Le Quotidien du 24 avril 2020 : Droit pénal des affaires

[Brèves] Blanchiment : précisions sur la notion d’opération de placement et motivation des peines d’emprisonnement et d’interdiction de gérer

Réf. : Cass. crim., 18 mars 2020, n° 18-85.542, FS-P+B+I (N° Lexbase : A48453KN)

Lecture: 8 min

N3000BYR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Blanchiment : précisions sur la notion d’opération de placement et motivation des peines d’emprisonnement et d’interdiction de gérer. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/57658976-brevesblanchimentprecisionssurlanotiondoperationdeplacementetmotivationdespeinesdempris
Copier

par June Perot

le 22 Avril 2020

► L'opération de dépôt ou de virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte, y compris s'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine, qui conduit à faire entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire, constitue une opération de placement caractérisant le délit de blanchiment.

C’est ainsi que se prononce la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18 mars 2020 (Cass. crim., 18 mars 2020, n° 18-85.542, FS-P+B+I N° Lexbase : A48453KN).

Résumé des faits. Les faits de l’espèce concernaient le gérant d’une société de conseil pour les affaires et la gestion renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs d'escroquerie commise en bande organisée et blanchiment. Entre novembre 2009 et février 2011, le service des contributions de la Polynésie française a transmis au procureur de la République plusieurs dénonciations de faits susceptibles de constituer des fraudes au dispositif de défiscalisation dit « loi Girardin », qui permet à des particuliers de bénéficier de crédits d'impôts en investissant dans l'acquisition de matériel industriel neuf au profit d'entreprises polynésiennes. Les contrôles réalisés ont mis en évidence que des factures présumées fictives avaient été produites dans le cadre de dossiers de défiscalisation afin de faire entrer dans le dispositif du matériel non éligible ou qui n'avait en réalité jamais été acheté.

L'ensemble des dossiers de défiscalisation litigieux avait été constitué avec l'intervention de la SARL Sofipac, société de conseil pour les affaires et la gestion, dont l’intéressé était le gérant.

Les investigations ont également permis de révéler l’implication de deux autres personnes (un apporteur d’affaires pour le compte de la société et sa fille qui aurait participé à la constitution d’un dossier frauduleux).

Les juges du premier degré ont condamné les trois prévenus. Ces derniers et le ministère public ont formé appel de cette décision.

En cause d’appel. S’agissant de la peine, pour condamner le gérant prévenu à cinq ans d'emprisonnement dont trois ans assortis du sursis sans prononcer d'aménagement pour la partie ferme, 50 000 000 FCP d'amende, cinq ans d'interdiction de gérer et ordonner la confiscation des sommes portées au crédit de ses contrats d'assurance-vie et d'assurance-retraite, l'arrêt relève qu’il est le principal auteur et bénéficiaire du système d'escroquerie mis en place qui lui aurait permis de percevoir des fonds évalués à plus de 180 000 000 FCP. Il retient que le prévenu, âgé de 73 ans, aujourd'hui retraité, ne présente aucune condamnation à son casier judiciaire, qu'il est marié et, qu'absent à l'audience, il n'a pas été justifié de ses revenus et de ses charges.

Il énonce que toutefois en prenant en compte l'extrême gravité de l'infraction commise au préjudice de l'État, de la Polynésie française et de nombreux investisseurs métropolitains, du caractère très élaboré du système d'escroquerie mis en place, de l'ampleur du préjudice commis, la juridiction pénale de première instance a fait une juste application de la loi pénale en le condamnant à une peine de cinq ans d'emprisonnement dont trois ans avec sursis, toute autre sanction étant manifestement inadéquate. Les juges ajoutent que l'importance des profits tirés de ses agissements délictueux justifie également le montant de l'amende de 50 000 000 CFP prononcée par la juridiction pénale de première instance.

