La lettre juridique n°471 du 2 février 2012 : Licenciement

[Jurisprudence] Boucles d'oreilles et appartenance du salarié au genre masculin : caractère discriminatoire du licenciement

Réf. : Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-28.213, FS-P+B (N° Lexbase : A5287IA3)

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N0007BTG

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

le 21 Octobre 2014

Le droit international (Convention OIT n° 111) vise, au titre de la discrimination, toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l'opinion politique, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession. L'apparence physique n'y figure pas, au contraire du droit interne (C. trav., art. L. 1132-1 N° Lexbase : L6053IAG) définissant les critères et motifs de discrimination prohibés, tenant à l'appartenance à un sexe, aux moeurs, à l'orientation sexuelle ou, encore, à l'apparence physique (ajouté par la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 N° Lexbase : L9122AUE). C'est que le critère de l'apparence physique n'est pas le plus sensible, en droit international ou comparé, qui donne la priorité à d'autres critères (appartenance à un sexe, convictions politiques, syndicales, religieuses, ...), auxquels sont associés des mesures de "discrimination positive" ou, selon les termes canadiens, d'obligations d'"accommodements raisonnables" à la charge de l'employeur (1). Le dernier rapport de la Halde, datant de 2010 (2), a fait état de la situation de la discrimination en France. L'origine (27 % des réclamations) demeure le critère de discrimination le plus souvent invoqué ; viennent ensuite la santé et le handicap (19 %), l'âge (6 %), les activités syndicales (5 %), le sexe (4,5 %) et la grossesse (4,5 %). Parmi les 279 délibérations, 27 % portaient sur l'origine, et seulement 0,5 % sur l'apparence physique. Si la discrimination fondée sur l'apparence physique a suscité peu de réclamations devant la Halde, elle a suscité tout aussi peu de développements judiciaires. L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 11 janvier 2012, est très intéressant et tout aussi précieux (3), précisément en raison de la rareté du contentieux.
Résumé

Dès lors qu'un licenciement a été prononcé au motif, énoncé dans la lettre de licenciement que "votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes", il en résulte qu'il a pour cause l'apparence physique du salarié rapportée à son sexe.

Si l'employeur ne justifie pas sa décision de lui imposer d'enlever ses boucles d'oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, il faut alors en déduire que le licenciement repose sur un motif discriminatoire.

Engagé le 1er août 2002 par la société B. (exploitant un restaurant), par contrat d'apprentissage puis par contrat à durée indéterminée en qualité de chef de rang, le salarié a été licencié le 29 mai 2007, pour avoir refusé d'ôter pendant le service les boucles d'oreilles qu'il portait depuis le 14 avril 2006. La cour d'appel a retenu le caractère discriminatoire d'un tel licenciement. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par l'employeur. Dès lors qu'un licenciement a été prononcé au motif, énoncé dans la lettre de licenciement que "votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes", il en résulte qu'il a pour cause l'apparence physique du salarié rapportée à son sexe. Si l'employeur ne justifie pas sa décision de lui imposer d'enlever ses boucles d'oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, il faut alors en déduire que le licenciement repose sur un motif discriminatoire.

L'apparence physique comme critère de discrimination imputable à l'employeur met en jeu trois éléments : la personne du salarié (sa physionomie, ses vêtements et autres éléments de mise en valeur tels que bijoux, piercing, tatouage, ...) ; son emploi (c'est-à-dire, la compatibilité entre l'emploi occupé et l'apparence physique du salarié) et enfin l'entreprise (les termes du débat variant au demeurant assez considérablement, selon que l'entreprise soit "identitaire", notamment "de tendance", ou pas ; mais aussi, selon que l'apparence physique du salarié revête une dimension religieuse (4)). L'arrêt rapporté n'évoque pas cette troisième dimension, mais s'en tient à la personne et à son emploi, relativement à la dimension morphologique et corporelle de l'apparence physique ; à sa dimension vestimentaire, enfin.

