La lettre juridique n°463 du 24 novembre 2011 : Éditorial

La synagogue, la liberté de conscience et la vie privée : un mariage et deux enterrements !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Reconnaissons qu'il y a, parfois, des "Attendu(s)" qui laissent pantois ! Celui qui, pour caractériser l'absence d'atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui en cas de photographies prises à l'insu des personnes dans une synagogue, sur le fondement de l'article 25 de la loi du 9 décembre 1905, aux termes duquel les réunions pour la célébration d'un culte tenu dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques, le caractère public des cérémonies s'imposant à l'autorité religieuse célébrant le mariage ainsi qu'aux mariés, comme dans cet arrêt publié et rendu le 25 octobre 2011, par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, en fait, pour notre part, assurément partie.

On appréciera l'exégèse avec laquelle les Hauts magistrats du quai de l'Horloge appliquent la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat. C'est qu'en la matière, et plus précisément quand il est question de la loi de 1905, il est recommandé la plus grande prudence, l'interprétation la moins prétorienne qui soit : "la loi, toute la loi, rien que la loi". Par conséquent, c'est sans étonnement, mais tout de même avec circonspection, que le juge suprême nous rappelle à tous, aux communs, comme aux célébrités de ce monde, que si les lieux cultes sont des lieux privés -à de rares exceptions-, les cérémonies religieuses ont un caractère public, alors que l'on croyait naïvement que la pratique religieuse était une affaire privée.

Si l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, instaurant la liberté de conscience, dispose que "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi", l'article 11 du même texte, que l'on pensait être son pendant laïc, à l'heure des Lumières, pourrait bien être son tombeau. Le propos est volontairement excessif, mais que dire d'un texte aux termes duquel "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi", lorsque, sur son fondement, d'aucuns portent atteinte délibérément à la sphère privée d'autrui, dont on ne pourrait soutenir que la pratique religieuse ne fait pas partie intégrante. Autrement dit, deux libertés s'affrontent aux regards des droits fondamentaux : la liberté de l'information, de la communication et le droit au respect de la vie privée. La chose n'est assurément pas nouvelle, nous en conviendrons aisément, surtout devant le juge du tribunal de grande instance de Nanterre coutumier du contentieux de la presse ; mais, lorsque entre en scène la liberté de conscience, l'affaire prend une tournure toute particulière.

Car, n'en déplaise à certains, plaisantins ou s'affichant comme tels, la liberté de conscience et le respect de la vie privé ordonnent, non seulement, que chacun puisse pratiquer sa religion sans en être empêché, mais aussi, que chacun, fut-il une célébrité, puisse demeurer discret sur son appartenance et sa pratique religieuses.

L'arrêt de la commercialisation d'une application pour iPhone et iPad permettant d'interroger une base de données contenant les noms de 3 500 personnalités d'origine juive, le 13 septembre 2011, sur demande de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), en est l'illustration la plus topique de ces dernières semaines. Et, ce n'est pas sans fondement que Me Kaminski, avocat de la Licra, rappelait que la découverte de cette application avait provoqué une vive émotion dans l'opinion ; les plus vieux se souvenant d'une période noire de notre histoire ; les plus jeunes s'insurgeant contre l'apparition, en France, de fichiers religieux ou ethniques. Et, le débat n'était pas tant de savoir si, sur le plan juridique, et malgré le désistement de la Licra devant le juge des référés, la destruction, à distance et sans le consentement des propriétaires de l'application, sur leur smartphones ou tablettes, du logiciel "Juif ou pas Juif ?" était possible ou constituait une atteinte au droit de propriété injustifiée, que de tuer "la Bête" dans l'oeuf, quand bien même son créateur, de confession juive, en revendiquait la paternité au nom d'une certaine "fierté". Il ne lui appartenait pas de décider, pour autrui, de révéler que telle ou telle célébrité relevait d'une communauté religieuse quelconque. Ces personnalités ont le droit à l'anonymat religieux, puisque la liberté de conscience n'a, nécessairement, trait qu'à l'invisible, à l'intime, à la vie privée.

Le 27 mai 2009, le juge du tribunal de grande instance de Paris avait, dans sa grande sagesse, parfaitement saisi l'enjeu d'un tel débat. S'il rappelait que "ne relèvent [...] pas de la protection instituée par [l'article 9 du Code civil], les faits publics ou rendus notoires par les intéressés eux-mêmes, ni les événements relatifs à l'état civil des personnes, lesquels sont publics par nature" (dont le mariage civil), la nature de la cérémonie religieuse relève bien de la sphère privée et sa révélation caractérise une atteinte à la vie privée des personnes concernées. Toutefois, la condamnation de la société de presse à un euro de dommages et intérêts pouvait laisser dubitatif sur la gravité d'une telle atteinte, nous en conviendrons.

