La lettre juridique n°458 du 20 octobre 2011 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances - Octobre 2011

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par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)

le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Trois arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ont retenu l'attention des auteurs ce mois-ci : tout d'abord, un arrêt du 6 octobre 2011, dont il ressort que n'est pas limitée la clause d'un contrat assurance-habitation excluant le défaut d'entretien (Cass. civ. 2, 6 octobre 2011, n° 10.10.001, F-P+B) ; ensuite, une décision du 15 septembre 2011, précisant le périmètre de couverture du Fonds de garantie des assurances obligatoires, à propos d'un dommage corporel causé à un cycliste circulant sur la voie publique par un ballon lancé par un groupe d'enfants non identifiés (Cass. civ. 2, 15 septembre 2011, n° 10-24.313, FS-P+B) ; et, enfin, un autre arrêt du 6 octobre 2011, en matière d'assurance du fait d'autrui, précisant la définition de la notion de tierce victime exclusive de celle d'assuré (Cass. civ. 2, 6 octobre 2011, n° 10-16.685, FS-P+B).
  • N'est pas limitée la clause d'un contrat assurance-habitation excluant le défaut d'entretien (Cass. civ. 2, 6 octobre 2011, n° 10.10.001, F-P+B N° Lexbase : A6120HYC)

Loin des purs débats juridiques théoriques sur la construction juridique de tel ou tel mécanisme complexe donnant lieu à des arrêts originaux et innovants, se rencontrent encore des affaires aux parfums plus classiques. Et parce que ces sujets, contre toute croyance, n'ont pas fait l'objet de tant d'arrêts de la part des cours d'appel comme de la Cour de cassation, celle-ci juge bon de les publier. C'est qu'elle estime aussi utile d'attirer l'attention sur la mise en oeuvre d'une règle cependant usuelle : l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH). Ce texte, chacun le connaît, limite la liberté des cocontractants -et spécialement celle de l'assureur- dans le choix du libellé des clauses d'exclusion insérée dans un contrat d'assurance. Aux allures insignifiantes voire risibles tant il semble énoncer une quasi-platitude ou tautologie, cet article suscite donc encore des hésitations.

Lucidité du législateur comme de nos magistrats que de s'appuyer sur ces dispositions qui représentent, pour les clauses d'exclusion en droit des assurances, la variable d'ajustement, comme la cause notamment apparaît celle du droit des obligations. Pour autant, les assureurs ne partageront pas ce point de vue positif, non par esprit de système, mais eu égard à l'insécurité juridique que créent de telles décisions, fussent-elles en partie prévisibles de nos jours. Ces professionnels seront d'autant plus inquiets de voir perdurer ce type d'orientation jurisprudentielle -ancienne et acquise, du moins dans certaines proportions- que la clause incriminée ne devait pas être isolée, mais reproduite dans nombre d'autres contrats de même catégorie. Et l'on ne s'étonnera donc pas non plus qu'ils refusent, à l'avenir, dans certaines régions, villes ou quartiers dits sensibles d'assurer telle ou telle infrastructure.

Mais exposons les faits pour mieux faire comprendre la quotidienneté de la situation. Un copropriétaire avait souscrit un contrat d'assurance habitation qui, de toute évidence, et en dépit de son nom quelque peu racoleur de bonne guerre, si l'on ose s'exprimer ainsi, comme de sa situation enchanteresse -au moins pour l'habitant du fin fond d'une région de l'ouest parisien, guère sensible, après des années, au charme discret de son environnement de verdure supposant une pluviométrie que, maniant l'euphémisme, lui-même qualifie de non rare-, ne présentait pas tous les avantages escomptés. Pour faire plus simple, le mauvais entretien des parties communes avait pris de si grandes proportions que des dégâts des eaux en résultaient dont souffrait l'un de ces copropriétaires de Pointe-à-Pitre. Ceux-ci semblaient avoir au moins excédé la moyenne traditionnelle.

