force de loi par son objet, quelle que soit sa forme. Elle peut, ainsi, figurer dans les ordonnances ratifiées ou ayant eu, d'emblée, une force législative comme celles adoptées à la Libération ou au cours de la période de transition d'octobre 1958 à février 1959, sur le fondement de l'ancien article 92 du texte suprême (2). De même, bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler de dispositions ayant eu à l'origine valeur réglementaire avant d'avoir été ratifiées, des dispositions issues d'un décret peuvent revêtir valeur législative du fait de l'annexion de ce décret à une loi de finances. Elles peuvent alors faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité (CE 6° et 1° s-s-r., 17 octobre 2011, n° 351085, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7812HYY).

En revanche, le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour apprécier la conformité à la Constitution d'une disposition réglementaire fixant une peine complémentaire en cas de contravention qui peut être contestée, en soulevant une exception d'illégalité devant le juge pénal (Cons. const., 26 novembre 2010, décision n° 2010-66 QPC N° Lexbase : A3868GLT). La question prioritaire de constitutionnalité ne peut pas, non plus, porter sur une ordonnance prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L0864AHH), dès lors que celle-ci n'a pas été ratifiée. Mais il faut noter que le régime de la ratification de ces ordonnances diffère selon que l'ordonnance est antérieure ou postérieure à la révision constitutionnelle de 2008 (loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK) : dans le premier cas, la ratification peut, en effet, être implicite alors que, dans le second, elle ne peut être qu'explicite. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre l'article L. 551-13 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L1581IEB), issu de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique (N° Lexbase : L1548IE3), qui n'a pas été ratifiée dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Conseil d'Etat constate, ainsi, que ces dispositions ont un caractère réglementaire et qu'elles ne sont donc pas susceptibles de faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité (CE 2° et 7° s-s-r., 27 octobre 2011, n° 350790, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0842HZ9).

De même, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre des articles du Code du patrimoine issus de l'ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004, relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs (N° Lexbase : L7988DN8), ayant, pour certains d'entre eux, été modifiés ensuite par d'autres ordonnances, le Conseil d'Etat vérifie quelles ordonnances ont été ratifiées. Ainsi, les dispositions posées par une ordonnance non ratifiée ont un caractère réglementaire et ne peuvent faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité, tandis que celles qui n'ont pas été modifiées par l'ordonnance non ratifiée, ou qui "l'ont été de façon très limitée et dans une mesure qui n'est pas contestée dans le cadre de la présente question prioritaire de constitutionnalité", peuvent faire l'objet du contrôle de constitutionnalité a posteriori (CE 1° et 6° s-s-r., 17 octobre 2011, n° 351010, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8368HYL).

On peut, enfin signaler, l'intervention de la première censure d'une disposition figurant dans une loi du pays de Nouvelle-Calédonie (Cons. const., décision n° 2011-205 QPC, du 9 décembre 2011 N° Lexbase : A1701H4R). Par elle-même, cette décision n'apporte guère, dès lors que la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L0289IGS), a explicitement prévu qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée à l'encontre d'une loi du pays de Nouvelle-Calédonie. Mais, si ces lois du pays n'ont vocation à toucher qu'un nombre de personnes limité, on notera, tout de même, que la majeure partie d'entre elles est susceptible d'être touchée par la question prioritaire de constitutionnalité. En effet, si les lois du pays peuvent faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité a priori, exercé par voie d'action sur le fondement des dispositions des articles 104 et 105 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999, relative à la Nouvelle-Calédonie (N° Lexbase : L6333G9G), le Conseil constitutionnel n'a été saisi que deux fois dans ce cadre. Or, plus d'une centaine de lois du pays ont, d'ores et déjà, été adoptées par le Congrès de Nouvelle-Calédonie.

