Le Quotidien du 3 décembre 2019 : Données personnelles

[Brèves] Mise en œuvre du droit au déréférencement : la Cour de cassation applique les principes dégagés par la CJUE

Réf. : Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-14.675, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3520Z47)

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[Brèves] Mise en œuvre du droit au déréférencement : la Cour de cassation applique les principes dégagés par la CJUE. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/55137201-brevesmiseenuvredudroitaudereferencementlacourdecassationappliquelesprincipesdegages
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par Vincent Téchené

le 05 Décembre 2019

► Lorsqu’une juridiction est saisie d’une demande de déréférencement portant sur un lien vers une page internet sur laquelle des données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté sont publiées, elle doit, pour porter une appréciation sur son bien-fondé, vérifier, de façon concrète, si l’inclusion du lien litigieux dans la liste des résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, répond à un motif d’intérêt public important, tel que le droit à l’information du public, et si elle est strictement nécessaire pour assurer la préservation de cet intérêt.

Tel est le sens d’un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 27 novembre 2019 (Cass. civ. 1, 27 novembre 2019, n° 18-14.675, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3520Z47).

L’affaire. Un expert-comptable et commissaire aux comptes a été déclaré coupable d’escroquerie et de tentative d’escroquerie. Deux comptes-rendus d’audience relatant cette condamnation pénale ont été publiés sur le site internet d’un journal. Soutenant que ces articles, bien qu’archivés sur le site du journal, étaient toujours accessibles par le biais d’une recherche effectuée à partir de ses nom et prénom sur le moteur de recherche Google, et reprochant au moteur de recherche d’avoir refusé de procéder à la suppression des liens, l’expert-comptable l’a assigné aux fins de déréférencement. L’arrêt d’appel ayant rejeté sa demande de déréférencement, il a formé un pourvoi en cassation.

Sursis à statuer. Relevant que le Conseil d’Etat avait été saisi de quatre requêtes portant, notamment, sur le droit au déréférencement de telles données et qu’il avait alors renvoyé à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles (cf. CE Contentieux, 24 février 2017, n° 391000, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2360TP4 ; lire N° Lexbase : N6901BWI) et que la décision de la Cour à intervenir était de nature à influer sur la solution du pourvoi, la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 5 juin 2019, n° 18-14.675, FS-P+B N° Lexbase : A9252ZDZ ; lire N° Lexbase : N9461BXP) avait alors sursis à statuer jusqu'au prononcé de la décision de la CJUE intervenu le 24 septembre 2019 (CJUE, 24 septembre 2019, aff. C-136/17 N° Lexbase : A3916ZPQ ; lire N° Lexbase : N0703BYP)

La décision. Dans son arrêt du 27 novembre 2019, la Cour de cassation, apportant une réponse particulièrement étayée, censure l’arrêt d’appel au visa des articles 9, 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 (N° Lexbase : L8794AGS), issus de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 (N° Lexbase : L0722GTW), et des articles 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) et 809 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K). Après avoir rappelé le contenu de ces dispositions, elle relève que par son arrêt du 24 septembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que :

- les dispositions de l’article 8 § 1 et 5 de la Directive 95/46 (N° Lexbase : L8240AUQ) doivent être interprétées en ce sens que l’interdiction ou les restrictions relatives au traitement des catégories particulières de données à caractère personnel, visées par ces dispositions, s’appliquent, sous réserve des exceptions prévues par cette Directive, également à l’exploitant d’un moteur de recherche dans le cadre de ses responsabilités, de ses compétences et de ses possibilités en tant que responsable du traitement effectué lors de l’activité de ce moteur, à l’occasion d’une vérification opérée par cet exploitant, sous le contrôle des autorités nationales compétentes, à la suite d’une demande introduite par la personne concernée ;

- les dispositions de l’article 8 § 1 et 5 de la Directive 95/46 doivent être interprétées en ce sens que, en vertu de celles-ci, l’exploitant d’un moteur de recherche est en principe obligé, sous réserve des exceptions prévues par cette Directive, de faire droit aux demandes de déréférencement portant sur des liens menant vers des pages web sur lesquelles figurent des données à caractère personnel qui relèvent des catégories particulières visées par ces dispositions ;

- les dispositions de la Directive 95/46 doivent être interprétées en ce sens que, lorsque l’exploitant d’un moteur de recherche est saisi d’une demande de déréférencement portant sur un lien vers une page web sur laquelle des données à caractère personnel relevant des catégories particulières visées à l’article 8, § 1 ou 5 de cette Directive sont publiées, cet exploitant doit, sur la base de tous les éléments pertinents du cas d’espèce et compte tenu de la gravité de l’ingérence dans les droits fondamentaux de la personne concernée au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, vérifier, au titre des motifs d’intérêt public important visés à l’article 8 § 4 de ladite Directive et dans le respect des conditions prévues à cette dernière disposition, si l’inclusion de ce lien dans la liste de résultats, qui est affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom de cette personne, s’avère strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à cette page web au moyen d’une telle recherche, consacrée à l’article 11 de cette Charte.

Il s’ensuit donc que, lorsqu’une juridiction est saisie d’une demande de déréférencement portant sur un lien vers une page internet sur laquelle des données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté sont publiées, elle doit, pour porter une appréciation sur son bien-fondé, vérifier, de façon concrète, si l’inclusion du lien litigieux dans la liste des résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, répond à un motif d’intérêt public important, tel que le droit à l’information du public, et si elle est strictement nécessaire pour assurer la préservation de cet intérêt.

Or, la Cour de cassation relève qu’en l’espèce, pour rejeter la demande de déréférencement, l’arrêt d’appel retient que, si l’infraction d’escroquerie au préjudice de l’administration fiscale a été commise par l’intéressé dans la sphère privée, il n’en reste pas moins que le référencement des liens litigieux conserve un caractère pertinent en raison de sa profession, dès lors que celui-ci est amené, en sa qualité d’expert-comptable, à donner des conseils de nature fiscale à ses clients et que ses fonctions de commissaire aux comptes appellent une probité particulière. Il ajoute qu’en tant que membre d’une profession réglementée, le demandeur doit être considéré comme ayant un rôle dans la vie publique. Il en déduit que l’intérêt des internautes à avoir accès à l’information relative à sa condamnation pénale, en lien avec sa profession, doit prévaloir sur le droit à la protection des données à caractère personnel.

La Haute juridiction énonce alors qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si, compte tenu de la sensibilité des données en cause et, par suite, de la particulière gravité de l’ingérence dans les droits du demandeur au respect de sa vie privée et à la protection de ses données à caractère personnel, l’inclusion des liens litigieux dans la liste des résultats était strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès aux pages internet concernées, à défaut de quoi serait caractérisé un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 du Code de procédure civile, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

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