La lettre juridique n°458 du 20 octobre 2011 : Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Octobre 2011

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var

le 20 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 27 septembre 2011, tous deux promis aux honneurs du Bulletin. Dans le premier, commenté par le Professeur Le Corre, la Cour régulatrice énonce que "la date d'exigibilité de la commission ne se confond pas avec la date du fait générateur de la créance. En conséquence, la créance d'honoraires de résultat ne naît pas à la date du paiement, mais à celle de l'exécution de la prestation caractéristique". De la sorte, elle traite désormais de manière unitaire la créance de commission, marquant ainsi en la matière la victoire de la thèse matérialiste sur la thèse volontariste. Enfin, dans le second arrêt, commenté cette semaine par Emmanuelle Le Corre-Broly, les juges du Quai de l'Horloge consacrent l'indifférence du moment auquel est invoquée la compensation légale.
  • Le fait générateur de la créance de commission (Cass. com., 27 septembre 2011, n° 10-21.277, FS-P+B N° Lexbase : A1221HYU)

Le traitement des créances, dans une procédure collective de paiement, dépend, depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), de la réponse à la question de savoir si la créance en cause est ou non éligible au traitement préférentiel, si le créancier est ou non un créancier postérieur méritant. Ce dernier échappe à la discipline collective. Les autres créanciers y sont soumis, sous cette réserve que les créanciers, dont la créance est née irrégulièrement après jugement d'ouverture, ne sont pas soumis à l'obligation de la déclaration de leurs créances au passif.

Pour être postérieur méritant, le créancier doit détenir une créance née régulièrement après le jugement d'ouverture, et répondant à certaines finalités. Ainsi, trois critères doivent être vérifiés : le critère organique, celui de la régularité de la créance, le critère téléologique, celui de la finalité de la créance et le critère chronologique, celui de la postériorité de la créance par rapport au jugement d'ouverture. Cette dernière question était au centre des préoccupations de l'arrêt commenté.

En l'espèce, une société X, confie par mandat, à une société Y, le soin de procéder aux démarches nécessaires pour la récupération des crédits d'impôt formation, au titre des années 2004 à 2006. La société X est placée en redressement judiciaire en 2007, puis, la même année, en liquidation judiciaire. Pendant la liquidation judiciaire, l'administration fiscale adresse au liquidateur, à la suite des démarches de la société Y, les sommes correspondants au crédit d'impôt formation. Se prévalant de ce versement, la société Y demande alors au liquidateur le paiement des sommes dues au titre du contrat de mandat, en pratique un pourcentage sur les sommes récupérées. Le liquidateur résiste et, dans ces conditions, la société Y l'assigne en paiement.

La cour d'appel rejette la demande en considérant que les sommes litigieuses, bien qu'elles correspondent à des honoraires de résultat, constituent des créances antérieures au jugement d'ouverture, car leur fait générateur est trouvé dans la conclusion du contrat de mandat (CA Versailles, 13ème ch., 27 mai 2010, n° 08/08815 N° Lexbase : A0887EZU).

La société Y forme alors un pourvoi en cassation. La question posée à la Cour de cassation est de savoir si la créance de commission correspondant à des honoraires de résultat est née de la perception des remboursements de crédits d'impôt formation par le liquidateur. A cette question, la Cour de cassation répond par la négative. Elle juge que "la date d'exigibilité de la commission ne se confond pas avec la date du fait générateur de la créance. En conséquence, la créance d'honoraires de résultat ne naît pas à la date du paiement, mais à celle de l'exécution de la prestation caractéristique".

La solution contraste avec celle posée quelques années plus tôt, dans une affaire similaire. Une cour d'appel avait en effet jugé que le droit au versement d'honoraires dépendant de l'obtention effective de l'avantage procuré au débiteur, le fait générateur de la créance d'honoraires devait être fixé au jour de l'obtention du résultat, c'est-à-dire en l'occurrence le versement d'un crédit d'impôt formation (1).

Pour comprendre la portée de la solution posée par la Cour de cassation, il importe de retracer l'évolution jurisprudentielle sur la question du fait générateur de la créance de commission.

