Réf. : Ass. plén., 25 octobre 2019, n° 17-86.605 (N° Lexbase : A5365ZSI)
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par June Perot
le 06 Novembre 2019
► Ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression la diffusion, lors d’une émission de télévision, d’une affiche qui associe une personnalité politique, candidate à l’élection présidentielle, à un excrément, dès lors que cette affiche, initialement publiée dans un journal revendiquant le droit à l’humour et à la satire, comporte une appréciation du positionnement politique de cette candidate à l’occasion de l’élection et a été montrée avec d’autres affiches parodiant chacun des candidats, dans la séquence d’une émission polémique s’apparentant à une revue de presse, mention étant expressément faite que ces affiches émanent d’un journal satirique et présentent elles-mêmes un caractère polémique.
C’est ainsi que l’Assemblée plénière a tranché le litige qui lui était soumis dans un arrêt du 25 octobre 2019 (Ass. plén., 25 octobre 2019, n° 17-86.605 N° Lexbase : A5365ZSI).
Résumé des faits. Courant 2012, lors de l’émission On n’est pas couché, diffusée par France 2, l’animateur a présenté à l’antenne plusieurs affiches parodiques attribuées à des candidats à l’élection présidentielle, qui avaient été publiées dans le journal Charlie Hebdo. Dans celle attribuée à la candidate du Front national, la représentation d’un excrément fumant était surmontée du texte : «X..., la candidate qui vous ressemble». La candidate a déposé plainte avec constitution de partie civile. Le présentateur a été poursuivi pour complicité d’injures publiques envers un particulier. Le tribunal correctionnel a relaxé l’animateur et a, en outre, rejeté la demande de dommages-intérêts formée par la candidate. Celle-ci ayant interjeté appel, la cour d’appel de Paris, qui, en l’absence d’appel du ministère public, n’était investie que du pouvoir de statuer sur l’action civile, a confirmé le jugement en ses dispositions civiles. L’intéressé a formé un pourvoi en cassation. Par arrêt du 20 septembre 2016 (Cass. crim., 20 septembre 2016, n° 15-82.942, FS-P+B N° Lexbase : A9922R3U), la Chambre criminelle a cassé l’arrêt d’appel aux motifs que «le dessin et la phrase poursuivis, qui portaient atteinte à la dignité de la partie civile en l’associant à un excrément, fût-ce en la visant en sa qualité de personnalité politique lors d’une séquence satirique de l’émission précitée, dépassaient les limites admissibles de la liberté d’expression». La cour d’appel de Paris, autrement composée, a, de nouveau, confirmé le jugement en ses dispositions civiles. L’intéressé a formé un pourvoi contre cet arrêt.
Rejet du pourvoi. Ce pourvoi est rejeté par l’Assemblée plénière, dont l’arrêt permet de dégager plusieurs enseignements (v. Note explicative relative à l’arrêt disponible sur le site de la Cour de cassation) :
Les Hauts magistrats énoncent que la dignité de la personne humaine ne figure pas, en tant que telle, au nombre des buts légitimes énumérés à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4743AQQ). Si elle est de l’essence de la Convention (CEDH, 22 novembre 1995, Req. 47/1994/494/576, S.W. c/ Royaume-Uni N° Lexbase : A8378AW9, § 44), elle ne saurait être érigée en fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression. Dès lors, pour déterminer si la publication litigieuse peut être incriminée, il suffit de rechercher si elle est constitutive d’un abus dans l’exercice du droit à la liberté d’expression.
S’agissant de l’exigence de proportionnalité, celle-ci implique de rechercher si, au regard des circonstances particulières de l’affaire, la publication litigieuse dépasse les limites admissibles de la liberté d’expression. En l’absence de dépassement de ces limites, et alors même que l’injure est caractérisée en tous ses éléments constitutifs, les faits objet de la poursuite ne peuvent donner lieu à des réparations civiles. En l’espèce, l’arrêt retient que l’affiche, qui a été publiée dans un journal revendiquant le droit à l’humour et à la satire, comporte une appréciation du positionnement politique de la candidate à l’occasion de l’élection présidentielle et a été montrée par l’animateur avec d’autres affiches parodiant chacun des candidats à l’élection présidentielle, dans la séquence d’une émission polémique s’apparentant à une revue de presse, mention étant expressément faite que ces affiches émanent d’un journal satirique et présentent elles-mêmes un caractère polémique. La cour d’appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée de cette affiche à la lumière des éléments extrinsèques qu’elle a souverainement analysés, en a déduit, à bon droit, que la publication litigieuse ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression.
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