I - Eléments morphologiques et corporels de l'apparence physique du salarié

Il paraît si loin le temps où l'on interdisait à l'avocat de se présenter à l'audience au motif qu'il portait des moustaches (5) ou à une personne d'accéder à l'opéra pour cause de port d'un pantalon de golf (6).

A - Un cadre législatif étriqué

Le droit interne de la discrimination ne contient qu'une référence générale à l'apparence physique, comme critère de discrimination. Mais le législateur n'a pas défini la notion.

De l'article L. 1132-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6053IAG), il ressort, en effet, qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement (ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise), pas plus qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de

- son origine,

- son sexe,

- ses moeurs,

- son orientation sexuelle,

- son âge,

- sa situation de famille ou sa grossesse,

- ses caractéristiques génétiques,

- son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race,

- ses opinions politiques,

- ses activités syndicales ou mutualistes,

- ses convictions religieuses,

- son apparence physique,

- son nom de famille,

- son état de santé ou son handicap.

Cette liste de motifs de discrimination a été complétée pour couvrir d'autres hypothèses : la grève (C. trav., art. L. 1132-2 N° Lexbase : L0676H9W), le témoignage (C. trav., art. L. 1132-3 N° Lexbase : L0678H9Y), les fonctions de juré ou citoyen assesseur (C. trav., art. L. 1132-3-1 N° Lexbase : L9536IQA).

B - Une casuistique judiciaire

Il n'existe pas de théorie générale de la discrimination fondée sur l'apparence physique, ni à l'initiative du législateur, ni, a fortiori, sous l'impulsion du juge, dont la directive très générale de l'article L. 1134-1 du code précité (N° Lexbase : L6054IAH) laisse une grande marge d'appréciation. La notion d'"apparence physique" du salarié, comme motif d'un comportement discriminatoire de l'employeur, reste particulièrement élastique, fuyante, et laisse donc aux parties (employeur, salarié lui-même victime d'une discrimination) et aux juges (du fond, la Cour de cassation) toute latitude pour l'interpréter, selon ses propres représentations, conceptions et images. Tout sera fonction de l'entreprise, de son secteur d'activité (attentes différentes selon qu'il s'agisse d'un restaurant à prétention gastronomique, recevant un certain type de public ou un restaurant pour routiers, d'une entreprise fonctionnant avec les intermittents du spectacle ou d'un cabinet d'avocats, etc), sa localisation (milieu urbain, rural, en France ou dans les dom-tom), de la période considérée (aujourd'hui, il y a 10 ans, dans 10 ans)... Les critères d'appréciation, on le voit, sont multiples : cette variabilité des critères se cumulant avec des facteurs de complexité, tenant aux personnes (salariés, employeurs) et aux institutions judiciaires, chacun, à son niveau, projetant une image propre de la notion d'apparence physique, selon une échelle de valeurs qui lui est propre.

Le contentieux donne à voir des appréciations contrastées et très variables des juges.

Les juges ont donné raison aux employeurs d'avoir prononcé un licenciement :

- a été justifié le licenciement d'un salarié coiffé à l'iroquoise qui refusait de changer de coiffure (7) ;

- l'employeur peut s'opposer à une tenue "fantaisiste" (sic) : cheveux longs et boucles d'oreille pour un chauffeur-livreur ou queue de cheval pour un serveur (8);

- un arrêt a été rendu par la cour d'appel de Paris le 3 avril 2008 (9), opposant la Société E. à une salariée (hôte d'accueil touristique), s'agissant de la rupture d'une période d'essai. La salariée invoquait une rupture abusive de la période d'essai, après que l'employeur lui eût demandé de retirer son piercing, l'intéressée n'ayant pas obtempéré à cette demande de retrait de ses bijoux (autre expression du piercing). Pour les juges du fond, la décision de l'employeur de rompre la période d'essai repose sur son appréciation de la capacité de la salariée à se conformer à ses directives, qu'il a pu estimer à bon droit défaillante, après que celle ci eut, par deux fois, dans la même journée, enfreint les consignes reçues. Ces consignes, loin d'avoir attentées à la liberté individuelle, se justifiaient par la nécessité pour la salariée, dans l'exercice de ses fonctions, de revêtir des costumes d'époque, dont le port est à l'évidence incompatible, car totalement anachronique, avec celui de bijoux suivant les modalités contemporaines du piercing ;

