La lettre juridique n°470 du 26 janvier 2012 : Avocats

[Jurisprudence] Contentieux des avocats : la valse des recours en annulation

Réf. : Cass. civ. 1, 1er décembre 2011, n° 10-16.544, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4668H3B) et Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-25.437, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2909H8A)

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par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut rochelais de formation juridique (IRFJ), Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 26 Janvier 2012

La fin de l'année 2011 a été riche en décisions intéressant le contentieux des avocats. Parmi celles-ci, deux ont retenu particulièrement notre attention. L'une pose en principe le respect du contradictoire en cas d'annulation d'une décision du conseil de l'Ordre des avocats (Cass. civ. 1, 1er décembre 2011, n° 10-16.544, FS-P+B+I) ; l'autre précise les conditions de recevabilité du recours en annulation dirigé contre la sentence d'un Bâtonnier entachée d'excès de pouvoir, tout en limitant les prérogatives de ce dernier en cas de litiges inter-barreaux (Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-25.437, FS-P+B+I). I - Respect du contradictoire en cas d'annulation d'une décision du conseil de l'Ordre des avocats

Dans un arrêt du 1er décembre 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a décidé que, lorsqu'une cour d'appel prononce la nullité d'une décision du conseil de l'Ordre des avocats qui lui est déférée, elle ne peut examiner le fond et prononcer la condamnation de la partie qui s'était bornée à demander la nullité, sans l'avoir invitée, au préalable, à conclure au fond. Autrement dit, après avoir annulé une décision du conseil de l'Ordre des avocats pour vice de procédure, une cour d'appel peut statuer sur le fond de l'affaire à condition d'observer le principe du contradictoire.

En l'espèce, le conseil de l'Ordre des avocats de Paris a décidé d'omettre du tableau un avocat car celui-ci n'a pas payé diverses cotisations à caractère professionnel. Le praticien a alors contesté cette éviction devant la cour d'appel en arguant d'un vice de procédure. Selon l'avocat, la composition de la formation plénière du conseil de l'ordre était irrégulière, l'un des membres n'étant pas à cette date membre du conseil. Toutefois, la cour d'appel n'a pas suivi cette argumentation. Pour prononcer l'omission de l'avocat après avoir annulé la décision du conseil de l'Ordre en raison de la composition irrégulière de sa formation plénière, les juges du fond ont retenu que la dévolution s'était opérée pour le tout, en application de l'article 562, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6715H7T), et que l'appelante n'avait pas discuté le non-paiement de ses cotisations. A la suite du pourvoi formé par l'avocat, la Cour de cassation a déclaré, au visa de l'article 16 du même code (N° Lexbase : L1133H4Q), que si, en cas d'annulation de la décision du conseil de l'Ordre, il lui incombe, en vertu de l'article 562, alinéa 2, du Code de procédure civile, de statuer sur la demande, la cour d'appel doit observer le principe de la contradiction et non statuer, comme elle l'a fait, sans inviter l'appelante à conclure sur le fond du litige. L'arrêt attaqué est donc cassé et annulé.

La solution doit être saluée. En effet, selon l'article 562, alinéa 2, du Code de procédure civile, la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs, lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. La Cour de cassation en déduit que lorsque l'appel porte sur la nullité du jugement, la cour d'appel, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif, est tenue de statuer sur le fond quelle que soit sa décision sur la nullité, sans que l'appelant ait à recevoir une injonction de conclure au fond (1). Cela signifie donc que la cour d'appel peut statuer au fond sans qu'il soit nécessaire qu'elle invite les parties à conclure sur le fond. Or, cette solution semble aujourd'hui abandonnée : le juge peut évoquer le fond de l'affaire s'il observe le principe de la contradiction.

II - Recours contre la sentence arbitrale d'un Bâtonnier entachée d'excès de pouvoir

Dans un arrêt rendu le 15 décembre 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé, d'une part, qu'en cas de contestation, le Bâtonnier ne peut rendre une sentence arbitrale interdisant la production de certaines pièces devant une juridiction, sous peine d'excès de pouvoir et, d'autre part, que le recours en annulation de cette sentence arbitrale ne peut être déclaré irrecevable au motif qu'il a été présenté par une personne qui n'était pas partie à la procédure arbitrale.

En l'espèce une avocate au barreau de Lyon est décédée au sortir d'une audience. Son compagnon a chargé un avocat au barreau de Paris de rechercher la responsabilité de l'avocate collaboratrice de sa compagne. Le Bâtonnier du barreau de Paris et celui du barreau de Lyon étant en désaccord sur la possibilité pour l'avocat saisi de produire deux lettres échangées entre avocats dans l'affaire plaidée le jour du décès, portant la mention "officielle", ils sont convenus de recourir à l'arbitrage du Bâtonnier du barreau de Montpellier. Ce dernier a, par sentence, dit que ces lettres devaient être retirées de la plainte pénale. L'avocat du compagnon a alors formé un recours en annulation de cette sentence. La cour d'appel a ensuite rejeté ce recours au motif que l'avocat n'était pas partie à la procédure arbitrale et ne disposait pas à ce titre d'une compétence pour former ce recours. Toutefois, son arrêt a été censuré par la Cour de cassation car, s'agissant d'une sentence arbitrale entachée d'excès de pouvoir, l'argumentation retenue par la cour d'appel n'était pas conforme aux dispositions combinées de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) et de l'article 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2009-1544 du 11 décembre 2009 (N° Lexbase : L0440IGE).