2 - Statut de l'application de la loi

On sait que l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité a le droit de "contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère" à la disposition législative faisant l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité (Cons. const., déc. n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 N° Lexbase : A9923GAR, deuxième considérant). Il ne s'ensuit pas, pour autant, que le Conseil constitutionnel doive contrôler la "portée effective" conférée à la disposition législative par son application par le pouvoir réglementaire (Cons. const., décision n° 2011-190 QPC, du 21 octobre 2011 N° Lexbase : A7832HYQ, huitième considérant).

Dans cette affaire, les requérants contestaient la constitutionnalité des articles 475-1 (N° Lexbase : L9925IQN) et 800-2 (N° Lexbase : L4263AZW) du Code de procédure pénale en tant qu'ils soumettent la possibilité, pour la personne poursuivie mais non condamnée, d'obtenir une condamnation de la partie civile à lui verser une indemnité au titre des frais irrépétibles à des conditions plus restrictives que celles qui permettent à la partie civile d'obtenir la condamnation de la personne à lui verser une telle indemnité. Selon eux, le principe d'égalité devant la justice exigeait que l'article 800-2 soit la réplique à l'identique de l'article 475-1. Mais leur critique était aussi partiellement dirigée contre le décret n° 2001-1321 du 27 décembre 2001, pris pour l'application de l'article 800-2 du Code de procédure pénale et relatif à l'indemnité pouvant être accordée à la suite d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement (N° Lexbase : L8843IRX), les requérants demandant au Conseil d'examiner la disposition législative contestée en prenant en compte l'application qui en a été faite par le pouvoir réglementaire. Le Conseil constitutionnel a, cependant, refusé "d'apprécier la constitutionnalité de l'article 800-2 du Code de procédure pénale au regard des modalités fixées dans le décret pris pour son application", car l'interprétation de la loi par les juridictions et son application par le pouvoir réglementaire n'ont pas le même statut.

En effet, l'interprétation n'est pas détachable de la norme interprétée. Elle s'y incorpore et se confond avec elle. L'interprétation de la loi ne peut donc être contestée que devant le juge de la loi. En revanche, son application s'en distingue et elle peut être censurée par le juge compétent, et le juge administratif, saisi par voie d'action ou par voie d'exception. En jugeant qu'il ne lui "appartient pas" d'examiner les mesures réglementaires prises pour l'application d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel s'est donc déclaré incompétent. La solution inverse l'aurait vu s'engager dans la voie d'un contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires qu'il se refuse à exercer -à juste titre au vu de la lettre de l'article 61-1 de la Constitution-.

3 - Applicabilité d'une disposition législative au litige

La loi organique du 10 décembre 2009 impose aux juridictions de vérifier que la disposition législative contestée est applicable au litige. L'abrogation, par le Conseil constitutionnel saisi dans le cadre d'une autre question prioritaire de constitutionnalité, d'une disposition après l'introduction du recours a pour effet rendre celui-ci sans objet (CE 7° s-s., 4 novembre 2011, n° 349705, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5164HZB).

B - L'atteinte aux droits et libertés

1 - Droits et libertés invocables

1. La Charte de l'environnement consacre de nombreux principes invocables au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel lui a, d'ailleurs, consacré une étude en novembre 2011 (3). Mais il est, également, à noter que la Charte peut être la source de principes dont la portée dépasse le champ de la protection de l'environnement. Le Conseil a, ainsi, considéré que la Charte "réaffirme" "la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation" au nombre desquels figurent son indépendance et l'intégrité du territoire (Cons. const., décision n° 2011-192 QPC, du 10 novembre 2011 N° Lexbase : A9093HZS).

2. Il n'existe pas de principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel les poursuites disciplinaires sont nécessairement soumises à une règle de prescription (Cons. const., décision n° 2011-199 QPC, du 25 novembre 2011 N° Lexbase : A9851HZU). Le Conseil constitutionnel n'avait jamais tranché cette question, mais il a simplement constaté dans sa décision "qu'aucune loi de la République antérieure à la Constitution de 1946 n'a fixé le principe selon lequel les poursuites disciplinaires sont nécessairement soumises à une règle de prescription". En effet, aucun texte antérieur à 1946 n'a fixé un principe général de prescription dans le champ disciplinaire, que ce soit pour les professions réglementées ou pour les fonctionnaires, ce qui fait obstacle à la reconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République (sur les critères présidant à leur reconnaissance, voir Cons. const., décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988 N° Lexbase : A8180ACX).

