Réf. : Cass. QPC, 12 juillet 2011, 2 arrêts, n° 11-40.035, FS-D (N° Lexbase : A0391HWE) et n° 11-40.036, FS-D (N° Lexbase : A0392HWG)
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par Xavier Berjot, avocat associé Ocean Avocats
le 01 Septembre 2011
Selon l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ), "lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé".
Le dispositif de la QPC, qui constitue une réforme majeure, permet à toute personne physique ou morale, partie à un litige, de soutenir qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution (au sens large) garantit.
La QPC peut être posée à l'occasion de toute instance devant une juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire, et tant en première instance (sauf devant la cour d'assises) qu'en appel ou en cassation.
L'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), définit les conditions de recevabilité de la QPC, qui sont au nombre de quatre.
Tout d'abord, à peine d'irrecevabilité, la QPC doit être présentée dans un écrit distinct et motivé (article 23.1 de l'ordonnance).
Par ailleurs, il appartient à la juridiction de transmettre la QPC au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation, si les conditions cumulatives suivantes sont remplies (article 23.2 de l'ordonnance) :
1° la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
2° elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
3° la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
La juridiction devant laquelle la QPC est soulevée constitue donc un premier filtre, étant précisé que le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige (article 23-2 susvisé).
La décision de transmettre la QPC est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties (article 23-2 susvisé) et la juridiction doit surseoir à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel (article 23-3 de l'ordonnance).
Une fois saisi, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation dispose d'un délai de trois mois pour se prononcer sur le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel, en se fondant sur les mêmes critères de recevabilité que ceux exposés ci-dessus.
Le Conseil constitutionnel doit statuer dans un délai de trois mois à compter de sa saisine, après avoir mis les parties à même de présenter contradictoirement leurs observations.
Si les Sages déclarent que la disposition législative contestée est contraire à la Constitution, leur décision a pour effet d'abroger cette disposition, qui disparaît de l'ordre juridique français.
II - Les QPC relatives au droit disciplinaire des avocats
Les deux QPC précitées ont été soulevées par un avocat, devant la cour d'appel de Paris, à l'occasion d'une instance disciplinaire l'opposant au Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris. Dans deux arrêts du 26 mai 2011 (1), la cour d'appel a pris la décision de transmettre ces QPC à la Cour de cassation, conformément à l'article 23.2 de l'ordonnance susvisé. La Cour de cassation a elle-même décidé de les transmettre au Conseil constitutionnel, dans ses arrêts du 12 juillet 2011, et elles sont actuellement en cours d'examen.
A - La QPC relative à la procédure disciplinaire applicable aux avocats du barreau de Paris
La première QPC (2) était posée en ces termes :
- "La loi n° 2004-130 du 11 février 2004 (N° Lexbase : L7957DNZ), article 28, qui a modifié l'article 22 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) en instituant des conseils de discipline distincts des conseils de l'ordre, en ce qu'elle a refusé dans l'alinéa 2 de ce texte le bénéfice de cette disposition aux avocats au barreau de Paris, a-t-elle porté atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, faute d'accès effectif à un juge indépendant et impartial, au travers des principes d'égalité des armes et du respect des droits de la défense, ainsi qu'au principe d'égalité devant la justice, en violation des articles 1er (N° Lexbase : L1365A9G), 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 ?"
En effet, il résulte de l'article 22, alinéa 1er, de la loi du 31 décembre 1971 modifiée qu'un conseil de discipline institué dans le ressort de chaque cour d'appel connaît des infractions et fautes commises par les avocats relevant des barreaux qui s'y trouvent établis.
Ce conseil de discipline est composé de représentants des conseils de l'Ordre du ressort de la cour d'appel, étant précisé qu'aucun conseil de l'Ordre ne peut désigner plus de la moitié des membres du conseil de discipline et que chaque conseil de l'Ordre doit désigner au moins un représentant.
Or, l'alinéa 2 du texte susvisé prévoit, par exception, que le conseil de l'Ordre du barreau de Paris connaît lui-même des infractions et fautes commises par les avocats qui y sont inscrits, en siégeant comme conseil de discipline.
Il existe donc manifestement une différence de traitement entre les avocats, selon qu'ils appartiennent ou non au barreau de Paris. Dans ce dernier cas, l'Ordre se trouve être à la fois autorité de poursuite et de jugement.
Est ainsi posée la question de l'accès effectif à un juge indépendant et impartial, comme n'a pas manqué de le relever la QPC.
Or, ce principe bénéficie de fondements constitutionnels solidement établis, que vise la QPC, et notamment l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 selon lequel "toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".
Il n'est donc pas exclu que le Conseil constitutionnel abroge l'article 22, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971.
B - La QPC relative à la définition des règles de déontologie et la fixation des sanctions disciplinaires
La deuxième QPC transmise au Conseil constitutionnel (3) est formulée dans les termes suivants :
- "L'article 53, alinéas 1er et 3, de la loi n° 71-1130 modifiée du 31 décembre 1971, en ce qu'il renvoie à des décrets en Conseil d'Etat les conditions d'application du texte de loi, s'agissant plus spécialement de la définition des règles de déontologie et de la fixation des sanctions disciplinaires, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, consacrés par les principes d'égalité, de légalité de la procédure pénale, de respect des droits de la défense, ainsi que par le droit d'accès à un juge, notamment au travers du principe de légalité, violant de la sorte les articles 1er, 6, 7 (N° Lexbase : L1371A9N), 8 (N° Lexbase : L1372A9P) et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 ?"
Dans son arrêt de transmission de la QPC au Conseil constitutionnel, la Cour de cassation relève que "la question posée présente un caractère sérieux en ce que le droit disciplinaire revêt un caractère punitif".
En effet, la QPC soulève la question de la légalité des délits et des peines.
L'article 53, alinéas 1er à 3, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dispose :
-"Dans le respect de l'indépendance de l'avocat, de l'autonomie des conseils de l'ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d'Etat fixent les conditions d'application du présent titre.
Ils présentent notamment :
2° Les règles de déontologie ainsi que la procédure et les sanctions disciplinaires". (nous soulignons).
Parce qu'elle renvoie à des décrets en Conseil d'Etat la possibilité d'édicter des sanctions, il est possible d'affirmer que la loi du 31 décembre 1971 s'est affranchie de ce principe de légalité des délits et des peines.
L'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose à cet égard que "la Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée".
Selon le Conseil constitutionnel (décision n° 2010-604 DC du 25 février 2010 N° Lexbase : A2529ESH), le législateur tient de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis.
Le principe de légalité des délits et des peines s'applique aux sanctions administratives ou ordinales (décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 à propos du CSA N° Lexbase : A8194ACH).
Précisons toutefois que les Sages admettent la possibilité de renvoyer à une norme inférieure, par délégation de la loi, pour ce qui concerne la définition d'une incrimination (décision n° 82-145 DC du 10 novembre 1982 N° Lexbase : A8047ACZ).
En l'espèce, l'article 53 a confié à des décrets en Conseil d'Etat le soin d'établir non seulement la définition des comportements fautifs des avocats, mais également les sanctions qu'ils encourent.
Par conséquent, ici encore, il n'est pas exclu que le Conseil constitutionnel abroge les alinéas 1er et 3 de l'article 53, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.
(1) CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 26 mai 2011, 2 arrêts, n° 11/07866 (N° Lexbase : A7550HSG) et n° 11/07865 (N° Lexbase : A7549HSE).
(2) Cass. QPC, 12 juillet 2011, n° 11-40.035.
(3) Cass. QPC, 12 juillet 2011, n° 11-40.036.
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