Lecture: 18 min
N7348BSX
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Pierre-Olivier Caille, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)
le 01 Septembre 2011
Pour la première fois dans le cadre de la QPC, le Conseil constitutionnel a fait application de la Charte de l'environnement (Cons. const., décision n° 2011-116 QPC, du 8 avril 2011 N° Lexbase : A5886HMX). L'on sait que "l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement ont valeur constitutionnelle" (Cons. const., décision n° 2008-564 DC, du 19 juin 2008 N° Lexbase : A2111D93, consid. n° 18). Il n'était donc guère douteux que les droits reconnus par elle puissent être qualifiés de "droits et libertés garantis par la Constitution" au sens de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), mais une difficulté spécifique se posait dès lors que plusieurs articles de la Charte renvoient à la compétence du législateur. Or, dans sa décision du 8 avril 2011, le juge de la rue de Montpensier opère une distinction entre les dispositions qui font expressément référence aux "conditions définies par la loi" et celles qui, bien que rédigées "en termes généraux", ne renvoient pas à la compétence du législateur (consid. n° 5 et n° 6).
Dans le premier cas, le respect des droits et devoirs s'impose non seulement "aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif", comme il avait déjà été jugé dans la décision du 19 juin 2008 précitée, mais aussi "à l'ensemble des personnes" (consid. n° 5). Autrement dit, et c'est ce qu'affirme explicitement le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, ces dispositions se voient reconnaître "une invocabilité directe" et un "effet horizontal" dans les rapports entre particuliers. De plus, la décision ajoute que "chacun est tenu à une obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement qui pourraient résulter de son activité", et qu'il revient au législateur de "définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation", celui-ci ne pouvant cependant, "dans l'exercice de cette compétence, restreindre le droit d'agir en responsabilité dans des conditions qui en dénaturent la portée". Dans le second cas, les dispositions de la Charte, en l'occurrence les obligations de prévention et de réparation, ne sont invocables que si elles ont été auparavant mises en oeuvre par le législateur. Il incombe, en effet, à ce dernier, "et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en oeuvre de ces dispositions".
II - Le fonctionnement de la QPC
A - Les interventions devant le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel
Si les participants à l'instance, qui y interviennent en demande ou en défense, tout en y restant tiers, existent de longue date dans le contentieux de la constitutionnalité des lois, les interventions étant admises sans formalisme dans le cadre du contrôle a priori sous le nom de "portes étroites" (1), la QPC les met aujourd'hui en lumière.
Le Conseil d'Etat a, en effet, d'abord été amené à préciser les conditions de recevabilité d'une intervention au soutien d'une QPC dont il est saisi (CE 2° et 7° s-s-r., 4 avril 2011, n° 345661, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8957HMP). En l'espèce, la question de la conformité des articles L. 111-2 (N° Lexbase : L5130IQ3) et L. 111-3 (N° Lexbase : L5131IQ4) du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile avec les droits et libertés que garantit la Constitution avait été soulevée par une requérante devant le tribunal administratif de Lyon qui avait renvoyé la question au Conseil d'Etat. Mais une autre requérante avait soulevé devant le tribunal administratif de Limoges une QPC visant les mêmes dispositions et soulevant les mêmes motifs d'inconstitutionnalité. Se fondant sur les dispositions de l'article R. 771-6 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5773IGW) aux termes desquelles un tribunal ou une cour n'est pas tenu de transmettre une QPC mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont le Conseil d'Etat ou le Conseil constitutionnel est déjà saisi et peut, alors, différer sa décision, le tribunal administratif de Limoges avait sursis à statuer. La requérante qui l'avait saisie avait alors formé une intervention au soutien de la QPC devant le Conseil d'Etat. La Haute juridiction administrative juge cette intervention recevable, la seconde requérante justifiant d'un intérêt la rendant recevable à intervenir devant lui au soutien de la demande de renvoi au Conseil constitutionnel de la QPC initialement invoquée. Toutefois, le Conseil d'Etat précise que l'intervenant n'est pas recevable à invoquer des motifs d'inconstitutionnalité qui n'ont pas été soumis au tribunal administratif qui lui a transmis la question, hormis le cas où il établirait les avoir soumis à la juridiction qui a différé sa décision. Dans le cas inverse, l'intervenant ne peut soulever, au soutien de son intervention, des motifs d'inconstitutionnalité différents de ceux présentés à l'appui de la première question transmise.
