Réf. : Cass. civ. 2, 13 juin 2019, deux arrêts, n° 18-17.907 (N° Lexbase : A4468ZE9) et n° 18-14.743 (N° Lexbase : A4467ZE8), FS-P+B+I
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N9414BXX
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par Anne-Lise Lonné-Clément
le 21 Juin 2019
► 1° Dans le cadre d’un contrat d’assurance vie, si la faculté prorogée de renonciation, sanctionnant l'absence de respect, par l'assureur, du formalisme informatif, revêt un caractère discrétionnaire pour le preneur d'assurance, son exercice peut dégénérer en abus ;
► 2° à eux seuls les manquements de l’assureur à son obligation d’information lors de la souscription du contrat ne suffisent pas à exclure un détournement de la finalité de l’exercice par l’assuré de la faculté de renonciation ainsi prorogée, susceptible de caractériser un abus de ce droit ;
► 3° le caractère abusif s’apprécie au moment où le preneur d’assurance exerce cette faculté, et ce au regard de sa situation concrète, de sa qualité d’assuré averti ou profane et des informations dont il disposait réellement, et en recherchant quelle était la finalité de l’exercice du droit de renonciation.
Telle peut être résumée la jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, à l’aune de deux arrêts rendus le 13 juin 2019, sur la question de l’exercice abusif, par le souscripteur d’un contrat d’assurance vie, de la faculté prorogée de renonciation (Cass. civ. 2, 13 juin 2019, deux arrêts, n° 18-17.907 N° Lexbase : A4468ZE9 et n° 18-14.743 N° Lexbase : A4467ZE8, FS-P+B+I).
La règle posée au 1°, sur la possibilité de dégénérer en abus de droit, solution consacrée depuis 2016, n’est pas en soi énoncée ici dans ces deux arrêts, mais est rappelée pour la clarté du raisonnement (cf. Cass. civ. 2, 19 mai 2016, n° 15-12.767, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6221RP4, et les obs. de D. Krajeski, in chron., Lexbase, éd. priv. n° 660, 2016 N° Lexbase : N3290BWR ; et plus récemment, Cass. civ. 2, 28 mars 2019, n° 18-15.612, F-P+B N° Lexbase : A7195Y7M). La règle posée au 2° est, en revanche, pour la première fois à notre connaissance, précisée par la Cour de cassation. Quant à celle énoncée au 3°, concernant la précision des critères d’appréciation de l’abus, il s’agit également d’un rappel (cf. Cass. civ. 2, 28 mars 2019, n° 18-15.612, F-P+B N° Lexbase : A7195Y7M et Cass. civ. 2, 7 février 2019, n° 17-27.223, F-P+B+I N° Lexbase : A6104YWY).
Dans la première affaire (n° 18-17.907, dans laquelle la Cour de cassation se prononce au final en faveur de l’assureur), pour condamner l’assureur à restituer à l’assuré la somme de 32 000 euros avec intérêts au taux légal majoré, la cour d’appel avait retenu, tout d’abord, que l’assureur ne pouvait tirer, en l’espèce, aucune conséquence quant à la caractérisation d’un abus de droit du fait que celle-ci avait répondu de façon positive à la question de savoir si elle avait bien compris le fonctionnement du support et au fait de savoir si elle pensait maintenir son investissement jusqu’à son terme en cas de fortes fluctuations des marchés financiers, les nombreux manquements de l’assureur à son obligation d’information démontrant qu’elle était nécessairement dans l’impossibilité de mesurer la portée de son engagement.
La décision est censurée par la Cour régulatrice, qui dégage la règle 2° précitée, en estimant qu’en se déterminant ainsi, alors qu’à eux seuls les manquements de l’assureur à son obligation d’information lors de la souscription du contrat ne suffisent pas à exclure un détournement de la finalité de l’exercice par l’assuré de la faculté de renonciation ainsi prorogée, susceptible de caractériser un abus de ce droit, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 132-5-1 (N° Lexbase : L9567LGG) et L. 132-5-2 (N° Lexbase : L9570LGK) du Code des assurances, dans leur rédaction issue de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 applicable au litige (N° Lexbase : L5277HDS).
L’arrêt de cour d’appel est également censuré, en ce que les juges avaient retenu, en outre, d’une part, que le nombre d’années écoulées entre la souscription et l’exercice de la faculté de renoncer ne pouvait pas plus être seul caractéristique de la mauvaise foi, et d’autre part, que le seul constat de ce que la renonciation était exercée après la perte d’une partie du capital ne pouvait à lui seul établir la mauvaise foi et que si tel était le cas, il en résulterait que la prorogation de la faculté de renoncer ne pourrait être exercée qu’en cas de hausse ou de maintien du capital investi.
A tort, selon la Cour suprême, qui reproche à la cour d'appel de s’être ainsi déterminée, sans rechercher à la date d’exercice de la faculté de renonciation, au regard de la situation concrète de l’assurée, de sa qualité d’assuré averti ou profane et des informations dont elle disposait réellement, quelle était la finalité de l’exercice de son droit de renonciation et s’il n’en résultait pas l’existence d’un abus de droit.
Dans la seconde affaire (n° 18-14.743, dans laquelle la Cour de cassation se prononce au final en faveur de l’assuré), la Haute juridiction approuve la cour d’appel ayant procédé à cette recherche de l’existence d’un abus de droit conformément aux critères d’appréciation tels que rappelés au 3°).
En effet, après avoir retenu que l’information précontractuelle délivrée à l’assurée avant la souscription du contrat ne satisfaisait ni dans sa forme ni par son contenu aux exigences des articles L. 132-5-2 et A. 132-4 (N° Lexbase : L3538H8K) du Code des assurances, et énoncé que le détournement de la finalité du droit de renonciation ne pouvait être le fait que d’un investisseur parfaitement informé, qu’il l’avait été avant la souscription du contrat ou par la suite, l’abus ne pouvant se déduire du simple fait que le souscripteur décide de renoncer grâce à la prorogation du délai alors que son placement a subi des pertes ou même qu’il ait manifesté son mécontentement avant de renoncer à son contrat, ni seulement du temps s’étant écoulé depuis la souscription, la cour d’appel avait relevé que l’assurée, qui avait exploité une brasserie et dont la profession ne la prédisposait nullement à avoir une connaissance particulière des mécanismes de l’assurance vie ou du contrat souscrit, était un investisseur profane, sans que la présence à ses côtés d’un courtier, lors de cette souscription ou à l’occasion des rachats, puisse lui conférer la qualité d’avertie, et qu’il ne pouvait se déduire des opérations pratiquées sur le contrat, lesquelles n’avaient consisté qu’en des rachats, programmés ou ponctuels, ou de la lettre qu’elle avait adressée à l’assureur pour exprimer son mécontentement quant à l’évolution défavorable de ses investissements, en des termes qui traduisaient au contraire sa mauvaise compréhension des produits structurés sur lesquels ses fonds avaient été placés, qu’elle ait eu une telle connaissance.
Selon la Cour de cassation, ayant ainsi constaté, au regard de sa situation concrète, que l’assurée n’était pas parfaitement informée des caractéristiques essentielles de l’assurance vie souscrite lorsqu’elle avait exercé son droit de renonciation, et souverainement estimé que, dans ces conditions, l’assureur échouait à rapporter la preuve qui lui incombait que l’assurée l’avait détourné de sa finalité, en en ayant fait usage dans le seul but d’échapper à l’évolution défavorable de ses investissements, comme il le soutenait, la cour d’appel a pu en déduire que l’assurée n’avait pas abusé de ce droit et a légalement justifié sa décision.
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