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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Mais, pour que le "lion" mange du "croissant" au petit-déjeuner post-nuptial, Frosine aurait certainement dû débourser des trésors d'entremise, des talents inestimables d'apparieuse, que la pièce de Molière lui dénie subtilement. Et, bien que la noce aurait pu être consommée, la raison (d'Etat) l'emportant souvent sur l'amour (courtois), le bonheur du couple n'en aurait été pour rien assuré -à chaque instant, l'ombre du colosse de Rhodes planait sur les tourtereaux-. Est-ce à dire que la profession de marieuse est une profession factice ? Qu'au lieu de l'amour, on y propose "l'élection" au suffrage censitaire ? Qu'à l'heure de l'union libre, c'est-à-dire de l'interdiction du mariage forcé, le courtage matrimonial n'a plus de raison d'être, puisque la raison n'aurait plus rien à faire avec le mariage ?
Ce n'est pas, pourtant, ce que démontre l'essor, toujours grandissant, des agences matrimoniales, qu'elles officient en vitrine ou sur la toile, et même à l'international. "Les contraintes de la vie actuelle, les rythmes et les déplacements imposés par le travail, rendent souvent très ténues les occasions de nouer des relations vraies. La conséquence à court terme : un isolement non souhaité, mal vécu. Dans ces conditions, l'Homme, animal sociable par excellence, court un risque certain : que se mette en place insidieusement le schéma du déclin, une morosité tenace, une fuite dans le travail ou vers d'autres dérivatifs plus pernicieux, et finalement, pour couronner le tout, une belle dépression", nous vantent les représentants de la profession.
Ces agences, qui sont, en fait, des intermédiaires chargés de mettre en relation des personnes en vue d'un mariage ou d'une relation durable et stable, et non des officines de l'amour garanti sur facture, faut-il le rappeler, sont tenues à une obligation de "moyen", et non de "résultat" ; le "client" qui invoquait l'exception d'inexécution, faisant valoir qu'il n'avait été procédé à aucune étude particulière et qu'il ne lui avait été fait aucune proposition personnalisée, alors qu'il avait signé un contrat comprenant "formule de conseils, présentations et assistance privilégiée", l'aura appris à ses frais. L'arrêt rendu le 25 octobre 2011, par la cour d'appel d'Angers, précise que, bien que les personnes rencontrées ne correspondaient pas au profil de femmes avec lesquelles il souhaitait l'entremise de l'agence, le "client" ne pouvait raisonnablement pas invoquer l'exception d'inexécution, car il pouvait prendre contact avec les conseillers en vue de réorienter ses choix devant les résultats décevants de ses offres de contacts : si l'amour est au coin de la rue, le hasard provoqué, telle est la seule promesse des entremetteurs. Enfin, les juges angevins prennent bien soin de rappeler que le courtage matrimonial s'inscrit dans le cadre du droit de la consommation, un brin protecteur du client, à la faveur du respect de la faculté de rétraction et de l'obligation d'information afférentes.
D'aucuns ne laissent même plus le temps au temps, pressés par le besoin impératif de convoler, ils en oublient juste qu'ils sont encore mariés ! Pour autant, le contrat proposé par un professionnel, relatif à l'offre de rencontres en vue de la réalisation d'un mariage ou d'une union stable, qui ne se confond pas avec une telle réalisation, n'est pas nul, comme ayant une cause contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs, du fait qu'il est conclu par une personne mariée. Tel est le principe formulé par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 4 novembre 2011. Il faut prendre les devants, lorsque l'on sait combien le temps pour trouver l'âme soeur peut être long. C'est qu'il aura fallu près d'un an d'entremise avec le duché de Clèves pour qu'Henri VIII consente à épouser la jeune Anne, après duperie d'Holbein le jeune, pour la renvoyer dans ses quartiers, six mois plus tard. Si le duché de Gueldre que le Saint Empire germanique convoitait, la Paix de Nice, alliance même éphémère entre l'Empire et la France, justifiaient le mariage, la "beauté moyenne d'une contenance assurée et résolue" de la jeune allemande aura tôt fait de rebuter le souverain anglais -encore aura-t-elle eu la chance de ne point finir la tête sur le billot, comme sa successeuse-. Et, l'on voit combien la transparence, le sérieux et l'honnêteté d'un marieur sont bien les gages d'une entremise, sinon heureuse, du moins conforme aux aspirations du genre !
C'est donc avec un sourire malicieux que l'on observe, au Centraal Museum d'Utrecht, Le marieur, de Gerard van Honthorst : un oeil sur cet apparieur proposant quelques pièces à la dame, au coeur léger et à la gorge chaude, élue de son "client", sous le regard complaisant et avide d'une vieille maquerelle, suffit à décrire tout le drame de ces contrats de courtage, où il est, malheureusement parfois, question de mariages forcés, d'esclavage sexuel, de violences domestiques ou de papiers d'immigration...
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