- les juges du fond versaillais (CA Versailles, 17ème ch., 22 septembre 2006, n° 05/03726) sont partis du principe selon lequel la liberté individuelle de déterminer ses choix vestimentaires et plus généralement son apparence personnelle peut subir des restrictions dans le cadre de l'exécution du contrat de travail à condition que celles ci soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. En l'espèce, le port par le salarié de boucles d'oreilles et d'un piercing sur le nez était de nature à choquer la clientèle du restaurant exploité par la société M., qui est une clientèle d'affaires et familiale. L'employeur pouvait légitimement demander à son salarié d'enlever ces accessoires et, compte tenu du refus de ce dernier, de lui retirer des tâches le mettant en contact avec la clientèle. Le salarié n'a donc pas été victime d'un traitement discriminatoire.

Mais dans d'autres situations, les juges ont, au contraire, soutenu les salariés dans leur quête de liberté de présentation et d'apparence :

- en 2000, un conseil de prud'hommes a reconnu abusif le licenciement d'une salariée vendeuse dans un magasin de meubles qui a refusé d'ôter son piercing nasal (10) ;

- l'apparence physique du salarié qui change d'identité sexuelle doit être mentionnée, même si elle est classiquement répertoriée dans une autre catégorie de discrimination, tenant à l'appartenance à un sexe (11).

II - Eléments non corporels (vêtements, bijoux, ...) de l'apparence physique du salarié

L'apparence physique du salarié ne se limite pas aux éléments morphologiques et physiologiques. Ils doivent intégrer les accessoires qui composent l'apparence physique du salarié. Cette grille d'analyse partagée par la doctrine (12) a été confortée par la jurisprudence. Dans un litige assez récent, un employeur soutenait que le législateur avait entendu ne faire référence qu'au corps du salarié : le conseil de prud'hommes de Paris (13) a, au contraire, considéré que l'apparence correspond à l'aspect extérieur de l'individu. Si le législateur avait entendu limiter l'apparence physique au corps, il pouvait évoquer simplement l'apparence corporelle ou de manière plus restrictive la physionomie. L'analyse des éléments non corporels (vêtements, bijoux,...) de l'apparence physique du salarié varie selon que l'on intègre ou pas la variable religieuse.

A - Eléments vestimentaires hors dimension religieuse

1 - Liberté vestimentaire

La liberté vestimentaire est-elle une liberté fondamentale du salarié ? On se souvient de l'affaire du "bermuda" (Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40.273, publié N° Lexbase : A6668CK8) (14) : un salarié était venu travailler en bermuda et continué les jours suivants à porter la même tenue vestimentaire ce, en opposition ouverte avec ses supérieurs hiérarchiques qui lui demandaient oralement puis par écrit de porter un pantalon sous la blouse prescrite par le règlement intérieur de l'entreprise.

Pour la Cour de cassation, si, en vertu de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI ; recod. art. L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P), un employeur ne peut imposer à un salarié des contraintes vestimentaires qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché, la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail n'entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales. En l'espèce, la tenue vestimentaire de M. M. était incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail.

Bref, la liberté de se vêtir n'est pas une liberté fondamentale, au même titre que la liberté d'expression (15), l'intimité de la vie privée (notamment en la liberté de la correspondance (16)) ; la liberté d'acheter (y compris un bien vendu par la concurrence (17)).

2 - Droit pour l'employeur d'encadrer/restreindre cette liberté vestimentaire

Pour autant, si la liberté de se vêtir n'est pas une liberté fondamentale du salarié, la gestion par l'employeur de cette liberté du salarié de se vêtir reste encadrée et contrôlée par le juge.