Il avait assigné en réparation de ses préjudices tant le syndicat des copropriétaires que l'assureur de la copropriété. Bien qu'ayant dénié sa garantie, ce dernier avait néanmoins été condamné à prendre en charge le sinistre. Contestant la décision d'appel, l'assureur tentait de démontrer, d'une part, que ce défaut d'entretien ne s'entend pas d'un événement, c'est-à-dire d'un fait soudain. D'autre part, il contestait la qualification possible de risque dans ces circonstances de "laisser aller" et de désintérêt, susceptible d'avoir pu être envisagé lors de la formation du contrat. La Cour de cassation a considéré, elle, que l'expression "défaut d'entretien ou de réparation" visée dans le contrat, ne se réfère pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées.

En droit, la solution de la Cour de cassation appelle plutôt une certaine désapprobation. Sans doute ne faut-il pas nier que la formulation de l'exclusion de risque comprenait, dans le cas présent, une certaine imprécision. Sous couvert d'absence d'entretien de multiples situations très différentes peuvent se rencontrer. De la simple négligence ponctuelle au délabrement total, aucune comparaison sérieuse n'apparaît possible. Or, là se situe bien l'enjeu : les assureurs peuvent fermer les yeux et prendre en charge des altérations sporadiques, sans accepter de tolérer un défaut d'entretien chronique à l'origine de sinistres d'une réelle ampleur. Par conséquent, leur suggérer de fournir des illustrations dans la rédaction de ce type de clauses, ambiguës par nature peut représenter une solution, comme l'indique la Cour de cassation.

Et là se situe une partie de l'intérêt de cet arrêt : le renforcement des exigences de nos magistrats dans le libellé de ces clauses, par nature difficiles à cerner dans leur étendue exacte, ou, plus exactement, dans la limitation de leur périmètre. L'information ne manquera pas d'agacer la profession qui, nouvelle, suscite une insécurité juridique onéreuse, sans compter qu'elle doit donc rivaliser d'attentions et de subtilités, en rédigeant ces clauses d'exclusion, sans pouvoir songer à toutes les hypothèses, tout en n'employant pas, par exemple, l'adverbe notamment, jugé trop allusif par les juges du fond... L'exercice relève de la haute voltige, dans certains cas, y compris celui ayant donné lieu à cet arrêt du 6 octobre 2011. D'ailleurs, les sanctions pour absence de respect du formalisme, quelle que soit leur utilité par ailleurs, ne manqueront jamais d'être mal perçues par les juristes dans leur ensemble, sans se limiter aux assureurs.

C'est peut-être la raison pour laquelle notre Haute juridiction vient d'ailleurs aussitôt au secours des assureurs, en leur suggérant d'user, les prochaines fois, d'autres fondements juridiques, et notamment de l'absence de caractère aléatoire. C'est donc indiquer qu'elle-même estime que les assureurs pourraient arguer de la nullité du contrat, ce qui suscite d'autres réactions doctrinales, y compris négatives. Car, même lorsque la probabilité de survenance de l'événement ou des circonstances apparaît élevée, elle n'est pas, pour autant, certaine. Or, le caractère aléatoire du contrat se révèle présent ou non. Et l'existence d'une incertitude, même réduite, suffit à valider l'existence de ce caractère.

Ce n'est pas la première fois que notre Haute juridiction est séduite par ce type de raisonnement. Il ne nous semble toutefois pas plus rigoureux que les clauses incriminées, elles-mêmes, vagues et imprécises. Car, de deux choses l'une : ou bien, le contrat présente un caractère aléatoire, ou bien tel n'est pas le cas. Et sans revenir sur le sempiternel débat relatif à ce qu'il convient de comprendre de l'exigence de ce caractère, il apparaît indubitable que la probabilité forte de survenance d'un dommage ne saurait être comparée à l'absolue certitude de sa réalisation. On n'ose imaginer, dans la présente espèce, que la Cour de cassation ait voulu insinuer que le défaut d'entretien constitue une certitude. Et l'aurait-elle effectué que la difficulté serait déplacée : au risque de proférer des évidences, la nullité d'un contrat, pour absence de caractère aléatoire produit des effets différents de l'absence de mise en oeuvre d'une clause d'exclusion.