Il en allait pareillement le 7 novembre 2011, à l'occasion d'une légende imprudente dont la rédaction d'un hebdomadaire avait cru devoir accompagner le cliché litigieux. En l'espèce, le magazine avait publié un dossier de cinq pages intitulé "Juifs français, la rage au ventre" illustré par plusieurs clichés dont l'un représentait trois passantes marchant sur un trottoir le long d'une grille séparant l'espace public d'une synagogue, ainsi légendée "En bas devant une synagogue, un horizon plus doux pour les nouvelles générations ?". Cette légende révélait ou laissait nécessairement entendre que les passantes photographiées étaient de confession juive, ce qu'elles n'entendaient pas clamer "à la ville et au monde".

Mais, pour bien comprendre notre affaire, ayant donné lieu à cet arrêt de la Chambre criminelle du 25 octobre 2011, il est nécessaire de revenir sur une décision du juge parisien, en date du 14 février 2005. On y apprend, d'abord, que la société de presse ne prétendait pas que la publication litigieuse constituerait l'illustration pertinente d'un événement d'actualité -et, l'on s'interrogera alors sur la consécration d'une liberté fondamentale d'information et de communication détournée aux besoins de la satisfaction d'un sombre intérêt pour le voyeurisme et la vie d'autrui-. On y apprend, ensuite, que les clichés sont parvenus anonymement à la rédaction, qui a pris la décision de les publier en en réservant les droits et qu'elle n'a pas sollicité l'autorisation de la demanderesse -en l'occurrence la mère de la mariée- dont elle ignorait tant l'identité que la qualité. Le juge statue logiquement que, dans ces conditions, la société éditrice devait soit s'abstenir de publier le cliché, soit masquer le visage des personnes n'ayant pas consenti à cette diffusion et qu'en publiant la photographie sans l'autorisation de la demanderesse, la société de presse avait porté atteinte à son droit à l'image.

Par conséquent, le juge civil reconnaît qu'il y a bien eu atteinte au droit à l'image d'un membre de la famille assistant au mariage de deux célébrités -on remarquera que les célébrités en cause ont pris soin de ne pas être, elles-mêmes, les demanderesses, de peur de se voir rappeler leur statut de personnages publics, dont la relation intime était de notoriété également publique ; ce qui aurait sûrement annihilé leur chance de succès au contentieux-. Mais, il dénie là aussi l'atteinte à la vie privée : si la demanderesse reproche à l'article d'avoir évoqué sa religion en indiquant que la jeune mariée "s'était récemment convertie" et si la religion entre en principe dans la sphère protégée par l'article 9 du Code civil, une atteinte à la vie privée ne peut être ni indirecte, ni hypothétique. Le juge précise qu'aucune allusion n'est faite à la demanderesse dans l'article qui ne cite ni son nom, ni sa présence, ni même son existence ; et si l'annonce -erronée- de la conversion de sa fille pourrait permettre de tirer des conclusions sur la religion de l'intéressée, ces déductions ne demeureraient qu'aléatoires dès lors que la mariée aurait elle-même pu se convertir précédemment à une autre religion avant de revenir au judaïsme. Autrement dit, par des circonvolutions byzantines, le juge civil peine, lui aussi, à admettre que la révélation de la confession d'une célébrité, fut-elle par le truchement de celle d'un parent proche, même non identifié, constitue une atteinte à la vie privée. Le jugement du 27 mai 2009, précédemment évoqué, n'en est que plus précieux.

Reste que l'anonymat de l'origine des photos litigieuses ayant été manifestement levé, les deux mariés n'auront pas eu plus de chance au pénal, à l'encontre des impétrants qui s'étaient cru autorisés à divulguer les photographies d'un moment personnel, intime et privé des célébrités en cause. Une fois l'émotion d'une midinette (de notre génération) scandant "Patriiiiiiiiick", la chandelle bic au bout des mains, passée, il demeure, de tout cela, comme un sentiment progressif d'abandon de la notion de vie privée devant l'avancée irrésistible de la liberté de la presse et, plus généralement, de la liberté de "l'information", fut-elle celle publiée dans les "vilains petits canards" des kiosques. Et, la liberté de conscience ne semble, dès lors, en rien enrayer cette anschluss nauséeuse... Mis à part cela, il convient bien de ne pas remettre en question une loi centenaire dont l'obsolescence se fait un peu plus, chaque jour, patente...

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