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N7362BSH
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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var
le 01 Septembre 2011
La prestation compensatoire, dont l'objet est de compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux, doit être demandée au cours de la procédure de divorce et, exceptionnellement, pour la première fois en appel. S'ils ne statuent pas sur celle-ci en même temps qu'ils prononcent le divorce, les juges ne peuvent plus, ensuite, décider d'en accorder une.
En octobre 2002, un tribunal a prononcé le divorce d'un couple, mais a sursis à statuer quant à l'allocation d'une prestation compensatoire sollicitée par l'épouse. Il a alors commis un notaire afin d'établir, en application de l'article 1116 du (Nouveau) Code de procédure civile (N° Lexbase : L1941ADA), un projet de règlement d'une éventuelle prestation compensatoire, au profit de l'épouse, au vu de la liquidation du régime matrimonial.
En novembre 2008, soit six ans plus tard, statuant à la suite d'un procès-verbal de difficultés dressé par le notaire, un juge aux affaires familiales a déclaré la demande de prestation compensatoire de l'épouse recevable et condamné l'époux à verser, à ce titre, la somme de 30 000 euros.
En juin 2010, une cour d'appel a confirmé cette décision. Elle a estimé que si, en octobre 2002, les juges n'ont pas fixé le montant de la prestation compensatoire, ils ont admis l'octroi de celle-ci à l'épouse, dans son principe, en appréciant la disparité de revenus des parties.
En juillet 2011, la Cour de cassation a cassé cet arrêt. Selon les Hauts magistrats, le jugement d'octobre 2002, sur lequel se fondait l'arrêt d'appel, n'avait pas tranché, dans son dispositif, la question de l'existence d'une disparité, créée par le divorce, dans les conditions de vie respectives des parties. Or, il doit être statué sur la prestation compensatoire et sur le divorce par la même décision. Par conséquent, la cour d'appel avait violé les articles 270 (N° Lexbase : L2837DZ4), 271 (N° Lexbase : L3212INB) et 1351 (N° Lexbase : L1460ABP) du Code civil. La Cour de cassation a ainsi cassé sans renvoi et mis fin au litige, en application de l'article 627, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6786H7H), au motif que les faits, tels qu'ils avaient été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui ont permis d'appliquer la règle de droit appropriée. La demande de l'épouse a définitivement été déclarée irrecevable et chaque partie a eu la charge de ses propres dépens de première instance, d'appel et de cassation.
Si elle est critiquable, du point de vue des parties, la solution est parfaitement logique, du point de vue de la Cour de cassation.
Du point de vue des parties, et notamment de l'épouse, cette décision est difficilement compréhensible. Il aura fallu dix ans de procédure pour qu'elle apprenne qu'elle aurait pu avoir 30 000 euros de prestation compensatoire, si les premiers juges n'avaient pas sursis à statuer. Parce que le tribunal qui a prononcé son divorce a préféré attendre, s'agissant de l'octroi de la prestation compensatoire, qu'un notaire ait établi "un projet de règlement des prestations et pensions après divorce" (NCPC, art. 1116), l'épouse n'a finalement pas obtenu de prestation compensatoire, même si, entre temps, un juge aux affaires familiales a constaté qu'il y avait bien disparité dans les conditions de vie des époux. Et l'affaire est définitivement close.
Du point de vue de la Cour de cassation, pourtant, la solution est parfaitement logique. La demande de prestation compensatoire est l'accessoire de la demande en divorce. Les juges ne peuvent pas se prononcer sur le second sans statuer sur la première. Exceptionnellement, il est admis que la demande de prestation compensatoire peut être présentée pour la première fois en appel, tant que la décision, en ce qu'elle prononce le divorce, n'a pas acquis la force de chose jugée (1). En revanche, si l'appel est limité aux conséquences du divorce ayant trait à la part contributive de l'époux à l'entretien et l'éducation des enfants, par exemple, la demande de prestation compensatoire est irrecevable, puisque le divorce est devenu définitif (2).
De plus, selon l'article 271 du Code civil, tel qu'il était rédigé avant la réforme du divorce du 26 mai 2004, entrée en vigueur le 1er janvier 2005, "la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Dans le cadre de la fixation d'une prestation compensatoire, [...], les parties fournissent au juge une déclaration certifiant sur l'honneur l'exactitude de leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie". Or, en pratique, plus le temps (les années en l'espèce) passe(nt), plus est difficile, pour les juges, de déterminer les besoins et ressources des époux au moment du divorce, et, pour les époux, d'établir une déclaration indiquant avec exactitude leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie. L'écoulement du temps permet seulement, éventuellement, de prouver plus facilement le déséquilibre dans les conditions de vie des époux, avant et après le divorce.
