La lettre juridique n°768 du 17 janvier 2019 : Baux commerciaux

[Textes] Le nouveau congé pour transformer à usage principal d’habitation un immeuble existant

Réf. : Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (N° Lexbase : L8700LM8)

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Mutelet-Prigent & Associés, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

le 16 Janvier 2019

Selon l’étude d’impact de la loi «ELAN», «dans les zones tendues, le parc de bureaux obsolètes et vacants constitue un gisement pour répondre à des besoins d’urgence et pour créer une nouvelle offre de logements en transformant les bâtiments» (étude d’impact, p. 66).

 

Toujours selon l’étude d’impact, «le stock de bureaux vacants en Ile-de-France est évalué à près de 3,5 millions de m² en 2017» et « une étude de l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur) avait déjà révélé, en 2013, que sur les 18 millions de mètres carrés de bureaux parisiens (16,7 millions si l'on ne considère que les 3 500 parcelles de plus de 1 000 m²), 840 000 m² sont potentiellement transformables en logements» (étude d’impact, p. 66).

Afin de favoriser la transformation de bureaux en logement, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi «ELAN», est intervenue à plusieurs niveaux :

- institution d’un bonus de constructibilité de 30 % pour la «transformation à usage principal d'habitation d'un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation » (articles 28 de la loi «ELAN» et L. 152-6 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9958LMR) ;

- dérogation aux obligations de mixité sociale du plan local d’urbanisme pour ce type d’opération (articles 28 de la loi «Elan» et L. 152-6 du Code de l’urbanisme) ;

- création d’une catégorie d’immeuble de «moyenne hauteur» afin de faciliter la réversibilité de bureaux en logement par un rapprochement des exigences normatives s’appliquant aux immeubles entre 28 et 50 mètres (étude d’impact, p. 70 ; articles 30 de la loi «ELAN» et L. 122-1 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L9959LMS) ;

- institution d’un «dispositif visant à assurer la protection et la préservation de locaux vacants par l'occupation de résidents temporaires, notamment à des fins de logement, d'hébergement, d'insertion et d'accompagnement social» (articles 29 de la loi «ELAN») ;

- création d’une nouvelle faculté de résiliation au profit du bailleur qui souhaite «transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation» (articles 28 de la loi «ELAN» et L. 145-4 du Code de commerce N° Lexbase : L9957LMQ).

 

1. Description de la modification introduite par la loi «ELAN» à l’article L. 145-4 du Code de commerce  

 

La loi «ELAN» comporte un article 28, situé dans le chapitre III «Favoriser la transformation de bureaux en logements» du titre Ier «Construire plus ; mieux et moins cher», qui dispose que «au troisième alinéa de l'article L. 145-4 du Code de commerce, après le mot : ‘usage’, sont insérés les mots : ‘de transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation’».

Avant sa modification par la loi «ELAN», l’article L. 145-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L2010KGK) disposait que :

«La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans.

Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, au moins six mois à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire. Les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux construits en vue d'une seule utilisation, les baux des locaux à usage exclusif de bureaux et ceux des locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l'article 231 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L9102LKC) peuvent comporter des stipulations contraires.

Le bailleur a la même faculté, dans les formes et délai de l'article L. 145-9 (N° Lexbase : L2009KGI), s'il entend invoquer les dispositions des articles L. 145-18 (N° Lexbase : L2006KGE), L. 145-21 (N° Lexbase : L5749AIR), L. 145-23-1 (N° Lexbase : L0804HPH) et L. 145-24 (N° Lexbase : L5752AIU) afin de construire, de reconstruire ou de surélever l'immeuble existant, de réaffecter le local d'habitation accessoire à cet usage ou d'exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d'une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l'immeuble dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain.

Le preneur ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite du régime social auquel il est affilié ou ayant été admis au bénéfice d'une pension d'invalidité attribuée dans le cadre de ce régime social a la faculté de donner congé dans les formes et délais prévus au deuxième alinéa du présent article. Il en est de même pour ses ayants droit en cas de décès du preneur.

Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables à l'associé unique d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou au gérant majoritaire depuis au moins deux ans d'une société à responsabilité limitée, lorsque celle-ci est titulaire du bail».

 

Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 145-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L9957LMQ) dispose, les ajouts résultant de la loi «ELAN» apparaissant en gras, que :

« La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans.

Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, au moins six mois à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire. Les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux construits en vue d'une seule utilisation, les baux des locaux à usage exclusif de bureaux et ceux des locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l'article 231 ter du code général des impôts peuvent comporter des stipulations contraires.

