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par Juliette Mel, Avocat associé, Docteur en droit, Chargée d'enseignements à l'UPEC, Responsable de la Commission Marchés de Travaux de l'Ordre des avocats de Paris
le 19 Décembre 2019
Lexbase Hebdo - édition privée inaugure un nouveau rendez-vous d'actualité, avec la chronique trimestrielle de droit de la promotion immobilière, de Juliette Mel, Avocat associé, Docteur en droit, Chargée d'enseignements à l'UPEC, Responsable de la Commission Marchés de Travaux de l'Ordre des avocats de Paris. Ce trimestre fait l’objet d’une actualité riche en raison, d’une part, de la publication de certaines des ordonnances prévues par la loi «ELAN» (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 N° Lexbase : L8700LM8) et, d’autre part, des arrêts, parfois novateurs, parfois étonnants, rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.
I - La vente en l’état futur d’achèvement (VEFA)
1. Dans un arrêt rendu le 23 mai 2019 (Cass. civ. 3, 23 mai 2019, n° 18-14.212, FS-P+B+I N° Lexbase : A1915ZCW), la troisième chambre civile de la Cour de cassation s’est interrogée sur l’articulation/conciliation entre, d’une part, l’application du régime de la vente en l’état futur d’achèvement tant dans ses aspects impératifs que supplétifs prévus dans le secteur protégé et, d’autre part, la législation sur les clauses abusives. Dans cette affaire, une société civile immobilière de construction vente (SCICV) a vendu en l’état futur d’achèvement un appartement et deux boxes à des accédants à la propriété personnes physiques. Les biens sont livrés en retard. Les accédants assignent le promoteur en réparation de leurs préjudices, lequel leur oppose une clause de prolongation du délai de livraison prévoyant la justification, par le vendeur à l’acquéreur, par une lettre du maître d’œuvre, des causes légitimes de retard et une prorogation d’un temps égal au double de celui effectivement enregistré, en raison de leur répercussion sur l’organisation générale du chantier. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt rendu le 18 janvier 2018 (CA, Aix-en-provence, 18 janvier 2018, n° 15/19337 N° Lexbase : A7239XAD), a déclaré nulle et, en conséquence, de nul effet, cette clause au motif qu’elle était abusive. C’est au visa de l’article L. 212-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3278K9B) que la Haute juridiction censure.
«Qu’en statuant ainsi, alors que la clause d’un contrat de vente en l’état futur d’achèvement conclu entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur qui stipule qu’en cas de cause légitime de suspension du délai de livraison du bien vendu, justifiée par le vendeur à l’acquéreur par une lettre du maître d’œuvre, la livraison du bien vendu sera retardée d’un temps égal au double de celui effectivement enregistré en raison de leur répercussion sur l’organisation générale du chantier n’a ni pour objet, ni pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat et, partant, n’est pas abusive.» |
Autrement dit, ce type de stipulation contractuelle est parfaitement valable et peut être opposé à l’accédant à la propriété, même consommateur, par le promoteur pour justifier, sans pouvoir être pénalisé donc, d’un retard dans la livraison des travaux.
Le délai d’édification de la construction est, à l’évidence, un élément essentiel du contrat de vente en l’état futur d’achèvement. Pourtant, la date de livraison du bien, au jour près, relève souvent de la divination de pouvoir stipuler, raison pour laquelle il n’est pas rare, pour ne pas dire fréquent, de voir les promoteurs s’engager sur des fins de trimestre ou semestre. Pour éviter d’être sanctionnés en cas de prolongation du délai de livraison, c’est-à-dire de retards, les promoteurs stipulent souvent des clauses dites de prolongation de délais qui viennent donc justifier, c’est-à-dire excuser, le retard. Si les conditions d’application de ces clauses sont remplies, le retard ne peut être dédommagé. Les clauses de prolongation de délais les plus fréquentes sont les clauses d’intempéries (Cass. civ. 3, 4 février 2016, n° 14-29.347, FS-P+B N° Lexbase : A3083PKE ; Cass. civ. 3, 6 mai 2015, n° 13-24.947, FS-P+B+I N° Lexbase : A5367NHA) comme en témoigne l’espèce commentée. Parallèlement à cela, s’applique potentiellement le droit de la consommation, dès lors que l’accédant à la propriété est un consommateur, c’est-à-dire un non-professionnel. Or, en application de l’article L. 212-1 du Code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. Il n’est donc pas rare de voir plaider le caractère abusif de ces clauses de prolongation de délais de livraison.