C'est ensuite le Conseil constitutionnel qui est venu modifier son règlement intérieur pour organiser la procédure d'intervention volontaire dans le cadre du contentieux de la QPC en édictant de nouvelles dispositions applicables aux QPC renvoyées à compter du 1er juillet 2011 (Cons. const., décision n° 2011-1, 21 juin 2011 N° Lexbase : A2972HUM, JCP éd. G, 2001, 789, étude B. Mathieu). Le site internet du Conseil indique, en effet, que des mémoires ou courriers lui sont régulièrement adressés par des tiers depuis l'entrée en vigueur de la QPC. La décision n° 2010-42 QPC du 8 octobre 2010 (Cons. const., 7 octobre 2010, n° 2010-42 QPC N° Lexbase : A2099GBD) avait, pour la première fois, visé des "observations en intervention" produites pour un syndicat par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ce dont il se déduisait que l'intervention avait été admise et qu'elle avait été soumise à la contradiction. Le Conseil avait ensuite admis, dès lors qu'une intervention est recevable, que l'intéressé présente des observations orales à l'audience (Cons. const., décision n° 2010-71 QPC, du 26 novembre 2010 N° Lexbase : A3871GLX). Le Conseil constitutionnel avait, ainsi, accueilli, par exemple, les interventions d'un établissement public comme la Française des Jeux (Cons. const., décision n° 2010-55 QPC, du 18 octobre 2010 N° Lexbase : A9272GBZ), de plusieurs entreprises de la grande distribution (Cons. const., décision n° 2010-85 QPC, du 13 janvier 2011 N° Lexbase : A8477GPN), de deux associations militantes (Cons. const., décision n° 2010-92 QPC, du 28 janvier 2011 N° Lexbase : A7409GQH), ou encore de deux départements (Cons. const., décision n° 2010-109 QPC, du 25 mars 2011 N° Lexbase : A3845HHU).
Désormais, l'admission d'une intervention est subordonnée à la justification d'un "intérêt spécial" : cette condition confère au Conseil une très grande marge de manoeuvre qui lui permettra d'admettre de manière quasi-discrétionnaire les seules interventions qu'il jugera pertinentes. Elle lui permet, également, de faire obstacle à l'intervention systématique d'associations dont l'objet serait défini de manière très large (la protection des droits et libertés, par exemple) ou de particuliers procéduriers. Une fois l'intervention admise, en revanche, l'intervenant est placé sur un pied d'égalité avec les auteurs de la question et les autorités visées à l'article premier du règlement, puisque "l'ensemble des pièces de la procédure lui est adressé". De même, les observations des intervenants sont transmises "aux parties et autorités mentionnées à l'article 1er" qui disposent d'un délai pour répondre. Les représentants des intervenants peuvent, enfin, présenter leurs observations orales devant le Conseil constitutionnel (article 10 modifié du règlement). Enfin, l'intervention doit être présentée dans un délai de trois semaines suivant la date de la transmission de la question au Conseil mentionnée sur son site internet. Si ce délai s'explique par celui imparti au Conseil pour statuer, cette condition renforce, également, la fonction informative du site du Conseil, la publication d'informations produisant, en l'espèce, des effets juridiques. Ce délai n'est, toutefois, pas opposable aux parties qui ont posé une QPC mettant en cause la même disposition législative et dont la question n'a pas été renvoyée ou transmise pour cette raison.