Le bailleur a la même faculté, dans les formes et délai de l'article L. 145-9, s'il entend invoquer les dispositions des articles L. 145-18, L. 145-21, L. 145-23-1 et L. 145-24 afin de construire, de reconstruire ou de surélever l'immeuble existant, de réaffecter le local d'habitation accessoire à cet usage, de transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation ou d'exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d'une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l'immeuble dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain.

Le preneur ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite du régime social auquel il est affilié ou ayant été admis au bénéfice d'une pension d'invalidité attribuée dans le cadre de ce régime social a la faculté de donner congé dans les formes et délais prévus au deuxième alinéa du présent article. Il en est de même pour ses ayants droit en cas de décès du preneur.

Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables à l'associé unique d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou au gérant majoritaire depuis au moins deux ans d'une société à responsabilité limitée, lorsque celle-ci est titulaire du bail».

 

2. Facultés de résiliation triennale du bailleur

 

Le bail commercial est un contrat qui, en principe, n’a de durée ferme que pour le bailleur.

 

L’article L. 145-4 du Code de commerce offre en effet au preneur la possibilité de mettre un terme à un bail commercial en cours à chaque échéance triennale, sous réserve du respect d’un délai de préavis de six mois.

 

Il doit être rappelé que le preneur peut toutefois renoncer à sa faculté de résiliation triennale, mais seulement si le bail commercial porte sur un local monovalent, à un usage exclusif de bureaux ou de stockage, cette restriction ayant été introduite par la loi dite «Pinel» (loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises N° Lexbase : L4967I3D).

 

Le bailleur dispose également d’une faculté triennale mais qui ne peut être exercée que dans certaines hypothèses :

 

(i) Congé pour construire ou reconstruire l'immeuble existant (C. com., art. L. 145-4 et L. 145-18 [LXB=L2006KG).

 

(ii) Congé pour «exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d'une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l'immeuble dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain» (C. com., art. L. 145-4), l’article L. 145-18 du Code de commerce visant également le refus de renouvellement «pour effectuer des travaux nécessitant l'évacuation des lieux compris dans un secteur ou périmètre prévu aux articles L. 313-4 [(LXB=L0263LN3]) et L. 313-4-2 (N° Lexbase : L0262LNZdu Code de l'urbanisme et autorisés ou prescrits dans les conditions prévues audits articles».

 

L’article L. 313-4 du Code de l’urbanisme est relatif aux opérations de restauration immobilière consistant en « des travaux de remise en état, d'amélioration de l'habitat, comprenant l'aménagement, y compris par démolition, d'accès aux services de secours ou d'évacuation des personnes au regard du risque incendie, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d'habitabilité d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles ». Selon ce texte, « lorsqu'elles ne sont pas prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé, elles doivent être déclarées d'utilité publique». Un plan de sauvegarde et de mise en valeur peut être établi sur tout ou partie du site patrimonial remarquable créé en application du titre III du livre VI du code du patrimoine (C. urb., art. L. 313-1 N° Lexbase : L2600K98).

 

L’article L. 313-4-2 du Code de l’urbanisme dispose que «après le prononcé de la déclaration d'utilité publique, la personne qui en a pris l'initiative arrête, pour chaque immeuble à restaurer, le programme des travaux à réaliser dans un délai qu'elle fixe».

 

Le projet de renouvellement urbain est prévu par l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L9919LMC).

 

Dans ces deux cas, le bailleur doit régler une indemnité d’éviction, sauf s’il offre au locataire évincé un local correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent (C. com., art. L. 145-18).

 

Il doit être rappelé que le bailleur dispose également d’un droit de reprise à tout moment en cours de bail pour effectuer ces travaux («travaux nécessitant l'évacuation des lieux compris dans un secteur ou périmètre prévu aux articles L. 313-4 et L. 313-4-2 du Code de l'urbanisme et autorisés ou prescrits dans les conditions prévues auxdits articles»), s’il  offre de reporter le bail sur un local équivalent dans le même immeuble ou dans un autre immeuble.

 

(iii)  Reprise temporaire pour surélever l’immeuble (C. com., art. L. 145-21 N° Lexbase : L5749AIR)

 

L’indemnité due au locataire est alors égale au préjudice subi pendant cette éviction qui n’et que temporaire, sans pouvoir excéder trois ans de loyer.

 

(iv) Congé pour réaffecter le local d’habitation accessoire à cet usage : articles L. 145-4 et L. 145-23-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L0804HPH).

Dans ce cas, le loyer du bail est diminué pour tenir compte des surfaces retranchées.

