Réf. : Cass. civ. 1, 20 mai 2020, n° 18-25.136, FS-P+B+I (N° Lexbase : A83303L4)
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par Marie Le Guerroué
le 27 Mai 2020
► Il incombe au juge, saisi de poursuites disciplinaires contre l’avocat qui n’a pas déféré à une commission d’office, de se prononcer sur la régularité de la décision du président de la cour d’assises rejetant les motifs d’excuse ou d’empêchement qu’il avait présentés pour refuser son ministère et, par suite, de porter une appréciation sur ces motifs.
Ainsi statue la première chambre civile dans un arrêt du 20 mai 2020 dans l’affaire qui concernait l’avocat Lillois Franck Berton (Cass. civ. 1, 20 mai 2020, n° 18-25.136, FS-P+B+I N° Lexbase : A83303L4 ; v., à propos de l'arrêt censuré rendu par la cour d'appel de Douai, M. Boissavy, La conscience de l’avocat et les droits de la défense face à la commission d’office par le président d’une juridiction pénale, in Lexbase Avocats, 2018, n° 276 N° Lexbase : N6888BXE).
Faits et procédure. Le demandeur au pourvoi avait relevé appel de la décision d’une cour d’assises le condamnant à vingt-neuf ans de réclusion criminelle pour assassinat (CA Douai, 21 novembre 2018, n° 18/03942 N° Lexbase : A9209YQ7). Lors de l’ouverture des débats devant la cour d’assises d’appel, les avocats désignés par l’accusé, avaient décidé de se retirer de la défense de leur client, en accord avec celui-ci. Après avoir commis d’office l’un des deux avocats, la présidente de la cour d’assises avait, par ordonnance du 14 mai 2014, rejeté les motifs d’excuse et d’empêchement invoqués par ce dernier pour refuser son ministère. L’avocat avait, néanmoins, quitté la salle d’audience et les débats s’étaient déroulés en l’absence de l’accusé et de son avocat commis d’office. Par arrêt du 22 mai 2014, devenu définitif à la suite du rejet du pourvoi formé par l’intéressé (Cass. crim., 24 juin 2015, n° 14-84.221, FS-P+B+I N° Lexbase : A6748NLI, Bull. Crim., 2015, n° 137), la cour d’assises du Pas-de-Calais avait condamné ce dernier à vingt-cinq ans de réclusion criminelle. Il était reproché à l’intéressé de ne pas avoir déféré à la commission d’office, nonobstant la décision de la présidente de la cour d’assises de rejeter ses motifs d’excuse ou d’empêchement, la procureure générale près la cour d’appel de Douai avait, le 19 janvier 2017, saisi le conseil régional de discipline des barreaux du ressort de ladite cour aux fins de poursuites disciplinaires.
Enoncé du moyen. L’avocat fait grief à l’arrêt de dire que son refus de se soumettre à la commission d’office décidée par la présidente d’une cour d’assises caractérise une faute disciplinaire lorsque les motifs d’excuse présentés par l’avocat n’ont pas été retenus par la présidente de la cour d’assises et de prononcer à son encontre la sanction disciplinaire de l’avertissement, alors « qu’en matière disciplinaire, l’arrêt qui se prononce sur des poursuites doit mentionner que la personne poursuivie et son avocat ont eu communication des conclusions écrites du ministère public et ont été mis en mesure d’y répondre utilement ; que l’arrêt attaqué, qui ne comporte pas cette mention, doit être annulé pour violation de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR), de l’article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q) et des droits de la défense ».
Réponse de la Cour. L’arrêt, qui prononce la peine disciplinaire de l’avertissement, mentionne que le ministère public a déposé des conclusions écrites le 14 septembre 2018 et qu’à l’audience du 10 octobre suivant, les parties ont maintenu oralement leurs écritures. La première chambre civile qui déduit sa solution des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et articles 15 (N° Lexbase : L1132H4P) et 16 du Code de procédure civile, estime qu'en procédant ainsi, sans constater que l’avocat poursuivi avait eu communication des conclusions écrites du ministère public afin d’être mis en mesure d’y répondre utilement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Enoncé du moyen. L’avocat fait le même grief à l’arrêt, alors « que la régularité de la décision du président de la cour d’assises n’ayant pas approuvé les motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par l’avocat commis d’office peut être contestée par l’avocat à l’occasion de la procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d’assises ; que le juge disciplinaire exerce dans ce cadre un contrôle autonome, qui lui est propre, distinct de celui exercé dans le cadre du pourvoi formé par l’accusé ou d’une requête en récusation ; qu’en se référant, pour « confirmer la décision de la présidente de la cour d’assises qui n’avait pas retenu les motifs d’excuse présentés par Maître X... », à l’arrêt de la Chambre criminelle du 24 juin 2015 ayant validé la procédure et à la décision du 19 mai 2014 ayant rejeté la requête en récusation sans se livrer à sa propre appréciation, la cour d’appel a méconnu son office, en violation de l’article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), et de l’article 62 de la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L7403HHN)».