La date de naissance des créances issues des contrats de mandat n'était, en effet, pas réglée unitairement par la jurisprudence rendue en matière de droit des entreprises en difficulté. Une casuistique compliquée, aux lignes directrices incertaines, s'évinçait de l'examen des diverses solutions, en fonction des divers contrats de mandat.

Classiquement, pour déterminer si une créance est antérieure ou postérieure par rapport au jugement d'ouverture d'une procédure collective de paiement, on enseigne qu'il convient de se référer au fait générateur de cette créance, c'est-à-dire à l'événement qui engendre la créance (2).

L'une des difficultés majeures de délimitation des créances antérieures et des créances postérieures concerne les créances issues de contrats à exécution successive. Deux thèses s'affrontent ici, en droit civil.

Dans un premier courant, le fait générateur de la créance serait toujours trouvé dans le contrat, c'est-à-dire dans sa perfection, et non dans son exécution. A partir de la perfection du contrat, pour chacune des parties, naîtraient les obligations réciproques (3). C'est la thèse volontariste.

Dans un second courant, il serait possible de dissocier la formation du contrat de son contenu "obligationnel". Le fait générateur de la créance ne résiderait plus dans la formation du contrat, mais dans son exécution (4). C'est la thèse économique, dite aussi matérialiste. Le fait générateur de la créance contractuelle de somme d'argent serait ainsi, dans les contrats synallagmatiques, l'exécution de la contrepartie attendue de l'autre partie au contrat, c'est-à-dire, pour ce dernier, l'objet de son obligation. Il s'agit plus précisément de la contrepartie caractéristique, c'est-à-dire principale du contrat sur lequel il est raisonné. C'est ainsi la cause de l'obligation pour celui qui s'engage à payer qui constitue le fait générateur de la créance (5).

La thèse volontariste apparaît inconciliable avec le régime de la continuation des contrats, lequel s'accommode mieux de la thèse matérialiste.

L'examen de divers textes du droit des entreprises en difficulté, ainsi que celui des solutions posées par la jurisprudence, permettent d'affirmer que les créances nées de la continuation des contrats à exécution successive en cours naissent au fur et à mesure de l'exécution du contrat et non au jour de la formation de celui-ci.

En matière de continuation des contrats en cours, nul texte n'énonce que les créances issues de la continuation du contrat, qui auraient la nature de créances antérieures, doivent être traitées comme des créances postérieures. Les textes se contentent de préciser que, en cas de continuation d'un contrat en cours, "lorsque la prestation porte sur le paiement d'une somme d'argent, celui-ci doit se faire au comptant" (C. com., art. L. 622-13 N° Lexbase : L3352IC7). Cela revient clairement à affirmer que la créance issue de la continuation d'un contrat en cours est une créance postérieure au jugement d'ouverture, ce qui fonde l'obligation pour le débiteur de la payer et la possibilité pour le cocontractant d'en recevoir paiement, ce qui aurait été impossible en présence d'une créance antérieure.

Le législateur opte clairement pour la thèse matérialiste. En ce sens, l'article L. 622-17, I du Code de commerce (N° Lexbase : L3493ICD) vise les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur. La fourniture de la prestation fait naître la créance.

D'autres solutions jurisprudentielles permettent d'apercevoir que la thèse volontariste l'a emporté dans le domaine du droit des entreprises en difficulté. Il en est ainsi, par exemple, du traitement en créance postérieure de la créance née entre le jugement d'ouverture et l'option sur la continuation du contrat, quelle qu'elle soit. La Cour de cassation a ici tiré argument de l'impossibilité pour le cocontractant du débiteur de se délier d'un contrat en cours sans la volonté -expresse ou tacite- de l'administrateur judiciaire ou du débiteur, pour décider que, du jour du jugement d'ouverture au jour de l'option sur la non continuation, la créance du cocontractant est, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, couverte par l'article 40 (C. com., art. L. 621-32 N° Lexbase : L6884AIS) (6). La solution est transposable sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises.