B - Le filtre de la Cour de cassation
Les arrêts rendus par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 20 mai 2011 (Ass. plén., 20 mai 2011, 4 arrêts, n° 11-90.025, P+B+R+I N° Lexbase : A2727HSS ; n° 11-90.032, P+B+R+I N° Lexbase : A2728HST ; n° 11-90.033, P+B+R+I N° Lexbase : A2729HSU et n° 11-90.042, P+B+R+I N° Lexbase : A2730HSW) (2) provoquent des réactions contrastées mais ne laissent sûrement pas indifférents. L'on sait que ces arrêts ont reçu un large écho médiatique indépendamment des questions de droit soulevées car ils sont intervenus dans le cadre des procès des emplois dits "fictifs" de la mairie de Paris et des HLM des Hauts-de-Seine, mais la QPC a moins attiré l'attention, que dans le cadre d'un procès pour assassinat-. Les QPC critiquaient, d'une part, "l'extension des effets d'un acte interruptif de prescription à l'égard d'une infraction aux infractions qui lui sont connexes" au regard du "principe fondamental reconnu par les lois de la République de prescription de l'action publique" et de ceux de "légalité et de prévisibilité de la loi", garantis par l'article 8 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P) et, d'autre part, le retardement du "point de départ de la prescription de l'abus de confiance et de l'abus de biens sociaux jusqu'au jour de leur apparition dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique" au regard des mêmes principes.
Formellement dirigées contre les articles 7 (N° Lexbase : L2876HID) et 8 (N° Lexbase : L7625IP4) du Code de procédure pénale, relatifs à la prescription des crimes et délits et l'article 203 du même code (N° Lexbase : L3583AZQ), qui définit la connexité, ces questions contestaient en réalité la jurisprudence prenant appui sur eux. Les requérants demandèrent, en outre, le renvoi sans examen au Conseil constitutionnel de la QPC transmise par le tribunal de grande instance de Paris, aux motifs que, lorsqu'elle examine une QPC qui intervient dans le cadre d'une procédure portant sur une accusation en matière pénale, il existe un risque que la Cour de cassation ne soit pas considérée comme un organe satisfaisant pleinement l'exigence d'impartialité objective, en violation du droit à un procès équitable, dès lors que la QPC en question porte sur une interprétation jurisprudentielle dont la Cour de cassation est l'auteur, et qu'elle a appliqué constamment et à de très nombreuses reprises. C'était soulever une exception d'incompétence et lui demander de renoncer à faire usage des pouvoirs que lui ont conféré les dispositions des articles 23-4 et 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3).
Celle-ci a été sèchement écartée par la Cour qui s'est contentée d'indiquer "qu'aux termes de l'article L. 411-1 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L7926HNU), il y a, pour toute la République, une Cour de cassation [...] dès lors, la requête dirigée contre la Cour, dans son ensemble, ne peut être accueillie". Mais cette affirmation n'apprend pas grand-chose et l'unicité d'une juridiction ne la prémunit pas contre un défaut d'impartialité objective. Il faut, ainsi, se rapporter au communiqué accompagnant la décision pour en percevoir la portée. Celui-ci indique, en effet, qu'"il n'est pas possible [...] de mettre en cause la Cour de cassation dans son ensemble, alors même qu'il n'existe aucune autre juridiction du même ordre et de même nature qui pourrait se prononcer. Poussé jusqu'à l'absurde, un tel raisonnement mettrait, d'ailleurs, la Cour dans l'impossibilité d'accomplir sa mission, dès lors que les justiciables invoquent le plus souvent devant elle sa propre jurisprudence, qui n'est pas figée". Etonnant paradoxe : la Cour de cassation refuse ainsi de passer sous la coupe du Conseil constitutionnel en en faisant le juge de sa jurisprudence, mais elle fait en reprenant l'une de ses plus contestables pratiques, l'explicitation de ses décisions par le commentaire autorisé.