La marge de manoeuvre apparaît donc étroite, sans conteste, pour nos Hauts magistrats soucieux de respecter la lettre de la loi. Quoi que l'on en pense, les assureurs sont avertis : comme pour les universitaires devant leurs étudiants, les vertus de l'exemple ne sauraient être mésestimées...

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen

  • De l'interprétation de l'article L. 421-1 du Code des assurances : le dommage corporel causé à un cycliste circulant sur la voie publique par un ballon lancé par un groupe d'enfants non identifiés relève du périmètre de couverture par le Fonds de garantie des assurances obligatoires (Cass. civ. 2, 15 septembre 2011, n° 10-24.313, FS-P+B N° Lexbase : A7554HX3)

Le Fonds de garantie des assurances obligatoires est un outil précieux pour couvrir des victimes qui, sinon, seraient privées de tout garant. Les textes ont, avant comme après la loi "Badinter" (loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 N° Lexbase : L7887AG9), fait l'objet de retouches successives, essentiellement pour élargir son champ de compétence. La loi du 5 juillet 1985 (C. assur., art. L. 421-1, al. 3 N° Lexbase : L2354INI) a précisé qu'en l'absence d'un responsable connu et assuré, le fonds peut être chargé de la réparation des dommages qui "ont été causés accidentellement par des personnes circulant sur le sol dans des lieux ouverts à la circulation publique". La jurisprudence l'a notamment appliqué à divers accidents, causés par des bicyclettes, des rollers ou des planches à roulettes.

Le cycliste heurté par un ballon jeté par des enfants non identifiés est-il protégé ? L'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 15 septembre 2011 permettra, par sa publication, d'asseoir la solution positive apportée à cette question.

Il est vrai que la détermination du périmètre d'intervention du Fonds de garantie des assurances obligatoires pose problème. Déterminer si un dommage causé à un cycliste par un projectile placée sous la garde collective d'enfants indéterminés, donc dont il n'est pas possible d'identifier le (ou les) assureur(s), n'est pas expressément envisagé par les textes, qui ont, en dernier lieu, été plus préoccupé de fixer le statut de l'animal que celui des choses...

En l'espèce, il s'est agi de savoir si l'hypothèse correspond au cadre de l'article L. 421-1 du Code des assurances dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 (N° Lexbase : L5471H3Z), qui visait les "victimes de dommages résultant des atteintes à leur personne ou à leurs ayants droit, lorsque ces dommages, ouvrant droit à réparation, ont été causés accidentellement par des personnes circulant sur le sol dans des lieux ouverts à la circulation publique".

Le tribunal d'instance de Nice avait dégagé une interprétation fort rigoureuse, tenant l'accident survenu par le heurt d'un cycliste par un ballon "lancé par un groupe d'enfants non identifiés", comme n'ayant pas été causé par "des personnes circulant sur le sol" au sens de l'article L. 421-1 susvisé.

Considérer qu'un jet de ballon sur la voie publique ne serait pas le fait de personnes "circulant sur le sol", traduit une lecture stricte de la notion de circulation sur le sol. Mais cette lecture induit une réduction aux accidents survenus sur la voie publique, qui soit aussi le fait d'un véhicule terrestre à moteur ou autre véhicule. Or, cette interprétation est démentie tant par les textes que par les interprétations jurisprudentielles antérieures.

La lecture de l'article R. 421-2 du même code (N° Lexbase : L5922DYY) contribue à la délimitation tant personnelle que par l'objet du périmètre d'intervention du Fonds. Sont exclus du bénéfice de la couverture des "dommages causés par un animal ou par une chose autre qu'un véhicule terrestre à moteur [...] : a) le propriétaire ou la personne qui a la garde de l'animal ou de la chose au moment de l'accident".