- première justification tirée de la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché : suivant la directive fixée par le législateur à l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P) ("nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché"), le juge décide que l'employeur peut apporter des restrictions à la liberté de se vêtir dans la mesure où celles-ci sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

- seconde justification tirée de la sécurité en entreprise : outre la justification tirée de la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, la Cour de cassation admet le motif tiré de la sécurité. Les motifs de sécurité peuvent également conduire l'employeur à imposer le port d'une tenue de travail en raison de la nature de l'activité de l'entreprise (18).

3 - Contrôle judiciaire des restrictions de l'employeur à la liberté vestimentaire du salarié : l'hypothèse des tenues de travail et autres uniformes

Ont été considérées comme justifiée l'obligation pour les salariés de porter des vêtements déterminés :

- port d'un uniforme pour une hôtesse d'aéroport (19) ; pour un agent de sécurité d'une société de gardiennage (20).

- port d'une cravate pour un veilleur de nuit d'hôtel (21) ; pour un représentant (22).

- chaussures noires cirées pour un convoyeur de fonds en contact avec les personnels des établissements financiers (23).

Mais ont été qualifiées d'excessives :

- une entreprise d'ambulance prévoyait que le règlement intérieur imposant pour le personnel ambulancier le port obligatoire d'une cravate et précisant "pas de jeans ni de baskets". Les juges du fond ont décidé que la disposition du règlement intérieur était plus exigeante que celles de la Convention collective prévoyant pour le personnel ambulancier une tenue soignée et le port obligatoire d'une blouse blanche : le règlement intérieur comportait des restrictions aux libertés individuelles qui n'étaient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir (24) ;

- le refus du salarié de porter une blouse blanche pendant le travail ne pouvait être constitutif d'une faute qu'autant que l'obligation du port de ce vêtement était justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché : il appartient aux juges du fond de rechercher si la restriction apportée par l'employeur à la liberté individuelle du salarié de se vêtir était légitime (25).

- dans le même sens, il a été jugé, s'agissant de salariés engagés par le syndicat des copropriétaires de la résidence en qualité de surveillants, qu'ils sont exclus du champ d'application de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 (N° Lexbase : L2919AIX) et du décret n° 86-1099 du 10 octobre 1986 (et donc, ne sont pas tenus par l'obligation faite aux salariés de porter un uniforme) ; le contrat individuel de travail ne pouvait comporter de restrictions plus importantes aux libertés individuelles que celles prévues par la Convention collective nationale des gardiens, concierges et employés d'immeuble du 11 décembre 1979 qui n'impose le port d'un uniforme qu'au personnel de la catégorie B, coefficient 166 (26).

- le refus de porter un uniforme a été consacré dans une autre affaire, s'agissant d'entreprises relevant du secteur de la sécurité. Pour la Cour de cassation, l'article 5 de l'annexe V de la Convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité (qui prévoit la possibilité d'une obligation formelle du port de l'uniforme pour les agents de maîtrise affectés à certains postes fixes ou itinérants) ne concernait que les salariés en contact avec la clientèle. Tel n'est pas le cas de salariés, en leur qualité d'agents vidéo, n'ayant donc pas pour mission de procéder à des interpellations. Leurs fonctions ne les appelaient pas, même occasionnellement, à être en contact avec la clientèle (27) ;

- l'interdiction de porter le pantalon sous la robe réglementaire de caissière (à moins qu'il ne soit invisible) (28).

4 - Contrôle judiciaire des restrictions de l'employeur à la liberté vestimentaire du salarié

Ont été sanctionnées par l'employeur, et confirmées par les juges, les tenues vestimentaires suivantes :

- une secrétaire qui s'était présentée sur son lieu de travail en survêtement, la décision de l'employeur de lui interdire une telle tenue est dans ce cas justifiée, au regard du type de fonctions qu'exerçait la salariée (29) ;

- la tenue vestimentaire négligée n'était pas compatible avec les obligations d'un employé en relation permanente avec la clientèle (30) ;

- la Cour de cassation a considéré comme fondé un licenciement d'une salariée venue travailler avec un chemisier dont la transparence était de nature à jeter un trouble dans l'entreprise ;

- A été justifié le licenciement d'un charcutier ayant une tenue malpropre ce qui avait entraîné des remarques de la part de la clientèle (31) ;

- le fait d'interdire le port du bermuda uniquement aux hommes ne constituait pas une "pratique discriminatoire sexuelle" (32) ;

- tenue négligée d'un employé de banque (33) ;

- vendeur de matériel de micro-informatique venant au travail en jeans, tee-shirts et baskets (34) ;

- blouse transparente sur une nudité complète du buste (35) ;

- ambulancière portant une jupe trop courte (36).