L'examen des règles de droit commun de la coordination de la continuation des contrats en cours avec la délimitation de la date de naissance des créances fait ainsi apparaître que les créances issues d'un contrat synallagmatique à exécution successive naissent au fur et à mesure de l'exécution du contrat. Ces règles s'appliquaient-elles uniformément en matière de mandat ?

L'objet du mandat est l'accomplissement d'un ou de plusieurs actes juridiques.

Tant que les actes devant être accomplis par le mandataire ne sont pas exécutés au jour du jugement d'ouverture, le contrat de mandat est en cours, puisque la prestation caractéristique à la charge du partenaire contractuel du débiteur n'est pas complètement exécutée. Dans ces conditions, le contrat de mandat conclu avant jugement d'ouverture, et qui n'est pas intégralement exécuté à cette date, fait-il naître des créances postérieures au jugement d'ouverture ? Une distinction devait être opérée selon qu'il était question des solutions classiques posées en matière de mandat ou des solutions exceptionnelles posées notamment pour la créance d'honoraires de l'avocat.

En ce qui concerne, tout d'abord, les solutions classiques posées en matière de mandat, la Cour de cassation a eu à statuer sur le fait générateur de la commission due à une catégorie particulière de mandataire, l'agent immobilier. Elle a considéré que le fait générateur de la créance de l'agent immobilier est trouvé non dans la vente, intervenue par hypothèse après jugement d'ouverture, mais dans le mandat initial conclu avant ce même jugement. Dès lors que la signature du mandat confié à l'agent immobilier est antérieure au jugement d'ouverture, la créance de l'agent immobilier est elle-même antérieure, juge la Cour de cassation (7). De même, il a pu être jugé que la créance de commissions dues dans le cadre d'un mandat de recherche de partenaires a pour fait générateur la conclusion du mandat -le moment où le cocontractant se trouve lié au mandant, énonce la Cour de cassation- (8).

C'est en ce sens, également, que s'était prononcée, dans la présente affaire, la cour d'appel : la créance d'honoraires avait, selon elle, pris naissance dans la conclusion du contrat donnant mandat à la société Y de récupérer les crédit d'impôt formation.

Ces solutions pouvaient apparaître surprenantes. En effet, ces divers contrats s'analysent en des mandats, contrats à exécution successive. Tant que le mandat est en cours au jour du jugement d'ouverture, c'est-à-dire pour reprendre l'exemple de l'agent immobilier, tant qu'il n'a pas trouvé d'acquéreur, ce contrat doit pouvoir être continué et faire naître, en conséquence, une créance d'honoraires après le jugement d'ouverture. D'ailleurs, il faut bien apercevoir que si aucun acquéreur n'est trouvé, les honoraires ne sont pas dus. Ce n'est donc pas la conclusion du contrat d'agent immobilier qui fait naître la créance d'honoraires, mais bien l'accomplissement de la prestation du mandataire, à savoir le fait d'avoir trouvé l'acquéreur. Comme dans le droit commun de la continuation des contrats synallagmatiques à exécution successive en cours au jour du jugement d'ouverture, il faut trouver dans l'accomplissement de l'objet de l'obligation du partenaire contractuel du débiteur le fait générateur de la créance du contrat continué.

La solution s'impose d'autant plus, compte tenu de la rédaction de l'article L. 622-17 du Code de commerce, issue de la législation de sauvegarde des entreprises. En effet, l'un des critères téléologiques d'attribution du traitement préférentiel aux créances postérieures tient à la contrepartie d'une prestation fournie au débiteur. Ainsi, pour être éligible au traitement préférentiel, il suffit que la créance soit la contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant la période d'observation, ou pendant la poursuite provisoire de l'activité autorisée en liquidation judiciaire. C'est assez dire qu'il suffit que la prestation soit fournie après le jugement d'ouverture pour que le traitement préférentiel réservé à certains créanciers postérieurs existe. Le terrain d'élection de cette disposition est évidemment celui de la continuation des contrats à exécution successive en cours au jour du jugement d'ouverture.

