La lettre juridique n°796 du 26 septembre 2019 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Régime de TVA sur la marge : la CAA de Lyon conforte sa position

Réf. : CAA de Lyon, 25 juin 2019, n° 18LY00671 (N° Lexbase : A9341ZG3)

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité)

le 15 Mai 2021

L’application de la TVA sur la marge aux livraisons de terrains est seulement conditionnée par le fait que l’acquisition n’a pas ouvert initialement droit à déduction. S’avère non pertinente l’argumentation de l’administration centrée sur le constat suivant : la modification des caractéristiques physiques et de la qualification juridique du bien acheté avant la cession. Il suffit, rappelle le juge, que les terrains cédés correspondent à des terrains à bâtir. Voici ce que dit en substance l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon en date du 25 juin 2019. Sont encore rejetées encore les prétentions de l’administration s’agissant du calcul de la marge relatif aux opérations de lotissement.

Une société exerçant une activité de marchand de biens acquiert, en 2011, des tènements immobiliers sur les territoires de deux communes. Ces tènements sont acquis auprès de particuliers agissant en tant que tels ; ils ne possèdent pas la qualité d’assujettis à la TVA. Ce faisant, de telles opérations n’ouvrent pas- à la société exerçant cette activité de marchand de biens -de droit à déduction de la TVA.

Puis, les tènements ont fait l’objet de création de parcelles ; les terrains dépourvus de construction ont été revendus comme terrain à bâtir sous le régime de la TVA sur la marge.

A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration remet en cause l’application du régime de la TVA sur la marge aux ventes des terrains à bâtir ; tout comme elle remet en cause les modalités de calcul de la marge concernant les opérations de lotissement (situés sur l’une des deux communes).

L’administration réclame des rappels de TVA d’un montant de 53 203 euros. Selon elle, un terrain revendu comme terrain à bâtir doit ne pas avoir ouvert droit à déduction lors de son acquisition initiale, et doit avoir déjà eu la qualification de terrain à bâtir. Le régime de la TVA ne peut recevoir application -toujours selon l’administration- en l’absence d’identité entre le bien acquis et le bien revendu ; identique situation prévaudrait en cas de division parcellaire intervenue entre l’acquisition et la cession. De plus, l’administration -invoquant sa doctrine- soutient que la constatation d’une marge nulle ou négative entraîne une base d’imposition nulle à la TVA. Tout comme elle soutient que le coût d’acquisition des lots vendus doit être déterminé à partir du coût des terrains formant l’emprise du lotissement, sans prendre en compte les parcelles cédées pour un euro symbolique à la commune (finalité de cette dernière opération : procéder à l’élargissement de la voie publique et non aux aménagements du lotissement).

De tels raisonnements ne sont pas pertinents aux yeux de la société requérante. Il est avéré que le terrain à bâtir n’a ouvert aucun droit à déduction de TVA lors de son acquisition ; une seule qualification est nécessaire, la qualification de terrain à bâtir lors de la revente ; l’administration ne saurait ajouter une condition relative à l’identité de qualification du terrain entre l’acquisition et la revente. Saisine du tribunal administratif de Grenoble il y a. Par un jugement du 23 novembre 2017, il fait droit à la requête de la société. Le ministre interjette appel.

La cour administrative d’appel de Lyon fait lecture combinée de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (article 392) (N° Lexbase : L7664HTZ) et de diverses dispositions du Code général des impôts (articles 256 N° Lexbase : L0374IWR, 257 N° Lexbase : L9308LH9, 266 N° Lexbase : L9106LNL, 268 N° Lexbase : L4910IQW). En vertu de la Directive de 2006, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat s’agissant des livraisons de bâtiments et terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction lors de l’acquisition.

En vertu de l’article 256 du Code général des impôts, sont soumises à TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. En vertu de l’article 257 (1° et 2° du I) du Code général des impôts, les livraisons à titre onéreux de terrains à bâtir (ou d’immeubles bâtis dans les 5 ans qui suivent leur achèvement) sont imposables de plein droit à la TVA. En vertu de l’article 266 du Code général des impôts (b du 2), la TVA est assise pour les mutations à titre onéreux sur le prix de cession augmenté des charges qui s’y ajoutent (pour les opérations de livraison de biens immeubles visées au I de l’article 257 du Code général des impôts).