Ont été validées par le juge, les libertés vestimentaires suivantes :

- le fait pour une coiffeuse de porter des vêtements non conformes aux souhaits de l'employeur ne pouvait pas justifier un licenciement (37) ;

- est abusif le licenciement d'un salarié qui refusait de retirer pendant son service le diamant qu'il portait à l'oreille (38).

- le port d'un survêtement par la salariée d'une agence immobilière (39).

En l'espèce, l'employeur invoquait un argument connu et habituel en de telles circonstances. L'employeur faisait valoir que son restaurant gastronomique recevait une clientèle attirée par sa réputation de marque, laquelle impose une tenue sobre du personnel en salle. Le salarié, serveur dans ce restaurant, était au contact direct de cette clientèle. Aussi, selon l'employeur, le port de boucles d'oreilles pendant la durée du service était incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail. La cour d'appel de Montpellier s'était prononcée en 2010 (40). Selon les juges du fond, la lettre de licenciement ne se limite pas à relever l'insubordination de nature à compromettre l'autorité de l'employeur mais fait référence au sexe et à l'apparence du salarié en incluant la phrase suivante "votre statut au service de la clientèle au quotidien ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes". Aussi, le motif du licenciement révèle une référence au sexe du salarié laissant supposer l'existence d'une discrimination directe par rapport aux autres membres du personnel de sexe féminin et laissant entendre qu'il ne serait pas un homme en portant des boucles d'oreilles.

B - Eléments vestimentaires à dimension religieuse (foulard, ...)

Pour la cour d'appel de Paris, le port d'un foulard par une salariée, pendant ses heures de travail et sur son lieu de travail, alors qu'elle participe à l'exécution d'un service public (soumis au respect du principe de laïcité et de neutralité) constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (41). Les juges du fond considèrent en effet qu'il résulte des textes constitutionnels et législatifs que les principes de laïcité de l'Etat et de neutralité des services publics s'appliquent à l'ensemble de ceux-ci. Si les agents des services publics bénéficient de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l'accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu'ils disposent dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses. La cour d'appel juge ainsi le licenciement justifié pour une cause réelle et sérieuse. Les exigences relatives à la neutralité et à la laïcité du service public ont été rappelées dans le règlement intérieur de la Caisse, principes faisant obstacle à ce que les agents de la CPAM disposent du droit, pendant leur service et sur le lieu de leur travail, de manifester leur appartenance religieuse par un accessoire vestimentaire ostentatoire

En 2003, la cour d'appel de Paris a décidé que le refus d'une salariée de renoncer au port du foulard islamique ne constitue pas une cause légitime de licenciement (42). En effet, dès lors que la lettre de rupture fait expressément référence au refus de la salariée de renoncer à la manifestation de ses convictions religieuses, le licenciement présente toutes les apparences d'une mesure prohibée au sens de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8 recod. art. L. 1132-1 N° Lexbase : L6053IAG), et il appartient à l'employeur de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Dans le sens contraire, la même cour d'appel de Paris a jugé, en 2001 (43), que le licenciement d'une vendeuse travaillant dans un centre commercial, en contact avec la clientèle, peut être fondé sur son refus de renoncer au port du voile islamique qu'elle avait adopté subitement, sept ans après son embauche. Le refus de la salariée de renoncer à une coiffe selon des modalités en réalité non nécessaires au respect de ses croyances, constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement. La restriction à la liberté individuelle de la salariée, limitée au seul foulard porté de façon ostentatoire et apportée sans délai après sa manifestation par l'employeur dans l'intérêt de l'entreprise, ne constituant pas une faute dans l'exercice du pouvoir de direction, est légitime.