Si l'on s'autorise une analyse a contrario, le texte implique la couverture par le Fonds des dommages causés par une chose dont une personne a la garde, dès lors que la victime n'est pas son gardien et dès lors que les critères de l'article L. 421-1 du Code des assurances sont remplis, spécialement lorsque le gardien n'est pas assuré ou qu'il demeure inconnu, comme c'était le cas en l'espèce du groupe d'enfants.

Ce raisonnement a, d'ailleurs, déjà eu les faveurs de la jurisprudence :

- c'est ainsi que la cour d'appel de Nîmes dans un arrêt du 6 novembre 2007 (1), a statué sur un cas très voisin de celui objet de l'arrêt étudié du 15 septembre 2011. En l'espèce, un motocycliste avait, alors qu'il circulait sur la voie publique, perdu le contrôle de son engin pour éviter un ballon jeté par des enfants qui ont pris la fuite. Le Fonds de garantie avait contesté la prise en charge de la réparation de son préjudice corporel. Les juges nîmois avaient alors considéré que le dommage émanait bien de "personnes circulant sur le sol dans des lieux ouverts à la circulation publique qui sont demeurées inconnues" au sens de l'article L. 421-1, alinéa 3, du Code des assurances. Les juges s'étaient référés à l'article R. 421-2 pour en déduire, par une interprétation a contrario, que la chose, tout comme l'animal, peut être instrument du dommage relevant du périmètre de garantie par le fonds ;

- cette analyse a également été retenue par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt du 19 mai 2010 (2) qui, statuant sur le fondement de l'article L. 421-1 dans son dernier état (après modification par la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 N° Lexbase : L5471H3Z), aboutit à la même solution selon laquelle ce texte, combiné à l'article R. 421-2 susmentionné, conduit à ce que la "victime d'un accident survenu dans un lieu ouvert à la circulation publique, causé par une chose sous la garde d'un tiers -en l'occurrence le ballon avec lequel jouait un enfant lancé malencontreusement sur sa trajectoire- peut invoquer la garantie du Fonds".

Le tribunal d'instance de Nice s'était écarté de cette lecture et avait sans doute convaincu grâce à l'argumentation du Fonds selon lequel le fait dommageable n'était pas un "fait de circulation", ou plus exactement que ce fait n'avait pas été commis par des "personnes circulant sur le sol". Cette interprétation n'est pas fondée, car le jet de ballon par des personnes qui circulent sur la voie publique est bien un fait de circulation, aussi bien que lorsque des gravillons sont projetés par les roues d'un véhicule !

C'est donc logiquement et opportunément que la Cour de cassation redresse l'analyse et conforte les deux arrêts d'appel susmentionnés, en énonçant la solution selon laquelle "le ballon, cause du dommage, avait été lancé par des personnes circulant sur le sol".

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)

  • Assurance du fait d'autrui et définition de la notion de tierce victime exclusive de celle d'assuré (Cass. civ. 2, 6 octobre 2011, n° 10-16.685, FS-P+B N° Lexbase : A6117HY9)

L'interprétation de l'article L. 121-2 du Code des assurances, relatif à l'assurance du fait d'autrui, est à l'honneur. Aux termes de cet article (N° Lexbase : L0078AA7), "l'assureur est garant des pertes et dommages causés par des personnes dont l'assuré est civilement responsable en vertu de l'article 1384 du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS), quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes".

Il y a quelques mois, les deux rédacteurs de cette chronique avaient pu, à quatre mains, étudier un arrêt du 17 mars 2011 (3) portant sur la garantie des dommages causés par des personnes dont l'assuré est civilement responsable dans l'hypothèse d'une faute intentionnelle du préposé (viol d'un préposé, professeur employé par une association, sur le lieu de travail et pendant les heures de cours). La Cour avait alors énoncé "qu'en application de l'article L. 121-2 du Code des assurances et du contrat souscrit par [l'association] auprès de [l'assureur], seule la faute intentionnelle dolosive de l'assuré est de nature à exonérer l'assureur de son obligation à garantie et que tel n'est pas le cas en l'espèce, les faits fautifs ayant été commis par le préposé de l'assuré". C'était bien juger car la faute intentionnelle du préposé est assurable.