2 - Cas de l'incompétence négative

On sait que l'incompétence négative du législateur est invocable dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité dans les conditions énoncées par la décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010 (Cons. const., décision n° 2010-5 QPC, du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9571EZI, troisième considérant) : "La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit". Ce moyen n'est, cependant, guère accueilli.

On peut donc signaler que le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l'article L. 321-5-1 du Code forestier (N° Lexbase : L8028IMB) (Cons. const., décision n° 2011-182 QPC, du 14 octobre 2011 N° Lexbase : A7386HY9) en relevant que, si ces dispositions instituent des servitudes, le législateur n'a prévu ni le principe d'une procédure destinée à permettre aux propriétaires intéressés de faire connaître leurs observations, ni aucun autre moyen destiné à écarter le risque d'arbitraire dans la détermination des propriétés qui devront supporter la servitude. Le législateur est donc censuré pour être resté en deçà de sa compétence, en négligeant de prévoir les modalités de protection de l'exercice du droit de propriété.

II - Le fonctionnement de la nouvelle procédure

A - Le filtre du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation

1 - Les éléments constitutifs de l'instance

La Cour de cassation considère qu'il résulte du désistement de son pourvoi en cassation par l'auteur d'une question prioritaire de constitutionnalité que l'instance à l'occasion de laquelle la question a été soulevée n'est plus en cours, de sorte que cette question est devenue sans objet (Cass civ. 1, 9 novembre 2011, n° 11-17.604, F-D N° Lexbase : A6570IBX). A première vue, cette solution éloigne la Cour de cassation du Conseil constitutionnel, lequel juge que "le constituant, en adoptant l'article 61-1 de la Constitution, a reconnu à tout justiciable le droit de voir examiner, à sa demande, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit [...] la modification ou l'abrogation ultérieure de la disposition contestée ne fait pas disparaître l'atteinte éventuelle à ces droits et libertés [...] elle n'ôte pas son effet utile à la procédure voulue par le constituant [...] par suite, elle ne saurait faire obstacle, par elle-même, à la transmission de la question au Conseil constitutionnel au motif de l'absence de caractère sérieux de cette dernière" (Cons. const., décision n° 2010-16 QPC, du 23 juillet 2010 N° Lexbase : A9194E4B).

Il s'agit pourtant de deux hypothèses différentes. Dans celle réglée par le Conseil constitutionnel, en effet, la question avait été transmise au juge des lois et la question de constitutionnalité était parvenue à son stade ultime. Dans celle réglée par la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation pouvait difficilement faire abstraction du désistement du requérant, eu égard aux conditions de transmission de la question. Celle-ci, en effet, ne peut être transmise que si elle porte sur une disposition législative applicable au litige. Or, il n'y avait plus de litige devant la Cour de cassation ! Il n'était donc pas possible de transmettre la question puisque c'eût nécessairement été considérer que la disposition législative contestée était applicable à un litige éteint.

2 - La notion de question sérieuse

La transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel est conditionnée à son caractère nouveau ou sérieux. La vérification de cette dernière branche de l'alternative fait nécessairement des juridictions suprêmes (et, le cas échéant, avant elles, des juridictions ordinaires vérifiant que "la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux") des juges "négatifs" de la constitutionnalité, ne pouvant décider que de l'absence d'inconstitutionnalité. Ce contrôle prend parfois appui sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. On verra, ainsi, le Conseil d'Etat prendre appui sur un célèbre principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil constitutionnel, selon lequel "à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation, ou la réformation des décisions prises par les autorités exerçant le pouvoir exécutif dans l'exercice des prérogatives de puissance publique", pour juger qu'il n'y a pas lieu de renvoyer une question au Conseil constitutionnel, après avoir considéré que le recours ouvert contre les déclarations d'utilité publique mentionnées aux articles L. 11-1 (N° Lexbase : L8041IMR) et L. 11-2 (N° Lexbase : L2891HLN) du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, ainsi que les arrêtés de cessibilité mentionnés à l'article L. 11-8 du même code (N° Lexbase : L2900HLY)) devant le juge administratif "revêt, bien qu'il n'ait pas d'effet suspensif de plein droit, un caractère effectif et ne méconnaît ni l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D), ni l'importance des attributions conférées à l'autorité judiciaire en matière de protection de la propriété immobilière par les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" (CE 1° et 6° s-s-r., 9 novembre 2011, n° 351890, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9090HZP).