Dès lors, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, il ne nous semble pas possible de soutenir que la créance du mandataire née d'un mandat continué après jugement d'ouverture n'est pas éligible au traitement préférentiel réservé à certains créanciers postérieurs

C'est d'ailleurs la solution qu'applique la Cour de cassation en présence d'une variété particulière de mandat, celui donné à l'avocat.

Bien avant l'intervention de la loi de sauvegarde des entreprises, il avait été suggéré que la créance d'honoraires d'un avocat puisse naître au fur et à mesure de l'exécution de son mandat (9). La Cour de cassation a suivi la suggestion. C'est ainsi qu'une cour d'appel a été censurée pour n'avoir pas recherché si les prestations de l'avocat avaient été accomplies avant ou après le jugement d'ouverture (10).

La solution retenue pour cette catégorie particulière de mandat qu'est celui confié à un avocat, est appliquée par la jurisprudence pour déterminer si la créance d'honoraires d'un commissaire aux comptes, dont le caractère contractuel n'est qu'apparent, pour être plus véritablement d'origine légale, est antérieure ou postérieure. Elle naît successivement, au fur et à mesure des prestations accomplies. La date de la certification des comptes n'est donc pas le critère retenu dans l'appréciation (11). Cette solution devrait également être celle applicable à un expert-comptable. A cet égard, la jurisprudence fiscale considère que les prestations d'un expert-comptable sont des prestations discontinues à échéances successives (12). Elle doit pouvoir être transposée en notre matière.

C'est en ce sens que se fixe, en l'espèce, la Cour de cassation, en jugeant que "la créance d'honoraires de résultat ne naît pas à la date du paiement, mais à celle de l'exécution de la prestation caractéristique".

Il ne faut pas s'y tromper. Bien que la Cour de cassation rejette le pourvoi, elle ne valide pas, pour autant, le raisonnement tenu par la cour d'appel. La créance de commission ne naît pas de la conclusion du mandat, comme l'avait jugé la cour d'appel, mais de l'exécution de la prestation caractéristique, c'est-à-dire de l'exécution des actes juridiques confiés par le contrat de mandat au mandataire. Il faut donc vérifier à quelles dates ont été accomplies ces démarches pour savoir si la créance d'honoraires est ou non antérieure au jugement d'ouverture.

On peut ici regretter que la réponse n'ait pas été clairement donnée, la Cour de cassation se contentant d'indiquer un principe de solution, sans le comparer aux données factuelles du dossier. On ne sait pas, en l'espèce, si les démarches avaient été accomplies avant ou après le jugement d'ouverture pour obtenir le remboursement du crédit d'impôt formation. En supposant que des démarches aient été accomplies pour certaines avant le jugement d'ouverture, et pour d'autres après le jugement d'ouverture, comment aurait pu s'opérer la ventilation, dans la créance d'honoraires de résultat, entre la partie antérieure et la partie postérieure au jugement d'ouverture ?

En pareille circonstance, les praticiens devront clairement donner aux juges du fond des moyens de procéder à cette ventilation.

Ce qui est en tout cas certain, c'est que la Cour de cassation traite désormais de manière unitaire la créance de commission : elle ne naît pas de la conclusion du contrat de mandat, mais bien de l'exécution de la prestation caractéristique du contrat de mandat. La thèse matérialiste l'a donc clairement emporté, ce dont il faut se réjouir puisque, désormais, que l'on raisonne sur la créance d'honoraires de l'avocat ou sur la créance d'honoraires d'un mandataire quelconque, la solution sera la même.

On devrait donc pouvoir s'attendre, à l'avenir, à un revirement de jurisprudence sur la question du fait générateur de la créance de l'agent immobilier et c'est sans doute eu égard à la généralité de la solution qu'elle entend adopter, qu'il faut expliquer que la Cour de cassation ait cru bon d'appeler à la publication au Bulletin cet arrêt qui n'est que de rejet.