Enfin, on relèvera le jugement (très médiatisé) rendu par le Conseil de Prud'homme de Mantes-la-Jolie du 13 décembre 2010. Le règlement intérieur de la crèche indique que le salarié doit respecter et garder la neutralité d'opinion politique et confessionnelle en regard du public accueilli tel que mentionné dans ses statuts. Pour valider la clause du règlement intérieur, les conseillers prud'homaux (44) font appel à la Constitution ; ils relèvent que la salariée, dans son contrat de travail, s'est engagée à respecter ce règlement intérieur. Il souligne, ensuite, que l'inspection du travail n'a fait aucune remarque particulière à l'association. Il considère donc que le règlement intérieur est parfaitement licite et que la salariée, tenue de le respecter, a commis une faute grave en le bafouant.


(1) D. Roux, Un milieu de travail diversifié : l'apport de l'obligation d'accommodement raisonnable selon le droit international et le droit canadien, JSL, n° 261, 1er septembre 2009.
(2) LSQ, n° 15848, 2 mai 2011.
(3) SSL, n° 1522, 23 janvier 2012 ; LSQ, n° 16025, 24 janvier 2012.
(4) Le législateur est intervenu à deux reprises en peu de temps : loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 (N° Lexbase : L1864DPQ), qui proscrit le port des signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse mais uniquement dans les écoles, collèges et lycées publics, les crèches n'étant pas visées ; loi n° 2010-1192 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public (N° Lexbase : L1365INU). Références bibliographiques : R. Schwart, Laïcité dans l'entreprise in Les paradoxes du droit du travail, SSL, 2011, suppl., n° 1508 ; F. Gaudu, Droit du travail et religion, Dr. soc., 2008, p. 958 ; La religion dans l'entreprise, Dr. soc., 2010, p. 65 ; C. Brice-Delajoux, La liberté religieuse sur les lieux de travail, Dr. ouvr., 2011, p. 58 ; C. Brisseau, La religion du salarié, Dr. soc., 2008, spéc., p. 975 ; A. Debet, Signes religieux et jurisprudence européenne, Arch. philo droit, t. 48, p. 221 , H. Boualili, Laïcité et port du foulard islamique au travail, Dr. soc., 2011, p. 779 ; J. Savatier, Conditions de licéité d'un licenciement pour port du voile islamique, Dr. soc., 2004, p. 354 et Liberté religieuse et relations de travail, in Mélanges Verdier, Dalloz, 2001, p. 455 ; René de Quenaudon, Expression religieuse et laïcité en entreprise, A propos de l'avis rendu par le Haut Conseil à l'intégration le 1er septembre 2011, RDT, 2011 p. 643 ; P. Adam, Le fait religieux et l'entreprise : un pacte, une délibération. Et la lumière fu(i)t ?, RDT, 2011, p. 314 ; L'entreprise, sans foi... ni voile ? CPH Mantes-la-Jolie, 13 décembre 2010, n° F 10/00587 (N° Lexbase : A1067GNT), D., 2011, p. 85, RDT, 2011, p. 182.
(5) Cass. req., 6 août 1844, D., 1844, 1, p. 354, cité par A. Pousson, La liberté de se vêtir n'est pas une liberté fondamentale, D., 2004, p. 176.
(6) T. civ. Seine, 20 février 1952, D., 1952, Jur. p. 353 A. Pousson, D., 2004 p. 176, préc.
(7) CA Paris, 7 janvier 1988, 22ème ch..
