Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 27 mai 2019, deux arrêts, mentionnés aux tables du recueil Lebon, n° 428025 (N° Lexbase : A1455ZDA) et n° 421276 (N° Lexbase : A1442ZDR)
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par Guillaume Odinet, Rapporteur public au Conseil d'Etat
le 19 Juin 2019
Transfert d'un demandeur d'asile vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande (Règlement du 26 juin 2013, dit «Dublin III») - délai de six mois courant à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis - interruption du délai par un recours contre la décision de transfert
Ces deux affaires vous plongent à nouveau dans les méandres du Règlement Dublin III [1]. Vous le savez, ce règlement pose en principe [2] qu’un seul Etat membre de l’Union est responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée sur le territoire de l’Union. Il organise en conséquence le transfert d’un demandeur d’asile en vue de sa prise en charge par l’Etat responsable de l’examen de sa demande d’asile [3], ou en vue de sa reprise en charge par cet Etat [4] ou par l’Etat qui doit déterminer quel Etat est responsable [5].
La demande de prise en charge ou de reprise en charge doit être formulée rapidement [6]. Et, en cas d’acceptation, expresse ou tacite, de la prise ou reprise en charge par l’Etat ainsi requis, le transfert effectif est lui aussi encadré dans un délai, de six mois à compter de cette acceptation. La sanction du non-respect de ce délai de transfert est claire : à son échéance, la responsabilité de l’examen de la demande d’asile est transférée de plein droit à l’Etat membre requérant [7].
En vertu de l’article 29 du Règlement, le délai de transfert de six mois peut être prolongé, en étant porté à douze mois en cas d’emprisonnement de la personne concernée et à dix-huit mois si celle-ci prend la fuite, à condition que l’Etat requérant informe l’Etat responsable de cette prolongation avant l’expiration du délai normal de six mois - faute de quoi l’Etat requérant devient, de plein droit, responsable à l’expiration de ce délai [8].
Ce délai peut par ailleurs être interrompu en cas de recours contre la décision de transfert. En application de l’article 27, paragraphe 3, du règlement, qui ouvrait plusieurs options, le législateur national a prévu, à l’article L. 742-5 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1295LK8), que la décision de transfert ne peut faire l’objet d’une exécution d’office ni avant l’expiration du délai de recours, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s’il a été saisi. Et l’article 29 du Règlement prévoit que le délai de six mois court, le cas échéant, à compter «de la décision définitive sur le recours […] lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3».
Par une décision «Kahsay» du 24 septembre 2018 (CE n° 420708 N° Lexbase : A7893X7H, Rec. p. 336), vous avez d’abord déduit de ces dispositions que l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif contre une décision de transfert a pour effet d’interrompre le délai de six mois pour exécuter le transfert qui courait à compter de l’acceptation de ce transfert par l’Etat requis - ce n’était pas la question la plus délicate. Vous avez ajouté que le délai recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Et vous avez jugé que ni un appel, ni le sursis à exécution accordé par le juge d’appel n’ont pour effet d’interrompre à nouveau le délai.
En somme, vous avez défini un régime simple : le délai n’est interrompu qu’une fois, par le recours contre la mesure de transfert ; et il court à nouveau, en toute hypothèse, à la suite du jugement qui statue au principal sur cette mesure, qu’il rejette le recours - cas dans lequel le transfert peut être exécuté, le cas échéant d’office - ou qu’il annule la décision de transfert - hypothèse dans laquelle l’administration doit alors statuer à nouveau sur le cas de l’intéressé (en vertu de l’article L. 742-6 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile N° Lexbase : L6646KDI).
Les deux affaires qui ont été appelées s’inscrivent l’une et l’autre dans la ligne directe de cette décision.