Ainsi, des solutions harmonieuses seraient appliquées, respectueuses des principes en matière de continuation des contrats en cours et en matière d'attribution du traitement préférentiel aux créanciers postérieurs.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • Compensation légale et procédure collective : indifférence du moment pour invoquer le jeu de la compensation (Cass. com., 27 septembre 2011, n° 10-24793 F-P+B N° Lexbase : A1215HYN)

La compensation est l'extinction simultanée de deux obligations de même nature existant entre deux personnes réciproquement créancières et débitrices l'une de l'autre. Elle opère un double paiement à concurrence de la plus faible des deux créances. Dès lors qu'un débiteur fait l'objet d'une procédure collective, la compensation apparaît particulièrement attractive pour le créancier : elle lui évitera, en effet, "de décaisser des espèces sonnantes et trébuchantes en contrepartie d'un paiement en monnaie de faillite", c'est-à-dire, pour le créancier chirographaire, "en monnaie de singe" (13). Le créancier est-il cependant enfermé dans des limites temporelles pour invoquer, à l'égard de la procédure collective, le jeu de la compensation antérieur au jugement d'ouverture ? Lorsque les conditions de la compensation légale sont réunies avant le jugement d'ouverture, le fait que, dans un premier temps, le créancier ne l'invoque pas, prive-t-il ce dernier du bénéfice de la compensation légale ?

La lecture d'un arrêt rendu par Chambre commerciale de la Cour de cassation le 27 septembre 2011, dont l'intérêt est souligné par sa publication au Bulletin, permet d'apporter une réponse à ces interrogations.

Une société de financement avait conclu avec son client une convention de service et de financement par voie de cession de créances professionnelles stipulant la constitution d'une retenue de garantie affectée à la couverture des créances et recours que la société de financement pourrait avoir sur son client. La convention prévoyait la compensation de plein droit de cette retenue de garantie avec le solde débiteur du compte courant au jour de sa clôture et de sa liquidation. Il semble, à la lecture de l'arrêt rapporté, que cette clôture soit, en l'espèce, intervenue avant l'ouverture de la procédure collective du titulaire du compte. Dans le cadre de cette procédure, la société de financement avait initialement déclaré sa créance à hauteur de 1 315 919 euros, puis l'avait réduite à 385 715 euros après imputation de nouveaux encaissements et de la retenue de garantie, avant que la créance ne soit finalement rejetée par le juge-commissaire.

Le liquidateur es qualité avait alors assigné la société financière en restitution de la retenue de garantie sans obtenir gain de cause devant les juges du fond. Il s'était ensuite pourvu en cassation, sans davantage de succès. Son pourvoi est en effet rejeté par la Haute juridiction qui s'exprime en ces termes : "attendu que la compensation s'opère de plein droit, même en l'absence de lien de connexité, entre les dettes réciproques des parties, dès lors qu'elles sont certaines liquides et exigibles avant le prononcé du jugement d'ouverture de la procédure collective de l'une ou l'autre des parties, peu important le moment où elle est invoquée ; que l'arrêt retient que, conformément aux dispositions conventionnelles, la société IFN finance a procédé aux opérations de clôture et liquidation du compte courant de la société GMEP, qui avait révélé un solde débiteur et qu'elle a ensuite opéré une compensation entre ce solde et la retenue de garantie, avant de demander l'admission au passif de la procédure collective ; qu'ayant ainsi fait ressortir que la compensation entre les dettes réciproques des parties s'était opérée, avant l'ouverture de la procédure collective de la société GMEP, la cour d'appel [...] a légalement justifié sa décision".

La solution qui s'évince de l'arrêt doit être approuvée dans la mesure où elle s'appuie sur l'automaticité du jeu de la compensation légale. Cette caractéristique est clairement posée à l'article 1290 du Code civil (N° Lexbase : L1399ABG), qui énonce que la compensation légale "s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs".

La compensation légale suppose réunies quatre conditions posées par les articles 1289 (N° Lexbase : L1400ABH) et 1291 (N° Lexbase : L1401ABI) du Code civil :
- celle de réciprocité (C. civ., art. 1289), les deux personnes en présence devant être simultanément et personnellement créancières et débitrices l'une de l'autre ;
- celles de fongibilité, de liquidité et d'exigibilité des créances réciproques (C. civ., art. 1291) (14).