Avec l'arrêt du 6 octobre 2011, la lumière est portée sur un autre aspect de l'interprétation de l'article L 121-2 du Code des assurances : il s'agit de cerner la liberté des parties de déterminer le champ d'application du contrat d'assurance, donc de l'application des conditions de garantie et des exclusions de garantie, dans ce contexte de garantie des dommages causés par autrui.

Les choses sont ici faussement simples, car si la jurisprudence a tôt fait d'énoncer le caractère d'ordre public du texte (4), elle n'a pas entendu imposer à l'assureur de couvrir tout risque causé par autrui. La ligne de crête passe entre ces deux bornes :

- d'un côté, la jurisprudence rappelle, depuis un arrêt du 12 novembre 1940 (5), confirmé à plusieurs reprises (6), que l'article L. 121-2 "ne retire pas au contrat d'assurance la détermination du risque assuré de telle sorte que les limitations de l'objet d'assurance qui restreignent ou subordonnent à une condition la responsabilité personnelle de l'assuré sont elles-mêmes applicables de plein droit à la garantie de la responsabilité civile des personnes dont l'assuré doit répondre". C'est admettre la possibilité de procéder par voie de délimitations contractuelles et considérer que autrui sera couvert dans les mêmes conditions que l'assuré lui-même ;

- de l'autre, la Cour de cassation tempère cette liberté et énonce que "l'assureur ne peut refuser sa garantie en fonction de la nature ou de la gravité de la faute dont l'assureur doit répondre" (7).

Toute la difficulté est donc de cerner dans quelles hypothèses les conditions et exclusions de garantie demeurent compatibles avec le principe de couverture de la responsabilité du fait d'autrui.

La jurisprudence est complexe (8), qui décide, notamment, que l'assureur peut délimiter objectivement le risque, pour l'assuré comme pour celui dont il est responsable, à condition que cela ne porte pas atteinte au principe même de couverture, notamment de la faute intentionnelle d'autrui. La doctrine suggère une distinction entre restrictions de garanties objectives, permises, et restrictions de garanties subjectives, prohibées (9).

Cette grille de lecture sied parfaitement pour interpréter l'arrêt du 6 octobre 2011, qui admet l'applicabilité d'une restriction objective du contrat, tenant à la qualité de victime d'un dommage causé par une personne dont l'assuré est civilement responsable.

En l'espèce, la Cour, après avoir rappelé dans le chapeau de l'arrêt que l'article L. 121-2 "ne porte pas atteinte à la liberté des parties de convenir du champ d'application du contrat et de déterminer la nature et l'étendue de la garantie", censure la décision des juges du fond aux motifs que le contrat "ne garantissait pas les dommages causés aux personnes définies comme assurées".

La clause vaut, que l'assuré ou un de ceux dont il répond cause dommage à n'importe quel autre assuré. Il n'y a donc pas exclusion, ni directe ni indirecte, liée à la nature de la faute ou à sa gravité.

Il en résulte qu'en cas de dommage causé par un fils de l'assuré à deux autres enfants de l'assuré, la clause d'exclusion trouve à s'appliquer.

Les juges du fond avaient, quant à eux, visiblement considéré que c'était ajouter au texte de l'article L. 121-2. Ils soulignent que cet article "n'applique [sic, il eût fallu dire n'implique] aucune exclusion en cas de dommage causé par l'enfant d'un assuré à l'égard d'un autre enfant du même assuré".

Sans doute leur avait-il apparu choquant que l'assurance ne garantisse pas ce risque. Toutefois, cette interprétation est désavouée et la clause d'exclusion qui définit le tiers victime comme étant exclusif d'un des assurés reçoit plein effet. Ce faisant, la Cour de cassation confirme une analyse doctrinale selon laquelle :

