Réf. : Cass. crim., 26 novembre 2019, n° 19-80.360, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5471Z3Z)
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par June Perot
le 10 Décembre 2019
► La personne salariée poursuivie du chef de diffamation après avoir révélé des faits de harcèlement sexuel ou moral dont elle s’estime victime peut s’exonérer de sa responsabilité pénale, en application de l’article 122-4 du Code pénal (N° Lexbase : L7158ALP), lorsqu’elle a dénoncé ces agissements, dans les conditions prévues aux articles L. 1152-2 (N° Lexbase : L8841ITM), L. 1153-3 (N° Lexbase : L8843ITP) et L. 4131-1, alinéa 1er (N° Lexbase : L1463H93), du Code du travail, auprès de son employeur ou des organes chargés de veiller à l’application des dispositions dudit code ;
toutefois, pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale, la personne poursuivie de ce chef doit avoir réservé la relation de tels agissements à son employeur ou à des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail et non, comme en l’espèce, l’avoir aussi adressée à des personnes ne disposant pas de l’une de ces qualités.
C’est ainsi que se prononce la Chambre criminelle de la Cour de cassation par un important arrêt du 26 novembre 2019 qui, parmi les différents enseignements qu’il propose, admet l’application de l’article 122-4 du Code pénal au cas de dénonciation de faits de harcèlement moral et sexuel dans le cadre du travail (Cass. crim., 26 novembre 2019, n° 19-80.360, FS-P+B+I N° Lexbase : A5471Z3Z ; sur la protection du salarié de bonne foi en matière de dénonciation de harcèlement, v. déjà : Cass. civ. 1, 28 septembre 2016, n° 15-21.823, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2309R4B et le comm. de Ch. Radé, Lexbase Social, 2016, n° 672 N° Lexbase : N4658BWG).
Résumé des faits. La salariée d’une association a adressé un email à plusieurs personnes parmi lesquelles des directeurs de l’association, l’inspecteur du travail, ainsi qu’un autre responsable sans lien hiérarchique avec elle et le fils de la personne soupçonnée de harcèlement. Dans ce courriel intitulé «agression sexuelle, harcèlement sexuel et moral», elle dénonçait des faits mettant en cause une personne en particulier au sein de l’association. L’autrice du courriel a été citée devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un particulier. Les premiers juges l’ont déclarée coupable ; elle a donc relevé appel.
En cause d’appel. Pour entrer en voie de condamnation à l’encontre de la salariée, les juges ont énoncé que les propos poursuivis imputent des faits d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel et moral, selon le titre même du message, ces mots étant repris quasiment à l’identique dans le corps du message, faits attentatoires à l’honneur et à la considération dès lors qu’ils sont susceptibles de constituer des délits et suffisamment précis pour faire l’objet d’un débat sur leur vérité. Les juges relèvent que, s’il existe des éléments permettant d’établir la réalité d’un harcèlement moral, voire sexuel dans la perception qu’a pu en avoir la salariée, rien ne permet de prouver l’existence de l’agression sexuelle datant de l’année 2015 et pour laquelle elle n’a pas déposé plainte et ne peut produire ni certificat médical ni attestations de personnes qui auraient pu avoir connaissance, si ce n’est des faits, au moins du désarroi de la victime.
C’est dans ces conditions qu’un pourvoi a été formé par la salariée.
A hauteur de cassation. La salariée invoquait à l’appui de son pourvoi l’immunité disciplinaire offerte par le Code du travail aux salariés qui dénoncent auprès de leur employeur et des organes chargés de veiller à l’application des textes de ce code, les agissements répétés de harcèlement moral ou sexuel ou l’agression sexuelle dont ils ont été victimes. En effet, l’article L. 4131-1 du Code du travail, alinéa 1er, indique que «le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection». «aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés» (C. trav., art. L. 1152-2). Egalement, selon l’article L. 1153-3, «aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés».
Erreur de destinataire. La Haute juridiction rejette toutefois cette argumentation, pour les motifs visés plus haut. Elle considère, en effet, qu’en l’espèce, la salariée, pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité, n’aurait pas dû adresser son courrier à d’autres personnes que son employeur ou les organes chargés de veiller à l’application des dispositions du Code du travail (membres de la direction, DRH, RRH, représentants du personnel, CSE, inspecteur du travail), en l’espèce un autre responsable sans lien avec elle, le fils de la personne désignée auteur des agissements, qui n’ont d’ailleurs finalement pas été établis.
Par ailleurs, les juges ont retenu que la salariée ne pouvait bénéficier de l’excuse de bonne foi, «les propos litigieux ne disposant pas d’une base factuelle suffisante».
Pour aller plus loin : ► lire, C. Leborgne-Ingelaere, La parole du salarié : libérée…mais limitée !, Lexbase Social, 2019, n° 773 (N° Lexbase : N7724BXD) et v. l’Ouvrage «Droit du travail», L’auteur et la victime du harcèlement (N° Lexbase : E5235YUG) ; Les autres intervenants en matière de harcèlement sexuel (N° Lexbase : E9996YYU) ► écouter sur www.lexradio.fr : ♦ Conférence "Le harcèlement au travail" le 25 avril 2019 à Lille avec Céline Leborgne-Ingelaere et Jean-Philippe Tricoit ♦ Chronique bimestrielle "Harcèlement au travail", animée par Céline Leborgne-Ingelaere |
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