Mais, comme on a déjà pu l'indiquer, ce contrôle voit parfois la juridiction suprême se substituer à la juridiction constitutionnelle. Il en va, notamment, ainsi lorsqu'elle exerce un véritable contrôle de proportionnalité. Il en va encore ainsi lorsque le Conseil d'Etat décide qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité après avoir considéré "que -à supposer, d'ailleurs, que les dispositions contestées soient applicables au litige dont le tribunal administratif d'Orléans est saisi- la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux" (CE 3° et 8° s-s-r., 13 décembre 2011, n° 353307, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5004H8T). Or, dans cette affaire, le Conseil d'Etat a pris le soin d'écarter, en quatre considérants successifs, quatre griefs tirés de la violation du droit de propriété énoncé à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1364A9E), des principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales garantis par les articles 72 (N° Lexbase : L0904AHX) et 72-2 (N° Lexbase : L8824HBG) de la Constitution, du principe d'égalité devant la loi protégé par l'article 6 de cette Déclaration (N° Lexbase : L1370A9M), et du principe à valeur constitutionnelle de continuité du service public.

Sans doute une telle décision pourrait-elle s'apparenter aux décisions rejetant au fond "sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité". De fait, elle a le mérite de trancher définitivement la question de la constitutionnalité des dispositions contestées et d'éviter aux requérants de saisir à nouveau, mais en vain, le juge administratif suprême. Il n'en demeure pas moins que l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), fait, au moins formellement, de l'applicabilité au litige de la disposition contestée la première condition de la transmission de la question. Mais on peut, alors, relever que ce contrôle de constitutionnalité négatif exercé, en l'espèce, indépendamment de l'applicabilité au litige, est cohérent avec le caractère abstrait du contrôle exercé dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité qui conduit le Conseil constitutionnel à juger que la méconnaissance éventuelle d'une exigence constitutionnelle dans l'application d'une disposition législative n'a pas, en elle-même, pour effet d'entacher cette disposition d'inconstitutionnalité (Cons. const., décision n° 2010-80 QPC, du 17 décembre 2010 N° Lexbase : A1872GNN).

3 - La décision de la juridiction suprême

Les dispositions du premier alinéa de l'article 23-7 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, aux termes desquelles "si le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation ne s'est pas prononcé dans les délais prévus aux articles 23-4 et 23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel" ont reçu leur première application. La Cour de cassation avait, en effet, été saisie d'une question soulevée devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Tarbes, et son examen avait été fixé à l'audience du 21 septembre 2011. Mais si la question avait été enregistrée le 22 juin 2011, elle avait été reçue à la Cour de cassation le 20 juin 2011. Or, le délai fixé par l'ordonnance du 7 novembre 1958 court à compter de la réception de la question, et non à compter de son enregistrement. Ne s'étant pas prononcée dans le délai prévu (vraisemblablement par erreur (4)), la Cour de cassation a donc dû constater son dessaisissement (Cass. QPC, 21 septembre 2011, n° 11-40.046, F-D N° Lexbase : A9600HXT), avant que le dossier ne soit transmis au Conseil constitutionnel de greffe à greffe.