D’autant qu’à chaque fois, les juges doivent rechercher si la clause ne crée pas un déséquilibre significatif en faveur du vendeur. Tout semble donc affaire d’espèces et d’interprétations. Pas tant que cela puisque la Haute juridiction semble encline à considérer ces clauses comme non-abusives. A comprendre, elles ne créent pas un déséquilibre significatif entre les parties. Dans une affaire similaire, la Haute juridiction avait d’ailleurs reconnu la validité d’une clause qui renvoyait l’appréciation des jours d’intempéries à l’architecte (Cass. civ. 3, 24 octobre 2012, n° 11-17.800, FS-P+B N° Lexbase : A0464IW4), pour autant, naturellement, que l’accédant à la propriété soit régulièrement informé du retard dans la livraison de son bien (Cass. civ. 3, 29 mars 2018, n° 17-14.249, F-D N° Lexbase : A8620XI4). Le principe de validité d’une clause d’intempérie avait d’ailleurs fait l’objet d’un avis favorable de la commission des clauses abusives du 29 septembre 2016 (avis n°16-01).
2. Les branches du droit s’entre-mêlent et se concilient mais il est parfois bien difficile de deviner laquelle primera. L’arrêt rendu le 9 mai 2019 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 9 mai 2019, n° 18-16.717, FS-P+B+I N° Lexbase : A0626ZBS) en est une nouvelle illustration. Il s’est agi, en l’espèce, d’articuler le droit de la copropriété avec celui de la vente d’immeuble en l’état futur d’achèvement. Les faits sont classiques. Une SCI fait édifier une résidence de tourisme soumise au régime de la copropriété suivant un état descriptif de division et un règlement de copropriété. Les lots sont vendus en l’état futur d’achèvement. En se fondant sur la notice descriptive annexée à l’acte de vente, le syndicat des copropriétaires (SDC) et le gestionnaire de la résidence agissent à l’encontre d’un accédant à la propriété en requalification des parties privatives en parties communes. La cour d’appel de Chambéry rejette leur demande dans un arrêt rendu le 6 mars 2018. Ils forment un pourvoi en cassation dont le moyen fondé sur la primauté de la notice descriptive sur le règlement de copropriété est rejeté.
«Mais attendu qu’ayant, par motifs propres et adoptés, retenu à bon droit que la notice descriptive, qui indique les caractéristiques techniques tant de l’immeuble lui-même que des travaux d’équipement intérieur ou extérieur indispensables à son implantation et à son utilisation, a pour rôle de déterminer les spécificités principales de la construction, la nature et la qualité des matériaux, sans pour autant définir les droits de l’acquéreur ni primer sur les dispositions claire du règlement et de l’état descriptif de division établissant le titre conventionnel de copropriété auquel les acquéreurs ont adhéré […]». |
La portée de la notice descriptive annexée à l’acte de vente en l’état futur d’achèvement s’en trouve réduite. En cas de contradiction avec le règlement de copropriété, ce dernier prime sur la notice descriptive. Difficile de le prédire. La notice descriptive du contrat de vente en l’état futur d’achèvement est un élément contractuel dont l’accédant à la propriété peut se prévaloir. La décision tient, sans doute, au fait que ce ne soit pas l’accédant à la propriété qui s’en prévale mais le SDC. Il reste que la motivation de la Haute juridiction ne convainc pas vraiment.
3. Articulation toujours mais cette fois-ci entre le contrat de réservation et l’acte de vente en l’état futur d’achèvement. La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 21 mars 2019 (Cass. civ. 3, 21 mars 2019, n° 18-11.707, FS-P+B+I N° Lexbase : A5067Y4G), a réitéré, avec force, sa jurisprudence concernant le caractère autonome du contrat de réservation par rapport au contrat de vente. Les faits de l’espèce sont également classiques. Un accédant à la propriété est démarché à son domicile pour acheter en l’état futur d’achèvement un appartement et un box de parking aux fins de défiscalisation. La conclusion du contrat est précédée de la signature d’un contrat de réservation. L’accédant sollicite la nullité des deux contrats au motif notamment que les règles relatives au démarchage à domicile n’auraient pas été respectées. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 22 décembre 2017 (CA Paris, 22 décembre 2017, n° 15/11684 N° Lexbase : A8918W8S), rejette la demande d’annulation des deux contrats. Un pourvoi est formé mais il est également rejeté sur ce moyen.
«Mais attendu que le contrat de réservation étant facultatif, sa nullité est sans incidence sur la validité de l’acte de vente». |
La Haute juridiction vient ainsi confirmer sa jurisprudence antérieure (Cass. civ. 3, 27 avril 2017, n° 16-15.519, FS-P+B N° Lexbase : A2602WBY ; Cass. civ. 3, 12 avril 2018, n° 17-13.118, FS-P+B+I N° Lexbase : A1473XL7). Le contrat de réservation est autonome du contrat de vente. Autrement dit, même si le contrat de réservation est nul, cela n’implique pas la nullité du contrat de vente. Ce principe d’autonomie est le corollaire du caractère facultatif du contrat de réservation. En effet, l’article L.261-15 du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L0015LNU) n’offre aux parties qu’une simple faculté de faire précéder le contrat de VEFA d'un avant-contrat. Pour autant, la nullité du contrat de réservation ne paraît pas totalement sans incidence sur le contrat de vente, notamment lorsqu’il est conclu sous-condition suspensive d’obtention d’un prêt.
