La lettre juridique n°470 du 26 janvier 2012 : Bancaire/Sûretés

[Jurisprudence] Information annuelle de la caution et mécanismes de compte courant

Réf. : Cass. com., 10 janvier 2012, n° 10-25.586, FS-P+B (N° Lexbase : A5283IAW)

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N9896BSC

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par Emilie Mazzei, ATER à l'Université de Paris I Panthéon Sorbonne

le 26 Janvier 2012

Désirant pallier le risque de "sous-information" de la caution, le législateur a imposé, par le truchement de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2923G97), une obligation d'information annuelle par la banque garantie : la caution doit à tout moment être consciente de l'existence de son engagement, de sa portée réelle, de ses possibilités de résiliation. Cette obligation d'information s'applique plus particulièrement en cas de cautionnement d'un découvert de compte courant professionnel, hypothèse soulevée par l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 10 janvier 2012.
En l'espèce, un gérant s'est rendu caution solidaire de deux ouvertures de crédit en compte courant pour la société qu'il dirige. Ladite société ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné le gérant en exécution de son engagement de caution. De façon classique, ce dernier s'est défendu en invoquant l'inexécution par la banque de l'obligation annuelle d'information telle que prévue par l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier. Les juges du fond ont considéré que la banque était déchue du droit aux intérêts pour la seule période du 31 mars 2000 au 15 mars 2001 et a débouté la caution pour le surplus. Le raisonnement de la cour d'appel (CA Colmar, 10 juin 2010) est ici confirmé : s'agissant d'un découvert en compte courant, l'information annuelle relative au principal et aux intérêts doit comprendre uniquement le montant de l'autorisation de découvert, le solde du compte arrêté au 31 décembre de l'année précédente et le taux de l'intérêt applicable à cette date. A contrario, à la suite de la liquidation de la société et à la clôture du compte, les informations postérieures doivent distinguer le principal, les intérêts et les accessoires. Respectant ces principes, la cour d'appel a pu faire une exacte application de l'article L. 313-22. L'arrêt de la Chambre commerciale du 10 janvier 2012 est intéressant à plus d'un titre : il aborde la question du contenu de l'information annuelle de la caution de compte courant, mettant en exergue ses particularismes (I) ; il détaille les conditions de régularité de l'information produite, confirmant la sanction prononcée (II).

I - Précisions sur le contenu de l'information annuelle due à la caution

L'arrêt de la Chambre commerciale du 12 janvier 2012 est l'occasion de préciser le contenu de l'information due à la caution (B) en cas de découvert sur un compte courant (A).

A - Information annuelle due aux cautions et mécanismes de compte courant

L'arrêt confirme la possible adaptation des dispositions de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier aux mécanismes du compte courant.

Pour rappel, aux termes de l'article précité, "les établissements de crédit ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition du cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée". Ce texte précise tout aussi bien le destinataire du message informatif -caution personne physique ou morale-, que son contenu -montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires-.

Or, dans le cadre plus particulier du compte courant, le contenu matériel de l'information produite est soumis à quelques incertitudes : le particularisme de fonctionnement du compte courant peut-ils se répercuter sur l'appréciation du contenu de l'information à apporter ? Le régime de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier est-il rigide, fixé par les textes, ou peut-il devenir flexible, soumis aux impératifs de la pratique bancaire ?

Ainsi, si la pratique même du cautionnement de compte courant n'est, bien sûr, plus discutée, elle demande néanmoins quelques précisions. Dans le cadre du compte courant, la caution prend un engagement quant au solde final du compte, solde indivisible et connu à la clôture du compte courant. De fait, la caution n'a véritablement connaissance du montant de son engagement qu'à la clôture du compte. Cela s'explique, selon la doctrine classique, par le mécanisme de novation qui prévaut dans le cadre du compte courant : chaque créance de l'un et de l'autre des titulaires du compte fusionnent dans un solde unique dont la valeur n'est réellement déterminée qu'à la fin de l'existence de leur relation de compte. Autrement dit, créance et dette deviennent autant d'articles de compte : l'entrée en compte éteint la créance ou la dette, une obligation nouvelle apparaissant à sa clôture. En outre, dans le cadre du compte courant, les intérêts inscrits en compte sont capitalisés, par exception aux dispositions de l'article 1154 du Code civil (N° Lexbase : L1256AB7) : la prohibition de l'anatocisme ne s'applique pas en matière de compte courant.

