La lettre juridique n°465 du 8 décembre 2011 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire peut suffire à lui seul à définir une activité accessoire de placement de produits financiers

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 21 octobre 2011, n° 315469, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8317HYP)

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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes

le 08 Décembre 2011

Le Conseil d'Etat, dans sa décision du 21 octobre 2011, confirme l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 2ème ch., 6 février 2008, n° 06PA02097, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5511D7A) et juge, d'une part, qu'étaient assujettis à la TVA des revenus provenant de bons du Trésor américain, et, d'autre part, que ne constituent pas des produits accessoires exonérés de TVA les produits financiers issus de dépôts bancaires et de contrats d'échanges de taux d'intérêt. En effet, le placement litigieux a le caractère d'une activité située dans le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de gestion immobilière de la société. De plus, les opérations financières en cause étaient indissociablement liées à l'activité économique taxable de la société et en avaient représenté, au cours des années en litige, le complément indispensable, direct et permanent au point d'en constituer une condition nécessaire, sans qu'il doive être tenu compte du critère quantitatif, au demeurant non établi, en l'espèce, avec précision, de l'utilisation des moyens de la société. Les faits dans cette affaire étaient les suivants : une société en nom collectif (SNC), qui a pour activité la location, la gérance et l'exploitation de biens et droits immobiliers pour son propre compte et pour le compte de tiers, et qui a opté pour son assujettissement à la TVA, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 1995 au 31 mai 1998, au terme de laquelle l'administration a considéré qu'elle était un redevable partiel de la TVA dans la mesure où, parmi ses produits, figuraient des produits financiers provenant d'opérations exonérées de taxe en application des dispositions de l'article 261 C du CGI (N° Lexbase : L5553ICN) ; le service estimant que ces produits financiers devaient être inclus dans le dénominateur du prorata utilisé, en vertu des articles 212 (N° Lexbase : L2999HNE) et 219 (N° Lexbase : L0869HNI) de l'Annexe II au même code, alors en vigueur, pour la détermination du montant de la TVA déductible imputable sur la taxe collectée, a notifié à la SNC des rappels de taxe d'un montant de 4 497 812 euros au titre de période vérifiée. L'administration a, en conséquence, demandé le remboursement du crédit de TVA présentée par la SNC au titre du deuxième trimestre de l'année 1997 ; la requête présentée devant le tribunal administratif de Paris le 4 avril 2006 avait été rejetée et le rejet confirmé par la cour administrative d'appel de Paris, contre lequel la SNC s'est pourvue en cassation.

Dans l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat juge, d'une part, implicitement, que la notion d'opération accessoire exclue du calcul du prorata de déduction défini par l'ancien article 212 de l'Annexe II au CGI, applicable en l'espèce, est incompatible avec la 6ème Directive-TVA (Directive 77/388 du Conseil du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme N° Lexbase : L9279AU9) et, d'autre part, qu'il convient d'appliquer le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire énoncé dans l'arrêt rendu par la CJUE le 11 juillet 1996 (CJUE, 11 juillet 1996, aff. C-306/94 N° Lexbase : A7255AH8) pour définir des opérations accessoires sur produits financiers. Ce faisant, le Conseil d'Etat, outre la confirmation selon laquelle la définition qu'il convient de donner au critère quantitatif est celle de l'article 19, 2 de la 6ème Directive-TVA, fait prévaloir le critère qualitatif relatif aux opérations dans le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale, regardé en l'espèce comme un critère à lui seul suffisant pour dénier tout caractère accessoire aux produits financiers de la SNC.

I - Les dispositions du b du 2 de l'article 212 de l'Annexe II au CGI, reprises par le 3° de l'article 206-3 de la même Annexe, sont incompatibles avec les objectifs de la 6ème Directive-TVA

Le Conseil d'Etat applique directement le droit de l'Union européenne et juge implicitement que la notion d'opérations financières accessoires exclues du calcul du prorata de déduction défini par l'ancien article 212 de l'Annexe II au CGI est incompatible avec la 6ème Directive-TVA.