 

(v) Congé donné par le propriétaire qui a obtenu un permis de construire un local d'habitation sur tout ou partie d'un des terrains visés au 2° de l'article L. 145-1 : article L. 145-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L5752AIU).

Dans ces deux derniers cas, le locataire n’a pas droit en principe à une indemnité d’éviction.

 

L’article 28 de loi «ELAN», en modifiant l’article L. 145-4 du Code de commerce, a créé une nouvelle faculté de résiliation triennale au profit du bailleur. Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle le bailleur souhaite «transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation».

 

3. Nouveau congé pour transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation

 

L’objectif de la création d’une nouvelle faculté de résiliation au profit du bailleur, introduite par un amendement au projet de loi initial, est de «permettre aux bailleurs qui transforment un immeuble existant en un immeuble principal d’habitation (donc par exemple un immeuble de bureaux en un immeuble de logements) de donner congé aux locataires à chaque échéance triennale du bail. Cela facilitera la transformation des immeubles de bureaux en logements. L’amendement complète ainsi l’article L. 145-4 du Code du commerce qui permet déjà au bailleur de donner congé à l’expiration d’une période triennale dans certains cas» (amendement n° CE1309 présenté par M. Lioger, rapporteur).

 

Il s’agit d’une véritable innovation dès lors qu’un tel congé pourra être donné, à l’expiration d’une période triennale mais vraisemblablement également en cours de tacite prolongation, en dehors d’un cas de reconstruction déjà prévu aux articles L. 145-4 et L. 145-18 du Code de commerce. A cet égard, il peut être rappelé que le congé pour reconstruire visé au dernier de ces textes ne peut concerner de simples travaux de transformation ou d’aménagements (Cass. com., 7 juillet 1959 N° Lexbase : A8128AT9) ou une reconstruction partielle.

 

La transformation de l’immeuble existant en un immeuble principal d’habitation pourra en effet résulter d’une rénovation ou d’une réhabilitation, ces termes n’étant toutefois pas définis. 

 

Il peut être noté que la mention selon laquelle le bailleur peut donner congé afin de transformer à usage principal d’habitation un immeuble par reconstruction est redondante avec la faculté du bailleur, qui existait déjà avant la loi «ELAN», de donner un congé pour reconstruire, sans autre précision. La possibilité pour le bailleur d’échapper au paiement de l’indemnité d’éviction en offrant un local de remplacement n’est pas prévue pour le congé notifié dans le cadre de la transformation de l’immeuble.

 

La notion d’«immeuble principal d’habitation», visée par l’article L. 145-4 du Code de commerce modifié, n’est pas précisée. Dès lors que l’habitation est l’usage principal, il ne semble pas exclu que certains locaux de l’immeuble puissent être affectés à un usage autre, commercial notamment.

 

Certaines décisions rendues dans le cadre de l’application de l’article L. 145-18 du Code de commerce devraient trouver également à s’appliquer dans le cadre de cette nouvelle faculté de résiliation, notamment en ce qui concerne l’intention du bailleur qui délivre le congé d’effectuer les travaux en cas de revente projetée de l’immeuble (Cass. civ. 3, 27 octobre 1993, n° 91-16.964 N° Lexbase : A4352AGB ; Cass. civ. 3, 12 juillet 1995, n° 93-10.133 N° Lexbase : A8568AGG ; Cass. civ. 3, 27 novembre 2012, n° 10-30.071, F-D N° Lexbase : A8686IXY).

 

Il n’est pas expressément précisé que le locataire aura droit, dans ce cas, à une indemnité d’éviction, contrairement à l’hypothèse du congé pour construire ou reconstruire ou pour effectuer des travaux nécessitant l'évacuation des lieux compris dans un secteur ou périmètre prévu aux articles L. 313-4 et L. 313-4-2 du Code de l'urbanisme (C. com., art. L. 145-18).

 

Or, certains des congés visés à l’article L. 145-4 du Code de commerce n’ouvrent pas droit au preneur à une indemnité d’éviction (réaffectation du local d’habitation accessoire à cet usage et construction d’un local d’habitation sur un terrain).

Toutefois, dans ces dernières hypothèses, le locataire n’est pas privé de son fonds de commerce, ce qui justifie la solution.

 

En tout état de cause, l’article L. 145-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5742AII) dispose, à titre de règle générale, que «le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 (N° Lexbase : L5745AIM) et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement».

 

Le bailleur qui délivre un congé pour transformer à usage principal d’habitation un immeuble existant devrait donc être tenu de régler une indemnité d’éviction au locataire.

 

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