Or, cette capitalisation des intérêts pose des difficultés quant à l'information à produire : dans cette hypothèse, est-il possible pour la banque de détailler le montant du principal, des intérêts, commissions, frais et accessoires ? Sur le terrain contentieux, certains ont d'ailleurs argué d'une impossibilité de faire, cherchant à échapper à leur obligation d'information. En réponse, il a cependant pu être jugé que l'inscription en compte ne pouvait permettre à la banque d'échapper aux dispositions de l'article 48 de la loi du 1er mars 1984 (N° Lexbase : L7474AGW), alors applicable (1). En l'espèce, l'arrêt de la Cour de cassation ne se place plus sur le terrain de la faisabilité de l'information annuelle, mais sur son contenu même, sa formulation. Devant s'appliquer à l'hypothèse du compte courant, cette information doit nécessairement être adaptée.

Pour comprendre cette solution, il faut revenir aux objectifs du législateur : l'information annuelle de la caution vise à lui faire prendre conscience du risque de sa sûreté. Cet objectif premier de protection de la caution s'applique a fortiori dans le cas du compte courant, dont le mécanisme différé est d'autant plus risqué. Reste à savoir quelle sera la teneur exacte de cette information, dans la mesure où il s'agit "d'un solde débiteur d'un compte dont ne peuvent être extraits les intérêts".

B - Le contenu de l'information à produire

Dans ce cadre, le juge doit apprécier si l'information produite par la banque est "correcte" : les juges du fond vérifient la véracité du message informatif eu égard à la lettre de l'article L. 321-22 du Code monétaire et financier, mais aussi -ce qui parait plus inédit- en considération de l'opération bancaire garantie.

L'information doit être exacte : c'est le contenu même de l'information qui est au centre du débat prétorien. Or, l'article L. 321-22 du Code monétaire et financier précité dispose que l'information doit être non pas globale mais détaillée, précisant intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente (2).

La Cour de cassation va ici adapter l'information au produit garanti : pour cela, elle s'efforce d'identifier au cas particulier le moment de production de l'information, distinguant pour cela l'avant et l'après clôture du compte courant. Tout d'abord, dans le cadre du fonctionnement du compte courant, la Cour accepte que l'information donnée aux cautions comprenne, le cas échéant, "le montant de l'autorisation de découvert, le solde du compte arrêté au 31 décembre de l'année précédente et le taux de l'intérêt applicable à cette date". En l'espèce, l'information produite, ne ventilant pas les frais et intérêts, sera donc régulière : il doit être tenu compte de l'impossibilité d'extraire les intérêts produits dans le cadre du solde débiteur du compte courant. Une information globale suffit donc.

Logiquement, dans la période post compte courant, l'information doit, de nouveau, ventiler les différents frais, commissions et intérêts perçus par la banque, l'arrêt stipulant que "les informations postérieures distinguent le principal, les intérêts et les accessoires dans la mesure où le compte a été clôturé à la suite de la liquidation de la société intervenue le 7 avril 2003". Cela se justifie par la disparition, à la clôture du compte, de l'effet novatoire : la créance d'intérêts ne se confond plus dans un solde unique. Il est, à partir de ce moment, possible de distinguer l'ensemble des frais perçus par la banque, frais désormais non affectés au sein du solde du compte courant.

Cette solution paraît parfaitement logique au regard du fonctionnement du compte courant : une appréciation large du contenu de l'information, favorable au créancier banquier, assouplit la lettre de l'article L. 321-22 du Code monétaire et financier, parant aux reproches qu'on a pu formuler à son encontre, ceux du "formalisme" et du "pointillisme". La Cour de cassation fait ici preuve de pragmatisme, adaptant les termes de la loi aux pratiques bancaires : au formalisme de l'information, le juge ne doit pas ajouter le rigorisme.

II - Le contrôle de la régularité de l'information annuelle produite

Le juge apprécie la régularité de l'information donnée au regard des documents produits par la banque (A) et confirme une déchéance partielle des intérêts (B).

A - Les critères d'appréciation de la communication de l'information annuelle produite

La Cour de cassation, dans son arrêt du 10 janvier 2012, reprend à son compte, sans que cela ne constitue le coeur de sa solution, les règles d'administration de la preuve dans le cadre des litiges caution-banque (3). Elle garde, en outre, un silence intéressant sur la qualité du destinataire de l'information, dirigeant de la société titulaire du compte courant.

Sur le premier point, la Cour confirme la jurisprudence précédemment établie : la production des lettres d'information est suffisante à prouver l'accomplissement des obligations d'information dues par la banque au garant. L'établissement de crédit a, en l'espèce, produit au débat les lettres d'information adressées pour les années 2001 à 2009. De cette solution, quelques mots : l'"obligation matérielle de faire parvenir l'information à son destinataire" (4) ne se prouve, pour le débiteur de l'obligation de communication, qu'à travers son envoi. Autrement dit, il n'est pas obligatoire pour la banque de pré-constituer la preuve par le biais, notamment, de lettres recommandées avec avis de réception. La lettre simple suffit, aucune forme spécifique n'étant d'ailleurs prévue par le Code monétaire et financier. La connaissance de l'information produite est ainsi subodorée par la production de l'information et non pas par sa réception réelle. Est par conséquent réitérée la distinction entre envoi et réception. Il appartient ainsi à la banque de prouver tout à la fois le contenu et l'envoi de l'information, la caution pouvant, le cas échéant, contester le fait que l'information lui ait été effectivement adressée.

