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par Amine Hajji, Tax consultant | Business Tax Advisory, AMC Ernst & Young
le 24 Juillet 2019
Le régime fiscal des produits de la propriété intellectuelle a été profondément modifié par la loi de finances pour 2019[1]. Le nouveau régime français de propriété intellectuelle, en vigueur au 1er janvier 2019, est plus restrictif en ce qu'il introduit la règle «Nexus», s’applique au revenu net plutôt qu’au revenu brut et exclut généralement les inventions brevetables de la liste des actifs éligibles (à l’exception des PME). Toutefois, il présente plusieurs nouvelles opportunités, notamment un taux d’imposition réduit de 10 % et une extension de son champ d’application, dans certaines conditions, aux revenus des logiciels.
L’article 37 de la loi de finances pour 2019 a modifié en profondeur le régime préférentiel applicable à l’imposition des produits de la propriété intellectuelle. Cette réforme découle des conclusions de l’Union Européenne[2] et de l'OCDE[3], qui considéraient le régime antérieur comme étant une pratique fiscale dommageable.
Il convient de rappeler à titre liminaire, que la définition de ce qui constitue une pratique fiscale dommageable a évolué au fil du temps et ce, par le biais de négociations intergouvernementales. En effet, alors que l'ancien régime de la propriété intellectuelle, en vigueur depuis les années 1960[4], n'était pas initialement considéré comme une pratique fiscale dommageable par l'OCDE et la Commission européenne, il ne le fut que depuis 2015. Les deux organisations considérant que le régime français était contraire aux exigences de l’action 5 du projet BEPS compte tenu d’une part, de son taux d’imposition réduit de 15 %, et d’autre part, des règles asymétriques de détermination de l’assiette imposable contraires à l'approche «Nexus» si chère à l’OCDE.
Cette réforme vise donc à rendre le régime de propriété intellectuelle français conforme au «standard minimum» développé par l’OCDE au travers de l’action 5 du projet BEPS tout en préservant l’attractivité du régime garantissant à la France une compétitivité vis-à-vis de ses voisins européens.
Pour ce faire, le nouvel article 238 du Code général des impôts (N° Lexbase : L9047LNE) intègre l'approche «Nexus» et introduit d'autres modifications telles que la modification de la liste des actifs éligibles, notamment en l'étendant aux logiciels protégés par le droit d'auteur, tout en ajoutant des conditions restrictives en ce qui concerne les inventions brevetables et en appliquant le taux réduit au revenu net après déduction des dépenses de RD, au lieu du revenu brut du régime antérieur.
Contribuables éligibles :
Peuvent bénéficier du régime préférentiel, les entreprises soumises de plein droit ou sur option à un régime réel d’imposition à l’impôt sur le revenu ou sur les sociétés.
Par voie de conséquence, les personnes physiques sont exclues dudit régime. Ces dernières étant soumises au régime des plus-values à long terme et ce, à raison au titre de la cession ou de la concession de licences d'exploitation d'un logiciel protégé par le droit d'auteur, d'une invention brevetable ou d'un actif incorporel[5].
Les actifs éligibles :
Le nouveau régime s’applique aux éléments présentant le caractère d'actifs incorporels immobilisés suivants :
- les brevets, les certificats d'utilité et les certificats complémentaires de protection rattachés à un brevet ;
- les certificats d'obtention végétale ;
- les logiciels protégés par le droit d'auteur ;
- les procédés de fabrication industrielle qui constituent le résultat d'opérations de recherche, sont l'accessoire indispensable de l'exploitation d'une invention mentionnée au 1° et font l'objet d'une licence d'exploitation unique avec l'invention ;
- les inventions dont la brevetabilité a été certifiée par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) (uniquement pour les PME)[6].
Ainsi, la portée des actifs de propriété intellectuelle éligibles au régime a été considérablement modifiée par rapport à celle du régime antérieur, et ce, principalement par l’insertion des logiciels protégés par le droit d’auteur favorisant ainsi les éditeurs de logiciels et industriels développant des logiciels destinés à un usage interne ou à des produits ou services.
Autre élément important, l’exclusion des inventions non brevetées. Il s’ensuit que les groupes français développant de telles inventions ne pourront plus bénéficier du nouveau régime de propriété intellectuelle, à moins de procéder à l’enregistrement desdits brevets à l’INPI, créant ainsi quelques complications au niveau de la transition entre l’ancien et le nouveau régime.
