Réf. : Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-27.310, F-P+B (N° Lexbase : A5963HYI)
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par Emilie Mazzei, ATER à l'Université de Paris I Panthéon Sorbonne
le 10 Novembre 2011
I - La compétence du Conseil d'Etat vis-à-vis des professionnels de marché
L'arrêt du 4 octobre 2011 de la Cour de cassation précise que la répartition des voies de recours à l'encontre de décisions de l'AMF s'effectue ratione personae : le Conseil d'Etat est nécessairement compétent à l'égard d'un professionnel de marché (A). Sur ce point, la nature de la sanction prononcée par l'AMF est indifférente (B).
A - Une compétence ratione personae
Les critères de répartition des compétences entre ordre judiciaire et ordre administratif ont été instaurés par la loi de sécurité financière du 1er août 2003 (1). Pour rappel, en principe, la contestation de décisions individuelles relève de la compétence du juge judiciaire, les recours à l'encontre des décisions de police administrative étant du domaine administratif. La répartition des compétences est beaucoup moins claire lorsqu'il s'agit des décisions prononcées par l'AMF : en cas de recours, la compétence des deux ordres juridictionnels dépend de la personne mise en cause, professionnelle ou non professionnelle.
A cela plusieurs observations. Auparavant, les recours à l'encontre des décisions individuelles de la COB étaient par principe de la compétence du juge judiciaire. Le Conseil d'Etat ne se préoccupait que des fautes disciplinaires des professionnels de marché. La réforme du 1er août 2003 a maintenu un dualisme juridictionnel, tout en conduisant à un dessaisissement partiel du juge judiciaire au profit du juge administratif : comme le montre le cas d'espèce, la compétence du Conseil d'Etat a été sensiblement élargie.
La clé de répartition choisie a été celle de la personne sanctionnée : par application de l'article L. 621-30 du Code monétaire et financier, l'examen des recours formés contre les décisions individuelles de l'Autorité des marchés financiers autres que celles relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l'article L. 621-9 (N° Lexbase : L9355IQK) est de la compétence du juge judiciaire. Au contraire, le juge judiciaire, et plus précisément la cour d'appel de Paris, ne sera pas compétent pour ces mêmes entités.
A la lecture de ces textes, la compétence de principe dans le domaine des manquements de marché reste celle de la cour d'appel de Paris (2). Par exception, le Conseil d'Etat sera compétent pour un certain nombre de professionnels de marché régulés : il s'agit plus particulièrement des prestataires de services d'investissements régulés par l'AMF, des entreprises de marché, des établissements financiers, des sociétés de gestion pour compte de tiers, des dépositaires d'OPCVM et des évaluateurs immobiliers, de leurs dirigeants et les salariés auxquels de tels manquements ont été imputés. En l'espèce, dès lors que la sanction de la commission des sanctions concerne un analyste financier salarié d'un prestataire de services d'investissement, la seule voie de recours qui lui est en fait ouvert sera celle du Conseil d'Etat.
B - L'indifférence de la nature de la sanction
A contrario, la Chambre commerciale de la Cour de cassation réaffirme que, si les règles de compétences sont déterminées par la qualité de la personne sanctionnée, elle ne l'est pas par la nature de la sanction, de nature professionnelle ou non.
Elle répond en cela aux arguments du pourvoi : ce dernier se proposait de distinguer selon le fondement de la décision de sanction et d'introduire dans les critères de répartition de compétence la nature de la sanction. Il invitait la cour à revenir, en fait, à une répartition des compétences ratione materiae, en fonction de l'objet du contentieux. Par ce raisonnement, le pourvoi considérait que le Conseil d'Etat n'était compétent pour connaître des recours formés contre les décisions de sanction de l'AMF que si la personne concernée avait été sanctionnée en qualité de professionnelle des marchés financiers, pour manquement à ses obligations professionnelles. En l'espèce, le mis en cause n'avait pas été sanctionné par l'AMF en sa qualité de professionnel, mais pour le délit non spécifiquement professionnel de manquement d'initié, et ce, sur le fondement de textes applicables aux non-professionnels.
Ces arguments sont pourtant tous inopérants selon la Cour de cassation : l'on ne peut faire de distinction là où la loi n'en fait pas. C'est bien le cas en l'espèce.
Par ailleurs, cette solution de rejet précise et confirme l'arrêt de la cour d'appel : selon les juges du fond, les règles de compétence en cas de recours ne varient pas en fonction de la notification des griefs. Autrement dit, il est indifférent que la décision ait été articulée sur le fondement de l'article L. 621-15, paragraphe II, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2154IN4). Même si cet article distingue la violation des obligations professionnelles et les manquements de marché, et établit des sanctions de nature professionnelle, dans le premier cas, et de nature universelle, dans le second, il n'en reste pas moins que la compétence des juridictions de recours se détermine exclusivement ratione personae et non selon la nature du contentieux. La sanction prononcée et son fondement sont indifférents.
L'arrêt est donc l'occasion, pour la Cour de cassation, d'un certain nombre de confirmations : la cour d'appel de Paris n'est plus la juridiction exclusivement compétente pour les manquements de marché ; elle n'a pas une compétence naturelle dans cette matière, de sorte que le Conseil d'Etat peut, pour les professionnels de marché établir une jurisprudence concurrente de celle de l'ordre judiciaire.
II - Le dualisme juridictionnel en matière de contentieux boursier
Le principe du dualisme juridictionnel confirmé par la Cour de cassation dans le cadre des voies de recours peut conduire à un certain nombre de questions tant théoriques que pratiques (A). Ce principe ne prive cependant pas le professionnel de marché de ses garanties procédurales (B).
