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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Consécration jurisprudentielle de la licéité des relevés de prix par les salariés d'un concurrent, cet arrêt intervient dans un no man's land juridique préjudiciable ; une fois encore, il appartenait au juge de cassation de se substituer à l'inaction du Gouvernement, comme du Parlement, en la matière. On se souvient de cette tentative avortée de reconnaissance de la pratique et de l'encadrement éthique des relevés de prix, usage bien connu des professionnels de la distribution depuis des lustres ; pour autant, la lumière ne semble pas avoir atteint le "coeur législatif" qui préféra écarter l'amendement sénatorial litigieux d'une "LME" déjà, sur de nombreux points, critiquée.
L'affaire jugée Quai de l'Horloge est symptomatique de la tension suscitée par cette pratique concurrentielle, pratique exacerbée par la publication de comparateurs de prix sur internet. En l'espèce, une grande surface de distribution souhaitait faire réaliser par ses salariés des relevés de prix de certains produits distribués dans un magasin concurrent exploité dans la même zone de chalandise. Mais, à la suite du refus opposé à ses salariés constaté par huissier de justice, elle avait fait assigner la société gérant le magasin "visité", afin qu'il lui soit ordonné sous astreinte de laisser pratiquer les relevés de prix de ses produits offerts à la vente. Le respect du droit de propriété comme le refus d'édifier la pratique des relevés de prix en un usage commercial, s'ils avaient convaincu la cour d'appel de Montpellier, le 18 mai 2010, n'auront pas prospéré devant les juges suprêmes qui se prononçaient clairement, pour la première fois, sur la licéité d'une telle pratique, comme le relevait à juste titre, la semaine dernière, notre rédacteur en chef, Vincent Téchené. Que ce soit à l'aide d'appareils électroniques ou à la main, plus rarement à l'aide d'appareils photographiques, les relevés de prix s'organisent de manière plutôt artisanale, la majorité des commerçants pratiquants délaissant les relevés automatiquement sortis des caisses. Désormais, à l'appui de cette jurisprudence, nul ne pourra refuser l'entrée de son magasin aux panélistes des concurrents, sous peine d'astreinte judiciaire et de passer pour le "vilain petit canard" du marché, apôtre des pratiques tarifaires occultes.
Le consommateur peut-il, dès lors, se réjouir d'une telle transparence drapée dans les vertus de la concurrence loyale ? Rien n'est moins sûr.
D'abord, le "panier de la ménagère" dont le prix est régulièrement relevé par les enseignes concurrentes ne constitue pas un maître étalon universel. Si celui de l'Insee est opaque (1 000 produits, dont seulement 10 % relèvent de l'alimentaire), pour que le Gouvernement ne puisse pas faire pression pour diminuer les produits en question et que les hypermarchés ne puissent pas faire leur campagne de publicité sur le thème "chez nous, le panier de l'Insee est moins cher", celui des enseignes commerciales est changeant, au grè des opportunités tarifaires et commerciales. Aussi, l'intérêt de cette pratique des relevés de prix n'est-il circonscrit qu'à la politique tarifaire des enseignes et non à l'information des consommateurs.
Ensuite, on relèvera que, loin de constituer la rencontre entre l'offre et la demande, le prix des produits proposés par les enseignes de la grande distribution n'est en rien un prix dit "d'équilibre", il est le produit de la confrontation de son prix (et surtout de sa marge) envisagé avec celui de son voisin de chalandise. Exit le prix de vente, le prix de revient, le prix de cession : bonjour, le prix d'acceptabilité ; le prix qu'une grande partie de la clientèle trouve "normal" pour l'acquisition du bien en cause, étant entendu que ce levier psychologique passe par le fait que le client n'ait pas l'impression "de se faire avoir", parce que le même produit vendu dans les mêmes conditions serait moins cher à côté.
Enfin, ce qui semble fonctionner dans le sens d'une baisse générale des prix, dans une logique concurrentielle, pourrait également fonctionner dans l'autre sens ; l'entente implicite sur les prix n'est pas chose nouvelle en matière de droit de la concurrence. Si les prix en Île-de-France sont supérieurs de 13 % à ceux de la province, ce n'est pas uniquement dû au prix de l'immobilier, du transport et de l'amplitude des horaires d'ouverture... Si les écarts de prix sont les plus importants pour les services de santé et de loisirs (+ 14 %), et moins marqués pour l'alimentation et les transports (+ 6 %), il n'y a pas de raison pour que les enseignes ne rattrapent pas leurs marges perdues dans l'alimentaire, produits d'appel, sur des produits d'autres gammes dont l'achalandage croît, étrangement, chaque jour dans les magasins de la grande distribution.
Aussi, pour qu'il n'y ait aucune contestation, pour que la transparence soit au coeur de ce système de relevés des prix, on pourrait envisager que l'Etat, à l'image de son site internet www.prix-carburants.gouv.fr, ouvre un portail recensant le prix le plus bas d'une centaine de produits de première nécessité -ceux dont certains politiques demandent le contrôle des prix ou l'abaissement de la TVA à 5,5 %, par exemple- composant un "panier" type, sur tout le territoire national, sur un mode déclaratif. Pour le site internet relatif aux prix des carburants, les prix sont affichés par les distributeurs eux-mêmes ou par une "tête de réseau" préalablement désignée pour les stations-service intégrées dans un réseau. La communication par les distributeurs des prix de vente en vue de leur affichage sur le site internet s'effectue lors de chaque changement de prix, par internet ou à défaut par un service vocal, auprès du prestataire de service, chargé par l'administration de la conception et du bon fonctionnement du site. C'est le distributeur qui est responsable de la communication de ses prix de vente pour affichage sur le site internet. Une pareille initiative, au moins pour les "produits alimentaires de base", serait un gage de bonne foi des distributeurs en grande surface quant à la pratique des relevés de prix ; cela éviterait les tensions inhérentes aux "visites" de la concurrence, et légitimerait, ainsi, une transparence objective des prix qu'un site d'initiative privée ne saurait garantir.
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