Ils concluent, après avoir rappelé les dispositions de l'article 324-7 du Code pénal (N° Lexbase : L3744IYC) qui la prévoit, que c'est à juste titre que le tribunal correctionnel a prononcé une interdiction de gérer pendant 5 ans, peine complémentaire tout à fait adaptée en l'espèce, le délit ayant été commis par le gérant dans le cadre de la gestion de ses sociétés.

Peine prononcée à l’encontre de l’apporteur d’affaire. Pour condamner la prévenue, comparante à l'audience, à quatre ans d'emprisonnement dont deux ans assortis du sursis sans prononcer d'aménagement pour la partie ferme, l'arrêt énonce que la personnalité et la situation de l'intéressée ne permettent pas matériellement, en l'état, d'ordonner une mesure d'aménagement de la peine d'emprisonnement ferme prononcée, aucune pièce du dossier ne permettant d'évaluer la faisabilité technique d'une telle mesure. Les juges ajoutent que la mise en place des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 (N° Lexbase : L7613LPN) à 132-28 du Code pénal pourra être envisagée en application de l'article 707 du Code de procédure pénale, qui dispose que les peines sont aménagées avant leur mise à exécution ou en cours d'exécution, par le juge de l'application des peines informé de la présente décision.

Un pourvoi a été formé au travers duquel le gérant faisait notamment valoir que le délit de blanchiment n’était pas caractérisé, faute d’une opération de placement.

Décision. Sur la caractérisation du délit de blanchiment, la Cour apporte une précision intéressante. En effet, selon elle, aux termes de l'article 324-1, alinéa 2, du Code pénal (N° Lexbase : L1789AM9), le blanchiment est défini comme le fait d'apporter son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. L'opération de placement consiste notamment à mettre en circulation dans le système financier des biens provenant de la commission d'un crime ou d'un délit.

La caractérisation du délit de blanchiment n'implique pas, dans ce cas, que soit établie une dissimulation de l'origine illicite de ces biens. Il s'en déduit que l'opération de dépôt ou de virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte, y compris s'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine, qui conduit à faire entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire, constitue une opération de placement caractérisant le délit de blanchiment (cf. l’Ouvrage « Droit pénal spécial », ETUDE : Le blanchiment, Le blanchiment simple et le blanchiment aggravé N° Lexbase : E9934EWT).

Sur la peine prononcée à l’encontre du gérant. La Haute cour considère qu’en effet, en premier lieu, ces motifs satisfont aux exigences de motivation des peines d'emprisonnement et d'interdiction de gérer posées par les articles 132-19 (N° Lexbase : L7614LPP), 132-1 (N° Lexbase : L9834I3M) et 485 du Code pénal dès lors que, d'une part en se référant au casier judiciaire du prévenu, les juges se sont prononcés en tenant compte de la personnalité du prévenu, d'autre part, si des attestations relatives à son état psychologique étaient jointes aux conclusions déposées devant la cour d'appel par le conseil du prévenu, non- comparant, ces dernières ne comportaient aucun développement permettant aux juges de les prendre en compte.

En second lieu, ces motifs satisfont aux dispositions des articles 132-1 et 132-20 (N° Lexbase : L5004K8T) du Code pénal relatives à la motivation de la peine d'amende, dès lors que d'une part la cour d'appel a constaté que le prévenu, non-comparant devant elle, n'avait fait produire aucun élément de nature à justifier ses ressources et ses charges et d'autre part il ne lui appartenait pas de rechercher d'autres éléments que ceux dont elle disposait.

Sur la peine prononcée à l’encontre de l’apporteur d’affaires. C’est sur ce point que l’arrêt est censuré. La Chambre criminelle considère qu’en se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision. En effet, en premier lieu, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs abstraits, ne s'est pas suffisamment expliquée sur les éléments relatifs à la personnalité et à la situation personnelle de la condamnée ayant fondé sa décision de ne pas aménager la peine prononcée ou rendant matériellement impossible cet aménagement.

En second lieu, l'absence d'étude technique de faisabilité ne saurait suffire à établir cette impossibilité matérielle.

newsid:473000