A - Dualisme juridictionnel et identification de la juridiction compétente
Si cet arrêt valide, bien sûr, le principe du dualisme juridictionnel et partant, la légitimité de la compétence du Conseil d'Etat dans le domaine des manquements de marché, il n'en demeure pas moins qu'il interroge sur l'efficacité d'une telle répartition.
Pour rappel, une certaine doctrine (3) avait posé la question de l'opportunité des critères de compétence choisis par la loi de sécurité financière et, plus largement, de la légitimité du Conseil d'Etat à exercer de telles compétences en matière d'abus de marché. Etait traditionnellement avancé l'argument de la spécialisation nécessaire des juges dans cette matière : en résumé, la multiplication des voies de recours aboutirait à déspécialiser la matière, tout en augmentant de façon significative les risques de disparités de jurisprudence entre les deux voies de recours, à savoir cour d'appel de Paris et Conseil d'Etat. La répartition des compétences en fonction de la qualité de la personne aurait donc pu conduire à des jurisprudences contraires, y compris dans une même affaire.
Aujourd'hui, cela ne semble pas être le cas. Si la logique du dualisme ne paraît plus pouvoir être remise en cause, il n'en demeure pas moins que les règles de répartition entre les deux juridictions continuent à être discutées (4). Le cas d'espèce est une illustration des difficultés procédurales nées d'une telle répartition.
En effet, cette répartition du contentieux a conduit, en l'espèce, à des difficultés d'identification de la juridiction compétente : la personne mise en cause invoque ainsi la complexité de la clé de répartition entre les deux ordres juridictionnels. Il ne s'estime pas, selon son argumentation, en mesure de déterminer de façon efficace la juridiction compétente pour exercer son recours. Son action est peut-être, comme l'ont avancé certains commentateurs, une manoeuvre dilatoire (5) : il n'en demeure pas moins que, de toutes les façons, la clé de répartition choisie, de par sa complexité, facilite de telles tactiques procédurales.
B - Le respect des garanties procédurales
La Cour de cassation affirme, en parallèle, que les règles de répartition des compétences entre cour d'appel de Paris et Conseil d'Etat ne sont pas contraires aux principes gouvernant le droit à un procès équitable tels qu'ils résultent de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), et plus particulièrement à l'accès effectif au juge.
Le pourvoi argumentait, d'une part, que la complexité des modalités d'exercice des voies de recours contre la décision de sanction était de nature à porter atteinte à ce droit d'accès effectif au juge. Selon lui, le mode de répartition aboutissait à ce que la personne sanctionnée doive elle-même déterminer l'ordre juridictionnel compétent, abstraction de la nature de la sanction prononcée. D'autre part, l'AMF n'ayant pas sanctionné le mis en cause en sa qualité de professionnel des marchés méconnaissait donc, selon lui, le principe de loyauté des débats. En effet, l'AMF contestait a posteriori la compétence de la cour d'appel de Paris au profit de celle du Conseil d'Etat, uniquement compétent pour connaître des recours formés à l'encontre des décisions sanctionnant les professionnels.
Cette argumentation n'a pas non plus été retenue : selon la Cour de cassation, la cour d'appel n'a méconnu ni le principe au droit effectif au juge ni celui de la loyauté des débats. Le fait de choisir la juridiction compétente selon les règles établies par le législateur n'est pas, selon la Cour de cassation, un obstacle à l'accès effectif au juge. Cette prise de position de la Cour de cassation est intéressante à plus d'un titre : elle répond, entre autres, à certaines positions doctrinales affirmant que l' "éclatement" des voies de recours aboutissait pas, in fine, à priver les professionnels d'un certain nombre de garanties procédurales énoncées par la convention européenne des droits de l'Homme (6). Plus particulièrement, avait été évoquée la violation du principe d'égalité des citoyens devant la loi : le professionnel mis en cause dans le cadre de manquement de marché ne peut former recours que devant le Conseil d'Etat, alors que les autres mises en cause disposeraient, en fait, d'un degré juridictionnel de plus avec la Cour de cassation (7). Pour cette dernière, cette différence n'est cependant pas une atteinte à l'accès effectif au juge.
Il appartiendra donc au Conseil d'Etat de se prononcer sur le fond du dossier et d'examiner le recours du requérant.
(1) Sur cette question, voir notamment Th. Bonneau, Des nouveautés bancaires et financières issues de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, JCP éd. E, 2003, 1325 ; A. Couret, Les dispositions de la loi sécurité financière intéressant le droit des sociétés, JCP éd. E, 2003, 1290 ; J.-J. Daigre, Recours contre les décisions de la future Autorité des marchés financiers : compétence administrative ou judiciaire ?, Revue droit bancaire, août 2003, p. 197.
(2) Voir la formulation de l'article de l'article R. 621-45 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9694IQ4).
(3) Notamment, C. Ducloux-Favard, LPA, 15 juillet 2004, n° 141, p. 8.
(4) Sur cette question, voir M. Cohen-Branche, La problématique de la répartition du contentieux entre les deux ordres au travers de l'exemple de l'Autorité des marchés financiers, RFDA, 2010, p. 912.
(5) X. Delpech, Recours en manquement d'initié : confirmation de la compétence du Conseil d'Etat, Dalloz actualité, 18 octobre 2011.
(6) Voir notamment, S. Loyrette, Le contentieux des abus de marché, Editions Joly, n° 68.
(7) C. Ducouloux-Favard, art. préc..
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