Réponse de la Cour. Aux termes de l’article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, l’avocat régulièrement commis d’office par le Bâtonnier ou le président de la cour d’assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le Bâtonnier ou par le président. Selon le dernier, l’avocat est tenu de déférer aux désignations et commissions d’office, sauf motif légitime d’excuse ou d’empêchement admis par l’autorité qui a procédé à la désignation ou à la commission. Lorsque le président de la cour d’assises constate que l’accusé n’est pas ou plus défendu et lui commet d’office un avocat, en application de l’article 317 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3715AZM), il est seul compétent pour admettre ou rejeter les motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par ce dernier (Cass. civ. 1, 9 février 1988, n° 86-17786, publié au bulletin N° Lexbase : A6989AA4, Bull. 1988, I, n° 31 ; Crim., 24 juin 2015, pourvoi n° 14-84.221, Bull. Crim. 2015, n° 167). L’avocat qui, malgré la décision du président de la cour d’assises de ne pas approuver les motifs d’excuse ou d’empêchement qu’il a présentés, persiste dans son refus d’exercer la mission qui lui a été confiée, peut être sanctionné disciplinairement (Cass. civ. 1, 15 novembre 1989, n° 88-11413, publié au bulletin, N° Lexbase : A6244CHQ, Bull. 1989, I, n° 347 ; Cass. civ. 1, 2 mars 1994, n° 92-15.363 N° Lexbase : A2054CLN). Toutefois, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité posée à l’occasion de la présente instance, le Conseil constitutionnel, dont les décisions s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles, a retenu que, si le refus du président de la cour d’assises de faire droit aux motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par l’avocat commis d’office n’est pas susceptible de recours, la régularité de ce refus peut être contestée par l’accusé à l’occasion d’un pourvoi devant la Cour de cassation, et par l’avocat à l’occasion de l’éventuelle procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d’assises (Cons. const., décision n° 2018-704 QPC, du 4 mai 2018 (N° Lexbase : A1936XMN § 9 ; v., A. Cappello, L’appréciation des motifs d’excuse de l’avocat par le président de la cour d’assises jugée conforme à la Constitution, Lexbase Pénal, n° 6, 2018 N° Lexbase : N4557BX3).
La Chambre criminelle rend sa décision au visa des articles 62 de la Constitution du 4 octobre 1958, 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, et 6, alinéa 2, du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat (N° Lexbase : L6025IGA). Elle en déduit qu’il incombe au juge, saisi de poursuites disciplinaires contre l’avocat qui n’a pas déféré à une commission d’office, de se prononcer sur la régularité de la décision du président de la cour d’assises rejetant les motifs d’excuse ou d’empêchement qu’il avait présentés pour refuser son ministère et, par suite, de porter une appréciation sur ces motifs. Or, pour prononcer la sanction disciplinaire de l’avertissement contre l’avocat, après avoir relevé que celui-ci avait invoqué, notamment, l’animosité de l’avocat général occupant le siège du ministère public, un calendrier de procédure établi sans consultation préalable des avocats de la défense et la volonté de la présidente de la cour d’assises d’éviter la présence des deux avocats choisis, l’arrêt retient que ces arguments ont déjà été rejetés par l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 24 juin 2015, qui a validé la procédure à l’égard de l’accusé, de sorte qu’il y a lieu de confirmer la décision de la présidente de la cour d’assises de ne pas retenir les motifs d’excuse présentés par l’avocat. En statuant ainsi, alors que, pour apprécier le caractère fautif du refus de l’avocat de déférer à la commission d’office, il lui incombait de procéder elle-même à l’examen des motifs d’excuse ou d’empêchement invoqués par ce dernier, la cour d’appel a méconnu son office et violé les textes susvisés.
Cassation. La Cour censure par conséquent l’arrêt précédemment rendu par la cour d’appel de Douai (cf. l’Ouvrage « La profession d’avocat » N° Lexbase : E9554ETZ).
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