Quant à l’article 268 du Code général des impôts, il dispose, en matière de livraison de terrain à bâtir, que la base d’imposition est constituée (dans l’hypothèse où l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction) par la différence entre : le prix exprimé (et les charges qui s’y ajoutent) … et soit les sommes que le cédant a versées (à quelque titre que ce soit) pour l’acquisition du terrain, soit la valeur nominale des actions ou parts reçues en contrepartie des apports en nature par lui effectués.

Rappel salutaire des textes dans la mesure où la cour administrative d’appel de Lyon va réaliser un salutaire rappel, d’une autre nature : l’administration fiscale ne saurait entreprendre lecture à ce point ductile des normes qu’elle en viendrait à imposer/ajouter des conditions non prévues par le législateur.

Il est bon que le principe d’interprétation stricte des obligations fiscales des contribuables -parfois oublié- reçoive idoine application. Des dispositions en vigueur, le juge opère le constat suivant, limpide constat : le régime de la TVA sur la marge s’applique aux livraisons de terrains à bâtir pour lesquels l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction. Pour être plus précis, l’application d’un tel régime «est conditionné au seul fait» qu’il n’y a pas eu droit à déduction lors de l’acquisition.

Dans une telle hypothèse, la base d’imposition est constituée de la seule marge dégagée par l’assujetti au titre de l’opération d’achat/vente. Est prise en compte la différence entre le prix indiqué (+ les charges s’y ajoutant) et les sommes versées en vue de l’acquisition du terrain. L’argumentation de l’administration fiscale ne saurait être retenue quand elle s’appuie sur la modification des caractéristiques physiques et la qualification juridique du bien acheté avant cession. De tels changements sont sans incidence sur l’application du régime de TVA sur la marge au sens de l’article 268 du Code général des impôts à partir du moment où les terrains cédés correspondent bien à des terrains à bâtir.

Et la cour administrative d’appel de Lyon d’opérer une (rapide) leçon de hiérarchie des normes, morigénant le ministre et son administration : «contrairement à ce que soutient le ministre, en se prévalant de sa doctrine, laquelle ne saurait légalement fonder une imposition»… Si toute interprétation emporte création, les vertus de l’herméneutique se révèlent souvent dangereuses en matière fiscale, au regard de la propension de l’administration à s’ériger en source primaire et première de droit. Ici, le juge rappelle que l’interprétation par trop créatrice est synonyme de dénaturation, a fortiori lorsque la doctrine prétend faire office de para-législateur.

La cour administrative d’appel de Lyon s’est encore prononcée sur la question du calcul de la marge relatif aux opérations de lotissements. L’administration a remis en cause la prise en compte -dans le calcul du prix de revient- du coût d’acquisition de parcelles acquises puis cédées à une commune au prix d’un euro symbolique. Une telle cession vise à permettre un élargissement de la voie communale. En vertu des articles 256 et 268 du Code général des impôts mentionnés en amont, dans l’hypothèse d’une revente par lot d’un immeuble acheté en une seule fois pour un prix global, chaque lot représente une opération distincte. Dès lors, le vendeur doit acquitter une taxe calculée sur la base suivante : différence entre le prix de vente du lot et son prix de revient estimé en imputant à ce lot une fraction du prix d’achat global de l’immeuble. C’est au contribuable de réaliser une telle imputation et il peut utiliser la méthode de son choix.

Les dispositions précitées ne permettent pas au contribuable -si la vente d’un lot génère un prix inférieur au prix de revient- de déduire la moins-value découlant de cette vente de la base d’imposition dégagée par d’autres ventes. Contrairement aux assertions du ministre, le contribuable n’a pas imputé la marge négative dégagée par la vente des parcelles à la commune (pour un euro symbolique) sur la marge dégagée lors de la vente des lots ; le contribuable a seulement pris en compte, au titre du prix d’achat global de l’immeuble, le prix d’acquisition des parcelles (prix qui se retrouve dans la fraction du prix d’achat global de l’immeuble devant être imputée sur le prix de cession des terrains lotis). Ni les dispositions législatives précitées, ni encore l’instruction administrative du 29 décembre 2010 (BOI 3 A-9-10 n° 93) invoquée (à mauvais escient d’ailleurs) ne peuvent justifier la thèse de l’administration selon laquelle les parcelles cédées en vue de la réalisation d’aménagements non réservés aux seuls habitants du lotissement devraient être exclues du prix d’achat global de l’immeuble.