Dès lors que ces conditions sont réunies, au plus tard la veille du jugement d'ouverture -qui, rappelons-le, rétroagit à zéro heure de sa date-, la compensation légale aura joué avant la survenance de la procédure collective. Puisque la compensation a un effet extinctif des obligations, le créancier n'aura donc pas à déclarer au passif de la procédure collective la partie de la créance éteinte par le jeu de la compensation. En revanche, si ces quatre conditions ne sont pas réunies au jour de l'ouverture de la procédure collective, la compensation ne pourra, après jugement d'ouverture, opérer qu'en cas de connexité (15) et sous réserve de l'opposabilité à la procédure collective de la créance du créancier sollicitant la compensation. A, en effet, été posé en jurisprudence un principe d'impossibilité de compensation pour dettes connexes après jugement d'ouverture en l'absence de déclaration de créances, et ce tant sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (16) que sous celui de la loi de sauvegarde (17). La créance devra donc être déclarée à hauteur de son intégralité détenue et non pas seulement pour le solde obtenu après compensation (18).

Dans quelles circonstances faut-il considérer que la compensation -légale- entre le solde débiteur d'un compte courant et une retenue de garantie a joué au jour du jugement d'ouverture ?

Tant que le compte courant n'est pas clôturé, il fait apparaître un solde provisoire. La doctrine considère que ce solde provisoire représente une créance de l'une des parties (le banquier ou le client) sur l'autre (19). Cette créance est disponible mais, sauf stipulation contraire des parties, non exigible (20). Ainsi, à moins que les parties n'en aient décidé autrement, le solde provisoire ne sera pas exigible avant clôture du compte et, partant, aucune compensation légale ne pourra s'opérer.

En revanche, après clôture et liquidation du compte courant, le solde définitif constitue une créance exigible (21). Dès lors, si les autres conditions de la compensation légale sont réunies avant l'ouverture de la procédure collective, la compensation aura joué à cette date. Remarquons que, dans son pourvoi, le liquidateur, a employé les termes de "compensation conventionnelle". Or, si le principe de la compensation entre le solde définitif et la retenue de garantie était, certes, visé par le contrat liant les parties, cette compensation ne répondait pas pour autant à la définition de la compensation conventionnelle laquelle résulte de la volonté des parties de se libérer mutuellement par compensation de leurs obligations réciproques sans que les conditions de la compensation légale soient remplies (22).

Alors même que la lettre de l'article 1290 du Code civil pose le caractère automatique de la compensation légale, la jurisprudence a toujours considéré que la compensation ne peut produire son effet que si elle est invoquée (23). Cependant, si la compensation n'est pas invoquée, la renonciation à la compensation n'est pas pour autant présumée (24). La question peut cependant se poser de savoir si, le fait que, comme en l'espèce, le créancier a, dans un premier temps, déclaré une créance -finalement rejetée- sans se prévaloir de la compensation (c'est-à-dire, en l'occurrence, sans déduire le montant de la retenue de garantie) emporte renonciation au jeu de la compensation légale. Tel ne semble pas être le cas pour la Chambre commerciale qui considère que, dès lors que les conditions de réciprocité, de certitude, de liquidité et d'exigibilité sont remplies avant le jugement d'ouverture, la compensation légale "s'opère de plein droit [...] peu important le moment où elle est invoquée". Force est de constater que cette solution est en parfaite adéquation avec les termes mêmes des dispositions de l'article 1290 du Code civil, selon lesquels la "compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs ; les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives".