Autre point à noter : il est patent que la personne destinataire de l'information annuelle est ici indifférente. N'a d'ailleurs pas été soulevée la question de la qualité du destinataire du message (5), gérant de la société dont le compte courant a fait l'objet d'un cautionnement. Le débat s'est recentré, au contraire, sur le contenu de l'information : la relation interpersonnelle entre caution et débiteur principal n'interfère donc pas, en l'espèce, sur le contenu de cette information. Peu importe que la caution soit profane ou avertie, dirigeant d'une société ou tiers cautionnant dans un but non professionnel : l'information de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier concerne l'engagement de toute caution, et ce, même si la caution a effectivement accès à l'information concernant l'obligation principale. Ainsi, si la Cour de cassation admet l'adaptation de la réglementation aux impératifs des mécanismes bancaires, elle refuse de faire une distinction entre les créanciers de l'obligation d'information annuelle de la caution, là où le texte n'en fait pas.

B - Les sanctions prononcées

Dans le cadre de ce contentieux, la Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d'appel et prononce une déchéance partielle d'intérêts, c'est-à-dire ne couvrant pas l'ensemble de la durée de l'engagement de caution. Pour rappel, la cour d'appel avait considéré que la banque était déchue du droit aux intérêts pour la seule période allant du 31 mars 2000 au 15 mars 2001. Elle avait, au contraire, débouté la caution dirigeante pour le surplus. Cette solution est confirmée : ne délivrant pas de justificatif, la banque est logiquement déchue de son droit aux intérêts pour la seule période concernée.

La solution retenue est conforme, là encore, aux dispositions de l'article L. 321-22 du Code monétaire et financier selon lequel le défaut d'information entraîne "déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information" (6). Par le truchement de cette sanction, les intérêts pour la période concernée ne sont plus couverts par le cautionnement.

L'on peut, encore une fois, s'interroger sur l'interférence entre mécanismes novatoires du compte courant et obligation d'information de la caution : peuvent-ils avoir quelque conséquence sur les sanctions de l'obligation d'information annuelle de la caution ? Comment la déchéance peut-elle atteindre des intérêts qui sont déjà capitalisés car entrés en compte ? Sur le terrain de la sanction, les juges semblent moins sensibles à ce débat. En effet, la Cour de cassation s'était auparavant prononcée sur cette question, notamment dans un arrêt du 25 mai 1993 (7) aux termes duquel "la déchéance des intérêts encourue en cas de manquement à l'obligation d'information édictée par l'article 48 de la loi du 1er mars 1984 s'applique même lorsque les intérêts ont été inscrits en compte courant". Cette solution est implicitement reprise en l'espèce.

En appliquant la sanction de la déchéance des intérêts, la Cour de cassation nuance en fait l'effet novatoire de l'entrée en compte courant. Cette position est empreinte de réalisme : en tirer toutes les conséquences, y compris au niveau de la sanction, reviendrait à retirer toute efficacité à la sanction du défaut d'information des cautions. Il est néanmoins quelque peu artificiel de rendre compte du particularisme de fonctionnement du compte courant dans le contenu de l'information de la caution tout en refusant de le faire au niveau de la sanction elle-même.


(1) Voir arrêt cité par, Jurisclasseur Civil code, Fascicule 20, "novation", n° 51 : CA Limoges, 29 octobre 1991.
(2) Remarquons, même si cela n'est pas abordé en l'espèce, que la lettre d'information envoyée à la caution doit également mentionner la faculté de révocation de la caution et ses modalités d'exercice.
(3) Sur ce point, voir notamment, Cass. com., 26 juin 2001, n° 98-13.629, inédit (N° Lexbase : A7819ATR), F.-X. Licari, JCP éd G, 2002, II, 10043 : charge de la preuve de l'exécution de l'obligation d'information qui incombe à l'établissement de crédit.
(4) F.-X Licari, note préc..
(5) Sur cette question, voir notamment E. Richard, RDBF, mai 2011, étude 20, L'obligation d'information annuelle de la caution dirigeante.
(6) Entre outre, depuis la loi n° 99-532 du 25 juin 1999 (N° Lexbase : L2208DYG), "les paiements effectués par le débiteur principal, sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette".
(7) Sur ce point, voir la note de J. Ngafaounain, L'obligation d'information annuelle de la caution doit être respectée à l'égard des dirigeants sociaux et la sanction de la déchéance des intérêts en cas de manquement à cette obligation s'applique même lorsque ceux-ci ont été inscrits en compte courant, D., 1994, p. 177.

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