1. La logique commande de commencer par la seconde. Mme X est guinéenne. Après avoir présenté cinq demandes d’asile en Belgique entre 2011 et 2015, elle a présenté une demande en France en 2017 ; elle a alors été transférée en vue de sa reprise en charge par la Belgique. Trois mois après son transfert, elle a nouvellement présenté une demande d’asile en France, ce qui a conduit le préfet du Nord à formuler, le 28 février 2018, une nouvelle demande de reprise en charge aux autorités belges et, après acceptation par ces dernières, à notifier à l’intéressée une nouvelle décision de transfert.
Mme X a déféré cette décision au tribunal administratif de Lille, qui a rejeté sa requête par un jugement du 6 avril 2018. Elle a alors disparu : elle ne s’est présentée à aucune des quatre convocations qui lui ont été adressées en août, septembre et octobre 2018. Après avoir informé les autorités belges le 18 octobre de la prolongation du délai de transfert en raison du recours formé par l’intéressée, le préfet du Nord les a informées, le 8 novembre, de la prolongation de ce délai en raison de la fuite de l’intéressée.
Le 12 novembre, elle s’est présentée à la préfecture en faisant valoir que le délai pour la transférer était désormais expiré et en demandant au préfet d’en tirer les conséquences en lui délivrant une attestation indiquant que sa demande ne relevait plus de la procédure dite «Dublin» (c’est-à-dire d’un transfert), mais de la procédure dite «normale» (c’est-à-dire de la compétence de la France) et en lui permettant d’introduire cette demande devant l’OFPRA. Il lui a d’abord été indiqué que son dossier était en cours de traitement ; lors d’une nouvelle présentation, le 17 décembre 2018, elle a finalement été informée de ce que, compte tenu de sa fuite, le délai de transfert avait été prolongé, de sorte que la Belgique demeurait responsable de l’examen de sa demande d’asile.
Mme X a alors formé un référé-liberté. Par une ordonnance du 29 janvier dernier, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a enjoint au préfet du Nord «d’enregistrer, selon la procédure normale, la demande d’asile de Mme [X]» -c’est-à-dire de reconnaître la compétence de la France et d’en tirer les conséquences en délivrant les documents pertinents à l’intéressée-.
Le juge des référés a, en effet, estimé que les autorités nationales avaient informé les autorités belges de la prolongation du délai en raison de la fuite de l’intéressée à une date postérieure à la date d’expiration du délai normal de six mois qui avait couru à nouveau après le jugement du tribunal administratif. Ce dont il a déduit, en application des règles que nous vous exposions il y a quelques instants, que le délai n’avait pas pu être prolongé -donc que la France était devenue l’Etat responsable-.
L’appel du ministre conteste le mode de calcul retenu par le juge des référés, et plus précisément la détermination de la date à compter de laquelle, en cas de recours contre la décision de transfert, le délai pour exécuter le transfert court à nouveau.
Cette date est unique car, nous vous l’avons dit, le délai n’est interrompu qu’une fois, de sorte que, lorsqu’il court à nouveau après jugement par le tribunal administratif, il court définitivement. Reste simplement à savoir s’il court à compter de la lecture du jugement, ou à compter de sa notification -plus précisément de sa notification aux autorités de l’Etat, auxquelles il s’impose-. Cette question, qui n’a pas été tranchée par votre décision «Kahsay» et qui divise les juges du fond, est déterminante en l’espèce : c’est en se fondant sur la date de lecture que le juge des référés a déduit que le délai était expiré le 8 novembre, jour de l’information donnée aux autorités belges ; et si vous reteniez la date de notification, vous constateriez que ce délai n’était pas expiré le 8 novembre et qu’il a donc été régulièrement prolongé.
De manière générale, il est acquis qu’une décision juridictionnelle produit ses effets sur l’ordonnancement juridique -lorsqu’elle en produit- à la date de sa lecture (v. CE Sect., 8 juillet 1998, n° 142444 N° Lexbase : A7892AS4, Rec. p. 306 ; CE Sect., 27 octobre 2006, n° 260767 N° Lexbase : A4778DSR, Rec. p. 451 ; CE, 6 avril 2007, n° 296493 N° Lexbase : A9363DUC, T. pp. 671-1000-1028-1130). C’est à cette date que l’état du droit est modifié par la décision, et à cette date que celle-ci acquiert l’autorité de chose jugée (v. CE, 18 janvier 1967, n° 67815 N° Lexbase : A2116B8U, Rec. p. 20).