Dans le même temps, la Cour de cassation consacre l'abandon de sa jurisprudence (3) qui la voyait juger irrecevable une QPC qui, sous couvert de la contestation d'une loi, "tend en réalité à contester l'application qu'en fait la Cour de cassation" (Cass. QPC, 19 mai 2010, n° 09-82.582, P+F N° Lexbase : A8740EXY ; Cass. QPC, 11 juin 2010, n° 09-87.884, D N° Lexbase : A0820EZE). Alors qu'elle échappait auparavant au contrôle de constitutionnalité, l'Assemblée plénière vient solennellement y soumettre la jurisprudence en répondant au grief d'imprévisibilité du droit positif : ses quatre arrêts affirment, ainsi, que les règles attaquées sont "anciennes, connues, constantes et reposent sur des critères précis et objectifs". La jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui affirme que le contrôle a posteriori de constitutionnalité peut porter sur la loi comme sur l'interprétation qu'en donne la jurisprudence (Cons. const., déc. n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 N° Lexbase : A9923GAR) est donc suivie par la Cour de cassation. Mais ce n'est que pour mieux soumettre la jurisprudence de la Cour au régime applicable à la loi ! En effet, le contrôle de constitutionnalité des lois promulguées, tel qu'il a été établi par le constituant et le législateur organique, confie aux juridictions suprêmes le soin d'exercer un contrôle de constitutionnalité "négatif" en leur permettant de décider du renvoi, ou non, d'une question ne présentant pas un caractère sérieux. Comme l'avait lui-même jugé le Conseil constitutionnel, le constituant "a entendu permettre au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation d'apprécier l'intérêt de saisir le Conseil constitutionnel" (Cons. const., décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009 N° Lexbase : A3193EPX, cons. n° 21). Autrement dit, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation sont, par construction, des juges de la constitutionnalité des lois, seul le Conseil constitutionnel étant juge de leur inconstitutionnalité.
La Cour de cassation était donc dans son rôle lorsqu'elle a affirmé que la prescription de l'action publique ne constitue pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République (4). Cette fois encore, c'est donc plus la forme que le fond de l'arrêt que l'on critiquera. En effet, en affirmant sans autre forme de procès que "la prescription de l'action publique ne revêt pas le caractère d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République", l'Assemblée plénière ne démontre rien. Or, elle aurait pu aisément relever que le législateur a déjà introduit des exceptions ou des limites à la prescription de l'action publique, ce qui fait obstacle à la reconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. const., décision n° 88-244 DC du 20 juillet 1988 N° Lexbase : A8180ACX, consid. n° 12). La loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964, tendant à constater l'imprescriptibilité des crimes contre l'Humanité (N° Lexbase : L8892IQE), et l'article 213-5 du Code pénal (N° Lexbase : L4451GTZ) déclarent, ainsi, imprescriptibles les crimes contre l'Humanité, tandis que la loi n° 98-468 du 17 juin 1998, relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs (N° Lexbase : L8570AIA), retarde le point de départ de la prescription des crimes et délits contre les mineurs au jour de leur majorité. Or, la jurisprudence contestée retarde le point de départ de la prescription des délits considérés comme clandestins, parmi lesquels l'abus de confiance et l'abus de biens sociaux poursuivis dans les affaires à l'origine des arrêts commentés, au jour de leur apparition dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique au motif du caractère clandestin ou occulte de ces deux infractions. C'est dire que le rejet de la QPC, s'il emporte la conviction, aurait gagné à être mieux motivé.
C - L'impartialité du Conseil constitutionnel
Les affaires précédemment invoquées ont fait naître un joli débat sur la possibilité pour le Conseil constitutionnel de statuer sur une affaire intéressant directement l'un de ses membres (et quel membre ! l'ancien président de la République Jacques Chirac, qui a eu l'occasion de nommer ou promouvoir plusieurs des membres actuels du Conseil constitutionnel avant de rejoindre cette institution). Les décisions rendues par la Cour de cassation le 20 mai 2011 ont rendu cette discussion sans objet mais pas sans intérêt (5).
L'impartialité du Conseil constitutionnel a de nouveau été mise en cause quelques semaines plus tard à l'initiative d'Arnaud Montebourg, agissant ici en qualité de président du conseil général de Saône-et-Loire. Dans le litige opposant plusieurs départements à l'Etat à propos de la compensation financière par l'Etat des nouvelles charges pesant sur les départements (allocation personnalisée d'autonomie [APA], prestation de compensation du handicap [PCH] et revenu de solidarité active [RSA], une demande de récusation visant six des onze membres du Conseil a, en effet, été déposée. Seules deux d'entre elles ont été suivies d'effet, Jacques Barrot et Michel Charasse ayant décidé de ne pas siéger, tandis que l'une était sans objet, Jacques Chirac s'abstenant de participer aux séances du Conseil depuis mars 2011 (6).
