Le Quotidien du 24 juin 2019 : Filiation

[Brèves] Adoption : recevabilité de la tierce opposition d’enfants dissimulés, et annulation d’adoption subséquente soumise au contrôle de proportionnalité

Réf. : Cass. civ. 1, 13 juin 2019, n° 18-19.100, FS-P+B (N° Lexbase : A5701ZEU)

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[Brèves] Adoption : recevabilité de la tierce opposition d’enfants dissimulés, et annulation d’adoption subséquente soumise au contrôle de proportionnalité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/51933457-breves-adoption-recevabilite-de-la-tierce-opposition-denfants-dissimules-et-annulation-dadoption-sub
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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 21 Juin 2019

► Est valablement déclarée recevable la tierce opposition formée par les enfants nés du mariage de l’adoptant, héritiers réservataires, avec lesquels il était en conflit ouvert, et dont la présence a été sciemment dissimulée au tribunal ;

► ayant relevé que le but poursuivi était de nature successorale et fiscale, l'adoption ayant pour objet de réduire les droits des enfants de l'adoptant issus de son mariage, tout en faisant des adoptées ses héritières réservataires, la cour en a souverainement déduit que, l'institution ayant été détournée de son but, la décision devait être rétractée, et l’adoption ainsi annulée ;

► procédant alors à un contrôle de proportionnalité, la cour a déduit de ce que l'adoption avait été annulée neuf ans après son prononcé mais trois ans seulement après le décès de l'adoptant, date à laquelle les enfants issus de son mariage en avaient eu connaissance, que l'annulation de l'adoption ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale.

 

Telle peut être résumée la décision rendue le 13 juin 2019 par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 13 juin 2019, n° 18-19.100, FS-P+B N° Lexbase : A5701ZEU).

 

En l’espèce, le défunt était décédé le 7 mai 2013, laissant pour lui succéder, d’une part, ses deux enfants, nés de son union avec Mme X, dont il était divorcé depuis le 1er mars 2004, d’autre part, deux jumelles nées le 31 octobre 1974 à La Havane (Cuba), qu'il avait adoptées par jugement du 26 avril 2007 ; le 3 avril 2015, ces dernières avaient assigné les enfants en partage judiciaire de la succession ; le 7 septembre 2015, ces derniers avaient formé tierce opposition au jugement d’adoption, sur le fondement de l’article 353-2 du Code civil (N° Lexbase : L8010IWL).

 

Les jumelles faisaient, tout d’abord, grief à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Montpellier de déclarer recevable la tierce opposition formée par les enfants. Elles n’obtiendront pas gain de cause. La Cour de cassation approuve les juges d’appel qui, ayant relevé que la requête en adoption ne mentionnait pas l'existence d'enfants nés de son mariage, héritiers réservataires, avaient estimé que l'adoptant avait ainsi sciemment omis d'informer le tribunal de la présence d'enfants nés de son mariage, héritiers réservataires, avec lesquels il était en conflit ouvert, notamment dans la procédure en révocation de donations pour ingratitude qui l'opposait à eux ; ils en avaient souverainement déduit, sans confondre recevabilité et bien-fondé de la tierce opposition, que ces faits caractérisaient une omission et une réticence constitutives d'une fraude rendant recevable la tierce opposition, dès lors que ces circonstances étaient de nature à influer de façon déterminante sur la décision à intervenir.

 

Les requérantes faisaient alors, ensuite, grief à l'arrêt de recevoir la tierce opposition et de dire en conséquence que le jugement d'adoption était rétracté, que l'adoption était annulée et que le nom patronymique de l’adoptant ne serait plus adjoint au nom des adoptées.

 

Là encore, elles seront déboutées par la Cour suprême qui approuve la cour ayant exactement rappelé que la finalité de l'adoption réside dans la création d'un lien de filiation et que son utilisation à des fins étrangères à celle-ci constitue un détournement de l'institution. Ayant relevé que l’adoptant n'avait ni élevé ni éduqué les adoptées, dont il avait fait la connaissance lorsqu'elles avaient 22 ans, qu'il entretenait une liaison avec leur mère et que le but poursuivi était de nature successorale et fiscale, l'adoption ayant pour objet de réduire les droits des enfants de l'adoptant issus de son mariage, tout en faisant des adoptées ses héritières réservataires, la cour d’appel en a souverainement déduit que, l'institution ayant été détournée de son but, la décision devait être rétractée.

 

Les requérantes tentaient alors de faire valoir que la rétractation d'un jugement d'adoption ne doit pas constituer une ingérence injustifiée dans l'exercice du droit au respect dû à la vie familiale de l'adopté, ni porter une atteinte excessive au droit au respect des biens de l'adopté.

 

En vain. Procédant au contrôle de proportionnalité, la Cour de cassation énonce que, si les relations entre un parent adoptif et un enfant adopté, même majeur, sont protégées par l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR) et si l'annulation d'une adoption s'analyse en une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, cette ingérence peut être justifiée dans les conditions du paragraphe 2 de ce texte ; que l'annulation de l'adoption est prévue par la loi française ; que l'article 353-2 du Code civil, texte clair et précis, est accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets ; que la tierce opposition poursuit un but légitime, au sens du paragraphe 2 de l'article 8 précité, en ce qu'elle tend à protéger les droits des tiers qui n'ont pas été partie à la procédure et auxquels la décision n'a pas été notifiée ; cette procédure est strictement réglementée par la loi française ; qu’en effet, elle est conçue de façon restrictive en matière d'adoption, dans un but de sécurité et de stabilité de la filiation adoptive, n'étant ouverte que si le demandeur établit l'existence d'un dol ou d'une fraude imputable aux adoptants ; qu'ainsi conçue, elle est une mesure nécessaire pour parvenir au but poursuivi et adéquate au regard de cet objectif.


Cependant, il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, la mise en œuvre de ce texte ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu.

 

Tel était le cas en l’espèce. La cour d’appel avait relevé que l'adoptant avait sciemment dissimulé des informations essentielles à la juridiction saisie de la demande d'adoption, pour détourner la procédure à des fins successorales et consacrer une relation amoureuse. La cour constatait que les requérantes, qui étaient âgées de 22 ans lorsqu'elles avaient fait la connaissance de l’adoptant, n'avaient pas été éduquées ou élevées par lui et avaient été accueillies chez lui dans des conditions très particulières, notamment pendant le temps du mariage et sans l'accord de son épouse ; elle énonçait que l'adoption avait été annulée neuf ans après son prononcé mais trois ans seulement après le décès de l'adoptant, date à laquelle les enfants issus de son mariage en avaient eu connaissance. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel avait pu déduire que l'annulation de l'adoption ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des requérantes.
 

Ayant, ensuite, fait ressortir que l'annulation de l'adoption ménageait un juste équilibre entre les intérêts en présence et ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens des requérantes, la cour d'appel a légalement justifié sa décision au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (cf. l’Ouvrage «La filiation», La tierce opposition au jugement d'adoption plénière N° Lexbase : E4396EYH).

 

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