Pour autant, une décision juridictionnelle n’est en principe opposable à une partie à l’instance -c’est-à-dire que son exécution ne peut être exigée de cette partie- qu’à condition qu’elle lui ait été notifiée, et donc qu’à compter de sa notification (v. CE, 13 mars 1968, n° 72329 N° Lexbase : A1272AIX, Rec. p. 180 ; CE, 17 mai 1974, n° 93122 N° Lexbase : A1789B8R, Rec. p. 292 [9])-.
De même, ce n’est en principe qu’à compter de la notification d’une décision juridictionnelle à une partie qu’un délai suspendu ou interrompu par l’instance recommence à courir à l’égard de cette partie (v., s’agissant du délai de prescription de l’action en recouvrement, CE, 28 juin 1989, n° 61483 N° Lexbase : A0759AQ8, T. pp. 579-581 ; s’agissant du délai de caducité d’une autorisation d’ouvrir un établissement sanitaire, CE Sect., 28 juillet 1999, n° 168505 N° Lexbase : A4639AX4, Rec. p. 250 ; s’agissant du délai de validité d’un permis de construire, CE, 10 octobre 2003, n°s 242373, 242455 N° Lexbase : A8439C9G, Rec. p. 390 ; s’agissant du délai de recours interrompu par une demande d’aide juridictionnelle, CE Sect., 28 juin 2013, n° 363460 N° Lexbase : A1305KI8, Rec. p. 185) [10].
Dans la ligne de cette jurisprudence, vous devriez ainsi juger que le délai pour exécuter un transfert, interrompu par le recours contre la décision de transfert, court à nouveau, à l’égard de l’administration, à compter de la notification qui lui est faite du jugement.
Une particularité procédurale pourrait toutefois vous faire hésiter à rejoindre cette ligne jurisprudentielle générale : en vertu des dispositions combinées des articles R. 777-3-6 (N° Lexbase : L2275KPX), R. 777-3-9 (N° Lexbase : L2278KP3) et R. 776-27 (N° Lexbase : L7267IQ9) du Code de justice administrative, en cas de recours contre une décision de transfert, le jugement est prononcé à l’audience et son dispositif, assorti de la formule exécutoire, est communiqué sur place aux parties.
Faut-il déduire de cette communication du dispositif après lecture sur le siège qu’elle vaut, en quelque sorte, notification, et donc qu’elle suffit à faire courir à nouveau le délai de transfert ?
Nous ne le pensons pas. Cette procédure particulière a certes pour effet de donner force exécutoire au dispositif du jugement dès sa lecture à l’audience (v. CE, 9 février 2004, n° 254913 N° Lexbase : A3465DBX, T. p. 727). Mais elle ne peut être assimilée à une notification pleine et entière de ce jugement -qu’elle ne dispense pas de notifier (v. même décision)- et ne produit donc pas d’effets au-delà du strict contenu du dispositif de la décision : le délai d’appel ne court ainsi qu’à compter de la notification, non à compter de la communication du dispositif (v. CJA, art. R. 777-3-3 N° Lexbase : L9957LAZ). Or la reprise du délai d’exécution du transfert n’est pas un élément du dispositif rendu immédiatement exécutoire, mais uniquement une conséquence de la décision à l’égard d’une partie -tout comme le déclenchement du délai d’appel-.
Il nous paraît donc logique de raisonner pour le délai de transfert comme pour le délai d’appel, d’autant plus que, pour l’un comme pour l’autre, la connaissance des motifs est un élément déterminant dans la décision de l’administration. En effet, de même que le motif d’annulation est cardinal dans le choix de faire appel, il sera cardinal dans le choix de reprendre, ou non, une nouvelle décision de transfert après annulation, notamment selon que cette annulation procèdera d’un motif de légalité externe ou interne.