Comme le rappelle le juge, nul ne conteste que la cession à la commune pour un euro symbolique d’une fraction du terrain fût une condition de réalisation de l’opération de lotissement ; les parcelles correspondantes faisaient bien partie de l’ensemble immobilier acquis pour réaliser le lotissement. C’est à bon droit que la société requérante a pris en compte -pour la détermination du prix de revient global et dans la détermination du prix de revient des lots et du calcul de la marge correspondante- les sommes versées pour leur acquisition. La requête du ministre est rejetée, le jugement du tribunal administratif de Grenoble confirmé.

La question du régime de la TVA sur la marge n’a pas manqué, ces derniers mois, de susciter controverses. La cour administrative d’appel de Lyon s’était déjà  illustrée le 20 décembre 2018 (CAA de Lyon, 20 décembre 2018, n° 17LY03359 N° Lexbase : A4734YS7), en des termes similaires : «l'application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge aux livraisons de terrains à bâtir est conditionnée au seul fait que l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée lors de son acquisition.  La SARL Promialp a acquis un terrain supportant un immeuble d'habitation en vue de le céder à des particuliers après démolition de l'immeuble et division cadastrale en sept parcelles, dont six lots de terrain à bâtir. Elle a placé ces livraisons sous le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge au motif qu'elle n'avait pas bénéficié d'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée sur l'acquisition initiale de l'immeuble achevé depuis plus de cinq ans, acquis auprès de particuliers et, par suite, hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée. Contrairement à ce que soutient le ministre, en se prévalant de sa doctrine, laquelle ne saurait légalement fonder une imposition, la circonstance que les caractéristiques physiques et la qualification juridique du bien acheté ont été modifiées avant la cession est sans incidence sur l'application du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge au sens de l'article 268 du code général des impôts. Par suite, la SARL Promialp est fondée à soutenir que ces livraisons ne pouvaient être imposées sur le prix total des terrains à bâtir cédés».

Et encore le 7 mai 2019 (CAA de Lyon, 7 mai 2019, n° 18LY01019 N° Lexbase : A5157ZDD) : «Il résulte des dispositions précitées du code général des impôts et de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 que l'application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge aux livraisons de terrains à bâtir est conditionnée au seul fait que l'acquisition par le cédant n'a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée lors de son acquisition.  Il résulte de l'instruction que la SARL F.B. Immobilier a acquis trois immeubles auprès de particuliers non assujettis et non redevables de la taxe sur la valeur ajoutée qui n'ont pu, dès lors, lui ouvrir aucun droit à déduction. Après division parcellaires et démolition des immeubles, elle a ensuite revendu les lots de terrains à bâtir en plaçant ces livraisons sous le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge, au motif qu'elle n'avait pas bénéficié d'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée lors de l'achat des biens. Contrairement à ce que soutient le ministre, en se prévalant de sa doctrine, laquelle ne saurait légalement fonder une imposition, la circonstance que les caractéristiques physiques et la qualification juridique du bien acheté ont été modifiées avant la cession ne saurait par elle-même faire obstacle à l'application du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge au sens de l'article 268 du code général des impôts. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que ces livraisons devaient être imposées sur le prix de vente total des terrains à bâtir cédés».

La cour administrative d’appel de Marseille (CAA de Marseille, 12 avril 2018, n° 18MA00802 N° Lexbase : A7535Y9X) avait elle aussi le 12 avril 2018 expliqué l’interprétation idoine des dispositions invoquées qu’il était impératif d’adopter. La cour administrative d’appel de Marseille avait même utilisé une formule lapidaire (de la clarté en droit fiscal) pour rejeter les prétentions de l’administration : «Il ne résulte pas des dispositions précédemment citées, qui sont claires, que cette division ferait obstacle à l'application de ce régime de taxe sur la valeur ajoutée ou que celle-ci serait réservée, en cas de revente de terrains à bâtir, aux achats de biens constitués exclusivement de tels terrains». Là encore, une société avait acquis un bien immobilier (composé d'un local à usage d'habitation et d'un terrain attenant), acquisition auprès de particuliers n'ayant pas la qualité d'assujettis à la TVA et n’ouvrant ainsi pas droit à déduction. Après division parcellaire, la société avait cédé plusieurs terrains à bâtir.

Mêmes situations de fait, même textes, identique interprétation de l’administration, identique condamnation par les juges d’appel.

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