En l'espèce, contrairement à ce qu'a énoncé la cour d'appel, le tribunal, en 2002, n'a pas admis, dans son principe, l'octroi d'une prestation compensatoire à l'épouse, en appréciant la disparité de revenus des parties. Il n'a pas, dans son dispositif, tranché la contestation relative à l'existence d'une disparité, créée par le divorce, dans les conditions de vie respectives des parties. Ainsi, en accordant une prestation compensatoire à l'épouse, six ans plus tard, le JAF, et les magistrats de la cour d'appel qui l'ont approuvé, ont violé l'article 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP) selon lequel "l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité".
Le tribunal n'aurait pas dû surseoir à statuer. L'article 1116 du (Nouveau) Code de procédure civile (désormais abrogé) disposait : "le juge aux affaires familiales peut, même d'office, charger un notaire ou un professionnel qualifié d'établir un projet de règlement des prestations et pensions après divorce. Il peut aussi donner mission à un notaire de dresser un projet de liquidation du régime matrimonial". Ce texte était situé dans un paragraphe du code relatif à "L'instance". Les juges devaient donc y recourir pendant l'instance et non après le jugement. Ils pouvaient surseoir à statuer, en attendant le projet du notaire, mais devait surseoir à statuer sur l'ensemble des demandes, c'est-à-dire y compris le divorce, et non seulement sur la prestation compensatoire.
Lors de la réforme du divorce du 26 mai 2004 (loi n° 2004-439 N° Lexbase : L2150DYB), le législateur a abrogé l'article 1116 du Code de procédure civile. A présent, c'est l'article 255 du Code civil (N° Lexbase : L2818DZE) qui permet au juge de "désigner tout professionnel qualifié en vue de dresser un inventaire estimatif ou de faire des propositions quant au règlement des intérêts pécuniaires des époux" ou de "désigner un notaire en vue d'élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager". Ce texte est situé dans un paragraphe du Code civil relatif aux mesures provisoires, avant celui intitulé "de l'introduction de l'instance en divorce". Espérons qu'il est ainsi plus clair, pour les juges, que la désignation de ces professionnels et, surtout, l'examen des résultats de leurs travaux, doivent avoir lieu avant le prononcé du divorce.
Espérons également, à propos de l'affaire commentée, que l'épouse, qui a vécu sans prestation compensatoire pendant six ans, avant d'apprendre qu'elle pouvait en avoir une, pourra continuer à s'en passer, maintenant qu'elle sait qu'elle n'en aura jamais.
Dans la première affaire commentée ce mois-ci, les juges du fond avaient commis une erreur, certes. Celle-ci a probablement été difficile à admettre, du point de vue du justiciable, en l'occurrence l'épouse, mais, d'un point de vue juridique, elle pouvait être excusée. Dans d'autres espèces, en revanche, les juges du fond adoptent des solutions que ni les justiciables, ni des confrères indulgents ne peuvent expliquer, justifier et excuser.
Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation, le 6 juillet 2011, un homme avait été condamné, lors de son divorce, à verser à son épouse la somme de 20 000 euros de prestation compensatoire. En novembre 2009, la cour d'appel avait retenu, pour fixer une telle somme, que l'époux, militaire, percevait une solde nette de 2 500 euros, qu'il allait être placé à la retraite en novembre 2010 avec une pension mensuelle de 1 562,36 euros, qu'il ne serait alors âgé que de 48 ans et qu'il serait disponible pour occuper un emploi rémunéré.
Or, selon l'article 271 du Code civil, "la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre". L'arrêt attaqué fut donc cassé au motif que la cour d'appel avait privé sa décision de base légale au regard des articles 270, 271 et 272 (N° Lexbase : L8783G8S) du Code civil. Cette dernière ne pouvait pas statuer en examinant uniquement les ressources de l'époux. Elle devait, aussi, prendre en considération les charges de celui-ci, énoncées dans ses conclusions d'appel.
Dans une autre affaire, jugée le 16 juin 2011, une cour d'appel avait pris en considération, en mai 2009, pour attribuer à une épouse un capital de 4 000 euros à titre de prestation compensatoire, la somme mensuelle de 417 euros, versée à l'époux, au titre de la rente servie pour l'accident du travail qui l'avait rendu invalide.