A - Le critère quantitatif retenu par la CJUE est différent de celui retenu par le Conseil d'Etat

Dans l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat juge que les produits financiers générés par l'opération de placement en bons du Trésor américain réalisée par la SNC sont indissociablement liés à l'activité économique taxable de la société et sont, en conséquence, la contrepartie d'opérations de prestations de services. Cette activité de placement est, nous dit le Conseil d'Etat, le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de gestion immobilière. De même, pour dénier tout caractère accessoire aux produits financiers de la SNC issus de dépôts bancaires et de contrats d'échange de taux d'intérêt, la Haute juridiction retient que les opérations financières en cause étaient, en l'espèce, indissociablement liées à l'activité économique taxable de cette société et en avaient représenté, au cours des années en litige, le complément indispensable, direct et permanent.

La solution n'allait pas de soi puisque la CJUE, dans un arrêt du 29 avril 2004 (CJUE, 29 avril 2004 (CJUE, 29 avril 2004, aff. C-77/01 N° Lexbase : A9953DBA), avait jugé, s'agissant de placements dans des dépôts bancaires et dans des titres de nature proche de ceux de l'espèce, que de tels placements devaient être considérés comme effectués par un assujetti agissant en tant que tel, dès lors qu'ils provenaient du patrimoine de l'entreprise. Pourtant, après avoir rappelé qu'une activité économique ne saurait être qualifiée d'accessoire au sens des dispositions de l'article 19, paragraphe 2 de la 6ème Directive-TVA, si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité de l'entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et de services pour lesquels la TVA est due, le Conseil d'Etat fait application du seul critère du prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'assujetti dégagé par la CJUE dans l'arrêt du 11 juillet 1996.

B - L'ancien article 212 de l'Annexe II du CGI, applicable en l'espèce, est incompatible avec la 6ème Directive-TVA

La motivation de l'arrêt commenté nous livre deux enseignements : d'une part, le Conseil d'Etat juge implicitement mais nécessairement que le critère quantitatif posé par les dispositions du b du 2 de l'article 212 de l'Annexe II au CGI, dans leur rédaction applicable à l'espèce, est contraire aux objectifs de la 6ème Directive-TVA et, d'autre part, que le critère relatif aux opérations dans le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale est opérant.

Tirant les conséquences de la décision de la CJUE du 29 avril 2004, le législateur avait modifié la rédaction de l'article 212 de l'Annexe II. L'ancien article 212 de l'Annexe II au CGI excluait du prorata les opérations immobilières et financières exonérées de TVA ne représentant pas plus de 5 % du montant du chiffre d'affaires total, toutes taxes comprises. Bien que le seuil de 5 % ait été implicitement sanctionné, l'administration fiscale l'avait remplacé en définissant les opérations accessoires exclues comme les opérations immobilières ou financières exonérées de TVA ayant un lien avec l'activité principale et dont la réalisation ne nécessite qu'une utilisation limitée au maximum à un dixième des biens et services grevés de TVA. La modification du texte le 26 décembre 2005 avait été reprise sous les dispositions de l'article 206 III, 3, 3° b de l'Annexe II au CGI.

L'arrêt commenté confirme aussi l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 11 mars 2008 (CAA Versailles, 5ème ch., 11 mars 2008, n° 06VE01475, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5284D7T), dans lequel la cour avait jugé que les dispositions du b du 2 de l'article 212 de l'Annexe II au CGI, dans leur rédaction applicable à l'espèce, étaient incompatibles avec les objectifs de la 6ème Directive-TVA, dont l'article 19, 2, tel qu'il a été interprété par la CJUE, et qui définit l'opération accessoire comme étant celle qui n'implique qu'une utilisation très limitée de biens ou de services pour lesquels la TVA est due. La quantification du produit, effectuée par l'administration fiscale, n'est pas un critère pertinent. En effet, si le critère quantitatif doit être appliqué, il convient à tout le moins de le définir au sens des dispositions de l'article 19, 2 de la 6ème Directive-TVA devenu article 174, 2 b et c de la Directive n° 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (Directive 2006/112 du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA N° Lexbase : L7664HTZ).

Par ailleurs, le Conseil d'Etat semble abandonner la définition des opérations immobilières et financières accessoires exclues du calcul du coefficient de taxation au sens de l'arrêt rendu par la CJUE le 29 avril 2004. Cet arrêt citait l'arrêt du 11 juillet 1996 pour définir les opérations accessoires, mais ne retenait pas le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire dans son dispositif. L'arrêt commenté, au contraire, se place dans le prolongement notamment de l'arrêt du 29 octobre 2009 (CJUE, 29 octobre 2009, aff. C-174/08 N° Lexbase : A5607EMM), par lequel la CJUE avait effacé les hésitations de la doctrine quant à un abandon du critère de l'activité accessoire en venant confirmer le maintien du critère relatif aux opérations dans le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale.