Notons, enfin, que le choix de la date de notification du jugement à l’administration comme point de départ du délai de transfert n’induit pas, contrairement à ce qui peut sembler de prime abord, plus de complexité que le choix de la date de lecture fondé sur les dispositions particulières du Code de justice administrative ; au contraire, si vous reteniez, en raison de ces dispositions, la date de lecture, vous devriez réserver une exception pour les cas dans lesquels il est statué, non par un jugement après audience, mais par ordonnance (car dans ces cas, la lecture sur le siège et la transmission immédiate du dispositif accompagné de la formule exécutoire ne trouvent pas à s’appliquer). Retenir la date de notification permet donc de disposer d’une règle unique.
Si vous nous avez suivi, vous devrez donc infirmer le motif retenu par le juge des référés du tribunal administratif de Lille : vous constaterez que la Belgique a été informée de la fuite de Mme X dans le délai de transfert qui courait à nouveau à compter de la notification du jugement du 6 avril 2018 à l’administration, de sorte que ce délai a été régulièrement prolongé.
Vous devrez alors examiner l’autre moyen soulevé en première instance, tiré de ce que l’intéressée ne pouvait être regardée comme en fuite au sens de l’article 29 du Règlement «Dublin III». La Cour de justice a jugé qu’au sens de cet article, un demandeur prend la fuite lorsqu’il se soustrait délibérément aux autorités nationales compétentes pour procéder à son transfert, afin de faire échec à ce dernier. Elle a précisé qu’il peut être présumé que tel est le cas lorsque le transfert ne peut être mis à exécution en raison du fait que le demandeur a quitté le lieu de résidence qui lui a été attribué sans avoir informé les autorités nationales compétentes de son absence, à condition qu’il ait été informé de ses obligations (v. CJUE, 19 mars 2019, aff. C-163/17 N° Lexbase : A1598Y4X).
En l’espèce, il ressort des pièces présentées par le ministre que Mme X ne s’est pas présentée à la préfecture en dépit de quatre convocations, les deux premières lui ayant été remises en main propre, les deux suivantes ayant été notifiées à l’adresse qu’elle avait indiquée et n’ayant pas été retirées. Au regard de ces éléments, et alors que l’intéressée se borne à affirmer qu’elle n’avait pas pris la fuite, sans même présenter un commencement d’argumentation pour expliquer ses absences, vous écarterez toute atteinte manifestement illégale au droit d’asile.
En conséquence, vous annulerez l’ordonnance et rejetterez la demande présentée au juge des référés du tribunal administratif.
2. Vous pourrez alors en revenir à la première affaire. Mme Y et M. Z sont afghans. Ils ont demandé l’asile en Finlande. Leurs demandes ont été rejetées, tout comme les recours qu’ils ont formés contre les décisions de rejet -en dernier lieu en décembre 2016-. En janvier 2017, les intéressés ont alors formé une demande d’asile en France. Après avoir sollicité et obtenu l’accord des autorités finlandaises (le 29 mars 2017), le préfet du Rhône a décidé de leur transfert par deux arrêtés du 6 avril 2017.
A la demande des intéressés, ces arrêtés ont été annulés par un jugement du 19 mai 2017 du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon -jugement qui a été notifié le 31 mai suivant-. Saisie en appel, la cour de Lyon a rejeté la requête du préfet du Rhône par deux arrêts du 3 avril 2018 contre lesquels le ministre de l’intérieur se pourvoit régulièrement en cassation.
Nous pensons que vous devrez annuler ces arrêts, non pas en accueillant l’un des moyens du pourvoi, mais au motif qu’ils ont statué sur des conclusions qui étaient privées d’objet, ce que votre deuxième chambre a relevé d’office, conformément à votre jurisprudence (v., a fortiori, CE, 10 juillet 2006, n° 290017 N° Lexbase : A3920DQA, T. pp. 932-1015).