Etaient, une nouvelle, fois en cause les dispositions de l'article 4 du règlement intérieur du Conseil aux termes desquelles : "Une partie ou son représentant muni à cette fin d'un pouvoir spécial peut demander la récusation d'un membre du Conseil constitutionnel par un écrit spécialement motivé accompagné des pièces propres à la justifier [...] le seul fait qu'un membre du Conseil constitutionnel a participé à l'élaboration de la disposition législative faisant l'objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas en lui-même une cause de récusation". L'on a déjà eu l'occasion de dire ici que ces dispositions ne paraissent pas compatibles avec le droit à un procès équitable tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'Homme dans son arrêt "McGonnell c/ Royaume-Uni" du 8 février 2000 (CEDH, 8 février 2000, Req. 28488/95 N° Lexbase : A7164AWA), quand bien même les services du Conseil constitutionnel mettent en avant l'arrêt "Morel c/ France" du 6 juin 2000 (CEDH, 6 juin 2000, Req. 34130/96 N° Lexbase : A7094AWN). Peu importe à vrai dire : c'est une question qu'il n'appartiendra qu'à la Cour de Strasbourg de trancher définitivement -mais à l'occasion d'un autre litige, l'article 34 de la Convention (N° Lexbase : L4769AQP) n'autorisant pas une collectivité territoriale à saisir la Cour d'un litige l'opposant à un Etat-.
D - Les effets du contrôle
Quelques semaines après les importantes précisions données par le Conseil constitutionnel à propos des effets dans le temps de ses décisions QPC et des conditions dans lesquelles ces effets peuvent être modulés, le Conseil d'Etat s'est pour la première fois prononcé en tant que juge a quo après l'intervention du Conseil constitutionnel. Alors que toutes les demandes de renvoi de QPC au Conseil constitutionnel ont été examinées par des formations de jugement ordinaires, ces premières affaires en voie de règlement définitif ont été directement portées devant l'assemblée du contentieux qui s'est prononcée par trois arrêts du 13 mai 2011 (CE, Ass., 13 mai 2011, publiés au recueil Lebon, n° 316734 N° Lexbase : A8710HQN, n° 329290 N° Lexbase : A8726HQA, et n° 317808 N° Lexbase : A8711HQP). Le Conseil d'Etat a, ainsi, tranché deux questions de principe relatives à la portée à donner aux décisions QPC du Conseil constitutionnel.
Il s'est, d'abord, prononcé sur l'autorité devant être reconnue par le juge administratif aux décisions du 25 mars 2011 (Cons. const., décisions du 25 mars 2011, n° 2010-108 QPC N° Lexbase : A3844HHT et n° 2010-110 QPC N° Lexbase : A3846HHW) par lesquelles le Conseil constitutionnel a défini les effets dans le temps de ses décisions QPC. A cet égard, il est remarquable que l'assemblée ait choisi de citer dans ses visas et, même parfois dans ses motifs, non seulement les décisions QPC directement issues du litige mais encore la décision n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011 (arrêts n° 316734 et n° 329290). Il faut en conclure que, pour le Conseil d'Etat, la Constitution ayant confié au seul Conseil constitutionnel le soin de définir les effets dans le temps de ses décisions prises sur le fondement de l'article 61-1 (N° Lexbase : L5160IBQ), cette prérogative ne sera exercée que par lui, et ce autant qu'il souhaitera l'exercer, le juge a quo n'intervenant que pour interpréter, si nécessaire, le sens des prescriptions du juge de la rue Montpensier. La Haute juridiction administrative juge, ainsi, que, "lorsque le Conseil constitutionnel, après avoir abrogé une disposition déclarée inconstitutionnelle, use du pouvoir que lui confèrent les dispositions [des articles 61-1 et 62 (N° Lexbase : L0891AHH)], soit de déterminer lui-même les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause, soit de décider que le législateur aura à prévoir une application aux instances en cours des dispositions qu'il aura prises pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il appartient au juge, saisi d'un litige relatif aux effets produits par la disposition déclarée inconstitutionnelle, de les remettre en cause en écartant, pour la solution de ce litige, le cas échéant d'office, cette disposition, dans les conditions et limites fixées par le Conseil constitutionnel ou le législateur".