La solution est intéressante à double titre. En premier lieu, cette affaire est l'occasion de préciser la notion d'excès de pouvoir, condition de l'ouverture d'un recours en annulation par voie d'appel (2) et dont l'appréciation est de plus en plus stricte (3). Si, en vertu de l'article 175 du décret du 27 novembre 1991, l'avocat peut saisir le Bâtonnier de toute difficulté, seule la juridiction saisie peut décider des pièces pouvant être produites devant elle. En second lieu, cette affaire met en exergue les difficultés à traiter des litiges inter-barreaux, dès lors qu'en l'espèce le Bâtonnier de Montpellier a empiété sur les prérogatives de la juridiction normalement compétente. Rappelons que le Bâtonnier est compétent pour engager des poursuites disciplinaires contre l'avocat qui commettrait une faute au regard de ses obligations déontologiques (4). Or, dans les faits, il existait une divergence de points de vue quant à l'existence d'une telle faute. Contrairement à son homologue parisien, le Bâtonnier de Lyon estimait que l'avocat ayant pris l'initiative de la communication des lettres avait eu un comportement fautif. C'est pour régler de telles divergences entre Bâtonniers, que la convention du 28 novembre 2008, signée entre la Conférence des Bâtonniers de France et d'Outre-mer et le barreau de Paris, avait mis en place une procédure d'arbitrage : un Bâtonnier tiers arbitre peut imposer à un autre Bâtonnier la règle déontologique à appliquer, règle au regard de laquelle il lui appartient d'engager, le cas échéant, des poursuites disciplinaires (5). Cette convention est aujourd'hui intégrée à l'article 20.1 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) issu de la décision du CNB du 21 octobre 2010, portant réforme du règlement intérieur national (RIN) de la profession d'avocat, publiée au Journal officiel du 7 janvier 2011, et qui prévoit que : "Si une difficulté d'ordre déontologique survenue entre avocats de barreaux différents n'a pu être réglée par l'avis commun de leurs Bâtonniers respectifs dans les quatre semaines de leur saisine, ceux-ci soumettent cette difficulté au Bâtonnier d'un barreau tiers dans un délai de huit jours. A défaut d'accord sur le choix de ce Bâtonnier, celui-ci est désigné par le président du Conseil national des barreaux à la requête du Bâtonnier concerné le plus diligent. Le Bâtonnier ainsi choisi ou désigné fait connaître son avis par écrit, dans les quatre semaines de sa propre saisine, aux avocats concernés ainsi qu'à leurs Bâtonniers respectifs qui veilleront à l'application de cet avis, en ouvrant, le cas échéant, une procédure disciplinaire. Les délais ci-dessus prévus sont réduits de moitié en cas d'urgence expressément signalée par le Bâtonnier premier saisi". Mais la légalité de cet article est fortement contestée. En effet, le CNB n'a pas le pouvoir de déléguer ses compétences qu'il se doit d'exercer conformément à l'article 21-1 de la loi de 1971 : "Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, le Conseil national des barreaux unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d'avocat [...]". De surcroît, son contenu suscite des interrogations chez les praticiens : à quoi bon solliciter un troisième avis qui ne peut avoir de caractère contraignant (6), dès lors que l'opportunité des poursuites demeure, et c'est la moindre des choses, entre les mains des seules autorités de poursuites (Bâtonnier et Parquet), dont relève l'avocat concerné ? Et si une divergence d'interprétation surgit, et qu'il y a un intérêt à établir une position commune (comme en matière de conflits d'intérêts inter-barreaux par exemple), alors il appartient aux Bâtonniers concernés de saisir... la commission "règles et usages" du Conseil national des barreaux (7). En définitive, l'arrêt rendu par la Cour de cassation pose plus de questions qu'il n'en résout !


(1) V. Cass. civ. 2, 9 décembre 1997, n° 96-12.472 (N° Lexbase : A1032AC9), Bull. civ. II, n° 302 ; D., 1998, IR 33 ; D. Affaires, 1998, 422, obs. S. P. ; JCP éd. E, 1998, IV, 1177 ; Cass. civ. 2, 22 mars 2006, n° 04-14.962 (N° Lexbase : A7937DNB), Bull. civ. II, n° 77 ; JCP éd. G, 2006, IV, 1887.
(2) V. Cass. com., 30 mars 1993, n° 91-12.287, publié (N° Lexbase : A5577AB8).
(3) V. Cass. mixte, 28 janvier 2005, n° 02-19.153, publié (N° Lexbase : A6459DGC).
(4) En cas de carence du Bâtonnier, v. Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 98-16.508, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1113ATE).
(5) Comp. l'ancien article 20 du règlement intérieur national (RIN) de la profession d'avocat (JO 11 août 2007), reprenant les dispositions de l'article 19 du RIU de 2004 : "Règlement des conflits inter barreaux : Si une difficulté survenue entre avocats de barreaux différents n'a pu être réglée par l'accord de leurs Bâtonniers respectifs, ceux-ci choisissent un troisième Bâtonnier. Le différend sera résolu par l'avis conjoint des trois Bâtonniers ou de leurs délégataires respectifs siégeant collégialement. Les Bâtonniers intéressés veilleront à l'application de l'avis rendu".
(6) Rappr. Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 95-22.242 (N° Lexbase : A2066ACI).
(7) V. D. Piau, Unification des règles déontologiques ou guerre picrocholine ?, Gaz. Pal., 10 janvier 2012, n° 10, p. 19.

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