En effet, il ressortait clairement des pièces des dossiers soumis à la cour que le délai de transfert, qui avait commencé à courir -si vous nous avez suivi dans l’affaire précédente- le 31 mai 2017, et qui n’avait pas été prolongé, était expiré six mois plus tard, soit le 1er décembre 2017. Il en résultait que les décisions de transfert, qui n’avaient pas été exécutées, ne pouvaient plus légalement l’être (v. CE, avis, 26 juillet 2018, n° 417441 N° Lexbase : A6346XYP, Rec. p. 324).
Or votre jurisprudence est constante et abondante en ce sens que les conclusions tendant à l’annulation d’une décision administrative qui devient caduque ou inexécutable avant d’avoir été exécutée perdent par là même leur objet (v., s’agissant d’un arrêté de cessibilité n’ayant pas été transmis dans le délai prévu au juge de l’expropriation, CE, 21 juillet 1972, n° 84357 N° Lexbase : A4680B8T, Rec. p. 583 [11] ; s’agissant d’une mise en demeure de respecter une réglementation devenue inapplicable, CE, 27 février 1981, n° 12178 N° Lexbase : A6958AKW, Rec. p. 114 ; s’agissant de l’autorisation d’ouvrir une décharge devenue caduque faute de mise en service dans les délais, CE, 1er février 1985, n°s 41634, 41900 N° Lexbase : A3721AMR, T. pp. 698-735 ; s’agissant d’une autorisation de défrichement n’ayant reçu aucun commencement d’exécution avant son expiration, CE, 19 novembre 1999, n° 172976 N° Lexbase : A4826AXZ, T. pp. 959-1080 ; s’agissant d’un acte de recouvrement forcé d’une créance qui a disparu, CE, 16 février 2001, n° 217890 N° Lexbase : A2032AYW, T. pp. 873-906-907-1141 [12] ; s’agissant d’une ordonnance de l’article 38 de la Constitution N° Lexbase : L1298A9X devenue caduque faute de dépôt d’un projet de loi de ratification et n’ayant reçu aucune application, CE, 2 avril 2003, n° 246748 N° Lexbase : A0360DAL, Rec. p. 162 ; ou encore, s’agissant d’un arrêté de préemption insusceptible de recevoir exécution en raison de l’annulation de la procédure d’adjudication du bien et de la vente par le juge judiciaire, CE, 1er avril 2010, n° 328294 N° Lexbase : A4198EUZ, T. pp. 912-1015).
Ce non-lieu s’étend logiquement à l’instance appel du jugement ayant annulé l’acte désormais insusceptible d’exécution (v., s’agissant d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière annulé et privé d’effet en raison de la délivrance, par un autre préfet, d’un titre de séjour, CE, 28 avril 2004, n° 255584 N° Lexbase : A0310DCH, T. pp. 727-833 [13]), et jusqu’à l’instance de cassation si la caducité intervient au cours de cette instance (v. CE, 2 février 2007, n° 289780 N° Lexbase : A7731DTI, T. pp. 887-894-1022) -rappelons que, de manière générale, vous appréciez la perte d’objet du pourvoi en cassation au regard du litige de fond (v. CE, 30 décembre 2014, n° 362496 N° Lexbase : A0829M9L, T. p. 804, éclairée par les conclusions d’A. Bretonneau)-.
Dans la droite ligne de cette jurisprudence, nous pensons qu’il incombait en l’espèce à la cour de constater que les appels dont elle était saisie avaient perdu leur objet en cours d’instance.