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon


(1) CA Versailles, 12ème ch., sect. 1, 27 janvier 2005, n° 04/00204 (N° Lexbase : A4362DXT).
(2) C. Saint-Alary-Houin, La date de naissance des créances en droit des procédures collectives, interv. Colloque CEDAG Paris V, 25 mars 2004, LPA, 9 novembre 2004, n° 224, p. 11 et s., n° 3. Adde sur cette question, nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 5ème éd. 2012/2013, à paraître en novembre 2011, n° 441.00 et s..
(3) Ainsi, E. Putman, La formation des créances, thèse, Aix-Marseille, 1987 ; R. Perrot, obs. RTDCiv., 1995, p. 965 ; C. Larroumet, obs. sous Cass. com., 26 avril 2000, n° 97-10.415 (N° Lexbase : A5133AWZ), D., 2000, jur. p. 717.
(4) P. Ancel, Force obligatoire et contenu obligationnel, RTDCiv., 1999, p. 772.
(5) Ainsi, évoquant les prestations fournies en contrepartie du paiement de cotisations d'adhésion à une association, Cass. com., 30 octobre 2000, n° 97-21.372 (N° Lexbase : A6181C73), RJDA, 2001/2, n° 187.
(6) Cass. com., 16 octobre 1990, n° 89-12.930 (N° Lexbase : A4508ACX), Bull. civ. IV, n° 240.
(7) Cass. com., 17 février 1998, n° 95-15.409 (N° Lexbase : A2373ACU), Bull. civ. IV, n° 81.
(8) Cass. com., 16 octobre 2007, n° 06-11.102, F-D (N° Lexbase : A8035DYA), Gaz. proc. coll., 2008/1, p. 44, note F. L.-C. Henry.
(9) M. Cabrillac, obs. sous Cass. com., 2 octobre 2001, n° 98-22.493 (N° Lexbase : A1488AWZ), Bull. civ. IV, n° 157 ; JCP éd. E, 2002, chron. 175, p. 176, n° 16.
(10) Cass. com., 19 juin 2007, n° 05-17.074, F-P+B (N° Lexbase : A8661DWP), Bull. civ. IV, n° 168, D., 2007, AJ p. 1878, note A. Lienhard ; E. Le Corre-Broly in La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre, Lexbase Hebdo n° 269 du 18 juillet 2007 - édition privée (N° Lexbase : N9341BBL).
(11) Cass. com., 2 octobre 2001, n° 98-22.493 (N° Lexbase : A1488AWZ), Bull. civ. IV, n° 157.
(12) CE, 8° et 3° s-s-r.., 10 janvier 2005, n° 253490 (N° Lexbase : A0014DGM) ; JCP éd. E, 2005, 1252, p. 1396, note D. F.
(13) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2012/2013, n° 632.11.
(14) Sur ces conditions, v. not. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil - Les obligations, Précis Dalloz, 10ème éd., n° 1393 et s..
(15) Cette condition de connexité n'a pas être remplie pour que joue la compensation légale, ce que souligne la Chambre commerciale dans l'arrêt rapporté. Sur la notion de connexité, v. not. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil - Les obligations, préc., n° 1404 ; P.-M. Le Corre, préc., n° 631.41 et s..
(16) Cass. com. 23 janvier 1990, n° 88-16.172 (N° Lexbase : A4115AGI), Bull. civ. IV, n° 17, Rev. loyers, 1990, n° 709, p. 350, note Ch.-H. Gallet, RTDCom., 1990, 479, obs. Y. Chaput, RJ com., 1990, 365, note Calendini ; Cass. com., 15 octobre 1991, n° 89-20.605 (N° Lexbase : A4020ABI), Bull. civ. IV, n° 290, RD bancaire et bourse, 1992, 37, obs. M.-J. Campana et Calendini ; Cass. com., 25 mai 1993, n° 91-13.844 (N° Lexbase : A5638ABG), Bull. civ. IV, n° 207, Quot. Jur., 1993, n° 57, p. 5, note P. M, D., 1993, IR 165 ; Cass. com., 22 février 1994, n° 92-14.438 (N° Lexbase : A6952AB4), Bull. civ. IV, n° 70, LPA, 28 septembre 1994, n° 116, p. 23, note A. Honorat et A.