La lettre juridique n°471 du 2 février 2012 : Éditorial

La fraude fiscale au théâtre de Guignol

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La fraude fiscale au théâtre de Guignol. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5902516-la-fraude-fiscale-au-theatre-de-guignol
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


J'ai un fils de 6 ans et demi (il y tient) et, comme tout bon père qui se respecte, je me devais de l'emmener à la rencontre d'une institution bicentenaire : le théâtre de Guignol. Ayant dégoté un castelet prompt à satisfaire l'appétence rieuse de ma chère tête blonde, nous nous retrouvâmes assis, prêts à l'écoute de la commedia del arte qu'allaient nous jouer les descendants de Mourguet et autres aficionados du père Thomas. Quelles ne furent pas ma surprise et ma joie, lorsque resurgit à mes oreilles toute la truculence du "parler lyonnais", toute la sagesse du théâtre de marionnettes.

Acte I - Scène 1

C'est jour de fête sur les bords du rio de la Plata ("l'argent" en espagnol) : les 43 membres de la famille Flageolet, tous gendarmes fiscaux, sont réunis, comme chaque année, pour discuter de la lutte contre la fraude fiscale extraterritoriale, en ce mois d'été sud-américain. On y devise, surtout, d'échange et de partage d'informations, au regard des difficultés budgétaires traversées par les pays dans lesquels ils habitent. On y souligne la difficulté de poursuivre les promoteurs et les intermédiaires, prompts à délocaliser leur activité dans un autre pays, dès que celui dans lequel ils sont implantés coopère avec la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. On y admet sa difficile compréhension des structures employées pour dissimuler des avoirs à l'étranger. Puis, on y promet collaboration et bonne entente avec les entreprises, afin de valider leurs schémas sans risque de poursuites. On y ressort les bonnes blagues et "tartes à la crème", comme la question des prix de transfert. Et, pour conclure, on souhaite maintenir la pression et rendre la tâche plus ardue pour les "Guignols" qui dissimulent illégalement de l'argent à l'étranger.

Acte I - Scène 2

Madelon s'agite en tout sens et crie aux orfraies : "Gare aux fraudeurs ! Gare aux fraudeurs !". "Je vais resserrer l'étau autour des gros fraudeurs et des paradis fiscaux, et sanctionner les contrevenants beaucoup plus lourdement", annonce-t-elle, à grand renfort de trompettes et tambours. L'objectif est de faire évoluer le comportement de contribuables aisés, qui fraudent, et pour qui les amendes sont parfois dérisoires. Un fraudeur, "c'est quelqu'un qui fraude l'impôt en France et qui va mettre le profit de sa fraude à l'étranger", a rappelé la "mère la Grogne". Et, les 25 % de citoyens Français dits "aisés" (selon les dernières études statistiques déterminant les planchers et plafonds de la "classe moyenne") apprécieront d'être tous logés à la même enseigne, "coffrés" par les gendarmes et autres Flageolet fiscaux ; car il en va de leur comportement fiscal uniforme, comme des jeunes de banlieue, tous oisifs et délinquants, des personnes âgées acariâtres et obsédées par la sécurité et des immigrés profiteurs sociaux : tous dans le même panier à salade !

Alors, hop ! Puisque, aujourd'hui, un fraudeur écope seulement de 1 500 euros d'amende, lorsqu'il dissimule des comptes bancaires à l'étranger, "ce sera 5 % du montant qui sera taxé, maintenant". En outre, cinq ans d'emprisonnement et 37 500 euros d'amende, ce n'est pas suffisant pour les fraudeurs : Madelon propose "sept ans d'emprisonnement et 1 million d'euros" ! Qui dit mieux ? Et les récidives ? Et, on leur en collera pour 500 000 euros d'amende, ça leur enlèvera le goût de resquiller.

Acte II - Scène 1

Guignol fait son entrée. Il converse avec son ami Gnafron des mesures et propos tenus depuis 2007, sur la fraude fiscale ; sur cet engouement des pouvoirs publics nationaux et internationaux à fustiger le comportement des contribuables qui, même s'ils ne sont pas fraudeurs, sont "habiles" et "s'évadent". Du haut de ses quinze centimètres, Guignol introduit son propos sur la rupture entre l'Etat et les citoyens quant au consentement à l'impôt, sur l'Etat Providence trop généreux pour les uns et pas assez protecteur pour les autres. Tout y passe : la progressivité confiscatoire et pourtant constitutionnelle, le concours Lépine de l'impôt taxateur le plus indolore, l'inquisition fiscale des pudiques visites et saisies domiciliaires... Gnafron, tout empreint de beaujolais qu'il soit, voudrait bien lui répondre. Mais, Guignol est malin, habile, se pense honnête de surcroît et s'empresse. Il se pense dans son bon droit face à cette valse des articles du Code général des impôts, tous plus répressifs les uns que les autres. Il compare mêmes ledit code, ses quatre annexes et leur Livre de poche à un échiquier : à force d'articles 57, 209 B, 167 bis et autre L. 16 B, tous présumant du comportement frauduleux des contribuables. Et, dans cette partie que l'on prend tous en cours de route, puisque l'impôt est aussi vieux que le monde civilisé, on a bien du mal à saisir qui sont les blancs, qui sont les noirs ; qui a ouvert le trait le premier.

Acte II - Scène 2

La tirade de son ami terminée, Gnafron se ressaisit et lui évoque ces 42 à 51 milliards d'euros par an disparus des caisses de l'Etat français. Il lui explique que chaque membre de la famille Flageolet est un aventurier à la recherche de l'Arche perdue ; car le trésor que constitue le montant de cette fraude organisée colossale est le ciment de l'alliance entre le peuple et l'Etat. Il rappelle à son burattino de comparse combien, des Gracques à aujourd'hui, la "soustraction" à l'impôt est l'apanage des civilisations en mal de devenir ou en perdition. Il lui rappelle la manière dont les "paradis fiscaux" retrouvent, peu à peu, le concert des Nations en acceptant de se prêter, bon gré mal gré, au jeu de l'échange d'informations, de la levée du secret bancaire et autres mesures d'assistance administrative. Il lui fait remarquer que, si l'édifice de la lutte anti-fraude se fait à la manière d'un Seurat, par touche impressionniste à travers chaque loi de finances et convention fiscale internationale, c'est que cette lutte, toute légitime qu'elle soit, n'obère pas la réalité de la mondialisation patrimoniale et économique et nécessite analyse et compromis ; que contrairement à ce qu'il laisse entendre, si Flageolet est coupable d'avoir percé les mailles de son propre filet, à coup de niches et autres crédits d'impôts clientélistes, les Français ont tout de même une âme de "sportif" et se plaisent à relever le gant de l'optimisation fiscale. Le tout c'est de respecter les règles du jeu : et, il ne faut pas s'étonner que le gendarme lève le bâton, lorsque Guignol enfreint la règle, même si elle est changeante, au mépris de la sécurité juridique.

Alors, Guignol rend les armes, juge la pertinence des propos de son ami de comptoir, si sage malgré son caractère "bon vivant". Il l'enserre et pleure à grosses larmes le rêve d'une victoire perdue sur l'autel de l'impôt social, redistributif et fédérateur.

Mais la pièce n'est pas terminée... Vous qui êtes habitués aux castelets lyonnais, vous savez, d'une part, que c'est toujours Guignol qui finit par rosser Flageolet et, d'autre part... que Madelon est la femme de Guignol...

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