II - Le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire retenu par la jurisprudence de la CJUE et repris par le Conseil d'Etat permet de définir l'activité accessoire

L'arrêt commenté fait application du seul critère qualitatif tiré du critère relatif aux opérations dans le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale, pour exclure le caractère accessoire de produits financiers.

A - Le prolongement direct, permanent et nécessaire serait un critère suffisant à définir l'activité accessoire

Les décisions rendues par la CJUE dans les affaires du 11 juillet 1996, du 29 avril 2004, du 6 mars 2008 (CJUE, 6 mars 2008, aff. C-98/07 N° Lexbase : A1960D7Q) et du 29 octobre 2009 précisent qu'une activité économique ne saurait être qualifiée d'accessoire au sens des dispositions de l'article 19, paragraphe 2, de la 6ème Directive-TVA que si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et de services pour lesquels la TVA est due.

En l'espèce, le ministre soutenait que l'activité financière faisait partie intégrante de l'activité immobilière de la SNC. Il n'était pas évident d'appliquer un critère qualitatif pour définir l'activité accessoire après la décision du 29 avril 2004, qui donnait une définition de la notion d'opérations accessoires en retenant que des "opérations financières entrant dans le champ d'application de la TVA mais qui en sont exonérées doivent être considérées comme des opérations accessoires au sens de l'article 19 § 2 de la 6ème Directive-TVA dans la mesure où ces opérations n'impliquent qu'une utilisation très limitée de biens ou de services pour lesquels la TVA est due" ; cette décision s'appuyait donc, à titre principal, sur le critère quantitatif. Cependant, le rapporteur public, Janine Evgenas, faisait remarquer dans ses conclusions sous l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris qu'une application du critère quantitatif sans appréciation qualitative conduirait à exclure de façon automatique les activités financières développées par une société, dès lors qu'en règle générale, elles nécessitent, pour elles-mêmes, la mise en oeuvre de moyens matériels et humains limités.

Le Conseil d'Etat, dans sa décision commentée, a prolongé ce raisonnement en jugeant que la cour pouvait, sans commettre d'erreur de droit, retenir le seul critère qualitatif, "sans tenir compte du critère quantitatif", pour dénier tout caractère accessoire aux produits financiers. Ce faisant, le Conseil d'Etat regarde les deux critères comme alternatifs et semble, à tout le moins, s'agissant de produits financiers, faire prévaloir le critère qualitatif sur le critère quantitatif.

B - Il appartenait à la SNC de justifier du caractère accessoire de l'activité de placement de produits financiers

En l'espèce, les placements effectués par la SNC se trouvaient placés dans le prolongement nécessaire de l'activité immobilière de la société. Les placements de fonds donnaient lieu à la perception d'intérêts sur bons du Trésor américain. La SNC avait l'obligation de consigner ces fonds à titre de garantie dans le cadre de l'opération immobilière avec la Compagnie générale des eaux et un groupe américain, afin d'obtenir l'engagement des investisseurs et la cession de la gestion des immeubles. Leur perception était donc indissociable de l'activité immobilière. Ces placements constituaient, dès lors, le prolongement nécessaire de l'activité immobilière développée par la société.

Par ailleurs, la SNC avait perçu des intérêts en 1997 sur fonds de garantie en dépôt à terme auprès d'une banque, dans le cadre d'opérations immobilières. La société, sur ce second point du litige, n'apportait pas la preuve qui lui incombe du caractère accessoire de l'activité. Il appartenait, en effet, à la SNC de justifier du caractère de cette activité. Enfin, la SNC avait perçu des sommes au titre de conventions de swaps de taux d'intérêt ; ces conventions avaient été conclues par la société qui garantissait à ses clientes un revenu forfaitaire pour se couvrir contre les risques d'exploitation. Le montage ainsi conçu apparaissait comme une condition des opérations immobilières et ne se détachait pas de cette activité, les conventions de swaps étant conclues dans le prolongement direct permanent et nécessaire de l'activité taxable.

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