Vous noterez -le ministre y insiste- que, dans le régime issu de votre décision «Kahsay», où seule la première instance interrompt le délai de transfert, un tel non-lieu interviendra de façon quasi systématique en appel (sauf en cas de fuite) et, en toute hypothèse, en cassation, de sorte que vous perdez un peu, dans cette matière bien spécifique, de votre pouvoir de régulation de la jurisprudence -et les cours, aussi, un peu du leur-. Il nous semble cependant que c’est là la logique de votre décision «Kahsay» qui, au nom de la célérité de la procédure de détermination de l’Etat membre responsable de la demande d’asile, a limité l’effet interruptif du recours à la seule première instance, avec l’idée assumée que la régulation contentieuse par l’appel devait, s’agissant de la contestation des décisions de transfert, céder le pas à la nécessaire rapidité de la procédure -d’autant que le législateur n’a prévu aucun délai spécifique pour l’appel alors qu’il a prévu des délais très brefs en première instance-. Il faut donc vous garder de céder aujourd’hui à la tentation de revenir sur la logique de votre décision «Kahsay» en dérogeant aux règles du non-lieu.
Relevons au demeurant que vous ne perdez pas tout pouvoir de régulation de la jurisprudence, la procédure d’avis de l’article L. 113-1 demeurant ouverte aux tribunaux et le recours dans l’intérêt de la loi étant, quant à lui, ouvert au ministre.
Si vous nous suivez, vous annulerez donc l’arrêt de la cour qui a méconnu son office ; réglant l’affaire au fond, vous direz qu’il n’y a pas lieu de statuer sur l’appel du ministre ; et vous pourrez rejeter les conclusions présentées en défense au titre des frais de procédure.
Terminons en soulignant que, en vous fondant ainsi sur l’expiration du délai de transfert, qui rendait inexécutable la décision en litige, vous réserverez la question de savoir si la circonstance que les intéressés aient obtenu la protection subsidiaire à la suite de la reconnaissance de la compétence de la France en conséquence de l’annulation prononcée par le tribunal administratif était elle aussi de nature à priver le litige d’objet.
Tel est le sens de nos conclusions.
[1] Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (N° Lexbase : L3872IZG).
[2] Art. 3.
[3] Art. 18, §1, a.
[4] Que la demande soit en cours d’examen (art. 18, §1 b), qu’elle ait été retirée (art. 18, §1, c) ou qu’elle ait déjà été rejetée (art. 18, §1, d).
[5] Art. 20, §5.
[6] Respectivement dans un délai de trois mois ou de deux mois (art. 21, 23 et 24).
[7] CJUE, 25 octobre 2017, aff. C-201/16 (N° Lexbase : A6222WWD).
[8] V. l’article 9 du Règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres par un ressortissant d'un pays tiers ([LXB=]) ; et CJUE, 19 mars 2019, aff. C-163/17 (N° Lexbase : A1598Y4X).
[9] Ou, fusionnant en quelque sorte l’opposabilité de la décision et son «entrée en vigueur», CE Sect., 4 mars 1998, n° 193527 N° Lexbase : A1750AIN, Rec. p. 69.
[10] Il est ainsi notable que, lorsque le jugement interrompt un délai, cette interruption a lieu à la date de sa lecture (CE, 6 mai 1988, n° 73234 N° Lexbase : A8145APD, T. p. 1091) mais que, lorsqu’il provoque la reprise d’un délai, cette reprise n’a lieu, à l’égard d’une partie, qu’à compter de sa notification (v. CE, 10 octobre 2003, n° 242373 N° Lexbase : A8439C9G, préc.).
[11] V. aussi CE, 23 mars 1979, n° 07019 (N° Lexbase : A5868B8T), T. pp. 760-763-764-840-843.
[12] V. aussi CE, 27 juillet 2015, n° 359368 (N° Lexbase : A0731NNE), T. pp. 546-625-628-817.
[13] V. aussi, pour la délivrance d’un titre de séjour par le préfet qui avait édicté l’arrêté de reconduite à la frontière, dès lors que cette délivrance excède les obligations résultant du jugement, CE, 11 mars 2002, n° 218091 (N° Lexbase : A2510AYM), T. pp. 776-881.
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