Le Conseil constitutionnel s'est alors interrogé, apprend-on par le commentaire à paraître aux Cahiers, sur le point de savoir si le fait que la question prioritaire de constitutionnalité n'avait pas donné lieu à une décision de renvoi après le filtre devait modifier son office ou l'étendue de son contrôle. En effet, celui-ci juge avec constance qu'il ne lui appartient pas "de remettre en cause la décision par laquelle le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation a jugé, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée, qu'une disposition était ou non applicable au litige ou à la procédure ou constituait ou non le fondement des poursuites" (Cons. const., décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010 N° Lexbase : A6283EXY, sixième considérant). Devait-on en déduire, a contrario, qu'en l'absence de décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, il incomberait au Conseil constitutionnel de vérifier que ce critère est satisfait ?

Le Conseil constitutionnel n'a pas souhaité s'engager dans cette voie en considérant que rien, dans les textes, ne lui confère le pouvoir de s'intéresser au litige à l'origine de la question prioritaire de constitutionnalité et de statuer différemment selon qu'il est saisi par une décision de renvoi, ou par l'effet de l'expiration des délais. Le Conseil constitutionnel s'est donc prononcé comme si la question lui avait été renvoyée par un arrêt de la Cour de cassation, et il n'a donc pas contrôlé l'applicabilité au litige des dispositions contestées (Cons. const., décision n° 2011-206 QPC, du 16 décembre 2011 N° Lexbase : A2902H8Y). On peut penser qu'un tel contrôle aurait été superfétatoire : l'applicabilité au litige de la disposition contestée n'avait-elle pas déjà été contrôlée par le juge de Tarbes lorsqu'il avait transmis la question à la Cour de cassation ? A cet égard, si l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 impose aux juridictions suprêmes de vérifier que la disposition contestée est applicable au litige, la vérification de cette condition est surtout utile lorsque la question est soulevée directement devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation. La transmission de la question prioritaire de constitutionnalité par l'effet du dessaisissement de la Cour de cassation ne devait donc pas conduire le Conseil constitutionnel à vérifier l'applicabilité au litige de la disposition contestée. Peut-être aurait-il dû en aller autrement si la question avait été soulevée directement devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation.

B - La procédure devant le Conseil constitutionnel

1 - L'accès au Conseil constitutionnel

Deux décisions rendues à quelques semaines d'écart illustrent la manière dont le Conseil constitutionnel peut apprécier la recevabilité des interventions présentées devant lui dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité. Dans la première décision, étaient en cause plusieurs dispositions législatives du Code pénal, du Code de la défense et du Code de procédure pénale organisant le secret défense. On apprend, à la lecture du commentaire à paraître aux Cahiers, qu'un syndicat de magistrats avait demandé à intervenir mais que le Conseil, estimant qu'il ne justifiait pas d'un "intérêt spécial" au sens du deuxième alinéa de l'article 6 du règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité, n'a pas accédé à cette demande. Mais la décision est muette sur cette demande d'intervention qu'elle ne vise même pas (Cons. const., décision n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011 N° Lexbase : A9093HZS). Dans la seconde, en revanche, le Conseil constitutionnel a admis les observations en intervention présentées par le Syndicat des avocats de France qui a pu justifier d'un "intérêt spécial" au soutien de la question dirigée contre le 1° du paragraphe I de l'article 74 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 (Cons. const., décision n° 2011-198 QPC du 25 novembre 2011 N° Lexbase : A9850HZT). A la différence de la précédente, cette décision vise les observations en intervention d'un syndicat d'avocats et indique dans ses motifs "que, selon le requérant et l'intervenant [la disposition législative attaquée] méconnaît le droit au recours juridictionnel effectif et, en conséquence, le principe d'égalité devant la justice et le principe de prévisibilité de la loi" (deuxième considérant). Rien n'est donc dit des raisons ayant conduit le Conseil constitutionnel à admettre l'intervention dans un cas, et à la rejeter dans l'autre. On peut le regretter dans la mesure où la modification du 21 juin 2011 du règlement intérieur de procédure applicable en matière de question prioritaire de constitutionnalité a fait de la capacité à justifier d'un "intérêt spécial" la condition de recevabilité des interventions ; il serait donc souhaitable que le Conseil constitutionnel indique quel sens il entend donner à ce standard.