"il est fréquent que les contrats d'assurance de responsabilité civile vie privée garantissent la responsabilité civile de plusieurs personnes. Généralement, le souscripteur et son entourage. L'objet du contrat est de garantir le souscripteur ainsi que ces personnes dans l'hypothèse où elles engageraient leur responsabilité civile. La question peut sembler plus délicate lorsque précisément une de ses personnes engage sa responsabilité civile envers le souscripteur ou une des personnes également assurée. Pour autant la réponse est simple. Il s'agit bien de la réalisation du risque pour lequel l'assuré est couvert. Le fait que la victime ne soit pas un tiers au contrat n'implique pas que l'assuré n'engage pas sa responsabilité civile à l'égard d'un tiers. Finalement lorsque la police exige, sans autre précision, que l'assuré engage sa responsabilité civile envers un tiers, cela vise à exclure les hypothèses de dommages causés à soi-même (il n'y aurait d'ailleurs pas ici de responsabilité civile). Toutefois, rien n'interdit à l'assureur de réserver la qualité de tiers, envers lesquels l'assuré pourrait engager sa responsabilité civile, à des personnes elles-mêmes non couvertes par la police" (10).

Un arrêt récent (11) a d'ailleurs eu l'occasion de censurer une cour d'appel au motif "qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résultait pas de ses constatations que le contrat d'assurance de responsabilité civile qui comportait plusieurs assurés, excluait de la définition du tiers lésé, l'assuré victime d'un dommage causé par un autre assuré, la cour d'appel a violé" le contrat d'assurance et l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) (plus sûrement que l'article L. 124-1 du Code des assurances N° Lexbase : L0106AA8 hors de propos pourtant visé dans cet arrêt).

L'arrêt du 6 octobre 2011 confirme cette ligne directrice dans le cadre, particulier, de la couverture du risque d'autrui de l'article L. 121-2 du Code des assurances.

On n'oubliera pas que, derrière cette application pleine de rectitude des règles de droit, se profile une situation catastrophique pour les parents : voilà une famille ruinée sur un plan moral par le drame qui l'affecte (viol entre frères). A cela vient s'y ajouter le fait que les parents se voient opposer par leur assureur une exclusion de garantie. Il n'est pas sûr que le "chef de famille" sache que sous son toit peut se loger celui qui le ruinera dès lors que son assureur n'a pas voulu couvrir les risques intra-familiaux, qui prennent ici la forme de dommages entre assurés...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) CA Nîmes, 1ère ch., sect. B, 6 novembre 2007, n° 06/04305 (N° Lexbase : A7796HYE).
(2) CA Aix-en-Provence, 10ème ch., 19 mai 2010, n° 09/00574 (N° Lexbase : A8304EZL).
(3) Cass. civ. 2, 17 mars 2011, n° 10-14.468, FS-P+B (N° Lexbase : A1705HDI), commenté in Chronique de droit des assurances - Avril 2011, Lexbase Hebdo n° 436 du 14 avril 2011 - édition privée (N° Lexbase : N0594BSS).
(4) Depuis Cass. civ., 23 juin 1942, D., 1942, p. 151, note P.L.P..
(5) Cass. civ., 12 novembre 1940, JCP, 1941, II, 1640.
(6) Cf., notamment, Cass. civ. 2, 8 mars 2006, n° 04-17.916, FS-P+B (N° Lexbase : A4997DNE), Bull. civ. II, n° 67, p. 67 ; RCA, 2006, comm. 177, obs. H. Groutel ; RGDA, 2006, p. 529, note L. Mayaux.
(7) Cass. civ. 1, 24 mars 1992, n° 90-17.862 (N° Lexbase : A5265CZZ), RCA, 1992, comm. 243.
(8) Cf. in Code des assurances, Litec, 2011, annotations sous l'article L. 121-2, qui pointe bien les difficultés spécialement en cas d'exclusion indirecte à la nature ou à la gravité de la faute.
(9) Là-dessus, cf. M. Asselain, JurisClasseur Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 510-10, spéc. § n° 24 et s..
(10) Laurent Bloch, JurisClasseur Civil, Annexes, V° Assurances, Fasc. 11-10, spéc. n° 34.
(11) Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-22.171, FS-P+B (N° Lexbase : A5233D8C), Resp. civ. et assur., 2008, comm. 243, par H. Groutel.

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