Or, depuis février 2005 (soit quatre ans avant que la cour d'appel statue dans cette affaire), l'alinéa 2 de l'article 272 du Code civil, créé par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (N° Lexbase : L5228G7R), indique clairement "dans la détermination des besoins et des ressources, le juge ne prend pas en considération les sommes versées au titre de la réparation des accidents du travail et les sommes versées au titre du droit à compensation d'un handicap". La cassation de l'arrêt attaqué était évidente. Deux ans de procédure supplémentaire et des dépens pour l'épouse... pour une violation flagrante de l'article 272 du Code civil.
Ces décisions sont signalées ici pour deux raisons. D'une part, elles renseignent, à défaut de justifier, sur l'une des raisons de l'encombrement, et donc de la lenteur, de la justice : l'erreur (par définition) humaine ! D'autre part, et surtout, elles donnent l'occasion de rappeler ce qu'il convient de prendre en considération, ou pas, lors de la fixation de la prestation compensatoire.
Selon l'article 271 du Code civil, "la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
A cet effet, le juge prend en considération notamment :
- la durée du mariage ;
- l'âge et l'état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelles ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa".
L'adverbe "notamment", au début de la liste, indique que celle-ci n'est pas exhaustive. Il a ainsi été jugé que les magistrats devaient tenir compte :
- de tous les composants du patrimoine des époux "et notamment leurs biens propres ou personnels quelle qu'en soit l'origine", telle que, par exemple, la perception d'"une somme importante lors de la vente d'un bien propre, dont il (le défendeur) n'avait pas justifié l'emploi" (3) ;
- du concubinage d'un des conjoints, qu'il s'agisse de l'époux créancier (4) ou débiteur (5) ;
- de l'allocation chômage de l'époux débiteur (6) ;
- du RMI (revenu minimum d'insertion) du créancier (7) ;
- de l'indemnité de fonction perçue en tant que maire, par le mari (8) ;
- de la prestation compensatoire versée à une précédente épouse (9) ;
- de la contribution à l'entretien et l'éducation des enfants, pour déterminer les ressources de l'époux débiteur (10), mais pas celles du conjoint qui en a la garde (11).
En revanche, le juge ne doit pas prendre en considération des sommes versées au titre de la réparation des accidents du travail et les sommes versées au titre du droit à compensation d'un handicap (C. civ., art. 272, al. 2). De plus, selon la jurisprudence, les juges n'ont pas à tenir compte :
- de la vocation successorale de l'épouse créancière, au motif que celle-ci ne constitue pas un "droit prévisible" (12). Il est vrai qu'il est possible que la personne n'ait jamais cet héritage si, par exemple, ses parents dilapident tout, l'exhérèdent ou décèdent après elle ;
- des perspectives de versement d'une pension de réversion en cas de prédécès de l'ex mari, débiteur de la prestation compensatoire (13), dès lors que, comme la vocation successorale, la pension de réversion attribuée en cas de prédécès du conjoint est aléatoire, personne ne pouvant prédire qui va mourir en premier ;
- des prestations destinées aux enfants (allocations familiales, prestations dédiées à la naissance et au jeune enfant, aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée (AFEAMA), allocation de garde d'enfant à domicile (AGED), prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), allocation de soutien familial (ASF), complément familial, allocation de rentrée scolaire), qui ne constituent pas des revenus bénéficiant aux parents (14) ;
- de la durée du concubinage antérieur au mariage, même si celui-ci a duré vingt ans et le mariage seulement cinq (15) (en revanche, les juges peuvent tenir compte d'une période de séparation, dès lors que celle-ci est intervenue pendant le mariage (16)).
Lorsque l'ajout ou l'exclusion d'un élément, de la liste de ceux devant être pris en considération, ressort d'une décision de justice, les juges du fond ne sont pas obligés de s'y conformer. Ils ne sont pas tenus par "les choix" de leurs confrères et peuvent "juger différemment". En revanche, quand la loi énonce clairement qu'un élément doit être pris en considération, telles les ressources du débiteur de la prestation (C. civ., art. 271) ou, au contraire, qu'un élément ne doit pas être pris en compte, telles les sommes versées au titre de la réparation des accidents du travail et au titre du droit à compensation d'un handicap (C. civ., art. 272), les juges du fond sont obligés de s'y conformer. Ils sont tenus par "les choix" du législateur et ne peuvent pas "juger différemment".
Malheureusement, ce rôle de sanction et de régulation, qui incombe à la Cour de cassation, ne peut être exercé que si un pourvoi est formé. Les justiciables doivent alors parfois, pour "gagner" une "bonne" application des règles de droit, perdre du temps et souvent de l'argent.
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