Cela étant dit, certaines inventions brevetables admissibles à l'ancien régime peuvent englober des logiciels qui remplissent les conditions requises pour le nouveau régime. En effet, bien que les logiciels puissent bénéficier d’une protection par le droit d’auteur, ils peuvent également être brevetables. Les logiciels et brevets/inventions brevetables ne s'excluent donc pas mutuellement. Les tribunaux français[7] et européens estiment que l'exclusion des logiciels de la protection par brevet ne s'applique qu'aux programmes d'ordinateur revendiqués en tant que tels, autrement dit, aux logiciels en tant que tels. Par exemple, l'Office européen des brevets (OEB) déclare que «les programmes d'ordinateur doivent être considérés comme des inventions brevetables lorsqu'elles sont de nature technique»[8]. Ainsi, tant l’OEB que les tribunaux français acceptent la brevetabilité des logiciels, à condition que le brevet ne concerne pas le logiciel en tant que tel, qu’il puisse produire un effet technique et, surtout, qu’il remplisse toutes les autres conditions fixées pour obtenir un certificat de brevet ; c'est-à-dire nouveauté, activité inventive et application industrielle.
Dans le cas précis, les entreprises devront identifier, parmi les inventions brevetables qu’elles ont sélectionnées comme éligibles sous le régime précédent, celles qui incorporaient des logiciels protégés par le droit d’auteur et, par conséquent, susceptibles de bénéficier du nouveau régime. Ainsi, dès lors que l’existence d’originalité nécessaire à la protection du droit d’auteur est satisfaite par les logiciels sélectionnés, on considère qu’il n’y aura pas d’obstacle pour le passage du régime antérieur des inventions brevetables au nouveau régime.
Les transactions visées
Quant aux transactions visées par le nouveau régime, aucune modification n’est à constater dans la mesure où les licences et sous-licences concédées à des tiers ou à des entreprises associées aux fins de l'exploitation d'actifs éligibles (ou d'un groupe d'actifs), ainsi que les cessions d'actifs éligibles (ou groupe d'actifs) à un tiers demeurent soumis au régime préférentiel, et ce, à la condition que les actifs en question n'aient pas été acquis au cours des deux dernières années. En revanche, les cessions intragroupes d’actifs sont exclues dudit régime.
L’option pour le régime de faveur
L’une des nouveautés issues du nouvel article 238 du Code général des impôts est que les contribuables peuvent maintenant opter pour ce nouveau régime sur une base globale (c'est-à-dire pour tous leurs actifs éligibles) ou pour un ou plusieurs actifs ou groupes d'actifs spécifiques contribuant à la production de biens ou de services ou à une famille de biens ou de services.
Opter pour certains actifs ou groupes d'actifs spécifiques, plutôt que sur une base globale, peut présenter des opportunités. En effet, en raison des modalités de calcul du revenu net éligible, l’option pourrait être plus avantageuse pour les actifs ou groupes d’actifs qui reposent sur une technologie mature (avec des dépenses de recherche et développement limitées) et qui génèrent des produits significatifs, que pour les nouveaux actifs ou groupes d’actifs pour lesquels des dépenses de R & D importantes sont engagées mais qui généreraient peu de revenus à un instant T.
Cette option doit être formulée dans la déclaration de résultat de l’exercice au titre duquel elle est exercée. Le contribuable a la possibilité d’y renoncer mais non sans conséquences, puisque, la renonciation est irrévocable pour les actifs concernés.
Sous l'ancien régime de l’article 39 terdecies du Code général des impôts (N° Lexbase : L9059LNT), le revenu imposable était égal au revenu brut tiré des opérations éligibles, moins les coûts de maintien des droits de propriété intellectuelle généralement non significatifs, rendant de facto déductibles, les dépenses de recherche et développement au taux de droit commun (33,33 %), quand bien même le revenu correspondant était éligible au taux réduit.
Dorénavant, la détermination du résultat net soumis au taux préférentiel s’effectue en deux temps :
Détermination du résultat net :
Aux termes du 1. du II de l’article 238 du Code général des impôts, le revenu imposable «est déterminé par différence entre les revenus, acquis au cours de l'exercice, tirés des actifs éligibles et les dépenses de recherche et de développement qui se rattachent directement à ces actifs et qui sont réalisées, directement ou indirectement par l'entreprise, au cours du même exercice» et ce, en application des dispositions du 1- du II de la nouvelle version de l’article 238 du Code général des impôts.
Les revenus et dépenses étant appréciés actifs par actifs ou, en cas d’impossibilité, par produit ou famille de produits.