4. S’agissant de la condition suspensive d’obtention d’un prêt, la troisième chambre civile de la Cour de cassation revient, dans un arrêt rendu le 18 avril 2019 (Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 16-17.984, F-D N° Lexbase : A5928Y9G), sur la caractérisation de la défaillance de la condition suspensive d’obtention d’un prêt et ses conséquences sur la somme mise en dépôt de garantie par le réservataire. En l’espèce, un contrat de réservation portant sur la vente en l’état futur d’achèvement de deux lots dans un immeuble est conclu. La vente était conditionnée à l’obtention d’un prêt dont la demande devait être justifiée dans les 15 jours à compter de la signature du contrat de réservation et la justification de l’obtention du prêt dans le délai de 45 jours. Le notaire, considérant la condition suspensive défaillante, a transmis le chèque au vendeur pour qu’il procède à son encaissement mais ce chèque était sans provision. La cour d’appel de Rennes, dans un arrêt rendu le 29 mars 2016 (CA Rennes, 29 mars 2016, n° 15/01667 N° Lexbase : A3980RAN), condamne l’accédant à la propriété à verser cette somme. La Haute juridiction censure.
«Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si M.R. n’avait pas, dans les formes et les délais prévus au contrat, sollicité un financement qui lui avait été refusé et si la défaillance de la condition suspensive n’avait pas entraîné la caducité du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision». |
La décision mérite d’être saluée.
5. Difficile, enfin, de tenir cette chronique sans dire un mot de l’arrêt, largement commenté, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 7 mars 2019 (Cass. civ. 3, 7 mars 2019, n° 18-16.182, FS-P+B+I N° Lexbase : A7126YZX) sur la garantie des désordres apparents du vendeur en l’état futur d’achèvement. Dans cette espèce, une société a vendu à un accédant à la propriété une maison en l’état futur d’achèvement. Il est établi une liste de réserves dénonçant les vices de la construction et des défauts de conformités au nombre desquelles la position, à une hauteur excessive, des fenêtres des chambres. L’accédant assigne le promoteur pour réclamer l’exécution des travaux et une diminution du prix. La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 5 mars 2018, le condamne à verser la somme de 30 000 euros à l’acquéreur au titre de la diminution du prix de vente de l’immeuble. Le vendeur forme un pourvoi en cassation qui est rejeté.
«Mais attendu qu’ayant retenu, par motifs propres et adoptés, qu’il n’était pas démontré que le pavillon mitoyen proposé à M.T. en échange présentait les mêmes caractéristiques que la maison litigieuse et que, compte-tenu du caractère particulièrement manifeste du vice affectant les fenêtres résultant du choix architectural de privilégier l’esthétisme des façades plutôt que le confort de vie intérieur, il pouvait raisonnablement être douté de la fiabilité de la proposition de reprise du constructeur qui n’était ni pertinente ni opportune […]». |
La proposition de réparation des désordres apparents affectant l’immeuble doit être fiable, pertinente et opportune. La solution est inédite. L’article 1642-1 du Code civil (N° Lexbase : L8942IDK) dispose, en effet, qu’il n’y «a lieu à résolution du contrat ou à la diminution du prix si le vendeur s’oblige à réparer». Autrement dit, lorsque l’ouvrage est affecté d’un vice ou d’un défaut de conformité apparent, la réparation le dommage prend la forme soit d’une diminution du prix de vente soit d’une réparation en nature. Ce n’est pas l’application de ce principe qui est inédite. La Cour de cassation, en l’espèce, vient porter un jugement sur la qualité finalement de la réparation en nature. Elle invite les juges du fond à rechercher si elle est fiable, pertinente et opportune en se réservant un contrôle plein de motivation.
II - Le contrat de construction d’une maison individuelle (CCMI)
1. Les ordonnances et décrets d’application de la loi ELAN sont très attendus. L’une d’entre elles a été prise le 30 avril 2019 (ordonnance n° 2019-395 du 30 avril 2019 N° Lexbase : L1031LQA) sur l’adaptation du contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan dans le cadre de la préfabrication.
«L'article L. 231-2 est ainsi modifié : |
Les règles applicables au contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan dont notamment celles relatives à l’échéancier de paiement sont apparues inadaptées aux spécificités des constructions préfabriquées. L’échéancier de paiement qui a été conçu, à l’origine, pour une construction progressive sur le chantier n’est, en effet, pas adapté à la préfabrication, ce qui peut mettre en difficulté le constructeur. Il est ainsi notamment précisé :
- au nombre des clauses réputées non-écrites dans un CCMI avec fourniture de plan, l’ordonnance ajoute celles qui auront pour objet ou pour effet d’interdire au maître d’ouvrage de constater l’achèvement et la bonne exécution des éléments préfabriqués.
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