2 - Suites de l'audience

Le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution plusieurs dispositions du Code monétaire et financier, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010, portant fusion des autorités d'agrément et de contrôle de la banque et de l'assurance (N° Lexbase : L4185IG4) (Cons. const., décision n° 2011-200 QPC, du 2 décembre 2011 N° Lexbase : A0514H3G). Cette affaire a donné lieu, pour la première fois, apprend-on à la lecture du commentaire à paraître aux Cahiers, au dépôt d'une note en délibérée. Celle-ci est mentionnée dans les visas de la décision, ainsi que dans la réponse qui lui a été apportée par une autre partie. Il s'en déduit, d'abord, que la note en délibéré est recevable dans le cadre de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité. Une telle solution n'allait pas de soi et il y a lieu de s'en féliciter, car la jurisprudence administrative a, d'ores et déjà, montré que la note en délibéré peut être utile, par exemple en permettant d'attirer l'attention de la juridiction sur un mémoire n'ayant pas été soumis à la contradiction (CE 1° et 6° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 263115, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1340DKT) -notons, cependant, qu'une telle fonction peut être remplie par les plaidoiries des avocats-.

On notera encore que la note a été soumise à la contradiction. Là encore, une telle solution n'allait pas de soi, car le juge administratif est seulement obligé de "prendre connaissance" de la note avant de rendre sa décision et, s'il peut décider de rouvrir l'instruction si "l'intérêt d'une bonne justice" lui paraît commander de soumettre la note à un débat contradictoire, il n'est tenu de le faire que si la note invoque une circonstance de fait dont la partie ne pouvait faire état avant la clôture de l'instruction, et que le juge ne saurait ignorer sans "fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts" ou "une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devait relever d'office" (CE 5° et 7° s-s-r., 12 juillet 2002, n° 236125, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1581AZL, Rec. CE, p. 278). Malheureusement, la décision commentée ne dit rien des raisons pour lesquelles la note a été soumise à la contradiction. On ignore, en particulier, si c'est pour de seules considérations d'opportunité que le Conseil constitutionnel l'a soumise à la contradiction, ou s'il a considéré que la note apportait des éléments nouveaux, quels qu'ils soient, devant être discutés par l'ensemble des parties. La jurisprudence administrative, à cet égard, ne permet pas de déterminer avec précision quel sort a été réservé à la note. En effet, un arrêt du 27 février 2004 indique que, lorsqu'il est saisi d'un mémoire postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge doit, "dans tous les cas", en "prendre connaissance" avant de rendre sa décision et "le viser sans l'analyser" (CE, S., 27 février 2004, n° 252988, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3647DBP). Mais le même arrêt précise que le juge administratif, dans tous les cas où il est amené à tenir compte d'une note en délibéré, doit la soumettre au débat contradictoire après l'avoir visée et analysée. Or, dans la présente affaire, la note n'a pas été analysée dans les visas mais elle a tout de même été soumise à la contradiction. C'est dire que le régime défini par les deux arrêts précités n'a pas été repris par le Conseil constitutionnel. Malheureusement, celui-ci s'étant gardé de préciser quelles règles il entendait appliquer, les observateurs en seront réduits aux conjectures dans l'attente d'une clarification qui ne pourra venir que de la jurisprudence ou d'une modification du règlement de procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, bref, du seul Conseil constitutionnel.


(1) Voir notre chronique précédente, QPC : évolutions procédurales récentes - juillet à septembre 2011, Lexbase Hebdo n° 223 du 16 novembre 2011 - édition publique (N° Lexbase : N8621BS4).
(2) Voir notre chronique précédente, QPC : évolutions procédurales récentes - avril à juin 2011, Lexbase Hebdo n°212 du 31 août 2011 - édition publique (N° Lexbase : N7348BSX).
(3) Lire Le Conseil constitutionnel et la Charte de l'environnement.
(4) Voir en ce sens l'analyse de F. Poulet, Cour de cassation et QPC : un déssaisissement saisissant..., le Blog de droit administratif, 5 décembre 2011.

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