Calcul du ratio «Nexus» :
L’approche «Nexus» (ou du lien modifié) autorise le contribuable à bénéficier d’avantages fiscaux prévus par un régime de PI, uniquement s’il peut prouver qu’il a lui-même supporté les dépenses engagées pour générer un revenu de PI, comme par exemple celles de R & D[9]. Autrement dit, l’avantage fiscal afférent aux revenus de la propriété intellectuelle doit être corrélé avec l’importance des dépenses de R & D engagées en amont sur le territoire.
Le contribuable devra appliquer, au résultat net susmentionné, généralement calculé par actif ou groupe d’actifs, le ratio «Nexus» au sein duquel figurent :
Au numérateur : les dépenses de recherche et de développement en lien direct avec la création et le développement de l'actif incorporel réalisées directement par le contribuable ou par des entreprises non liées ;
Ces dépenses étant retenues pour 130 % de leur montant, sans que ledit ratio ne puisse excéder 100 %.
Au dénominateur : l'intégralité des dépenses de recherche et de développement ou d'acquisition en lien direct avec la création, l'acquisition et le développement de l'actif incorporel et réalisées directement ou indirectement par le contribuable.
Sont prises en compte pour la détermination du ratio, les dépenses de l’année en cours ainsi que celles engagées au cours des années précédentes (le nombre d’années dépend de la date de l’option du régime). Pour les groupes d'imposition français, ce ratio est déterminé au niveau du groupe.
A noter que, en cas de circonstances exceptionnelles indépendantes de sa volonté, le contribuable peut demander à l'administration fiscale de substituer le ratio «Nexus» par un ratio de remplacement lorsque ledit ratio est supérieur ou égal à 32,5 %.
Conclusion
Lors des débats sur la réforme des revenus de la propriété intellectuelle, le législateur a d’emblée fait part de sa volonté d'équilibrer la nécessité de se conformer à la norme d'action 5 du projet BEPS OCDE / G20 et l'attractivité de ce type de régime pour que la France reste compétitive.
Comme pour toute réforme, il y aura des insatisfaits. Les groupes français qui développent des inventions brevetables mais non brevetées risquent de ne plus pouvoir bénéficier du nouveau régime de propriété intellectuelle, sauf s’ils décident de procéder à l’enregistrement de brevets.
De même, les groupes français qui sous-traitent les travaux de R & D à des entreprises associées étrangères pourraient juger moins intéressant de conserver la propriété intellectuelle en France, compte tenu de l’application du ratio Nexus.
Quant aux entreprises exerçant d'importantes activités de R & D en France, elles peuvent décider de détenir en France des droits d'exploitation de propriété intellectuelle issus des activités de R & D basées en France pour bénéficier du taux réduit français.
Alors que l'approche Nexus est mise en œuvre dans tous les régimes de propriété intellectuelle disponibles en Europe (notamment l'Irlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni) et au-delà, les groupes peuvent être encouragés à réattribuer les droits d'exploitation de la propriété intellectuelle entre les pays où ils réalisent ce type d’activités, il n’en demeure pas moins que, combiné au crédit d'impôt recherche prévu par l’article 244 quater B du Code général des impôts (N° Lexbase : L9056LNQ), le nouveau régime français de la propriété intellectuelle et son taux d'imposition de 10 % contribuent au renforcement de l'attractivité de la France en tant que site d'implantation d'activités de R & D et de leur exploitation.
Par ailleurs, dans son rapport d'avancement pour 2018, publié en janvier 2019, l'OCDE a conclu que le régime français de la propriété intellectuelle, ainsi modifié, était désormais conforme à l'approche de l'OCDE et n'était plus considéré comme étant une pratique fiscale dommageable[10].
[1] Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 (N° Lexbase : L6297LNK).
[2] Conseil de l’Union européenne : Groupe Code de conduite. Rapport au Conseil ECOFIN concernant le régime fiscal de la France favorable aux brevets n° 13924/16 du 3 novembre 2016.
[3] OCDE (2016), Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance, Action 5 - Rapport final 2015, Projet OCDE/G20 sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, Editions OCDE, Paris.
[4] Loi n° 65-566 du 12 juillet 1965 modifiant l'imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers.
[5] CGI, art. 93 quater (N° Lexbase : L9053LNM).
[6] Applicable uniquement aux entreprises dont le chiffre d’affaires mondial auquel ils appartiennent n’excède pas 50 millions d’euros et dont la totalité des revenus bruts issus de la totalité des actifs incorporels ne dépassent pas 7,5 millions d’euros.
[7] CA de Paris, 5 juin 2009, n° 07/20589 (N° Lexbase : A3712EIC).
[8] Office européen des brevets, T.1173/97 du 1er juillet 1998.
[9] OCDE Document explicatif Accord sur l’approche du lien modifiée des régimes de PI.
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