Réf. : Aut. conc., décision n° 20-MC-01, 9 avril 2020 (N° Lexbase : X9925CIG)
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par Vincent Téchené
le 22 Avril 2020
► Faisant droit aux demandes de mesures conservatoires présentées par les éditeurs de presse et l’AFP, l’Autorité de la concurrence a enjoint, le 9 avril 2020 (Aut. conc., décision n° 20-MC-01, 9 avril 2020 N° Lexbase : X9925CIG), à Google de négocier avec les éditeurs et agences de presse la rémunération qui leur est due au titre de la loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse (loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 N° Lexbase : L3023LRE) pour la reprise de leurs contenus protégés.
Selon les saisissants, les modalités de mise en œuvre par Google de la loi du 24 juillet 2019 constitueraient un abus de position dominante, ainsi qu’un abus de dépendance économique.
Au motif de se conformer à cette loi, Google a décidé unilatéralement qu’elle n’afficherait plus les extraits d’articles, les photographies, les infographies et les vidéos au sein de ses différents services (Google Search, Google Actualités et Discover), sauf à ce que les éditeurs lui en donnent l’autorisation à titre gratuit.
En pratique, la très grande majorité des éditeurs de presse ont consenti à Google des licences pour l’utilisation et l’affichage de leurs contenus protégés, et ce sans négociation possible et sans percevoir aucune rémunération de la part de Google. Au surplus, dans le cadre de la nouvelle politique d’affichage de Google, les licences qui ont été accordées à celle-ci par les éditeurs et agences de presse lui offrent la possibilité de reprendre davantage de contenus qu’antérieurement.
Dans ces conditions, parallèlement à leur saisine au fond, les saisissants ont sollicité le prononcé de mesures conservatoires visant à enjoindre Google d’entrer de bonne foi dans une négociation pour la rémunération de la reprise de leurs contenus.
L’Autorité a considéré que Google est susceptible de détenir une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste. En effet, sa part de marché est de l’ordre de 90 % à la fin de l’année 2019. Il existe, par ailleurs, de fortes barrières à l’entrée et à l’expansion sur ce marché, liées aux investissements significatifs nécessaires pour développer une technologie de moteur de recherche, et à des effets de réseaux et d’expérience de nature à rendre la position de Google encore plus difficilement contestable par des moteurs concurrents qui souhaitent se développer.
En l’état de l’instruction, l’Autorité a considéré que les pratiques dénoncées par les saisissants sont susceptibles d’être qualifiées d’abus de position dominante à plusieurs titres :
- l’imposition de conditions de transaction inéquitables qui lui auraient permis d’éviter toute forme de négociation et de rémunération pour la reprise et l’affichage des contenus protégés au titre des droits voisins ;
- le contournement de la loi, Google ayant utilisé la possibilité laissée par la loi de consentir, dans certains cas, des licences gratuites pour certains contenus, en décidant que de façon générale, aucune rémunération ne serait versée pour l’affichage de quelque contenu protégé que ce soit, alors que ce choix paraît difficilement conciliable avec l’objet et la portée de la loi;
- la discrimination, caractérisée par l’imposition d’un principe de rémunération nulle à tous les éditeurs sans procéder à un examen de leurs situations respectives et des contenus protégés correspondants.
Pour l’Autorité, les pratiques de Google ont causé une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse, alors que la situation économique des éditeurs et agences de presse est par ailleurs fragile, et que la loi visait au contraire à améliorer les conditions de rémunération qu’ils tirent des contenus produits par les journalistes.
Les injonctions prononcées. Google devra négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse qui en feraient la demande, et selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires, la rémunération due à ces derniers pour toute reprise des contenus protégés.
Cette négociation devra aussi couvrir, de façon rétroactive, la période commençant dès l’entrée en vigueur de la loi sur les droits voisins, soit le 24 octobre 2019.
Cette injonction impose que les négociations aboutissent effectivement à une proposition de rémunération de la part de Google. Google devra conduire les négociations dans un délai de 3 mois à partir de la demande d’ouverture de négociation émanant d’un éditeur de presse ou d’une agence de presse. Ni l’indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés repris par Google sur ses services ne devront en particulier être affectés par les négociations. Google devra fournir à l’Autorité des rapports mensuels sur la manière dont elle se conforme à la décision.
Ces injonctions demeureront en vigueur jusqu’à la publication de la décision au fond de l’Autorité (v. Aut. conc., communiqué de presse du 9 mars 2020).
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