-M. Romani, JCP éd. E, 1994, n° 27, p. 139, note J.-P. Rémery, D., 1995, jur. 27, note A. Honorat et A.-M. Romani, JCP éd. G, 1994, II, 22267, rapp. J.-P. Rémery ; Cass. com., 6 février 1996, n° 93-10.525 (N° Lexbase : A1091ABZ), Bull. civ. IV, n° 39, D., 1997, somm. 77, obs. A. Honorat, JCP éd. E, 1996, pan. 488 ; Cass. com. 12 novembre 1996, n° 94-17.032 (N° Lexbase : A2492ABW), Bull. civ. IV, n° 263, RJDA, 1997, 267 ; Cass. com., 14 novembre 2000, n° 97-19.798 (N° Lexbase : A6655A7M), Act. proc. coll., 2001/1, n° 7, note J. Vallansan ; Cass. com., 21 novembre 2000, n° 97-16.874 (N° Lexbase : A9317AHK), Bull. civ. IV, n° 180, Defrénois, 2001, n° 10, p. 635, note M. Billiau, Gaz. Pal., 5-6 janvier 2001, pan. 21 ; Cass. com., 3 avril 2001, n° 98-14.961 (N° Lexbase : A1939ATY), Act. proc. coll., 2001/10, n° 120 ; Cass. com., 9 octobre 2001, n° 98-14.514 (N° Lexbase : A2065AWE), RJDA, 2002/2, n° 174, p. 145 ; Cass. com., 7 janvier 2003, n° 00-10.630 (N° Lexbase : A6012A4G) ; Cass. com., 4 octobre 2005, n° 04-15.911 (N° Lexbase : A7145DKT) ; Cass. com., 31 janvier 2006, n° 04-15.832, F-D (N° Lexbase : A6552DMM), Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 48, obs. R. Bonhomme ; Cass. com., 27 mai 2008, n° 06-20.012, F-D (N° Lexbase : A7803D8I) ; Cass. com., 16 décembre 2008, n° 07-14.718, F-D (N° Lexbase : A8969EBS) ; Cass. com., 1er décembre 2009, n° 08-20.178, F-D (N° Lexbase : A3442EP8) ; CA Paris, 5ème ch., sect. A, 12 septembe 2007, n° 05/15700 (N° Lexbase : A4613DYI).
(17) Cass.com., 3 mai 2011, n° 10-16.758, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7122HPH) ; nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mai 2011, Lexbase Hebdo n° 251 du 19 mai 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N2759BSY).
(18) Cass. com., 20 mars 2001, n° 98-16.256 (N° Lexbase : A1232ATS), Bull. civ. IV, n° 62, D., 2001, AJ 1468, Act. proc. coll., 2001/8, n° 99 ; Cass. com., 24 avril 2007, n° 05-17.452, F-D (N° Lexbase : A0185DWR), Rev. proc. coll. 2007/3, p. 141, n° 6, obs. O. Staes ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 10 octobre 2006, n° 05/21484 (N° Lexbase : A7220DS9) ; CA Paris, 15ème ch., sect. B, 11 octobre 2007, n° 06/01303 (N° Lexbase : A3206DZR).
(19) R. Bonhomme, Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 9ème éd., 2011, n° 479 ; J-L. Rives-Lange et M. Contamine-Raynaud, Droit bancaire, Précis Dalloz, 6ème éd, 1995, p. 246.
(20) Cass. com., 25 novembre 1974, n° 73-12.702 (N° Lexbase : A4890AUN), Bull. civ. IV, n° 298, RTDCom., 1975, 572, obs. M. Cabrillac et J.-L. Rives-Lange ; cf., éaglement, JCP éd. E, 1998, chron. 321, obs. Ch. Gavalda et J. Stoufflet : "l'existence d'un solde provisoire ne permet pas l'exercice par l'autre partie d'une action en justice contre le titulaire d'un compte courant, à défaut d'une convention particulière".
(21) R. Bonhomme, préc., n° 483.
(22) V. A.-M. Toledo, La compensation conventionnelle. Contribution à la recherche de la nature juridique de la compensation conventionnelle in futurum, RTDCiv., 2000, p. 265.
(23) V. Cass. Req., 11 mai 1880, DP 1880, 1, p. 470, S. 1881, 1, p. 107.
(24) F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil - Les obligations, préc., n° 1408.

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