(8) CA Paris, 18ème ch., 6 mai 1982, et CA Paris, 22 avril 1987, 22ème ch., cité par M.-C. Haller, JSL, n° 88 du 18 octobre 2001, Note sous CA Paris, 16 mars 2001, 18ème ch, sect. E, n° 01-454.
(9) CA Paris, 3 avril 2008, 21ème ch., sect. B, S 06/10076 (N° Lexbase : A1421D87).
(10) CPH Tours, sect. commerce, 2 mai 2000, n° 99/0822, cité par M.-C. Haller, JSL, n° 88, 18 octobre 2001, note préc..
(11) CA Montpellier, 4ème ch., 3 juin 2009, n° 08/06324 (N° Lexbase : A4908EIM) ; v. les obs. de Ch. Radé, Du caractère discriminatoire du licenciement d'un salarié en raison de sa transidentité, Lexbase Hebdo n° 364 du 24 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9269BLU) ; v. aussi Délibération de la HALDE relative à l'inadéquation entre l'apparence physique d'une personne transsexuelle et son numéro de Sécurité sociale, Lexbase Hebdo n° 325 du 6 novembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6902BH4).
(12) A. Boisgibault de Bryas, La tenue vestimentaire du salarié, JCP éd. E, 2003, p. 851 ; L. Gimalac, La tenue vestimentaire, l'identité et le lien social dans le cadre des rapports professionnels, LPA, 20 décembre 2002, p. 11.
(13) CPH Paris, 17 décembre 2002, RJS, mars 2003, n° 308 et 309.
(14) CPH Rouen, 30 août 2001, RJS, 2001, n° 1252, D., 2001, IR p. 2722 ; CA Rouen, 13 novembre 2001, RJS, 2002, n° 8 ; Cass. soc., 28 mai 2003, n° 02-40.273, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6668CK8); D., 2004 p. 176 ; D., 2003, Jur. p. 2718, note F. Guiomard ; RTD civ., 2003, p. 680, obs. J. Hauser ; JCP éd. E, 2003, II, n° 10128, note D. Corrignan-Carsin ; JCP éd.E, 2003, p. 1328, note D. Corrignan-Carsin ; Dr. ouvr., 2003, p. 224, note P. Moussy ; P. Waquet, Le bermuda ou l'emploi, Dr. soc., 2003, p. 808 ; RJS août - septembre 2003, n° 975 ; P. Lyon-Caen, L'atteinte portée à la liberté de se vêtir constitue-t-elle un trouble manifestement illicite ?, Dr. ouvr., 2003, p. 221 ; J.-F. Cesaro, Chronique droit du travail sous la direction de B. Teyssié, JCP éd. E, 2003, p. 1790 ; v. les obs. de Ch. Figerou, La liberté de se vêtir : une liberté certes, mais pas fondamentale, Lexbase Hebdo n° 74 du 4 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7609AA3). V. aussi Cass. soc., 12 novembre 2008, n° 07-42.220, F-D (N° Lexbase : A2446EB9), B. Bossu, note JCP éd. S, 2009, 1200.
(15) Cass. soc., 28 avril 1988, n° 87-41.804, publié (N° Lexbase : A4778AA9)
(16) Cass. soc., 2 octobre 2001, n° 99-42.942, publié (N° Lexbase : A1200AWD), D., 2001, p. 3148, note P.Y. Gautié ; RJS 2001, p. 940, chron. F. Favennec-Héry (N° Lexbase : A1200AWD)
(17) Cass. soc., 22 janvier 1992, n° 90-42.517, publié (N° Lexbase : A3737AAN).
(18) CE, 16 décembre 1994, n° 112855 (N° Lexbase : A1278AAL), RJS, février 1995, n° 128.
(19) CA Paris, 13 mars 1984, D,. 1985, IR p. 297
(20) Cass. soc., 17 avril 1986, Jurisp. soc. UIMM, n° 87782, p. 8 ; CA Paris, 8 avril 1994, JCP éd. E 1994, Panorama p. 710
(21) CA Paris, 18 janvier 1991, RJS, mai 1991, n° 671.
(22)Cass. soc. 12 juillet 1989, n° 3059
(23) CA Dijon, 25 juin 1992, RJS, octobre 1992, n° 1202.
(24) Cass. soc., 19 mai 1998, n° , 96-41.123, inédit (N° Lexbase : A9743CWR) ; Cah. soc., Barreau Paris, 1998, n° 102, S p.115.