L'examen du pourvoi de Mme X dans l'affaire n° 316734, qui n'avait pas pensé à se prévaloir de la décision n° 2010-1 QPC (N° Lexbase : A6283EXY), a ensuite fourni au Conseil d'Etat l'occasion de juger de manière explicite que le moyen tiré de l'abrogation, par une décision du Conseil constitutionnel, d'une disposition législative applicable au litige se soulève d'office, même en cassation. Cette solution est logique : dès lors qu'il ressort des décisions n° 2010-108 et n° 2010-110 QPC du 25 mars que, sauf indication contraire, le Conseil constitutionnel entend donner à ses décisions une portée sur les instances en cours comparable à celle d'une annulation rétroactive, la prise en compte de leurs effets pour régler ces instances relève finalement de la détermination du texte législatif applicable et touche donc directement au champ d'application de la loi, dont la méconnaissance est toujours d'ordre public.
III - L'articulation avec le contrôle de conventionnalité
Est-il vraiment nécessaire (et possible, dans le cadre restreint de cette chronique) de revenir ici sur les décisions rendues par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 15 avril 2011 (Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049 N° Lexbase : A5043HN4, n° 10-30.242 N° Lexbase : A5044HN7, n° 10-30.313 N° Lexbase : A5050HND et n° 10-30.316 N° Lexbase : A5045HN8) à propos de la garde à vue ? Par ces arrêts, la Cour de cassation n'a pas décidé de faire entrer en vigueur de manière anticipée les dispositions de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue (N° Lexbase : L9584IPN) -comment l'aurait-elle pu?- Ses décisions conduisent, en revanche, à s'interroger de nouveau sur la mise en oeuvre de garanties consacrées tant par la Constitution que par la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. L'on relèvera, alors, que, si le Conseil constitutionnel avait laissé au législateur un délai d'un an pour revoir des dispositions dont il était jugé qu'elles étaient contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution, la Cour de cassation, en jugeant, au visa de l'article 6 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR) et de l'article 63-4, alinéas 1 à 6, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9746IPN), "que les Etats adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation [...] pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires", a mis en lumière le caractère nettement plus exigeant de la protection conventionnelle des droits et libertés.
Enfin, cette question de l'articulation des contrôles s'est également posée au Conseil d'Etat qui a jugé, dans l'arrêt d'Assemblée n° 316734 du 13 mai 2011 que "les juridictions administratives et judiciaires, à qui incombe le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l'Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peuvent déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l'Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu'elles ont à trancher [...] il appartient, par suite, au juge du litige, s'il n'a pas fait droit à l'ensemble des conclusions du requérant en tirant les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité d'une disposition législative prononcée par le Conseil constitutionnel, d'examiner, dans l'hypothèse où un moyen en ce sens est soulevé devant lui, s'il doit, pour statuer sur les conclusions qu'il n'a pas déjà accueillies, écarter la disposition législative en cause du fait de son incompatibilité avec une stipulation conventionnelle ou, le cas échéant, une règle du droit de l'Union européenne dont la méconnaissance n'aurait pas été préalablement sanctionnée". Il en ressort clairement, d'une part, que le contrôle de constitutionnalité est premier et, d'autre part, que le contrôle de conventionnalité ne peut pas être effectué d'office par le juge.
(1) G. Vedel, L'accès des citoyens au juge constitutionnel - La porte étroite, La vie judiciaire, n° 2344, 11-17 mars 1991, pp. 1, 13 et 14.
(2) Bulletin d'information de la Cour de cassation, n° 745, 1er juillet 2011.
(3) Contestée : v. le premier numéro de cette chronique, QPC : évolutions procédurales récentes - mars à décembre 2010, Lexbase Hebdo n° 185 du 19 janvier 2011 - édition publique (N° Lexbase : N1559BR8), n° 1, I, A, 2.
(4) Contra : B. Mathieu, La prescription de l'action publique ne constitue pas un principe constitutionnel, JCP éd. G, 2011, 670 : la Cour s'est avancée là sur un terrain qui n'appartenait jusque là qu'au Conseil constitutionnel.
(5) Et l'on renvoie donc le lecteur intéressé vers ce billet.
(6) Voir la demande de récusation et la réponse du secrétaire général du Conseil constitutionnel.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:427348