(25) Cass. soc., 18 février 1998, n° 95-43.491, publié (N° Lexbase : A2547ACC), Bull. civ., V, n° 90, p. 65.
(26) Cass. soc., 16 janvier 2001, n° 98-44.252, publié (N° Lexbase : A4723AUH), RJS, avril 2001, n° 534.
(27) Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40.346, publié (N° Lexbase : A6405EHP), F-P+B ; v. les obs. de G. Auzero, L'obligation pour un salarié de porter un uniforme
(28) CA Paris, 7 juin 1990, JCP 1991, II, p. 190, obs. A. Chevillard.
(29) Cass. soc., 6 novembre 2001, n° 99-43.988, publié (N° Lexbase : A0702AXB).
(30) Cass. soc., 12 juillet 1989, n° 86-40.987, inédit (N° Lexbase : A8250AGN).
(31) Cass. soc., 29 février 1984, n° 81-42.321, RJS, 1984, n° 178.
(32) CPH de Rouen, référés, 30 août 2001.
(33) Cass. soc., 12 juillet 1989, n° 86-40.987 N° Lexbase : A8250AGN)
(34)CA Reims, 12 janvier 2000, RJS, avril 2000, n° 478.
(35) CA Nancy, 29 novembre 1982, D., 1985, Jur. p. 354, note C. Lapoyade-Deschamps ; R. Nerson et J. Rubelin-Devichi, RTD civ., 1983, p. 108, confirmé par Cass. soc., 22 juillet 1986, Liaisons sociales,. 1986, n° 5844, p. 7.
(36) Cass. soc. 18 mai 1999, n° 2296 N° Lexbase : A7297B7E)
(37)Cass. soc., 2 juillet 1997, n° 96-42.326, (N° Lexbase : A8860AGA).
(38) CA Toulouse, 27 novembre 1998, cité par M.-C. Haller, JSL, n° 88, 18 octobre 2001, note préc..
(39) Cass. soc. 6 novembre 2001, n° 99-43.988, publié, D., 2001, IR p. 3397 ; RTD civ., 2002, p. 72, obs. J. Hauser ; JCP E, 2002, p. 1732 note G. Lachaise ; Dr. soc., 2002, p. 110, obs. J. Savatier. S'il est exact que la restriction de la liberté individuelle de se vêtir doit être justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, la cour d'appel, qui a constaté que la salariée était en contact avec la clientèle de l'agence immobilière, a pu décider que la décision de l'employeur de lui interdire de se présenter au travail en survêtement était justifiée.
(40) CA Montpellier, 27 octobre 2010, n° 10/ 01174, (N° Lexbase : A8724GNG).
(41) CA Paris, Pôle 6, 6ème ch., 9 novembre 2011, n° 10/01263 (N° Lexbase : A9004H3U).
(42) CA Paris, 18ème ch., sect. C, 19 juin 2003, n° 03/30212 (N° Lexbase : A8172C9K).
(43) CA Paris, 18ème ch., sect. E, 16 mars 2001, n° 99/31342 (N° Lexbase : A8577C9K) ; M.-C. Haller, JSL, n° 88 du 18 octobre 2001, Note sous CA Paris, 16 mars 2001, 18ème ch, sect. E, n° 01-454.
(44) M. Hautefort, Le droit à la laïcité crée-t-il une limite à la liberté d'exprimer ses opinions religieuses ? (CPH Mantes-la-Jolie, 13 décembre 2010, n° 10/0057), JSL, n° 293, 10 février 2011 ; C. Mathieu, Le respect de la liberté religieuse dans l'entreprise, RDT, 2012 p. 17.

Décision

Cass. soc., 11 janvier 2012, FS-P+B, n° 10-28.213 (N° Lexbase : A5287IA3)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) et art. L. 1332-1 (N° Lexbase : L1862H9T)

Mots-clés : licenciement, discrimination, apparence physique, boucles d'oreille, salarié homme, caractère discriminatoire du licenciement (oui), nullité du licenciement (oui).

Liens base : N° Lexbase : E9235EST

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